Aural Delight: Psychedelia!

Société postmoderne par excellence, le Japon a été la source de plusieurs vagues musicales d’une importance capitale depuis les années ’50. Dans « Japrocksampler », Julian Cope, chanteur mystique de Teardrop explodes, s’attache à décrypter le premier de ses mouvements particuliers : la révolution psyché.

Se plonger dans les groupes nippon de la fin d’entre 1969 et 1979, les connaisseurs le savent, c’est tomber dans un univers familier – la base est anglo-saxonne- mais étrangement perverti : les frontières entre groupes et genres n’ont plus lieu d’être, tout est mélangé dans un melting-pot rock auquel on hésite pas à ajouter un touche de musique traditionnelle, pourquoi pas des éléments piqués chez John Cage ou Stockhausen et puis encore ce qu’il reste dans le garde manger. Pris séparément, les éléments sont connus mais une fois dégustés tous ensemble dans un seul et unique brouet pas du tout infâme, on a une sorte de révélation et se rend compte que ce qu’on écoute là est tout simplement unique et rare. Et voilà que ces petits gars bridés qui avaient trop écoutés la musique occidentale en sortent un truc révolutionnaire qui à son tour va influencer les sons produits dans le reste du monde – est-ce qu’il y a un seul groupe européen et US donnant dans le psyché, le sludge, le doom ou le drone avant-gardiste aujourd’hui qui n’a pas ses étagères et ses oreilles remplies de sons japonais ? Non, monsieur, non.

J’ai eu ma phase psyché ’70 du soleil levant il y a déjà quelques années et, comme toujours lorsqu’on a trop écouté quelque chose, j’avais un peu délaissé tout ça, favorisant, par exemple, des artistes de la même époque mais donnant dans un folk étrange – l’immense Kan Mikami, plus grand troubadour du vingtième siècle, ou Kazuki Tomokawa. Le livre de Cope tombait donc bien pour me donner l’envie de m’y replonger. « Japrocksampler », disons-le, est un livre essentiel mais frustrant. 1) Julian Cope se voit en messie, réincarnation pomo de la figure druidique et, bon, quand il se la joue comme ça en sur un album de Sunn, c’est excellent, mais à l’écrit ça devient vite agaçant ; 2) Julian Cope est persuadé qu’il est impossible de comprendre quoi que ce soit au monde et à la musique si on ne s’est pas ouvert l’esprit via l’ingestion régulière de LSD, et ça aussi ça devient vite agaçant ; 3) Julian Cope est convaincu que son lecteur ne comprend rien aux particularités du sujet étudier et que lui détient la clé qui va nous faire voir les conditions ayant permis l’émergence de ce genre musical dans un endroit x à un moment y. Non seulement, on en sait plus que ce qu’il croit, mais surtout il ne livre pas l’explication promise. D’autre part, la structure du livre est assez étrange, pas vraiment efficace. Cope commence par une présentation historique rapide du Japon depuis le bateaux noirs de l’amiral Percy jusqu’aux années ’50 afin de donner au lecteur le cadre général dans lequel évoluent les individus dont il va parler. Intention louable, mais ceux ayant une connaissance quelconque de l’histoire japonaise peuvent se passer de ce tableau rapide et grossier. Ensuite, et c’est là la partie la plus intéressante, il nous présente la scène avant-gardiste nippone des années ’50 et début ’60. Petit tour chez les pionniers de la musique concrète et les jazzmen, explication de la rencontre fertile entre ces deux milieux, du développement subséquent de Fluxus et puis enfin de la naissance d’une scène rock donnant d’abord dans le mimétisme occidental avant de prendre la tangente lorsque pionniers concrets, disciples de Miles et rockers éclairés se rencontrèrent lors de la mise sur pied de la version tokyoïte de Hair. Tout ça est très bien, hormis un petit problème : ça a un côté enfilage d’anecdotes dans un exercice de name-dropping alors qu’on nous avait promis le pourquoi-du-comment. La suite est étrange : Cope abandonne la présentation générale, la vue d’ensemble pour un enchaînement de chapitres chacun consacré à un artiste particulier. Qu’a fait A avec qui quand et comment. Plein d’infos intéressantes, mais énormément de répétitions et très peu de perspective. Le livre se referme sur la présentation des 50 albums préférés de l’auteur – et franchement, il y a des perles.

Malgré la présomption de Julian Cope et la frustration ressentie à la lecture de nombreuses sections, « Japrocksampler » est un livre plaisant qui m’aura surtout donné l’occasion de replonger dans quelques albums absolument essentiels. Ah, la reprise apocalyptique du 21st century schizoid man de King Crimson par Flower Travellin’ Band, oh, le monstrueux Satori de cette même mauvaise troupe (quels riffs, quelles mélodies !), eh, le fuzz, la réverb totale des Rallizes Denudes, putain la folie absolue de Far East Family Band (imaginez, je sais pas moi, un meeting totalement improbable entre Klaus Schulze, Zappa et Moody Blues en pleine campagne japonaise) et puis surtout, surtout, se reposer avec Taj Mahal Travellers, groupe absolument hallucinant, aussi à l’aise à jouer sur une montagne ou dans un des studios de pointe de l’époque – flutes, violons, éléctro primitif le tout donnant une sorte de drone primordial, une musique post-neo je sais pas trop quoi absolument essentielle. Et pour les brutes, Blues Creation (dios mio, Sorrow !).

Julian Cope, « Japrocksampler », Bloomsbury, £14.99
Il y a un site où vous trouverez des renseignements, vidéos, morceaux, photos de tous les groupes cités dans le livre. C’est une page participative sur mode wiki qui devrait s’enrichir progressivement.


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Le questionnaire de Babel

Parce que ça fait toujours passer le temps. Je veux vos réponses aussi ! (Merci à Pedro pour l’idée.)

Liste des livres lus présents sur mon bureau:
William Gaddis, « A frolic of his own » ; Fernando Pessoa, « Le livre de l’intranquillité » ; Julian Cope, « Japrocksampler ».

Liste des livres à lire présents sur mon bureau :
Franco Moretti, « The novel – History, geography and culture », « The novel – Forms and themes », « Graphs maps trees, abstract models for literary history », « Signs taken for wonders : on the sociology of literary forms » ; Jack Kerouac, « On the road – the original scroll » ; R.J.B. Bosworth, « Mussolini’s Italy » ; Gabriel Josipovici, « Goldberg : variations ».

Livres en cours de lecture :
Junot Díaz, « The brief and wondrous life of Oscar Wao ».

Liste des compositeurs "classiques" que je déteste ou n'écouterai plus:
O.Lamm.

Liste des compositeurs "classiques" sans cesse écoutés et réécoutés :
O.Lamm.

(Je rigole, hein… Ma culture classique est nulle. Les compositeurs que j’écoute sont ceux qu’ont m’a fait écouté depuis tout petit : Chostakovitch, Stravinsky, Ustvolskaya, Beethoven, Bach. Et je ne les écoute probablement que lorsque je rends visite à mes parents. Merci, Fausto père…)
Musique écoutée tandis que ce message est tapé:
Circle, le morceau State Powder sur Panic, le dernier CD.

Dernier musicien découvert avec bonheur et intensité :
Aucun. Ou alors il y a longtemps. Le livre de Julian Cope m’a cependant fait replonger dans Taj Mahal Travellers, j’en suis ressorti stupéfait de ne pas avoir écouté ces merveilles depuis 2004.

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Deux en un

Quelques mois après « Oh pure and radiant heart » de Lydia Millet, le spectre du nucléaire revient hanter la littérature américaine à travers le fascinant premier roman de Shelley Jackson, « Half Life ». Ici, cependant, l’impact écologique et humain des utilisations énergétiques et militaires de la fission nucléaire ne tient pas un rôle d’avant plan : c’est le prétexte à un plongée fantastique dans un univers profondément original, rempli de jumeaux siamois et d’animaux qui parlent.

Contrairement aux fictions apocalyptiques des années post-Hiroshima qui opèrent leur grand retour sous un mode post-09/11 ces temps-ci (voir « The Road » ou « Jamestown »), « Half Life » ne se préoccupe pas d’un monde au bord ou d’après la catastrophe. Jackson parle de relations fraternelles, de l’enfance et de l’apprentissage des différences d’une façon qui désarme la garde du vieux cynique qui sommeille en moi.

Sans doute à cause des nombreux essais d’armes nucléaires, le nombre de naissances de siamois a considérablement augmenté, à un point tel qu’ils forment une minorité assez importante pour s’organiser en lobby réclamant des droits et la fin des discriminations. Cette particularité devient la nouvelle différence à la mode, certains normaux veulent d’ailleurs se faire greffer une seconde tête pour participer au mouvement. Le problème, évidemment, c’est que tous ne se retrouvent pas dans cette über-coolness. Nora n’en peut plus de sa sœur Blanche, poids mort endormi qui l’empêche de s’épanouir. Par chance ( ?) elle entend parler de l’Unity Foundation qui propose aux siamois malheureux de décapiter la tête qui dépasse. Cette organisation, basée au Royaume-Uni, est totalement clandestine car, contrairement au cas du fœtus, c’est, dans le cas des siamois, le droit à la vie qui prime : chaque tête est une personne à part entière, la couper un meurtre. Le parcours de Nora sera difficile : sa démarche est à rebours de celui de la société, les manifestations des « togethernists » - les « défenseurs » des siamois- et ses propres interrogations ne l’aident pas, pas plus que l’impression que sa sœur est en train de se réveiller, dans une humeur plutôt morbide et hostile par dessus le marché.

