Home is where fiction lives

Après avoir fait ses adieux à la scène et assassiné le mari de la femme qu’il aime, un célèbre ventriloque s’enfuit en Arabie à la recherche d’une nouvelle voix et raconte quelques épisodes de sa vie. Voilà pour le côté face. Le côté pile, c’est peut-être le manifeste littéraire d’Enrique Vila-Matas.

Le catalan est de ces écrivains dont l’idée derrière les livres est parfois meilleure que les bouquins eux-mêmes. C’est sans conteste le cas de « Bartleby et compagnie » et « Abrégé d’histoire de la littérature portative ». D’autres oeuvres sont par contre impeccables : « Le voyage vertical » et « Le mal de Montano », par exemple. « Una casa para siempre » est à mi-chemin entre ces deux pôles : le récit ne tient pas toujours la route, mais ce défaut est compensé par une imagination surprenante, un humour permanent et une profondeur insoupçonnée dans les considérations sur l’art dont les pages sont truffées.

Sous des atours tragiques, l’histoire de ce ventriloque est souvent amusante. Impliqué dans deux meurtres horribles, persécuté par un ancien ami, cocufié par la femme de ses rêves, étranger pour son fils, le narrateur se raconte pourtant avec une réjouissante faconde. Le récit de ses soucis parisiens n’est jamais glauque : on est dans un délirant burlesque surréaliste, d’autant plus que ces ennuis culmineront avec la capture par son ennemi de sa voix – ce qui lui permettra de s’en trouver des nouvelles, choses indispensables pour son office. Malheureusement, notre ami de voyage ne les garde pas longtemps, ses voix. Il doit bien souvent se contenter d’une seule, ce qui n’est pas très crédible. Il trouvera celles qui le rendront célèbres le jour où il se dispute de façon définitive avec son assistante / amante. L’abandon de cette carrière quelques années plus tard coïncidera avec l’assassinat du nouveau mari de cette femme. En fuite, l’ex-ventriloque se rend au pays des milles et une nuit, où il espère trouver de nouvelles histoires à raconter.

De façon assez évidente, Vila-Matas compte ici nous entretenir des difficultés de la création artistique. Passons sur le lieu commun de l’accouchement dans la douleur pour nous intéresser plutôt à ces histoires de voix. Comme le ventriloque, l’écrivain doit trouver sa langue, son style afin de naître à son art, d’acquérir une identité propre et unique. Au cours de sa carrière, il devra en changer pour se renouveler et affrontera parfois le syndrome de la page blanche ou l’insidieuse impression de n’avoir plus rien à dire. Pour sortir de cette impasse, une remise en question profonde, un changement de méthode ou même de décor est nécessaire. Là, on pense à Robert Walser, un des auteurs qui obsèdent le Barcelonais. Après avoir écrits quelques romans et de nombreux récits, Walser, peut-être en mal d’inspiration, peut être convaincu d’avoir tout dit – on ne sait pas en fait- change radicalement de méthode d’écriture : il se met à composer ses textes sur n’importe quelle surface de papier, traçant les lettres, les mots, les phrases au crayon, de façon microscopique, presque illisible. Ce changement de méthode a son effet sur la forme : il crée les microgrammes. Après une dizaine d’année, il se transforme une dernière fois et devient un écrivain qui n’écrit plus.

Est-ce que Vila-Matas entamera un jour pareille transformation ? Pour l’obsession qu’il affiche envers la multiplicité des voix, il faut bien se rendre compte que son œuvre est plutôt univoque, tant il est fasciné par ceux qui décident de ne plus écrire, qui changent radicalement, qui se retirent. Je n’ai pas lu un seul texte de lui qui n’évoque ces choses là. Belle contradiction ?

