NBA 2006: Powers - The Echo Maker

Un soir d’hiver dans le fin fond du Nebraska, la police retrouve Mark dans son camion retourné sur le bord d’une route. Après une période de coma, il se réveille et est incapable de reconnaître sa sœur Karin qui le veille. Alors qu’elle agit et qu’elle ressemble exactement à elle, il est convaincu qu’il s’agit d’un imposteur. Terrassée par la nouvelle, Karin finit par contacter Gerald Weber, spécialiste du cerveau mondialement connu. Mark est atteint du syndrome de Capgras. Commence alors une double quête : celle de Karin pour guérir son frère, et celle de Mark pour comprendre ce qu’il s’est passé le soir de l’accident.

Voilà en gros ce que l’on peut lire sur la quatrième de couverture de « The echo maker », le neuvième roman de Richard Powers. Lorsque j’ai lu ça, je me suis demandé si cela valait bien la peine de se procurer un livre dont l’intrigue me semblait d’un incroyable banal – à la limite du cucul la praline. En fait, je suis un gros con : j’aurais dû me dire qu’avec Powers, rien n’est jamais ordinaire. Comme le dit si bien la citation du Guardian qui se trouve sur cette même quatrième de couv’ : « bare summaries do not begin to do justice to the richness of Powers’ imagination ». Indeed.

Même si on se contente de prendre l’histoire du petit bout de la lorgnette, comme suggéré par cet insipide résumé, Powers impressionne : on a l’a un véritable « page turner » dont les 450 pages se liraient presque en une seule nuit. De plus, il n’a pas oublié qu’il se destinait au départ à une carrière de scientifique, et a donc fait des recherches méticuleuses pour soutenir son histoire. L’ignare que je suis a bien profité de toutes les informations sur le cerveau et ses désordres que l’auteur dissémine un peu partout. Et comme notre écrivain est un homme talentueux, il arrive à communiquer ce savoir sans prendre un ton professoral, sans que cela se fasse au détriment de l’intrigue.

Ce qui frappe surtout, c’est la richesse de « The echo maker ». Powers a toujours plus ou moins donné dans le roman d’idées. Parfois, cette volonté s’est réalisée au dépend des personnages. Ce n’est pas le cas ici. La narration est forte, les personnages ne chantent pas nécessairement sur le même ton que leur maître, le style est convaincant, il y a de nombreux rebondissements, bref : il est impossible de ne pas accrocher. Et ce résultat est obtenu alors que la densité des thèmes abordés n’est pas diminuée. On sent bien un écrivain en totale possession de ses moyens.

Assez logiquement, vu l’intrigue, l’identité est un des sujets centraux du roman. L’identité se construit, évolue, elle n’est pas fixe et est finalement assez difficile à cerner : il y a ce qu’on est, et ce qu’on semble être. Powers joue merveilleusement avec toutes ces notions. La condition de Mark redéfinit entièrement la relation frère-sœur. Karin veut le faire guérir notamment parce qu’elle a elle-même perdu le nord : elle ne sait plus où elle se situe par rapport à lui. En fait, tous les personnages semblent avoir perdu leurs repères. Le neurologue à la mode est en train de devenir la risée des médias, sa vision de son travail discréditée par la nouvelle garde. Daniel, l’amant de Karin, est peut-être un homosexuel qui ne se l’admet pas. Entre temps, il se dévoue corps et âmes aux oiseaux migrateurs, voulant atteindre une sorte de perfection morale impossible. Barbara, l’aide soignante de Mark, est bien trop cultivée pour être arrivée à ce job autrement que par une catastrophe personnelle. Là où s’est d’autant plus intéressant, c’est qu’on se rend petit à petit compte que Powers est en fait en train de jouer avec nos stéréotypes, nos préconceptions : c’est parce que l’on a une idée de ce que devrait être une aide soignante qu’on en vient à douter de Barbara. Mais qui dit que cette conception est la bonne ?

« The echo maker » est sans doute aussi le roman sur le 11 septembre le plus convaincant de tous ceux publiés à ce jour. C’est surprenant, a priori. Un livre situé dans le Nebraska et non à New York un matin de d’été indien de 2001 ? Le fait est que Powers est un écrivain qui embrasse la complexité des choses et qui la rend avec une subtilité rare. Pour parler d’un évènement qui a tellement secoué la société américaine, point besoin de mettre en scène la petite amie d’un disparu. A lire cette œuvre, c’est tout le pays qui est atteint du syndrome de Capgras. Après le traumatisme, une fois le choc passé, alors que commence la digestion, l’assimilation du cataclysme, on aurait un peuple incapable d’identifier clairement ce qu’il chérissait avant. Les libertés civiles sont mises à mal. L’esprit de la constitution est violé. Et ceux qui agissent ainsi prétendent que l’on défend en fait les valeurs qui ont fait et qui font encore leur grand pays.

De Powers, je n’avais lu que « Three farmers on their way to a dance » et « Prisoner’s dilemma ». « The echo maker » est, d’une certaine façon, l’aboutissement d’un parcours littéraire, le moment où tous les éléments déjà semés au cours des huit romans précédents sont rassemblés harmonieusement, délaissant l’excès ou les approximations pour parvenir au juste équilibre. On savait que Richard Powers était un écrivain important. Aujourd’hui, on est convaincu que c’est un grand.

Richard Powers, The echo maker, William Heinemann, £11.99

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Cet article est le deuxième d'une série de cinq consacrée aux finalistes du National Book Award 2006. Le premier était sur « Only revolutions » de Danielewski. Le prochain suivra d'ici à la semaine prochaine.

 

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