Très habilement, Shelley Jackson parvient à faire croire à un monde mis à l’heure du doubleton et à adapter les luttes identitaires ou anti-identitaires actuelles à cette nouvelle réalité. Ces relations entre monde connu et monde fictionnel font évidemment sourire et rigoler à de nombreuses reprises, mais la force du roman est ailleurs. Où ? Au niveau du contenu, je suis assez impressionné par la subtilité du portrait de l’enfance, dimension cruelle comme créatrice comprise. Pareil pour les relations entre sœurs ou frères. Ce sont des thèmes ultra-connus mais Jackson ne se vautre ni dans le cliché, ni dans la facilité. Le mieux, c’est quand même l’approche de la différence, ni manichéenne, ni angélique. Le monde n’est pas un merveilleux creuset de différences à embrasser malgré les manœuvres de méchants réactionnaires. Non, la vision ici développée met bien en évidence les tensions, le mal-être vécu par la personne qui se sent différente, indépendamment de la norme sociétale : l’ennemi est intérieur, la solution aussi. C’est donc ça « Half Life » : plus que le récit d’un voyage pour faire couper la tête de sa sœur siamoise, c’est celui d’un parcours visant à déterminer qui exactement est Nora.

Mais ce qui confère vraiment sa force au roman, c’est qu’en plus d’aborder des thèmes intéressants, Jackson intègre son histoire dans une structure diaboliquement intelligente en forme de diagramme de Venn. Cette construction, évidemment, évoque l’éternel retour ainsi que le parcours du héros mythologique – voir John Barth dans « Chimera »-, mais surtout permet, sans avoir l’air d’y toucher, de donner à Blanche son rôle dans l’histoire – two sides to every story- sans que le lecteur s’en rende bien compte au début. Ensorcelé par l’univers étrange de l’enfance des soeurs, fasciné par le lien entre l’univers fantaisiste des siamois de Jackson et le monde dans lequel il vit, enchanté par l’humour constant, mené par le bout du nez par l’organisation interne du récit, le lecteur, stupéfié, se réveille à la fin en ce disant que l’ensemble avait une force d’évidence. Et pourtant,il s’est laissé avoir. En gros, un enchantement littéraire, une histoire humaine, un moment de grand plaisir - vous devez me croire sur parole bien que je n'arrive pas à faire justice à ce roman dans ce papier. A ranger à côté du « Habitus » de James Flint.

Shelley Jackson, Half Life, Harper Perennial, $14.95

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5 under 35

Depuis l'an passé, la National Book Foundation demande à cinq anciens lauréats et finalistes du National Book Award de choisir chacun un jeune écrivain prometteur. Sympathique initiative, même si je dois bien avouer qu'aucun des romanciers de la liste 2006 ne m'a vraiment attiré. La cuvée 2007 sera-t-elle meilleure? Richard Powers était du nombre des "parrains" et son choix s'est porté sur Charles Yu pour son livre "Third class superhero". Je vais de ce pas y jeter un oeil.

Pour rappel, les finalistes du NBA 2007 seront annoncés le 10 octobre.

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Complainte de la shortlist

Qui pensait qu’être sur la shortlist du Booker Prize faisait exploser les ventes ? Le Daily Telegraph publiait il y a quelques jours des chiffres de vente assez consternant. A l’exception du rachitique « On chesil beach » de Ian McEwan (99600 exemplaires), un seul livre dépasse les mille exemplaires (1519 pour être précis). Nicola Barker, auteur tout de même d’une certaine réputation, n’a écoulé que 499 copies de « Darkmans », livre qui a pourtant l’air intéressant et qui me regarde, la larme à l’œil, depuis ma pile non lue. J’ai aussi une pensée émue pour Lloyd Jones, écrivain néo-zélandais, parmi les meilleurs d’Océanie, dit-on, ayant publié huit livres dont seul le dernier est disponible ailleurs que chez lui. On imagine que lorsque une maison anglaise a pris la décision de faire paraître « Mr Pip » en Albion, Jones a bondit de joie. De même lorsqu’il a apprit être en piste pour le Booker. Las, 880 copies vendues au Royaume-Uni, la mienne comprise. Je finirai par me dire que la poignée de centaines de livres de Kathy Acker vendu en France est finalement un bon résultat pour l’éditeur…

Quelques mots sur « Mister Pip » : c’est un roman classique, ultra-classique dont le véritable héros est le pouvoir rédempteur de la littérature. Dans une petite île perdue du Pacifique, une rébellion fait la guerre à une armée importée, laissant la population locale bloquée sur place dans la crainte d’attaques et d’exactions. Le seul blanc à être resté – il est marié à une locale- est un personnage étrange et mystérieux pour les enfants de l’île auxquels il décide de donner classe en lisant « Great Expectations ». On ne fera pas le détail des péripéties du roman, disons juste qu’entre l’amour des mots et celui de Dickens, il y a des moments de très grande brutalité venant rappeler que si la littérature peut parfois beaucoup, ce n’est pas en elle qu’on parviendra à survivre à de telles conditions. Il y a quelques beaux moments dans le livre de Lloyd Jones – le prof blanc contant sa vie aux rebelles, mélangeant passages authentiques, extraits de « Great Expectations » et anecdotes du village dans une sorte de salmigondis littéraire assez intelligent, par exemple- mais disons qu’à la fin de la lecture, on a toujours faim.

Lloyd Jones, Mr Pip, John Murray, £12.99

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Abandonnez tout espoir

La place du poète dans le monde contemporain? Une vision légèrement différente de celle de Richard Grossman par l'excellent Christian Bök (cliquez sur le lien pour lire un de ses poèmes).

I often remind my students that, despite their belief that they have important knowledge to communicate to the world at large through their poetry, their status as poets already suggests that they have failed to make any momentous discovery that might have otherwise contributed to the history of knowledge; otherwise, the students might have exploited this insight in far more lucrative vocations, like the sciences or even business. I remind my students that they are probably taking my class in poetry because "math is hard"--and since they have no other worthy skills, they have chosen to accept their demotion to a lowly caste of literate nobodies. I get a few nervous giggles from the students after these waggish tirades--but then I underline my argument by saying that, if students really do believe that they are communicating, heretofore undiscovered, revelations to the public, then the proper genre for transmitting such a discovery is definitely not a poem, but a press conference....

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Across malls incognitae

« The average young American searches for self-realization with a channel selector. He doesn’t understand he’s a victim, he is so utterly robbed. Minds and vocabularies emptied. Shopping armies trudging across malls incognitae. Gun manufacturers turning out customized assault weapons for babies. Arsenists poisoning the arsonists who immolate the arsenists. Agape. Cranial love. Fellating the warden, the summation of human condition »

Richard Grossman, The alphabet man, Fiction Collective Two, $11.95

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De A à Z

Depuis plus de quinze jours, je n’ai parlé que de livres sortis dans le cadre de la rentrée littéraire. Je continuerai sans doute dans les semaines qui viennent, mais il est parfois bon de sortir la tête du guidon et de causer d’un livre plus ancien (1993), malheureusement pas facile à trouver (Fiction Collective Two) mais qui finira peut-être un jour par être traduit (Lot49 ?). « The Alphabet Man », Richard Grossman.

Faut pas tourner autour du pot : c’est une lecture sidérante, malgré ses apparences trompeuses de thriller hollywoodien. Clyde Wayne Franklin, après une quinzaine d’années de prison pour le meurtre de son père, est devenu le principal poète des Etats-Unis. Célébrité controversée, détesté par beaucoup, il aime à se faire appeler l’homme alphabet – son corps est entièrement tatoué de lettres. Après quelques mois de grosse dépression et d’hospitalisation, Clyde s’en va rejoindre sa future femme à Washington. Elle est en danger : ancienne prostituée, elle aurait extorqué une forte somme d’argent à un parlementaire de ses clients qui se trouve actuellement en bonne position pour l’élection présidentielles et veut la faire taire. A l’arrivée, au lieu de sa dulcinée, il se fait embarquer par une bande de petites frappes qui le passent à tabac. Ainsi commence une enquête menée la tête dans un nuage délirant, paranoïaque et violent qui le mène vers l’explosion de sa psyché dans un holocauste sanglant.

Richard Grossman
est d’abord un poète. Découragé par l’absence presque totale d’intérêt pour la poésie, il arrêta d’écrire dans les années ’70 avant de s’y remettre à la fin des années ’80, mais cette fois-ci en changeant totalement son approche : la poésie devait devenir autant son sujet que sa forme et lui permettre de démontrer à tous l’importance de cet art, la nécessité de sa présence dans la vie américaine. « Le monde ne peut survivre sans poètes supérieurs », dit-il dans un interview d’il y a dix ans.