Ce qui est certain, c’est l’attachement indéfectible que ressent Vila-Matas pour la fiction et le jeu littéraire, ces maisons pour toujours. Le dernier paragraphe du livre en est un superbe manifeste :

« Mi padre, que en otros tiempos había creído en tantas y tantas cosas para acabar desconfiando de todas ellas, me dejaba una única y definitiva fe: la de creer en una ficción que se sabe como ficción, saber que no existe nada más y que la equisita verdad consister en ser consciente de que se trata de un ficción y, sabiéndolo, creer en ella. »

Enrique Vila-Matas, Una casa para siempre, Compactos Anagrama, 5.50€
Traduction disponible chez Christian Bourgois: Une maison pour toujours, 13.70€

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Le téléphone pleure

Bien que publié en 2002, « Anvers » avait été écrit au tout début des années ’80. Au cours de cette décennie, Bolaño ne cessera jamais d’écrire mais ne publie que très peu. Il y aura bien, en 1984, « Consejos de un discípulo de Morrison a un fanático de Joyce », coécrit avec Antoni García Porta, qui sera suivi d’un trou de neuf ans avant « La piste de glace », livre marquant le retour timide de l’auteur sur le devant de la scène – ce retour coïncide par ailleurs avec l’annonce qu’il souffre d’une maladie mortelle. Et ce n’est qu’en 1996 que commence une période où les publications se succèdent.

Le premier titre est « La littérature nazie en Amérique », étrange roman composé d’une trentaine de biographies d’écrivains d’extrême droite. Tout est faux mais tout est vrai, le lecteur est hilare avant de suffoquer, les objets d’études de Bolaño sont toujours quelque part entre l’absurde et le malsain. La création la plus fascinante de l’auteur chilien est Carlos Ramírez Hoffmann, jeune poète à Santiago juste avant le coup de Pinochet. Ce portrait est tellement supérieur au reste du livre que l’évidence s’impose : il faut consacrer à cet étrange personnage un roman complet. Toujours en 1996, Bolaño s’exécute avec « Etoile distante », saisissant récit de l’ignoble parcours de Carlos. Le jeune écrivain profite des remous de 1973 pour assassiner deux sœurs poétesses de ses amies en toute impunité. Il s’engage ensuite dans l’armée de l’air et se lance dans la poésie écrite sur ciel bleu par la traînée de fumée de son avion. Toujours à la recherche de l’avant-garde la plus radicale, il monte ensuite une exposition de photos de jeunes filles préalablement mises à mort par ses soins. Cette dernière frasque lui vaudra une mise à pied. Vingt ans plus tard, Arturo Belano, ancien compagnon d’écriture, se replonge dans cette époque troublée à la demande d’un détective chilien. C’est un livre fantastique où Bolaño se livre à une réflexion sur la place de l’horreur dans l’art, tout en jetant un regard en arrière sur sa génération. A la fois roman policier, recréation fictionnelle d’une jeunesse littéraire et interrogation philosophico-artistique, « Etoile distante » préfigure « Les détectives sauvages ».

En 1997, Anagrama publie « Llamadas telefõnicas », impeccable recueil de nouvelles. Je l’ai déjà dit par ailleurs : ce n’est pas ma forme préférée, mais cet ouvrage rejoint les titres de Cortázar parmi ceux que j’apprécie sans réserve. Les quatorze récits illustrent parfaitement ce qu’est le monde de Bolaño. Tous sauf deux écrits à la première personne, ils mettent le narrateur en communication, déjà imparfaite avant même d’avoir lieu, avec d’autres écrivains ratés et des femmes impossibles / incapables à / d’aimer. C’est souvent tragique, mais tout autant marrant. L’auteur peuple ses créations de personnages improbables, pratiquement lynchiens – si Lynch faisait montre dans ses films d’une autodérision permanente et d’un sens de l’humour ravageur. De nombreuses indications autobiographiques sont dispersées dans l’ensemble du recueil, mais, de ce point de vue là, la pièce la plus intéressante est sans doute « Detectives », dialogue entre deux flics chiliens se souvenant comment ils avaient aidés Arturo Belano à sortir d’une prison de Pinochet. De fait, le jeune Bolaño venait à peine de rentrer au pays lorsque éclate le coup du 11 septembre 1973. Raflé avec d’autres personnes, il passe huit jours en tôle et en sortit sans égratignure grâce à la rencontre de deux policiers qui fréquentèrent le même collège que lui.

