Mythes sauce PoMO
Si « Lost in the funhouse » peut être considéré comme un livre séminal, c’est quatre ans plus tard que John Barth atteint les sommets qu’il y donnait à apercevoir. Recueil de trois novellas, « Chimera » a été récompensé par le National Book Award 1972 et, trente-quatre ans après, reste une lecture fascinante.
Comme annoncé dans son enivrant funhouse, Barth revisite et recycle des textes mythiques et mythologiques. Cette fois-ci, il se coltine « Les contes des milles et une nuits », ainsi que les exploits de Persée et de Bellérophon. Les récits ne sont pas également réussis, mais lorsque Barth frappe juste, c’est incroyablement bon.
« Perseid » est peut-être la plus laborieuse des trois novellas. Barth imagine Persée racontant lui-même son parcours héroïque, d’Argos à la mise à mort de Méduse, de son mariage à Andromède à son règlement de compte avec Polydectès. Et quand Persée se raconte, ce n’est pas de l’Ovide… Il y décrit les difficultés domestiques de son couple, le poids de sa charge, comment il est tombé amoureux de la gorgone qu’il a décapité et ses problèmes physiologiques compliquant le passage à l’acte. Retenu par une courtisane dans un temple, il se croit en fait aux cieux et se laisse donc aller à ces nombreuses confidences. Réalisant la méprise, il s’en va retrouver sa femme et tente de recoller les pièces. Le tout est parfois spectaculaire et très amusant, mais c’est stylistiquement très lourd et dépourvu de grâce.
« Bellerophoniad » est infiniment plus impressionnant. C’est un condensé des thèmes de « Lost in the funhouse », un concentré de postmodernisme dans ce qu’il a à la fois de plus abscons et de plus phénoménalement divertissant. Encore une fois, c’est le héros qui se raconte. Et son souci principal est de savoir, justement, qu’est-ce qu’un héros ? En est-il vraiment un ? Il reprend son parcours et le portrait peu flatteur d’un nigaud parfois mystificateur, parfois mystifié est mis au jour. Barth en profite pour s’impliquer lui-même dans le récit, donnant un long monologue où il explique son angle de travail lorsqu’il s’agit d’écrire sur un matériau mythologique, et sa vision d’écrivain écrivant. Il insère également quelques petits schémas illustrant le travail de composition narrative ou le parcours du héros. La prouesse de Barth est d’arriver à fournir un travail de critique littéraire épatant, tout en divertissant le lecteur par une recréation extrêmement inventive de la vie de Bellérophon : il ne se contente pas simplement de redire, il donne aussi au héros une moitié de vie jusque-là inconnue. Qui veut comprendre le sens du mot postmodernisme appliqué à la littérature se doit de lire « Bellerophoniad ».
Des trois parties de « Chimera », la plus abordable est sans doute la première, « Dunyazadiad ». C’est aussi, à mon sens, la meilleure. Tout ce qui va suivre dans le livre est déjà présent, mais Barth dose ces éléments avec mesure – à ne pas trop y regarder, on aurait presque une histoire normale. Après mille et une nuits passées à voir sa sœur Schéhérazade faire l’amour au roi Shâriyâr et lui raconter des histoires laissées en suspens, Dinarzade est promise au frère du roi, Shah Zaman. Lors de la nuit de noce, elle lui explique le stratagème mis au point afin de survivre tout ce temps. Barth se réinvente comme bon génie du vingtième siècle, fournissant aux deux sœurs les contes figurant dans l’épais volume qui leur sera consacré quelques temps après leurs aventures. C’est génialement développé et écrit, un vrai plaisir de lecture.
« Chimera » a été écrit à un moment où John Barth avait du mal à mettre en ordre le monstrueux projet qui donnera « Letters ». On arrive tout doucement à la fin d’un cycle, et l’auteur est au sommet de son art.
John Barth, Chimera, Mariner Books, $14.00
Comme annoncé dans son enivrant funhouse, Barth revisite et recycle des textes mythiques et mythologiques. Cette fois-ci, il se coltine « Les contes des milles et une nuits », ainsi que les exploits de Persée et de Bellérophon. Les récits ne sont pas également réussis, mais lorsque Barth frappe juste, c’est incroyablement bon.
« Perseid » est peut-être la plus laborieuse des trois novellas. Barth imagine Persée racontant lui-même son parcours héroïque, d’Argos à la mise à mort de Méduse, de son mariage à Andromède à son règlement de compte avec Polydectès. Et quand Persée se raconte, ce n’est pas de l’Ovide… Il y décrit les difficultés domestiques de son couple, le poids de sa charge, comment il est tombé amoureux de la gorgone qu’il a décapité et ses problèmes physiologiques compliquant le passage à l’acte. Retenu par une courtisane dans un temple, il se croit en fait aux cieux et se laisse donc aller à ces nombreuses confidences. Réalisant la méprise, il s’en va retrouver sa femme et tente de recoller les pièces. Le tout est parfois spectaculaire et très amusant, mais c’est stylistiquement très lourd et dépourvu de grâce.
« Bellerophoniad » est infiniment plus impressionnant. C’est un condensé des thèmes de « Lost in the funhouse », un concentré de postmodernisme dans ce qu’il a à la fois de plus abscons et de plus phénoménalement divertissant. Encore une fois, c’est le héros qui se raconte. Et son souci principal est de savoir, justement, qu’est-ce qu’un héros ? En est-il vraiment un ? Il reprend son parcours et le portrait peu flatteur d’un nigaud parfois mystificateur, parfois mystifié est mis au jour. Barth en profite pour s’impliquer lui-même dans le récit, donnant un long monologue où il explique son angle de travail lorsqu’il s’agit d’écrire sur un matériau mythologique, et sa vision d’écrivain écrivant. Il insère également quelques petits schémas illustrant le travail de composition narrative ou le parcours du héros. La prouesse de Barth est d’arriver à fournir un travail de critique littéraire épatant, tout en divertissant le lecteur par une recréation extrêmement inventive de la vie de Bellérophon : il ne se contente pas simplement de redire, il donne aussi au héros une moitié de vie jusque-là inconnue. Qui veut comprendre le sens du mot postmodernisme appliqué à la littérature se doit de lire « Bellerophoniad ».
Des trois parties de « Chimera », la plus abordable est sans doute la première, « Dunyazadiad ». C’est aussi, à mon sens, la meilleure. Tout ce qui va suivre dans le livre est déjà présent, mais Barth dose ces éléments avec mesure – à ne pas trop y regarder, on aurait presque une histoire normale. Après mille et une nuits passées à voir sa sœur Schéhérazade faire l’amour au roi Shâriyâr et lui raconter des histoires laissées en suspens, Dinarzade est promise au frère du roi, Shah Zaman. Lors de la nuit de noce, elle lui explique le stratagème mis au point afin de survivre tout ce temps. Barth se réinvente comme bon génie du vingtième siècle, fournissant aux deux sœurs les contes figurant dans l’épais volume qui leur sera consacré quelques temps après leurs aventures. C’est génialement développé et écrit, un vrai plaisir de lecture.
« Chimera » a été écrit à un moment où John Barth avait du mal à mettre en ordre le monstrueux projet qui donnera « Letters ». On arrive tout doucement à la fin d’un cycle, et l’auteur est au sommet de son art.
John Barth, Chimera, Mariner Books, $14.00