On ne le croirait pas à lire ses livres, mais Grossman est artistiquement un homme du passé. Il ne sent aucune filiation avec le postmodernisme, pense que le modernisme est un échec – « une tempête sur une mer de théière à moitié remplies » dont la littérature serait « inhabituellement mauvaise ». Pound, Eliot, Joyce ? De purulents idiots. En fait, il considère que la poésie de langue anglaise a perdu tout intérêt à partir de 1620. Se qualifiant en plus de poète dévot, il n’est donc pas étonnant qu’il se soit placé sous le signe de Dante lorsque, après avoir terminé « The alphabet man », il s’est rendu compte qu’il avait sous les bras le premier volume d’une trilogie façon « La divine comédie», portrait en trois volets de l’Amérique qui lierait la situation bien terre-à-terre de la condition humaine au sublime. . De ses poètes favoris, Grossman a retenu la dévotion donc, le conviction qu’on est choisi par la muse plus qu’on ne se décide à écrire, que l’écriture est un rituel purificateur au travers duquel on peut trouver son propre salut et aider son prochain à faire pareil. Tout ça via une structure tout aussi triple de poésie, d’iconographie et de prose.

Et paradoxalement, c’est là que l’homme qui jetait les expérimentations du vingtième siècle par la fenêtre les fait rentrer subrepticement par la porte de derrière. Feuilleter « The Alphabet Man » aura un effet madeleine certain sur les cerveaux des lecteurs de Danielewski, le lire évoquera le « stream of consciousness » de Joyce ou Burroughs : ce n’est pas un livre qui débarque comme ça, ou qui pourrait passer pour un manuscrit du 14eme siècle tout juste retrouvé, non, c’est un livre inscrit dans la tradition littéraire contemporaine. Il n’y a pas d’erreur possible lorsque Grossman explique lui-même qu’il envisage ses romans en cinq dimensions : hauteur, largeur, profondeur, temporalité, et ce qu’il appelle le facteur cérébral, c’est-à-dire la façon dont le lecteur s’installe dans les quatre autres dimensions et se retrouve dans un continuum décidé par l’écrivain.

Déjà rien que l’association de ces deux contradictions internes à l’auteur contribue à faire de ce livre un olni, mais la confusion n’est vraiment là que lorsqu’on lit ces pages alternant une prose aussi crue que celle de Denis Cooper, des moments de pure poésie parfois baroque, parfois radicalement nouvelle et toute une série de délires typographiques qui paraissent accessoires ou incohérents jusqu’au moment où l’on se rend compte que rien n’y est gratuit, qu’il y a un code caché derrière chaque lettre, un message à déchiffré et que le chemin de croix de Clyde Wayne Franklin a un sens, disons, presque mythologique. On serait en train de décrypter l’existence qui, selon l’auteur, n’est pas absurde : ce sont les gens qui le sont.

De fait, éplucher les romans de Grossman et lire ses rares entretiens, c’est cartographier le cerveau d’un homme dont le discours a quelque chose de messianique. Convaincu d’une part qu’une culture sans rite est vouée à la mort, et d’autre part que c’est la société qui impose le niveau d’exigence qui permet l’émergence de génies – et la nôtre mettrait ce niveau tellement bas qu’il serait impossible de voir l’avènement d’un Léonard- il espère contribuer à restaurer la littérature dans sa position de plus puissant de tous les rituels et souligne que le but de son écriture est de parvenir à une méthode qui permettra de donner une cohérence spirituelle à nos vies.

Oui, Grossman est un homme étrange, Clyde Wayne Franklin une création dérangeante et « The Alphabet Man » un livre à l’ambition presque mégalomane. Mais ça fait mouche et touche au cœur de ma sensibilité littéraire, suffisamment, peut-être, pour tomber à genou, haletant, joindre les mains et prier, prier quelques instants pour que le miracle continue à s’opèrer.

Richard Grossman, The alphabet man, Fiction Collective Two, $11.95
Le deuxième volume de la trilogie s’appelle « The Book of Lazarus ». Le troisième est prévu prochainement, sous le titre « Breeze avenue ». Personne ne le lira : il ferait trois millions de pages ( !!!!!) et ne sera tiré qu’en six copies (de 4000 volumes de 750 pages). Une sera exposée dans une salle de lecture spécialement construite quelque part sur une montagne perdue d’Hawaï et les cinq autres seront vendues en ligne et en morceau à des acheteurs présélectionnés (sur dossier ?). Je demande à voir. Il se murmure que le travail complet pourrait in fine se retrouver en ligne.

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Invitation

Si vous passez par Bruxelles, faites signe: on en boira une. Au moins.

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Bricoleur

« So the monstrousness of postmodernism’s literary possibilities is the result, one the one hand, of the debunking or deconstructing of certain central conventions of nineteenth century literary realism, especially the notion of mimesis and genre, and, on the other hand, of the willingness to allow narrative’s newly released parts to float, mingle and re-cohere. The realist values the reassurance of the familiar; the excitable postmodernist – a curious bricoleur – values the beauty of the new and monstrous.»

Curtis White, Monstrous Possibility, Dalkey Archive, $12.50

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Guillaume Médicis

Je me jurais de ne parler d'aucun prix français, mais voilà que la première sélection pour le Médicis étranger 2007, une des rares récompenses de la saison dont la liste des vainqueurs ne fait pas trop mal au crâne, est publiée. On y retrouve William T. Vollmann, pour "Central Europe", dont je vous ai déjà trop parlé. Je suis assez heureux de voir aussi un titre des Allusifs - "Cochon d'allemand" de Knud Romer - sur cette liste, excellente petite maison qui mériterait un coup de pouce médiatique. Le vainqueur, celui qui aura terrassé les volumes adverses, sera annoncé le 12 novembre à l'hôtel Crillon. Pas certain que les bas-fonds vollmaniens se sente à l'aise place de la Concorde.
(Si, en catégorie sifflard-camembert, Volodine gagne, pas certain non plus de fermer ma gueule.)

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Bonne nouvelle: this is not the last novel

Moins connu que ses camarades étiquetés postmodernes, David Markson bénéficiera peut-être enfin d’un coup de projecteur à l’occasion de la publication au Lot 49 de « Arrêter d’écrire ». C’est en tout cas une occasion de nous replonger dans une œuvre assez atypique, bien loin des monstres bruyants de Pynchon, Coover ou autres Gass.

Dans les années ’50 déjà, David Markson était bien connu de ceux qui fréquentaient les milieux littéraires new yorkais. Ami de Malcolm Lowry – jeune disciple est peut-être plus exact-, compagnon de beuverie de Dylan Thomas, hébergeur occasionnel de Jack Kerouac, éditeur, il tourne beaucoup dans le Village à une époque où être écrivain était plus branché qu’être acteur. De façon plus significative pour moi, il est aussi au moins indirectement responsable du retour sur le devant de la scènes des « Recognitions » de William Gaddis : en 1961, lors d’un dîner, il parlait tellement bien du livre que son invité, un éditeur, lui jura qu’il allait le lire. Quelques mois plus tard, il appris que le roman allait être réédité. Ainsi commença une nouvelle vie pour l’œuvre de Gaddis, scandaleusement ignorée depuis la publication de son premier chef-d’œuvre.

Bien que « Going Down », qu’il considère comme son premier livre « sérieux », ne paraît qu’en 1967, il est déjà alors un auteur expérimenté : quatre titres depuis le début des années ’60, mais rien, selon lui, de bien important. Le plus connu est sans doute « The ballad of Dingus Magee », western humoristique qui apporta à Markson les moyens financiers pour se consacrer à l’écriture de ses « vrais » livres lorsque Hollywood en acheta les droits. Le film, avec Franck Sinatra, est, dit-on, une catastrophe. Il y a aussi « Miss doll, go home » ainsi que deux polars « Epitaph for a tramp » et « Epitaph for a deadbeat » récemment réédités en Omnibus par Shoemaker & Hoard.

Contrairement au « Gascoyne » de Stanley Crawford, roman policier secoué en un exercice complètement dingue, les deux polars de Markson n’ont pas pour prétention de révolutionner le genre : ils sont le résultat de l’entreprise alimentaire d’un auteur confronté au double syndrome de la page blanche et de l’assiette vide. Si vous n’aimez pas les livres de genre, ce n’est pas pour vous. C’est, à première vue, le travail d’un bon artisan connaissant tous les poncifs et les lieux communs. Fannin, son private investigator, est grand, fort et séduisant, il se bat le plus souvent à mains nues et doit se débattre avec des enquêtes à la complexité grandissante, où tout le monde est susceptible de vous donner un coup de surin dans le dos. Franchement, l’amateur de polar appréciera sans doute mais il ne le classera pas dans les grandes réussites non plus – la jaquette de la réédition prétend de façon ahurissante qu’il s’agit des meilleurs depuis les Chandler, faut pas pousser : l’accumulation de clichés est par trop évidente. En fait, on se demande même si Markson, par moment, ne voulait introduire un peu de satire dans ses histoires. Je suppose que certains le diront, mais je ne suis pas convaincu : la satire implique le jeu avec la forme et celui-ci me semble absent. Dans « A frolic of his own », Gaddis signale qu’on appelle souvent satire ce qui n’est que l’approche ratée d’un univers particulier : on veut écrire un roman sur la guerre qui serait révolutionnaire, on rate son coup et on parle de satire féroce pour dissimuler la carcasse puante de nos ambitions déçues. Oublions donc cette piste qui ne rend pas justice au travail correct de Markson.