Si le succès critique est alors déjà au rendez-vous, les ventes ne suivront pas avant la parution en 1998 des « Détectives sauvages », cette œuvre absolument époustouflante dont les lecteurs réguliers de ce blog savent déjà le bien que j’en pense.

Roberto Bolaño, Llamadas telefónicas, Anagrama, 7€
Roberto Bolaño, La littérature nazie en Amérique, Titres, 7€
Roberto Bolaño, Etoile distante, Titres, 6€
Roberto Bolaño, Appels téléphoniques, Christian Bourgois, 21€

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Missing in action

Oh Pugnax, where art thou?

(La question était pour Scarecrow aussi, mais sa maison online a donné signe de vie hier...)

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Mythes sauce PoMO

Si « Lost in the funhouse » peut être considéré comme un livre séminal, c’est quatre ans plus tard que John Barth atteint les sommets qu’il y donnait à apercevoir. Recueil de trois novellas, « Chimera » a été récompensé par le National Book Award 1972 et, trente-quatre ans après, reste une lecture fascinante.

Comme annoncé dans son enivrant funhouse, Barth revisite et recycle des textes mythiques et mythologiques. Cette fois-ci, il se coltine « Les contes des milles et une nuits », ainsi que les exploits de Persée et de Bellérophon. Les récits ne sont pas également réussis, mais lorsque Barth frappe juste, c’est incroyablement bon.

« Perseid » est peut-être la plus laborieuse des trois novellas. Barth imagine Persée racontant lui-même son parcours héroïque, d’Argos à la mise à mort de Méduse, de son mariage à Andromède à son règlement de compte avec Polydectès. Et quand Persée se raconte, ce n’est pas de l’Ovide… Il y décrit les difficultés domestiques de son couple, le poids de sa charge, comment il est tombé amoureux de la gorgone qu’il a décapité et ses problèmes physiologiques compliquant le passage à l’acte. Retenu par une courtisane dans un temple, il se croit en fait aux cieux et se laisse donc aller à ces nombreuses confidences. Réalisant la méprise, il s’en va retrouver sa femme et tente de recoller les pièces. Le tout est parfois spectaculaire et très amusant, mais c’est stylistiquement très lourd et dépourvu de grâce.

« Bellerophoniad » est infiniment plus impressionnant. C’est un condensé des thèmes de « Lost in the funhouse », un concentré de postmodernisme dans ce qu’il a à la fois de plus abscons et de plus phénoménalement divertissant. Encore une fois, c’est le héros qui se raconte. Et son souci principal est de savoir, justement, qu’est-ce qu’un héros ? En est-il vraiment un ? Il reprend son parcours et le portrait peu flatteur d’un nigaud parfois mystificateur, parfois mystifié est mis au jour. Barth en profite pour s’impliquer lui-même dans le récit, donnant un long monologue où il explique son angle de travail lorsqu’il s’agit d’écrire sur un matériau mythologique, et sa vision d’écrivain écrivant. Il insère également quelques petits schémas illustrant le travail de composition narrative ou le parcours du héros. La prouesse de Barth est d’arriver à fournir un travail de critique littéraire épatant, tout en divertissant le lecteur par une recréation extrêmement inventive de la vie de Bellérophon : il ne se contente pas simplement de redire, il donne aussi au héros une moitié de vie jusque-là inconnue. Qui veut comprendre le sens du mot postmodernisme appliqué à la littérature se doit de lire « Bellerophoniad ».

Des trois parties de « Chimera », la plus abordable est sans doute la première, « Dunyazadiad ». C’est aussi, à mon sens, la meilleure. Tout ce qui va suivre dans le livre est déjà présent, mais Barth dose ces éléments avec mesure – à ne pas trop y regarder, on aurait presque une histoire normale. Après mille et une nuits passées à voir sa sœur Schéhérazade faire l’amour au roi Shâriyâr et lui raconter des histoires laissées en suspens, Dinarzade est promise au frère du roi, Shah Zaman. Lors de la nuit de noce, elle lui explique le stratagème mis au point afin de survivre tout ce temps. Barth se réinvente comme bon génie du vingtième siècle, fournissant aux deux sœurs les contes figurant dans l’épais volume qui leur sera consacré quelques temps après leurs aventures. C’est génialement développé et écrit, un vrai plaisir de lecture.

