Edward Trelawney

Drôle de zigue que Edward John Trelawney. Il est surtout passé à la postérité pour avoir été témoin des derniers jours des deux plus grands poètes anglais du 19ème siècle. C’est lui qui, en 1822, part à la recherche du bateau de Percy Bysshe Shelley, perdu quelque part au large de Livourne. Le corps du poète, pas encore trentenaire, est retrouvé sur une plage. Son esquif avait coulé à cause d’un défaut de fabrication. Quelques jours plus tard, sa dépouille est incinérée sur la plage de Viareggio et Trelawney en retire le cœur, toujours intact, pour le remettre à Mary Shelley. Elle le gardera jusqu’à sa mort.

Lorsque Lord George Byron, dans son inextinguible soif d’aventures, se décide à aller se battre pour la Grèce contre les Turcs, c’est Trelawney qui prend les commandes du Hercules et vogue avec le poète vers Missolonghi. Ils planifient une attaque contre Lepante, mais Byron tombe malade avant le départ et meurt deux mois plus tard, le 19 avril 1824. Trelawney restera pour se battre, et en réchappera de façon quasi miraculeuse.

De retour en Europe, il se met à écrire. Son livre le plus connu est « Recollections of the last days of Shelley and Byron ». On sent son plus profond respect, son amitié indéfectible, son amour pour Percy. Pour le Lord, il y a beaucoup de mépris, de méfiance, de médisance. En fait, Trelwaney reprochait à Byron de jouer un rôle, de prétendre plutôt que d’être, de se comporter avec les gens en enfant gâté qui veut qu’on lui obéisse et qu’on se laisse séduire. Le portrait qu’il en a fait lui a valu l’inimité des "Byronistes".

Mais une vingtaine d’années avant ces Recollections, Trelawney avait publié ses « Mémoires d’un gentilhomme corsaire », dans lesquelles il appert qu’il fut corsaire dans l’océan indien, collaborant avec la France. À peine adolescent, son abominable père l’engage de force dans la marine britannique. Il arrive à Trafalgar un jour après la bataille et déserte à la première occasion lorsque son bateau est envoyé du coté de Madras. Là bas, il s’encanaille avec un contrebandier / corsaire / boucanier hollandais et s’embarque dans de folles aventures.

Ce récit eut un grand succès à sa parution en 1831. Il préfigure en quelque sorte «L’île au trésor » de Stevenson– coïncidence ou pas, un des personnages se nomme d’ailleurs Trelawney. En France, c’est Alexandre Dumas qui en commande la traduction et la fait même inclure dans ses propres œuvres complètes.

Beaucoup de gens ont mis en doute l’authenticité de cette histoire. Il semble cependant que Trelawney était bien là où il disait être. Il est vrai que, même si l’on admet qu’il fut réellement un corsaire, tout ça sent très fort le romancé. Il reste un récit d’aventure fort, avec de la violence, de l’amour et de multiples péripéties. Deux choses différencient ce livre d’autres œuvres du genre : l’action ne se déroule pas dans les caraïbes, mais surtout le boucanier n’y est pas décrit comme une sorte d’anarchiste refusant toute autorité : il agirait plutôt car il s’estime spolié de ce que son travail honnête lui apportait avant que le monopole commercial de la Compagnie des Indes l’exproprie. Il devient alors celui qui va récupérer ce qu’on lui a volé.

De façon surprenante pour un homme qu’on aurait promis à la potence, Edward John Trelawney est mort chez lui à l’âge de 89 ans.

Edward John Trelawney, Les derniers jours de Shelley et Byron, José Corti, 19€
Edward John Trelawney, Mémoires d’un gentilhomme corsaire, Phébus Libretto, 11€

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Don Aguirre au far-west

Parfois, le débit s’emballe. Il est fou ou saoul ou halluciné. Il ne peut croire ce qu’il voit, ou au contraire l’excitation de ce à quoi il participe lui fait se lancer dans une véritable logorrhée. Le sang qui se répand lui fait monter le sien directement à la tête. Pourtant, il n’y a point de lyrisme. Quand il s’agit de massacres, le ton est froid, distant. Sans prise de position. Chaque homme est un monstre. Le blanc est un assassin. Féroce. L’indien est un assassin. Féroce. Le métis, tout pareil. La voie est sans autre issue que la folie ou la mort. Le civilisé abandonne les oripeaux de sa culture et devient plus sauvage qu’un sauvage, plus cruel qu’un ours, plus dangereux qu’un loup. Parce qu’il n’agit pas par instincts.

Il y a vingt ans, Cormac McCarthy publiait «Méridien de sang». Même s’il est moins connu que «De si jolis chevaux» ou «Suttree», il s’agit sans doute de son meilleur roman, voire même de la meilleure fiction américaines des années ‘80. L’histoire est trompeusement simple : vers 1880, « le gamin », 14 ans, s’engage dans une troupe d’irréguliers qui va chasser l’indien pour le compte du gouverneur d’une province mexicaine.