Au-delà du moment de « good clean fun », il y a quand même une certaine originalité dans ces deux livres : leur action se déroule dans le Greenwich Village beat du début des années ’60, victimes et assassins sont recrutés parmi écrivains impécunieux, artistes ratés, filles faciles et épaves alcoolisées. Markson livre un portrait au vitriol de ce petit monde, chose d’autant plus remarquable qu’il en est partie prenante : ce n’est pas le travail d’un auteur extérieur ne supportant pas cette petite coterie de (parfois) pseudo-artistes. On peut supposer que ces romans étaient destinés bien sûr aux lecteurs de polars bon marché mais qu’ils ont aussi été lus par les amis de Markson, ceux-là même qui, peut-être, se trouvent derrière l’un ou l’autre des personnages. On aimerait connaître leur réaction à l’époque.

« Epitaph for a tramp » et « Epitaph for a deadbeat » sont donc des romans policiers divertissants dotés d’un plus pour les amateurs de petite histoire littéraire de par le milieu dans lequel il se déroule, dépeint de façon franchement plus intéressante que le tableau anecdotique qu’en a fait Alice Denham l’an passé et plus brêve que ce qu’en avait dit Gaddis dans « The Recognitions » – moins méchante et désespérée aussi. C’est également le polar le plus littéraire qu’il m’ait été donné de lire. Je ne parle pas de style, mais bien de l’omniprésence de références aux lettres les plus avant-gardistes de l’époque. Je ne résiste pas à vous resservir le résumé de « Lolita » par Fannin : « a sad story about a twelve-year-old girl who couldn’t find anyone her own age to play with ».

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, et les derniers livres de Markson ne sauraient être plus éloignés de ces travaux alimentaires. Pourtant, lorsque Fannin est sonné, on entend déjà la voix que l’auteur allait emprunter vingt-sept ans plus tard dans son magistral « Wittgenstein’s mistress » : celle de quelqu’un parlant en aphorismes pas toujours corrects. J’avais évoqué en oblique ce livre assez extraordinaire en début d’année. C’est en quelque sorte le précurseur de la série de non-romans que Markson vient de conclure en mai dernier avec « The last novel » - il a d’ailleurs le message suivant à faire passer : « Wondering if there is any viable way to convince critics never to use the word tetralogy without also adding that each volume can be readily read by itself ? » - bien que, cette fois-ci, tout ce qui est dit soit absolument vrai.

« Reader’s block », « This is not a novel », « Vanishing point » et « The las novel » forment donc une suite de livres que Markson décrit comme non-linéaires, faits de collages, débarrassés d’intrigues et de scènes, avec très peu de place (moins de 2%, dit-il) laissée au narrateur (qui change de livre en livre : lecteur, écrivain, auteur et romancier). Ils sont composés de citations, de faits surprenants ramassés en paragraphes de une à deux phrases. Markson dit s’être un jour rendu compte qu’il avait noté assez d’infos surprenantes dans ces diverses lectures pour remplir un volume. Il s’est trompé : il en est à quatre, mais jure ses grands dieux que c’est terminé.

« A novel of intellectual reference and allusion, so to speak minus much of the novel. »

Ce type de livre pourrait s’apparenter à un mode plutôt paresseux d’écriture automatique. N’en déplaise aux mauvaises langues, il n’en est rien. Si le but de Markson n’est pas d’écrire un roman traditionnel mais bien d’offrir des textes où ce qui importe est la structure poétique, il ne faudrait pas conclure à l’absence de narration, quand bien même sa forme serait exceptionnellement inhabituelle. Il y a, par exemple, deux thèmes dans « Arrêter d’écrire » (traduction de « This is not a novel » par Claro) : celui de la mort, absolument omniprésente à travers un nombre incalculable de phrases décrivant la mort d’artistes, et celui du roman. Si le premier fonctionne surtout par accumulation, le deuxième est nettement plus subtilement abordé, puisqu’il est intimement lié à la structure même du texte et aide le lecteur à se rendre compte que Markson ne s’est pas contenté de disséminer ses miscellanées au hasard. A travers ses propres interventions et les anecdotes ou citations choisies, le narrateur indique qu’il voudrait faire un roman sans intrigue, sans personnage, sans décor, sans action, sans sociologie, sans politique, mais qui se laisserait quand même lire. Malheureusement, il pense que cette volonté va le forcer à abandonner l’écriture puisqu’il semble qu’il est impossible de concrétiser ses ambitions, si l’on en croit Forster et autres auteurs traditionnels amplement cités afin de déprimer notre écrivain castré par la prégnance des théories du roman classique. Au fil des pages, évidemment, Markson prouve qu’il est possible de faire ce qu’on lui dit être impossible – on reprendra cette phrase de Dizzy Dean, joueur de baseball : « si t’en es capable, c’est pas de la vantardise », leitmotiv véritable de « Arrêter d’écrire ». Cette confrontation entre deux visions opposées de la littérature ne ressort qu’à travers le subtil et rigoureux assemblage de ces citations, anecdotes et rares interventions du narrateur. Ce qui fait la force d’ « Arrêter d’écrire » n’est ni la forme inhabituelle de l’écriture, ni cette suite d’aphorisme, mais bien le montage assez sidérant qui permet de donner un sens à ce qui aurait pu rester un exercice de copier / coller bien peu original à l’époque d’internet.

« The last novel », malgré son titre, est nettement moins dominé par la mort que « Arrêter d’écrire » - ce qui m’a rendu sa lecture nettement plus agréable, je dois dire- bien que le leitmotiv soit, cette fois-ci, une petite ritournelle assez fataliste : « Old. Tired. Sick. Alone. Broke. » Romancier est en train d’écrire son dernier livre précisément parce qu’il est las, abandonné de tous, sans le sou. Cette fois-ci, le thème est celui du sort de l’artiste, condamné, apparemment, à être ignoré de son vivant ou, à tout le moins, à voir son importance réelle niée pendant de longues années. Pour preuve, de nombreuses anecdotes. Shakespeare n’a été enseigné à Oxford qu’à partir de la deuxième moitié du 19eme siècle, par exemple. Il y a aussi la critique qui se tromperait de façon retentissante en glorifiant un minus habens : Markson semble incrédule lorsqu’il lit que Bob Dylan serait l’un des trois grands poètes du siècle passé. C’est aussi l’illustration de ce qui se met en travers du chemin que l’artiste doit parcourir pour arriver à son but : le manque d’argent, la mort, la médisance des autres artistes. J’ai l’impression que la structure est moins habile ou moins significative que dans « Arrêter d’écrire », par exemple mais le résultat reste assez impressionnant.

Certains diront que ce qui était au départ une bonne idée s’est transformé en processus. C’est peut-être partiellement vrai, même si les quatre livres, identiques formellement et connectés thématiquement, abordent chacun un aspect différent du travail d’artiste. Une série de variations, en somme. Markson se demande d’ailleurs pourquoi on reproche à l’écrivain ce que l’on ne penserait pas à reprocher au musicien. Ou au peintre :

« Reviewers who protest that Novelist has lately appeared to be writing
the same book over and over.
Like their grandly perspicacious uncles--who groused that Monet had done
those damnable water lilies nine dozen times already also. »

Quoiqu’il en soit, Markson changera sa technique pour son prochain livre, il le promet. Ce qui est réjouissant donc, c’est que « The last novel » ne sera pas la dernière, d’autant plus qu’on m’avait récemment dit qu’il était gravement malade. Je me suis depuis rendu compte qu’on disait déjà pareil à la publication US d’ « Arrêter d’écrire » il y a six ans. A croire que la forme étrange employée a fait oublier à tous que si le narrateur était à l’article de la mort, l’auteur n’était pas nécessairement dans le cas. On attend la suite.

David Markson, Epitaph for a tramp & Epitaph for a dead beat, Shoemaker & Hoard, $14
David Markson, Arrêter d’écrire, Cherche-Midi coll. Lot 49, 15€
David Markson, The last novel, Shoemaker & Hoard, $15

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Médaille

Chouette, c'est bientôt le National Book Award! Les finalistes, c'est pour le 10 octobre. Ensuite, comme l'an passé, on lira et parlera des nominés - en espérant que la liste soit aussi forte qu'en 2006. Et le 14 novembre, le lauréat sera dévoilé. Mais la saison a déjà été lancée avec l'annonce du récipendaire de la Medal for Distinguished Contribution to American Letters: c'est Joan Didion, immense journaliste et fort bonne romancière. Je ne saurais trop vous recommander de vous jeter sur Slouching towards Bethlehem, White Album et After Henry.

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L'homme libre - entretien avec William T. Vollmann (4)

Votre dernier livre est « Poor people ». La critique US n’a pas été tendre. J’ai l’impression qu’on vous reproche votre refus d’expliquer et de donner des solutions.

Je n’ai pas vraiment d’ego, et je m’attendais à avoir de mauvaises critiques parce « Central Europe » en a reçu de bonnes. Les journalistes aiment démontrer leur libre-arbitre : s’ils ont écrits un bon papier la dernière fois, ils veulent montrer qu’ils sont libres en écrivant un mauvais la fois suivante.

Les meilleurs moments de « Poor people » sont les chapitres purement journalistiques. Bien que votre travail soit très différent du sien, il me fait penser à celui de Joan Didion. Je n’ai jamais rien lu qui s’approchait plus de l’objectivité que ses reportages, et il y aussi chez vous une refus de prendre clairement parti.