« Chimera » a été écrit à un moment où John Barth avait du mal à mettre en ordre le monstrueux projet qui donnera « Letters ». On arrive tout doucement à la fin d’un cycle, et l’auteur est au sommet de son art.

John Barth, Chimera, Mariner Books, $14.00

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Histoire d'amour

“Narrative, in short--and here they were in full agreement--was a love-relation, not a rape: its success depended upon the reader's consent and cooperation, which she could withhold or at any moment withdraw; also upon her own combination of experience and talent for the enterprise and the author's ability to arouse, sustain, and satisfy her interest--an ability on which his figurative life hung as surely as Scheherazade's literal....”

John Barth, Chimera, Mariner Books, $13.00

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Le jour du seigneur

Il est déjà tard mais je vous propose tout de même une bonne lecture dominicale : l’ami Odot partage ses notes de lecture sur « Against the day ». Plus denses, plus lyriques, plus pynchoniennes que les miennes, elles devraient vous intriguer ou vous effrayer. Ou les deux. J’espère. Amen.

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Alice in Mailerland

Si vous recherchez Alice Denham dans google, le premier lien vous mènera sur babeinvasion, un site recensant des liens vers des images de femmes nues (ou à moitié). De fait, la dame a été Playmate du mois de juillet 1956. Quel lien avec la littérature ? Le travail de modèle n’était qu’alimentaire, une façon de financer ses heures passées à écrire.

Auteur de trois romans et de plusieurs nouvelles, ancienne professeur de creative writing au City College de New York, Alice Denham livre aujourd’hui « Sleeping with bad boys », mémoires de ses années d’aspirant-écrivain dans la Big Apple des années 50-60.

C’était l’époque de William Styron, James Jones et Norman Mailer. Une nouvelle génération prenait le relais, et tout le monde voulait écrire. Le milieu littéraire était proche, tout le monde semblait se connaître. Alice Denham se considérait comme l’égale de ses amis. Elle allait devoir déchanter : l’époque était toujours au machisme.

Cette superbe femme avait une sexualité d’homme. Et la liste de ceux qui sont passés par son lit est impressionnante : de James Dean à Philip Roth, en passant par Hugh Hefner et William Gaddis. A la recherche du vrai amour, elle ne le trouve pas : les prétendants sérieux ne veulent pas d’une épouse qui soit leur égal intellectuel ou qui ait une carrière bien à elle.

« Sleeping with bad boys » est partiellement le récit des désillusions d’une jeune fille naïve. Trahie ou ignorée par certains, rejetée par les éditeurs surpris par la vision de la femme contenue dans ses écrits, maudite par sa mère, Denham ne regrette pourtant rien et en profite pour décrire les symptômes précurseurs de la libération des années ’60.

Malheureusement, les pages vraiment intéressantes sont rares. Il s’agit surtout d’une longue liste de célébrités rencontrées, baisées, rejetées et d’anecdotes parfois triviales, rarement révélatrices. On notera tout de même ici ou là des détails intéressants sur la manière de travailler de certains auteurs. J’ignorais, par exemple, que Pfizer avait accordé à William Gaddis un contrat spécial lui permettant, aux frais de la compagnie, de travailler son roman le matin et d’écrire pour le boulot l’après-midi. On le présentait aux visiteurs comme « l’écrivain de la maison ». Il semblerait aussi que sa deuxième femme, dans les années ’70, essaya en vain de vendre « JR » à Hollywood. Je ne sais trop ce qu’il faut penser de cette idée qui me paraît, de prime abord, complètement absurde.

Alice Denham écrit le plus juste lorsqu’elle parle de sa famille et du décès de son père. Ce sont les pages les plus touchantes du livre, mais je ne pense pas que ce sont celles qui font vendre le livre. Les amateurs du Village des fifties trouveront sans doute ici quelques histoires valables racontées par un témoin central, mais la pertinence réelle de l’œuvre ne me semble pas évidente.