Ce livre a choqué. Parce que la violence y est décrite sans faux semblants, avec précision, de la façon la plus clinique qui soit, mais surtout parce qu’il rompt avec le mythe du bon sauvage. Depuis la fin des années ’60, le native-american était devenu, notamment à travers les fictions de N. Scott Momaday, une logique figure de victime. Cormac fait voler ça en éclat en abolissant toutes distinctions entre les créatures du bon dieu pour les réunir dans cet incroyable déluge de violence. On pense tout particulièrement à une scène qui ressemble à celle où le Quichotte attaque un troupeau de mule, pour se faire rosser par les muletiers qu’il n’avait pas vu. Sauf qu’ici, il s’agit de vaches faméliques qui dissimulent des indiens sortis de l’enfer, vêtus des atours de leurs plus récentes victimes –des saltimbanques ; des hommes qui massacrent, violent, émasculent, scalpent. Et les blancs, eux aussi vont massacrer, violer, émasculer, scalper.

Il ne faut pas s’y tromper : il y a de la poésie dans ce livre. McCarthy est au sommet de son art, de son style que ceux qui l’on déjà lu savent complexes. Ses descriptions d’une nature belle, mais toujours sanglante et violente sont d’une splendeur rare. Connu pour les nombreuses digressions dont ce texan d’adoption truffe ses écrits, il y excelle une fois de plus, aidé en cela par sa grande création, son Achab : le juge. Personnage magnétique, qui sait tout, est partout, ne meurt jamais, il est une sorte de guide spirituel pour la bande que McCarthy a assemblé. Il est celui qui disserte sur la puissance et la loi ; sur le divin et l’humain ; sur la préhistoire, la botanique, la biologie. C’est une sorte de proto-fasciste mais aussi le Moïse qui sort son peuple du désert.

On dit souvent que les Etats-Unis sont un pays bâti sur la violence. À en croire les allusions que McCarthy glisse ici ou là, ce serait surtout sur l’oubli de cette violence. Quiconque lira «Méridien de sang» ne pourra, ne saura tomber dans ce travers, tant ce roman est marquant.

Cormac McCarthy, Méridien de sang, Points poche, 7€40

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Dermographie baroque

Que je l’accepte ou non, j’appartiens à la culture d’un pays qui s’est autoproclamé phare intellectuel du monde. Ce fut sans doute vrai, ça ne l’est plus depuis bien longtemps, mais le slogan est resté, tel le néon d’un commerce abandonné depuis longtemps. Le problème, c’est qu’au contraire de la boutique, la poussière accumulée ne semble pas signaler au passant la fermeture. Sans vouloir me lancer dans un hit parade –équivalent chez le philistin cultureux de la comparaison de taille de phallus chez le mâle au trop plein d’hormones-, on cherche toujours les équivalents francophones des Zadie Smith, David Mitchell, James Flint, Toby Litt et autres Adam Thirwell –pour se limiter à la perfide Albion.

À cette liste, je suis convaincu que l’on peut maintenant ajouter Sarah Hall. Jeune trentenaire originaire du nord de l’Angleterre, elle s’était déjà fait remarquer en 2002 à la publication de « Haweswater », son premier roman. Elle a enfoncé le clou à la publication en 2004 du « Michel-Ange électrique ».

Cy Parks, orphelin de père, passe ses jeunes années dans la morne cité balnéaire de Morecambe, où il aide sa mère à faire tourner un petit hôtel. À 14 ans, ses dons de dessinateurs lui permettent de commencer un apprentissage de la profession honteuse et quasi-clandestine de tatoueur. Son maître est une figure paternelle violente, alcoolique, mais portée sur les génies de la renaissance, un homme considéré comme le meilleur de sa profession. À sa mort, Cy émigre aux USA et s’installe à Coney Island, se consacrant à décorer la peau du visiteur du parc d’attraction, entre l’exhibition d’une femme à barbe et le palais aux bébés prématurés. Dans ce fascinant freakshow, il connaît l’amour, crée sa chapelle Sixtine, la voit détruite, se venge, part à la guerre, rentre chez lui et se remet à tatouer.

C’est un roman assez sombre et désespéré, comme un automne à Morecambe, parfois dur, mais toujours beau. Sarah Hall a un style très original, tout en circonvolutions et métaphores. Parfois trop d’ailleurs : elle verse de temps à autre dans un baroque outré et ses images ne sont pas toujours excellentes. On sent aussi qu’elle aime les personnages marquants et originaux, mais sur ses quatre essais du roman, elle n’en convertit pleinement qu’un seul. De plus, malgré l’intrigue qui peut sembler assez mouvementée, elle passe peu de temps sur l’action : on se retrouve donc avec une fiction assez psychologique –et ça fonctionne très bien.

Sarah Hall se démarque par le choix de son sujet, la qualité de sa plume, son sens de la description. Elle a en outre la chance d’avoir bénéficié du travail d’un excellent traducteur. En continuant sur ce rythme, on a là un futur grand écrivain. Un de plus pour augmenter l’avance de la Grande Bretagne sur son éternelle rivale française.

Sarah Hall, Le Michel-Ange électrique, Christian Bourgois, 25€

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