J’essaie de me souvenir que je ne suis pas pauvre et qu’il serait facile de faire une erreur et de dire plus que ce que je veux dire. Je veux vraiment que les personnes parlent pour elles-mêmes et malheureusement, l’une des conséquences de la pauvreté est qu’elles ont souvent eu une éducation réduite, une imagination peu développée et des moyens d’expression limités. C’est très différent, par exemple, des victimes de l’holocauste qui étaient souvent capables de décrire ce qu’ellees ont vu et subi. Ici, je parle de gens qui n’arrivent pas faire passer leurs souffrances. J’aurais pu utiliser mon imagination, rendre vivante leur souffrance, mais avec un thème comme celui-ci, il faut garder à l’esprit ce qui est vrai. Même si je décidais de vivre dans la pauvreté pendant un an, je ne connaîtrais jamais assez le sujet. Je préfère ne pas me faire d’illusions, ne pas essayer. Je parlais avec mon père l’autre jour et il n’aime pas. J’aime vraiment beaucoup « Louons maintenant les grands hommes » de James Agee, c’est un excellent livre, mais il est excellent malgré ce qu’il a essayé d’être : les passages politiques sont embarrassants, Agee donne l’impression d’être presque Staliniste. Moi, ce que j’essaie de faire c’est d’avoir, plutôt que de la profondeur, un panel très large, d’aller dans énormément d’endroits et voir s’il il y a un modèle commun. Ce que j’ai vu, c’est que si on demande aux gens pourquoi ils sont pauvres, les réponses varient de régions en régions et que la pauvreté est en partie une expérience, pas un statistique du type de celles présentées par les Nations Unies. D’une certaine façon, je trouve que ça donne aux pauvres une certaine maîtrise sur leurs vies. C’est le sujet du chapitre Under the road. J’y parle de gamins au Cambodge qui sont heureux de jouer avec leurs chiens sans avoir rien d’autre, ça ne me donne pas le droit de les prendre de haut et de penser que je ne dois pas me soucier d’eux, que tout est génial mais c’est aussi un bon rappel que si quelqu’un reçoit un salaire quotidien inférieur à ce que je pense qu’il faut à un individu pour vivre confortablement, voir seulement survivre, eh bien malgré ce que je pense il est toujours capable de s’adapter et de bien se débrouiller. Pour revenir au libre-arbitre, si les gens contrôlaient leurs choix et attitudes, il se peut que certains pourraient se persuader de se sentir un peu mieux. C’est mieux que d’attendre de l’aide qui ne viendra jamais.

Certains disent que Vollmann est au fond un écrivain politique, mais il est très difficile de vous cerner sur ce point-là.

En tant qu’individu, j’ai tendance à apprécier et sympathiser avec la plupart des gens que je rencontre. En tant qu’écrivain, c’est à la fois mon talent et mon devoir de compatir avec la plupart des gens que je rencontre. Quand je suis allé au Yémen, on m’a dit que je devais devenir leur frère et me convertir à l’Islam. Et je vois qu’ils sont très heureux, qu’ils ont le sens de la fraternité, je me dis donc que c’est une bonne religion. Ça me rend très heureux, j’aime parler du Coran. Il y a un gars avec lequel j’ai voyagé dans les trains de marchandise – je viens de finir un livre là-dessus- et c’est un chrétien évangéliste. Je suis certain qu’il pense que je vais finir en enfer. Lorsqu’il me parle de Jésus, il a les yeux pleins de larme, et j’aime l’écouter parce que je vois que c’est important pour lui. Qui suis-je pour le contredire ? Tout le monde peut connaître l’enfer ou le paradis à sa façon, je n’ai pas à dire aux gens comment ils doivent agir ou se comporter. Lorsqu’il y a une autorité qui essaye de s’imposer à moi, qui me dit ce que je peux et ne peux pas faire, je me fâche. C’est ça, ma politique. Ces pauvres, comme ceux qui veulent se saouler, ça me rend triste qu’ils n’aient pas de meilleure façon d’échapper à leur misère, mais s’ils n’ont que ça, qui peut leur dire qu’ils ne peuvent pas ?

William T. Vollmann, Poor People, Ecco, $29.95
Traduction chez Actes Sud au printemps prochain
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Ceci est la dernière partie de la Semaine Vollmann de Tabula Rasa. La semaine prochaine, David Markson - mardi ou mercredi, demain c'est congé.

Critique de "Central Europe"
Critique de "Décentrer la terre"
Critique de "Poor People"
Entretien avec Vollmann: première, deuxième et troisième parties.

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Pas de réponse

Est pauvre tout qui gagne mensuellement la moitié du salaire médian national. Qu’est-ce que le salaire médian ? Dans une population de mille personnes, prenez d’une part les 500 plus riches, d’autre part les 500 plus pauvres, le salaire médian est ce qui se trouve entre le plus riche des plus pauvres et le plus pauvre des plus riches. Ce n’est en aucun cas une moyenne. A cette aune là, il y a près de 35 millions de pauvres aux Etats-Unis. Cette masse énorme dépense aujourd’hui plus qu’une famille médiane de 1970 ; est, dans 46% des cas, propriétaire d’une maison de trois chambres avec garage ; plus de 66% disposent de deux pièces par membre du ménage ; 76% d’entre eux possèdent l’air conditionné ; 75%, deux voitures ; 89% disent avoir toujours assez à manger, et les enfants consomment en moyenne plus de viandes que les enfants riches. C’est quoi la pauvreté ?

Au niveau de l’action politique, il n’est profitable que d’envisager un thème porteur de matière générale. Luttons contre la pauvreté. Secouons tout le monde pour recueillir un franc assentiment aux projets de plus de redistributions, plus d’égalité. Ca n’a pourtant aucun sens. La pauvreté doit se comprendre au niveau individuel. Elle n’est pas absolue, dépend du pouvoir d’achat et des besoins personnels qui varient de l’un à l’autre. La vision politisée en vigueur actuellement revient à dire que, si vous vivez dans un pays où tout le monde à la TV et que vous n’en avez pas, vous êtes pauvres. Même si vous n’en avez pas parce que c’est une boîte à con.

L’intérêt de « Poor people », le dernier livre de William T. Vollmann, est précisément d’aller sur le terrain, rencontrer des gens et leur demander s’ils se considèrent pauvres. En cas de réponse positive, la question suivante est « pourquoi pensez-vous être pauvre ? ». Voilà une méthode inédite aux prémices pleines de promesse. Malheureusement, c’est souvent assez convenu. Êtes-vous surpris si je vous dis qu’une Bouddhiste est pauvre parce qu’elle a été mauvaise dans une vie précédente ? Qu’en Colombie, pays dévasté par une guerre civile entre les marxistes et l’extrême-droite, on est pauvre parce que les riches sont méchants ? Que dans la Russie post-soviétique, celle de l’alliance entre un gouvernement autoritaire et des grosses boîtes, on vous dise que c’était pas bien sous l’URSS mais que c’est franchement pas mieux maintenant, la faute aux politiques ? Tout ça aurait pu être deviné sans même se rendre sur place. En fin de compte, c’est ce pan là du livre qui est le plus faible.

Ce n’est vraiment que lorsque l’on retrouve le Vollmann reporter – comme dans « The Atlas »- que « Poor people » décolle vraiment. Je pense plus particulièrement à ce fascinant et terrifiant chapitre sur les pauvres du Kazakhstan, coincés entre les grosses compagnies pétrolières et un gouvernement aux habitudes toujours très soviétiques. Là, le texte vit et vibre, empoigne le lecteur et le plonge dans une réalité qui lui est totalement étrangère. La partie où l’auteur explique qu’il y a un centre d’accueil pour sans abris près de chez lui et que pas mal d’entre eux passent leurs journées – et parfois leurs nuits- est tout aussi forte, notamment parce qu’elle lui permet d’expliquer sa propre relation, évidemment contradictoire, avec la pauvreté, mais aussi l’attitude des gens de la classe moyenne par rapport aux nuisances qu’elle entraîne. Ici vit l’écrivain, homme tourmenté.

On a beaucoup reproché à Vollmann une attitude froide et peu compassionnelle ainsi qu’une absence d’ébauche de solution. Je pense que ceux qui lui adressent ces critiques se trompent sur toute la ligne. Vollmann est en recherche d’explication et, comme tout bon journaliste, doute de tout – pas seulement de ce que les puissants disent mais aussi des justifications des pauvres. Cette façon de prendre tout avec des pincettes lui permet d’essayer d’appréhender la réalité de façon dépassionnée. Ca ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’émotion ou de compassion dans « Poor people », bien au contraire, mais le but du livre est de faire réfléchir, pas de faire pleurer – ni de résoudre le problème, d’ailleurs. De plus, l’auteur sait parfaitement qu’il n’existe pas de solution clé sur porte et ces voyages l’obligent à se rendre compte que tous les régimes et tous les systèmes économiques créent de la pauvreté. Dans ce cadre là, il est illusoire d’espérer trouver une réponse ici. Tout au plus Vollmann se prononce en faveur de la formule de l’ONU (« More aid, better directed ») avant de préciser que, si le concept est bon, il ne voit absolument pas comment cela pourrait être mis en place de manière satisfaisante.