Notons tout de même qu’il ne faut pas jeter tout le trivial à la poubelle. Denham raconte une soirée chez les Mailer où un Norman nu se met à sauter sur le lit. Elle décrit sa verge : « an ordinary penis, scared balls trying to hide from all this show ». Cette description prend toute sa valeur quand on veut bien se rappeler que « Barbary Shore », « An american dream » ou « Why are we in Vietnam? » pourraient tous avoir été écrits avec une bite plutôt qu’une Remington.

Alice Denham, Sleeping with bad boys, Book republic, $14.95

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Radiation

Le largage sur le Japon de deux bombes atomiques en août 1945 est l’un des principaux crimes contre l’humanité du 20eme siècle, bien que de nombreuses personnes continuent à prétendre qu’il était indispensable pour mettre fin à la guerre et sauver ainsi de nombreuses vies. La charge de preuve incombe aux tenants de cette théorie, et ils ont bien du mal : les témoignages et les travaux récents en histoire montrent bien que le pays du soleil levant était sur les genoux, ne capitulant pas à cause des conditions inacceptables posées par Washington. On notera qu’une fois les bombes lâchées, les exigences américaines s’assoupliront comme par miracle.

En fait, « Little boy » et « Fat man » furent sans doute envoyés remplir leurs missions de dévastation dans un but stratégique d’après-guerre. Plus de deux cents mille personnes furent victimes de la température infernale déversée en ce début de guerre froide, de ce premier exemple de « preemptive strike » - cette opération comptable irrationnelle et inhumaine.

Beaucoup de gens se sont interrogés sur les scientifiques qui avaient rendus possible la réalisation d’une telle arme. S’ils avaient imaginés les conséquences à long terme de leur invention en terme humain et géopolitique, qu’auraient-ils faits ? C’est avec cette question à l’esprit que commence « Oh pure and radiant heart », brillante réflexion fictionnelle de Lydia Millet sur l’ère atomique.

Au lendemain du premier test nucléaire d’Alamogordo le 16 juillet 1945, Robert Oppenheimer, Leo Szilard et Enrico Fermi se réveillent dans l’Amérique de 2005. Ils aboutissent chez Ann et Ben à Santa Fe, qu’ils convainquent tant bien que mal de leur réalité. Commencent alors un processus d’adaptation à cette nouvelle vie, et la découverte des années écoulées entre 1945 et leurs dates de décès officiels. Chacun réagit à sa manière : Fermi se replie sur lui-même et semble vouloirs être laissé tranquille, Oppenheimer fait montre d’un intérêt vorace pour son histoire et Szilard veut bien profiter de cette nouvelle chance et faire reconnaître la particularité de sa condition. C’est lui qui va poser le plus de problèmes à ses hôtes : impoli, ingrat, exigeant, il essaie de s’introduire dans un base militaire pour obtenir les preuves qu’il est bien ce qu’il est. Cette volonté va faire se tourner vers lui l’attention de certains services de l’armée.

Un fois la « nouveauté » passée, les trois hommes s’intéressent aux suites de leur découverte. Szilard est à la pointe, lui qui, avant 1945 déjà, s’était distancié des recherches, effrayé par les potentialités destructives de leur découverte. Il convainc la petite troupe d’aller en pèlerinage au Japon, sur les lieux de la catastrophe initiale. Commence ici une croisade contre l’arme nucléaire et pour le désarmement.

Au départ plutôt comique, « Oh pure and radiant heart » prend un tour de plus en plus tragique. La campagne anti-nukes commencée sur un mode plutôt bon enfant avec le soutien d’un richissime japonais hippie et soutenue par une poignée de peaceniks gagne en importance grâce au fabuleux travail de PR de Szilard, mais ce développement amène dans la caravane vers Washington un nombre considérable de mystiques millénaristes voyant en les trois scientifiques une sorte de Sainte trinité en route vers le jugement final.