De fait –et là c’est Fausto qui parle, pas Vollmann- de quelles aides s’agit-il ? Et puis, mieux ciblée, ça veut dire, à mon sens, arrêter de croire que la famille propriétaire d’une maison deux chambres et d’une voiture est pauvre, et se concentrer sur ceux qui effectivement n’arrivent pas à se loger et à se nourrir. Ce sont précisément ceux-là qui sont le moins susceptibles de voter – au contraire de ceux dont la misère se résume à ne pas savoir payer les traites de l’écran plasma. Et plus que le chimérique bien commun, c’est les mandats qui motivent notre classe dirigeante. La lutte contre la pauvreté est trop importante pour être laissée aux gouvernements, dans bien des cas premiers responsables de la misère de leurs citoyens. L’impasse…

Pour revenir sur « Poor people », voilà un livre à prendre pour ce qu’il est, c'est-à-dire ni un plaidoyer ni un réquisitoire, mais bien une œuvre qui pose des question par un auteur qui réfléchit à son rapport au monde. Si « Poor people » ne deviendra pas un classique dans la lignée de « Let us now praise famous men », il s’intègre parfaitement au corpus vollmannien, perpétuant certains de ses thèmes de prédilections, leurs donnant parfois une lumière nouvelle.

William T. Vollmann, Poor People, Ecco, $29.95
Traduction chez Actes Sud au printemps prochain
Pour une vision beaucoup plus littéraire et émouvante de ce livre, lire le billet d'Odot, absolument parfait.

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L'homme libre - entretien avec William T. Vollmann (3)

Les lecteurs sont habitués au Vollmann qui parle de prostitution, de drogue, celui qui fait des reportages dans des conditions limites, ou encore celui qui écrit sur les relations entre indigènes et colonisateur aux Amériques. Cette fois-ci, vous parlez de l’Europe et de la seconde guerre mondiale. Ça à l’air d’un gros changement, l’était-ce pour vous ?

Non, pas vraiment. J’ai deux publics américains. Celui qui achète la série Seven dreams et celui qui achète les livres sur la prostitution. Si je sors un livre sur un de ces deux thèmes, une moitié de mes lecteurs est déçue. Je me dis que si j’en déçois autant, alors c’est que je travaille bien.

Parlons maintenant de « Décentrer la terre ». Pourquoi Copernic?

Il a changé notre perception de l’univers, d’un univers dans lequel nous étions tous très importants, où chaque expérience, chaque phénomène avait une résonance symbolique parfaite avec notre spiritualité vers l’expérience hasardeuse dans laquelle nous vivons aujourd’hui, où nous sommes des objets, et pas nécessairement des objets importants… Un monde dans lequel nous pouvons facilement croire que nous pourrions détruire l’environnement, nous effacer de la surface de la terre alors que l’univers physique continuerait à exister. Un monde dans lequel les planètes ne sont pas des sphères parfaites, les orbites des ellipses plutôt que des cercles… Mais Copernic ne nous a certainement pas mené jusque là seul.

Vous dites justement qu’il s’est trompé plus qu’on le dit souvent, que Ptolémée avait aussi raison, qu’ils étaient plus proches qu’on pourrait le croire. Si scientifiquement son travail n’était pas tellement révolutionnaire, pourquoi écrire sur lui ? Parce que, comme il est écrit dans votre livre, il nous aide à réaliser qu’il est possible de briser un monopole idéologique de quatorze siècles ?

C’est ça. C’est une autre version de l’histoire de Gerstein et de Chostakovitch. Faire ce que l’on peut, même si c’est imparfait, incomplet, rempli d’erreur. Beaucoup de gens sont en désaccord par rapport à Copernic : est-ce qu’il essayait de crée un nouvel univers ou voulait-il désespérément sauver le vieil univers ? Il est bon de regarder les limites de nos semblables avec compréhension et compassion. Et si on le fait, on peut être encore plus impressionné par le peu qu’ils ont accompli.

Vous dites qu’il y a une catégorie de choses que la science ne saurait prouver, des concepts qui sont hors du champ scientifique. Celui de Dieu par exemple. Le libre-arbitre, dont « Décentrer la terre » parle aussi, ne tombe-t-il pas dans cette catégorie ?

Bien sûr. Je dirais qu’il est dans mon intérêt d’y croire, que ça existe ou non.

William T. Vollmann, Décentrer la terre, Tristram, 23€

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Plus qu'une révolution

Lorsque j’ai appris que Tristram allait publier une traduction de « Décentrer la terre », l’essai de William T. Vollmann sur Copernic, j’ai été assez surpris. Pourquoi celui-là alors qu’il reste un paquet d’autres titres à traduire ? En fin de compte je m’en réjouis : même si ce n’est pas le livre le plus passionnant de l’auteur, même s’il n’a aucune chance de vendre des milliers d’exemplaires, Tristram ajoute ici à son catalogue un titre qui développe une sorte d’autopsie intellectuelle de Vollmann : c’est sur lui qu’on apprend, plus que sur son sujet d’étude.

« Décentrer la terre » est un travail de commande réalisé dans le cadre de la collection Great Discoveries de Norton : l’idée est de demander à des écrivains sans expertise particulière d’écrire un livre sur une invention ou une découverte majeure ainsi que sur l’homme ou la femme qui se cache derrière. Théoriquement, cette approche devrait donner des livres accessibles au commun des mortels permettant de comprendre les travaux discutés et en situer leur importance dans l’histoire scientifique. Concrètement, lorsque les critiques de ses volumes sont écrites par des experts des domaines en question, les réactions négatives pleuvent : imprécision, superficialité voire même contresens en seraient les tares. N’ayant de la théorie copernicienne qu’une connaissance limitée, je ne saurais me prononcer sur ces points. Tout ce que je puis dire, c’est que j’ai appris des choses.

Vollmann s’attache à présenter et resituer historiquement les travaux de l’homme qui a placé le soleil au centre de l’Univers. Depuis sa mort au 16eme siècle, l’œuvre copernicienne a été corrigée, amendée, parfois réfutée. Les traités astronomiques de Ptolémée, celui que Copernic aurait relégué aux oubliettes, n’étaient pas tellement faux. Les deux hommes auraient d’ailleurs été bien plus proches qu’on le croit souvent. La question se pose d’ailleurs : le chanoine Nicolas Copernic, à travers ses recherches, a-t-il créé un nouvel univers ou voulait-il sauver l’ancien ? L’auteur note d’ailleurs que cette question est difficilement comprise à une époque où on rigolerait d’une phrase comme « qu’est-ce qui pourrait être plus beau que les cieux qui contiennent de si magnifiques choses ? » qui ouvre pourtant « De Revolutionibus », le fameux traité : le monde ancien était fait d’harmonies perdues avec le passage à l’héliocentrisme. Ce que l’on prend souvent, chez Copernic, comme des précautions oratoires pour éviter les foudres de l’Eglise pourraient donc bien être en fait quelque chose de profondément ressenti.

Mais alors, pourquoi nous parler de ce révolutionnaire pas si révolutionnaire que ça ? Parce que, quoi qu’il en soit de ses motivations et de ses erreurs, Copernic est un homme qui a mis fin à un monopole de quatorze siècles. « Ce qui me touche le plus, c’est le combat d’un esprit humain se libérant d’un système faux » écrit Vollmann, et c’est à partir de cette phrase que tout s’éclaire : comme la plupart de ses livres, « Décentrer la terre » insiste sur ce que la liberté d’un individu peut faire. Se libérer d’un dogme, c’est difficile, mais c’est possible. Et si on ne peut demander à tous de le faire – comme on ne pouvait demander à tous d’être héroïque pendant une guerre- il faut au moins savoir célébrer comme il se doit la vie de celui qui y parvient. Ce n’est d’ailleurs pas seulement d’un dogme scientifique que Copernic a réussi à se libérer : il a dû prouver que l’héliocentrisme était une théorie bien plus simple pour comprendre les phénomènes célestes alors même que le sens commun imposait de la rejeter et que les outils lui permettant de la prouver n’avaient pas toujours été découverts.

Copernic a écrit son traité en étant en possession de données partielles et a évoqué des raisons complètement fausses pour expliquer certains phénomènes. Ceci étant, il était pourtant dans le vrai. Un peu comme Edgar Allan Poe dans « Eurêka », travail certes beaucoup plus littéraire que scientifique écrit sur base d’une méthode intuitive, où il compte résoudre les mystères de l’Univers spirituel et matériel et s’approche déjà des concepts alors inconnus du big bang, des trous noirs et une première explication plausible du paradoxe d’Olbers. C’est là le deuxième point qui fascine Vollmann : la possibilité de toucher au vrai à travers des fulgurances poétiques (ou quasi-poétiques dans le cas de Copernic) pourtant basées sur des prémisses non vérifiées. N’est-ce pas ce qu’il a lui-même tenté de faire sur la nature humaine dans « La famille royale » ainsi que dans de nombreuses scènes de « Central Europe » et « Fathers and Crows » ?

Vollmann a écrit pour Tristram une postface à la réédition de « Eurêka » dans la traduction de Baudelaire. C’est un texte très beau et très personnel qui referme une œuvre que Poe considérait comme sa plus belle, mais qui me semble assez aride même si elle est également fascinante. La publication simultanée de ce livre et de « Décentrer la terre » fait sens, surtout en nous permettant de cerner un peu plus précisément les deux moteurs de l’œuvre vollmanienne : liberté et puissance prophétique du poétique.

William T. Vollmann, Décentrer la terre, Tristram, 23€
Edgar Allan Poe, Eurêka, Tristram, 17€

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L'homme libre - entretien avec William T. Vollmann (2)

Pourquoi avoir choisi Chostakovitch comme personnage central ?

D’une certaine façon, sa musique représente la guerre: c’est souvent violent, tourmenté et triste. C’était quelqu’un d’intelligent, de très conscient de ce qu’il faisait, et il était, lui aussi, parfois héroïque ou représenté comme tel. La diffusion de la Septième Symphonie à Léningrad a été quelque chose de très dramatique qui a ému énormément de monde. Bien sûr, plus j’en apprenais à son sujet, plus je m’en rendais compte de la complexité du personnage. J’ai beaucoup aimé apprendre à le connaître, et certaines de ses faiblesses sont des faiblesses que j’imagine très bien avoir dans pareille situation. Il aimait faire plaisir aux gens et moi aussi, donc je sais que si on me met une forte pression, si j’ai peur et si j’ai faim, il est possible que je fasse quelque chose qui va à l’encontre de mes convictions. C’est sans doute le cas de beaucoup d’entre nous.

Vous accordez beaucoup de place à un triangle amoureux entre Chostakovitch, Karmen et Helen Konstantinovskaia, qui est en grande partie fictionnel. Pourquoi ?

Chostakovitch a vraiment eu une aventure avec Helena qui s’est ensuite mariée avec Roman Karmen. Chostakovitch et Karmen ont également travaillé sur des projets communs en diverses occasions. L’un a par exemple composé la musique d’un film que l’autre a tourné. Le monde des journalistes est petit, je suis certain que vous connaissez plein de journalistes. Je pense qu’on peut dire la même chose de Moscou et qu’ils se connaissaient sûrement. Je n’ai donc pas tout inventé. Je trouvais intéressant de créer une opposition entre les deux hommes, de façon à ce que les choses restent ambiguës, que l’on ne puisse pas dire que j’en avais dépeint un de manière plus positive que l’autre : que celui que vous préférez soit une question de sensibilités personnelles. J’ai l’impression qu’aussi bien Karmen que Chostakovitch étaient des hommes fondamentalement bons, qui prenaient des risques et faisaient ce en quoi ils croyaient. J’ai imaginé une Helena très amoureuse de Chostakovitch et bien moins de Roman Karmen. Tout ça vient bien sûr de mon imagination.

Personne n’a mal réagi envers ces libertés que vous prenez avec leur vie?

Jusqu’ici, non. Si le livre est publié en Russie, il est possible que des gens qui les connaissaient trouvent ça choquant. J’espère que non, parce que je n’ai pas voulu manquer de respect à la mémoire de quiconque. Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour des motifs artistiques et je ne pense pas avoir fait un portrait négatif de ces trois personnes.

En ce qui concerne l’Allemagne nazie, vous avez décidé de ne pas l’évoquer comme le mal à l’état pur.

Je me suis dit en écrivant les chapitres nazis qu’il fallait procédé par de légères litotes. Nous connaissons tous l’holocauste, nous n’avons pas à écraser le lecteur avec les détails, il suffit de faire un rappel et ils comprendront l’idée. Et puisque je ne pense pas que tous les allemands et tous les russes étaient mauvais, il suffit des les mettre dans l’ombre (du régime – ndlr), qui en soit est déjà extrêmement mauvaise. Un ami de mon père a lu le chapitre sur Paulus et a pensé que j’étais beaucoup trop gentil avec lui. Je ne pense pas que Paulus était particulièrement mauvais. Il l’est en tout cas moins que les laquais comme Todt, si empressés à collaborer aux atrocités. Je vois Paulus comme quelqu’un de pas incroyablement intelligent, très ambitieux, mais dont les opinions n’étaient pas vraiment différentes de ce qu’elles auraient été s’il avait été soldat du Kaiser. L’Etat-nation a créé une classe de soldats qui ne peut pas prendre ses propres décisions par peur qu’elle se mêle de politique ou renverse le gouvernement. Si telle est la formule, alors il me semble que l’Etat est responsable de ce qu’il fait faire aux soldats. Il n’est pas facile pour eux de refuser les ordres. Il est possible de dire non, mais très rarement, à grand coût et sans que ça change vraiment les choses.

En filigrane de « Central Europe », il y a le libre-arbitre, qui n’est pas tout puissant et ce que les circonstances politiques peuvent en faire.

C’est très important pour moi. J’ai beaucoup écrit là-dessus dans « Rising up and rising down ».

Certains disent que le libre-arbitre est une fiction.

Il se peut que les gens ne sachent rien faire de façon objective, mais le libre-arbitre est toujours là. Même si l’univers est prédéterminé, le libre-arbitre existe parce que tant que nous ne pouvons savoir – et nous ne le pourrons jamais- que tout est déterminé, nous avons le droit et l’obligation de faire des choix, quelle qu’en soit l’efficacité ou l’inefficacité, comme le fit Gerstein, Chostakovicth et tous ces gens dont je parle.

William T. Vollmann, Central Europe, Actes Sud, €29.80
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L'homme libre - entretien avec William T. Vollmann (1)

Juin 2007, tournée de presse parisienne pour William T. Vollmann. Fausto lui tombe dessus à l'improviste: un léger problème de planning m'avait collé une tranche horaire deux jours plus tard, alors que je devais déjà être à Bruxelles. On m'a donc changé d'heure et de jour, mais l'homme au t-shirt jaune canari très près du corps n'a pas été prévenu. Qu'à cela ne tienne, il se montre sympathique et le bazar roule tout seul. En voici la transcription (très peu éditée, je suis paresseux).

Vous revenez de Sarajevo, avez-vous eu l’occasion de revoir des gens avec qui vous étiez pendant la guerre ? Comment est la ville par rapport à cette époque ?

C’était ma première fois à Sarajevo depuis 1992. Ca va mieux, mais c’est plus lent que ce que j’espérais. Il y a toujours énormément d’impacts de balle, la ville reste très pauvre mais c’est bien sûr mieux que la dernière fois. Malheureusement, j’y étais pour un festival littéraire et j’étais fort occupé. Un jour, je me suis quand même échappé pour me promener, j’ai rencontré des gens très bien mais c’était impossible de rentrer en contact avec les gens que j’ai connus durant la guerre.

Puisqu’on parle de Sarajevo, je voudrais évoquer Danilo Kis, l’écrivain yougoslave. « Central Europe » doit beaucoup, pour sa structure par exemple, à « Un tombeau pour Boris Davidovich ». Vous dédiez d’ailleurs votre livre à Kis.

Il m’a énormémentt appris. J’aurais vraiment aimé rencontrer ce grand écrivain. « Un tombeau pour Boris Davidovich » est un livre dont la lecture a été très importante. J’étais un jeune américain habitant dans le Midwest, je ne savais pas ce que pouvait être la souffrance sous un mauvais régime. En quelque sorte, les livres de Kis énoncent poétiquement ce que Milosz explique dans « La pensée captive » à propos de la différence entre la pensée occidentale et celle de quelqu’un vivant dans le bloc de l’est. D’après lui, les esprits occidentaux sont innocents et, d’une certaine façon, très superficiels, alors que la pensée captive du bloc de l’est est celle d’un esprit plus craintif qui doit être très sensible à de nouvelles réponses et aux non-dits, être plus conscient de l’histoire et doit savoir décoder ce qui se passe afin d’assurer sa propre survie. J’ai la chance de ne pas avoir grandi là-bas, mais il est intéressant de penser aux talents qu’une personne perd et gagne selon l’endroit où elle vit et ce qu’elle fait.

Vous avez beaucoup voyagé dans la région, y avez-vous constaté ces deux pensées ?

On peut les voir dans différents endroits. Je l’ai vu dans l’Afghanistan des talibans, à Belgrade pendant la guerre civile, j’en ai vu des vestiges en Russie, mais je n’ai jamais vécu la situation précise que Milosz décrit.

Il ne doit pas être facile de s’adapter à ce type de situation.

J’étais en Yougoslavie juste après la mort de Tito, et les gens avaient peur d’une éventuelle invasion soviétique. Les jours étaient gris, les vêtements étaient gris, il y avait peu de nourriture, les gens étaient amicaux mais restaient sur leurs gardes. C’est comme ça dans ces endroits là.

Parlons maintenant de « Central Europe ». Une différence importante entre votre livre et celui de Kis, c’est que vos narrateurs sont du mauvais côté de la barrière : un nazi et un agent soviétique. Ca doit être assez difficile d’écrire à travers ce genre de personnages.

J’essaie de toujours me souvenir que les gens ne décident pas leur lieu de naissance ni les gouvernements qu’ils ont. Aux Etats-Unis, il y a un proverbe qui dit « les gens ont le gouvernement qu’ils méritent ». Je ne pense pas que cela soit vrai. Tout le monde doit faire des choix moraux en permanence, et tout le monde a des obligations, même s’ils ont très peu de liberté. Si vous vous rappelez que quelqu’un né en 1915 a mis l’uniforme nazi et a dû se battre contre la Russie dans une guerre injuste, cela n’en fait un homme mauvais. Il a pris part à quelque chose de très, très mauvais mais on peut peut-être dire qu’il était impuissant, et alors tout est une question de savoir à quel point il a fait le mal, à quel point il a fait le bien. Si vous y pensez de cette façon, je crois qu’il est possible de respecter l’humanité de ces gens.

Beaucoup d’écrivains auraient sans doute choisi de se contenter de raconter à travers les témoignages de victimes.