Ce côté tragique est accentué par toutes les incises de Millet qui, au cours du texte, servent à illustrer les conséquences des essais sur les populations, les hypocrisies gouvernementales et l’état des stocks actuels. Ces informations, couplées à l’échec inévitable de la démarche de Szilard et au pathétiquement triste état des activistes de salon, donnent un portrait plutôt sombre des prospectives du combat pour le désarmement. Par miracle, Millet parvient à garder de bout en bout une certaine joie dans son récit.

Thématiquement, ce livre fait penser à « The book of ash » de James Flint, en mieux réussi, avec une plus grande maturité, dans l’écriture comme dans la politique. Il n’est donc pas étonnant que ce soit le découvreur de Flint en France (Christophe Claro, traducteur de « Habitus », premier roman toujours pas surpassé par son auteur) qui programme la traduction prochaine de ce livre.

Voilà donc un bon roman, amusant, triste, didactique, passionnant, simple mais riche, plein d’humanité. Plus que recommandé.

Lydia Millet, Oh pure and radiant heart, Harcourt, $15.00

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Anvers (et contre tous)

« Anvers » est une œuvre fragmentaire, une succession de 56 tableaux parfois sidérants ou éclatants, toujours particuliers, souvent interloquants, où il n’est jamais confortable de se plonger. Roberto Bolaño avait une vingtaine d’année lorsqu’il écrivit ces quelques feuillets qui commencent comme une tentative de roman policier pour finir en complainte de la difficulté d’écrire. On voit dans ce livre un auteur en plein repli sur soi, un exemple saisissant de littérature de l’échec, un parfait roman imparfait. Bolaño était alors un crève-la-faim en colère laissant entrevoir, dans quelques éclairs fulgurants, le génial écrivain qu’il allait devenir, une fois cette rage maîtrisée.

Il est hors de question de finir ce court billet sur d’autres mots que ceux qui servent à la fois d’épitaphe et de devise à ce livre :

« De ce qui est perdu, de ce qui est irrémédiablement perdu, je ne désire récupérer que la disponibilité quotidienne de mon écriture, des lignes capables de me saisir par les cheveux et de me remettre debout quand mon corps désormais n’en pourra plus (…). De manière humaine et de manière divine. »

Roberto Bolaño, Anvers, Christian Bourgois, 15€

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Résolutions de Fausto

Les deux dernières semaines ont été pauvres en lecture. Perdu à Pozoblanco, petit village d’Andalousie, j’étais plus occupé à manger, me promener, boire et manger encore, faire la sieste, manger, quedar con amigos, manger une fois de plus et dormir. J’ai aussi enfin eu l’occasion de visiter Séville et de profiter d’un temps splendide – grand ciel bleu, soleil, températures au dessus de 15 degrés…. Parfaite façon de finir l’année, de commencer la nouvelle entouré de personnes sympathiques et de se remettre en forme pour repartir sur les meilleures bases possibles.

J’ai tout de même eu l’occasion de lire deux romans d’Ellroy : « American Tabloid » et « The Cold six thousand ». Ce sont les seuls volumes sortis à ce jour dans une trilogie explorant les côtés sombres de la politique américaine depuis 1958 et l’avènement du phénomène Kennedy. Si le premier tome est impressionnant – bien que littérairement moins satisfaisant que le « Libra » de Don DeLillo-, j’ai eu beaucoup plus de mal avec le second. Les thèmes abordés sont extrêmement intéressants – mafia, Vietnam, Lyndon, King et Bob Kennedy- mais je sens un Ellroy qui tourne en rond, se répète, se fatigue et, en plus, écrit dans un style qui m’a vraiment agacé. Il y a des bonnes feuilles, mais je ne suis pas convaincu que cela fasse une œuvre.

Donc, goodbye 2006 with Ellroy, hello 2007 with Ellroy. Et qui dit nouvelle année dit bonnes résolutions. Ce n’est pas trop mon genre, sauf en ce qui concerne certains objectifs de lecture. Alors, mesdames et messieurs, voilà ce que Fausto a décidé… Premièrement, il s’agira bien sûr de maintenir l’effort US – en particulier sur les nouveautés. Je ne vous promets pas 20000 livres en plus, mais on fera ce qu’on peut. Quoiqu’il en soit, je compte bien diminuer l’intensité de ce bombardement Yankee afin de me plonger un peu plus dans la littérature hispanophone – grande nouveauté, je tenterai parfois de lire en espagnol- et de m’intéresser de plus près à la germanophone (j’attends vos suggestions). J’ai annoncé ailleurs un autre pan de ces résolutions, mais je suis de moins en moins sûr que ce sera possible : relire des classiques français du 19eme, trop vite lus à l’adolescence. Les paris sont ouverts : est-ce faisable ?

Pour le blog, l’année a commencé avec Markson, continuera avec John Barth, Lydia Millet, et Alice Denham (ça c’est pour les notes sur des lectures passées). Mentionnons quelques auteurs qui seront de façon certaine lus, et donc probablement évoqués en 2007 : Vila-Matas, Drinkard, Broch, Bolaño (beaucoup), Fresan, Walser, Bernhard, Kis, Vollmann, Pauls, Sebald, Vargas-Llosa….

Ready, steady, go !

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La maîtresse de Wittgenstein

Au début, je laissais parfois des messages sur des blogs.
Ce livre est excellent, disaient certains de ces messages. Ou il est très bien.
Bien sûr, ils ne pouvaient dire ça que si j’étais sur un blog littéraire, si j’étais sur un blog de football, ça aurait été autre chose. Nigel Reo-Coker court comme un poulet décapité, c’est ce qu’ils auraient dit si j’étais sur un blog de fans de West Ham.
Personne n’écoutait. Quoiqu’il faudrait plutôt dire lisait, puisque c’était des messages que j’écrivais, pas que je disais.
Enfin, j’ai commencé à faire mon site, pour écrire ce que je pense sur des livres.
Peut-être comme ça les gens lisent. Et réagissent. Mais c’est difficile à savoir.
Ce que les gens font, parfois, hein !
Je crois que William Gaddis a écrit les « Reconnaissances », et il y avait un critique aigri. Ou bien un romancier sans lecteur. Ou alors, c’était dans « Jr ».
Et William Gaddis avait un ami. Brian Markson. Ou bien David.Je ne sais plus. Mais cet ami était écrivain, ça je le sais.
David Markson, il a écrit un livre. Il faudrait plutôt dire qu’il a écrit beaucoup de livres, parce que c’est vrai. Il n’est quand même plus tout jeune.
Je me souviens de son roman, « Wittgenstein’s mistress ». Mais c’était peut-être un essai philosophique. Ou une histoire de la peinture. Ou encore un récit linguistique. Ce n’est pas très clair.
Mais je me souviens que le narrateur est une femme. Je devrais donc dire narratrice. Kate est son nom.
Et elle se promène avec des balles de tennis. Je ne sais plus où j’ai lu ça.
Peut-être dans une histoire de Kate. Ou dans une vie de Wittgenstein avec Kate.
Toujours est-il que Kate écrit un peu comme ça. Je me rends compte que je dis un peu comme ça, mais vous ne savez pas ce que c’est, un peu comme ça. C’est dur parfois d’arriver à dire ce qu’ont veut essayer de dire.
Pauvre David Markson ! Il a reçu 54 refus pour « Wittgenstein’s mistress ». 54 !
Finalement, c’est un éditeur, monsieur Dalkey, je pense, qui a dit oui. Je crois qu’il y a eu neuf éditions.
Et maintenant, c’est même étudié dans les universités. Peut-être que Nietzsche l’enseigne en refusant de serrer les mains. Ou alors c’est Spinoza parce qu’il a été excommunié.
Pauvre David Markson. Il est en mauvaise santé. C’est triste, mais c’est moins triste que Kate qui vit seule au monde avec plein de références qui s’entrechoquent dans la tête.
C’est marrant la langue. Vous pensez vraiment que les références se rentrent dedans comme des voitures à un carrefour dangereux ?

David Markson, Wittgenstein’s mistress, Dalkey Archive, $12.95

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