C’est très facile de penser que les victimes sont des saints, alors que dans la majorité des cas, les gens ne sont ni meilleurs ni pires que les autres. En ce qui concerne les auteurs des crimes, tout dépend de votre façon de définir le concept. Ils sont souvent pires parce qu’ils ont pris une décision consciente d’agir, mais ce n’est pas toujours ainsi et il devient très compliqué de statuer sur leur cas. Prenez Kurt Gerstein : pour moi le type était héroïque.

Justement, ce n’est pas un livre sur des héros, et pourtant il y a Gerstein qui a essayé de faire quelque chose. Il est assez différent de vos autres personnages.

Je suis certain que pas mal de personnages de mon livre pensaient – ou alors d’autres le leur disaient- qu’ils faisaient ou essayaient de faire quelque chose d’héroïque. Par exemple, Roman Karmen était très courageux. Les films qu’il a tourné au siège de Léningrad et à Stalingard étaient incroyables, et il a continué a en faire toujours plus : il a été en Indochine, à Cuba. Sa passion était de montrer le côté auquel il croyait. La plupart de ce à quoi il croyait a été discrédité, peu de gens pensent encore que Staline était quelqu’un de bien, alors que je suis certain que Karmen pensait qu’il était génial. Il était probablement très fier de lui-même. C’est d’ailleurs intéressant de penser à ça et de se dire que quelqu’un comme Gerstein, qui prenait des risques encore plus gros que Karmen en essayant de faire quelque chose qui ne lui apporterait aucune récompense matérielle, se jugeait probablement très négativement, et que les autres le jugeaient défavorablement. Kollwitz était héroique, d’une certaine façon. Elle essayait vraiment de défendre le point de vue du retraité, du pauvre, du violé, du brisé et le fait qu’elle a été utilisée par l’Union Soviétique ne veut pas dire qu’elle n’a pas fait de son mieux, qu’elle n’a pas souffert ou qu’elle n’a pas réussi dans son travail. J’ai vu ses oeuvres quand j’étais adolescent, et ça a eu un impact. Je dirais donc qu’il y a bien une continuité dans mes portraits.

William T. Vollmann, Central Europe, Actes Sud, €29.80
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Symphonie pour le libre-arbitre

En 1976, Danilo Kis publie « Un tombeau pour Boris Davidovich », l’un des meilleurs livres sur le totalitarisme soviétique, une histoire en 7 chapitres, suite de portraits s’emboîtant afin de donner une vision kaléidoscopique de la bête. Pratiquement trente ans plus tard, visiblement toujours sous le coup de sa lecture, William T. Vollmann renouvelle la technique pour s’attaquer à l’URSS et à l’Allemagne nazie.

« Central Europe », sans l’ombre d’un doute le plus accompli des romans de Vollmann, est une suite interconnectée d’histoires, de portraits plus ou moins fictionnalisés d’individus réels, allemands et russes vivant dans des conditions alimentaires, sécuritaires et idéologiques extrêmes. Ne donnant ni dans la condamnation morale ni dans l’exhibitionnisme ordurier des perversions politiques du vingtième siècle, ce livre peint le retable assez fascinant des situations moralement impossibles dans lesquelles les individus sont placés sous les régimes totalitaires, et des façons dont l’humain réagit, sa capacité à se créer un peu d’espace pour respirer et survivre, même si c’est parfois au coût de son honneur.

Dans cette galerie, on trouve Käthe Kollwitz, sculpteur allemande que Vollmann présente un peu comme un archétype : mère d’un soldat tombé en 1914, elle se tourne vers le pacifisme et le socialisme. Manipulée par l’Union Soviétique, déchue de ses récompenses et de sa situation professionnelle par les nazis, elle meurt avant la fin de la guerre. Son portrait est celui d’une femme voulant aider son prochain, mais qui, prise entre les tenailles de systèmes trop humains, n’a pu qu’essayer de faire de son mieux. Il y aussi deux généraux, l’allemand Paulus et le russe Vlassov, deux soldats brillants qui luttent, sans se poser de questions, pour leurs patries respectives dans des circonstances difficiles : l’un coincé par les exigences démentes du fürher, l’autre par la folie tactique du petit père des peuples. Tout deux seront faits prisonniers par l’ennemi et basculeront psychologiquement, se faisant collaborateurs. On ne souhaitera à personne la fin épouvantable de Vlassov et la vie minable de Paulus.

Au-dessus de cette fourmilière grouillante de vies plane l’histoire principale de « Central Europe », celle d’un triangle amoureux partiellement imaginaire entre le compositeur Dimitri Chostakovitch, le cinéaste Roman Karmen et Helena Konstantinovskaia. Helena a bel et bien été la maîtresse – une parmi beaucoup – de Chostakovitch avant d’épouser Karmen. Vollmann lui donne la place de grand amour du musicien, de femme malheureuse de son mariage subséquent qu’elle fuyait de temps en temps pour revoir le brave Dimitri. Pourquoi accorder à cette histoire une dimension qu’elle n’avait vraisemblablement pas ? D’abord, sans doute, parce que l’auteur adore les histoires d’amour et qu’il trouve ici l’opportunité d’en écrire une très profonde et complexe. Plus essentiellement parce que ça lui permet de se plonger plus longuement sur le cas Chosta. Voilà un homme qui est musicien officiel de l’URSS avant d’être quasi-excommunié, puis réintégré, puis… Voulant toujours dire non mais ne sachant l’énoncer, il promet tout : oui, oui, camarade, plus de léninisme dans ma musique, oui, oui, le peuple veut s’amuser, oui, oui, je suis un patriote. Une fois chez lui, il ne peut s’empêcher de retomber dans ses travers « bourgeois » et de s’adonner au « formalisme décadent ». Et lorsqu’il écrit vraiment ce que le pouvoir lui demande, il y inclut l’une ou l’autre référence subtilement ironique ou subversive. Le Chostakovitch de Vollmann est un homme complexe, qui s’abaissera jusqu’à dénoncer d’autres compositeurs pour satisfaire le pouvoir mais qui fera aussi preuve d’un courage qui confine au suicidaire lorsqu’il compose une série de musique juive pour rendre hommage à un de ses amis purgés par Staline lors du pseudo-complot des médecins juifs. Il s’agit vraiment du personnage emblématique du livre, l’exemple éclatant des dilemmes épouvantables dans lesquels sont placés les citoyens de pays totalitaires. Le connaisseur n’y apprendra pas grand-chose factuellement, mais humainement, le portrait impressionne tant Vollmann se fait virtuose psychologiquement.

« Central Europe » n’est pas un livre de héros, mais il y en a un qui s’en approche fortement : Kurt Gerstein, nazi ayant voulu, au mépris de sa propre vie, révéler au monde l’ampleur de la solution finale et tenté par ses moyens bien limités de diminuer le nombre de juifs tués. C’est curieusement le personnage le plus malheureux, affublé d’une épouvantable haine de soi ravageuse : il se reproche de vouloir faire quelque chose mais de ne pas pouvoir. Rien de pire qu’être le détenteur de nouvelles alarmantes que personne ne veut entendre.

C’est un livre profondément humain, mais c’est aussi un tour de force littéraire. Suite de paraboles et d’allégories intercalées dans des récits plus réalistes, Vollmann démontre une palette particulièrement étendue. Aux passages très précis en matière de psychologie et de documentation – la science est omniprésente -, il fait succéder des envolées lyriques baroques assez brillantes – je pense notamment à l’époustouflante errance d’un soldat allemand dans la campagne ukrainienne qui prend des allures de ballade dans un tableau de Bosch. La musique a évidemment une place essentielle : la structure déjà, succession de portraits, évoque les variations. Il y a aussi de nombreuses pages consacrées aux compositions de Chostakovitch que l’auteur analyse d’une façon particulièrement originale mais qu’il intègre aussi dans ses descriptions de Leningrad en siège. Ainsi, on verra le compositeur sur le toit du conservatoire contemplant sa malheureuse ville, chaque scène faisant écho à la symphonie qu’il joue dans sa tête. On notera aussi la présence de Wagner en filigrane des parties allemandes : encore une fois, l’étude de la tétralogie de l’Anneau du Nibelung est astucieuse et, même si l’idée n’est pas originale, la wagnerisation des descriptions des débuts de l’opération Barbarossa donne des pages très fortes.

Il n’y a, en fait, sur ces presque mille pages pas grand-chose à jeter, l’auteur ayant visiblement travaillé son écriture de façon très minutieuse, ne laissant place à aucune des approximations qu’il y avait ici ou là dans certains de ses précédents volumes. Peut-être est-ce au détriment d’une petite dose de folie, mais le résultat est tellement fort qu’on ne pensera pas à rouspéter.

Mentionnons pour conclure l’option plutôt courageuse – surtout lorsqu’elle ne donne pas dans le sensationnalisme – de faire de ses deux narrateurs des personnages négatifs – l’un est membre de l’appareil sécuritaire soviétique, l’autre est nazi-, option qui colle avec le refus non pas de voir le mal mais bien de juger trop vite des faiblesses de l’Homme. En fait « Central Europe » est un magnifique roman sur le libre-arbitre, les possibilités de l’humain et ce qu’il en reste lorsque la machine à broyer étatique passe.

William T. Vollmann, Central Europe, Actes Sud, €29.80
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