Tirons sur le critique

Vous le savez sans doute : Tristram, qui a repris des mains de José Corti l’édition de l’œuvre magique et protéiforme de Julián Ríos, vient de publier « Cortège des ombres », roman / recueil de nouvelles, écrit en 1968 mais jusqu’ici inédit. Le livre paraît simultanément en Espagne et en France. Parfait. Dans Le Monde d’aujourd’hui on trouve d’ailleurs un entretien avec l’auteur ainsi qu’une critique du livre. Parfait. Sauf que. Sauf que le mal de la critique francophone s’y retrouve résumé.

L’entretien d’abord. On serait assez curieux d’écouter l’intégralité de la conversation parce que pour avoir lu plusieurs conversations avec l’homme, on sait qu’il a des choses à dire qu’il ne dit pas ici. Ríos aime les mots-valises. Ah ah ! Il aime Rabelais, Carroll, Joyce. Oh oh ! Il a la réputation d’être difficile mais ne l’est pas (comme tous les auteurs difficiles). Eh eh ! On apprendra aussi qu’il vit dans un petit village des bords de la Seine et que les bateaux qui passent devant ses fenêtres aboutissent, quelques heures plus tard, devant chez Flaubert (anecdote reprise dans la moitié des entretiens qu’il accorde). Bref : Il n’est dit ici rien qui n’est trouvable en trente secondes de recherche Google (trente secondes, vraiment : si vous cherchez une minutes, vous trouverez plus d’informations). La critique n’est guère plus prolixe. Les personnages sont attachants, on sent de la proximité, de la compassion et l’ensemble est magnifique. Je n’en doute pas, mais je n’ai rien appris : où se place ce livre dans l’œuvre ? Que nous dit Ríos ? Qu’est-ce que littérairement et exactement ce cortège des ombres ? Rien, rien, vous n’apprendrez rien : de nos jours, il suffit d’en parler pour être content. La critique n’existe plus.

Par le plus grand des hasards, « Cortejo de sombras » est le livre de la semaine du supplément culturel de El Mundo. Que dire si ce n’est que le monde espagnol est mieux que le mundo français dans ce cas-ci ? Non seulement Darío Villanueva resitue l’œuvre de l’auteur historiquement mais en plus il montre qu’il l’a lue et même qu’il a tenté de la comprendre. Si, si !

Cortejo de sombras ofrece el semblante más gratificante de la mejor literatura. Siendo narración, ostenta un tratamiento del estilo concorde con el que Coleridge reclamaba para la poesía: las mejores palabras en el orden mejor. En especial, destaca la justeza, la economía de medios y la potencialidad expresiva que convierten aquí las descripciones de personajes, y en menor medida de los espacios, en auténticas epifanías. No es menor el acierto con que se resuelven los diálogos, y la soltura con que se taracea la narración en primera, segunda y tercera persona. Esa feliz polifonía se compadece a la perfección con un pluriperspectivismo que suele dejar en suspenso la interpretación unívoca de lo acontecido en cada una de las historias. Hay, por lo demás, una hábil administración de la intriga que redunda en una narratividad pura, potenciada al máximo por la eficacia estilística. Contribuye a ello la pertinente manipulación de los tiempos, para que el desorden con que el discurso reproduce el tiempo de la historia contribuya a crear lugares de indeterminación y lagunas que el lector será quién deba descifrar.

Tout au plus lui reprochera-t-on d’instrumentaliser le livre en le faisant pièce à conviction de la défense dans le procès mené contre un Ríos auquel on reproche, dans son obsession pour le langage, d’oublier les histoires : de fait, si on suit Villanueva, il n’en est rien. Mais ces idiotes accusations méritaient-elles réponse ?

Moi, ce que je voudrais comprendre c’est pourquoi ce qui est possible en Espagne ne l’est pas (plus ?) en France. Bon, Villanueva est professeur de littérature à l’université de Saint Jacques de Compostelle alors que le critique du Monde, Xavier Houssin, est / était rédac-chef adjoint de Point de Vue. C’est peut-être une piste.

(« Cortège des ombres » est en première position de ma pile à lire, il est donc possible que j’en parle ici prochainement. Peut-être n’arriverai-je pas à lui rendre justice mais je ne prétends pas écrire pour Le Monde.)

Julián Ríos, « Cortège des ombres », Tristram, 17€

6 commentaires  

Beaux blogs

En passant, deux liens en vitesse pour ceux qui, à défaut de vraiment lire les aventures du chevalier errant en Cervantes, peuvent au moins comprendre ce qui est dit sur un blog.
  • Wineruda - pas assez souvent mis à jour, mais même une ballade dans les archives est profitable (Gaddis, Vollmann, O'Brien, Erickson...)
  • Luz de limbo - Le Péruvien Victor Coral parle beaucoup et bien d'un peu tout, mais surtout du domaine hispanique, et on suit.

0 commentaires  

Éléphant fougueux

Il aura fallu attendre que Jonathan Coe lui dédie une biographie pour que l’œuvre de B.S. Johnson soit relue chez lui, en Grande-Bretagne. Peut-être faudra-t-il attendre que ce Coe là soit traduit pour qu’il en soit de même en francophonie, où l’on a un peu l’impression que le travail de Quidam passe inaperçu. C’est déjà malheureux pour l’éditeur lui-même, ça l’est encore plus pour le lecteur qui se prive ainsi d’un auteur de première catégorie.

La vie de Johnson fut courte : né en 1933, mort de ses propres mains – le manque de succès – en 1973. Entre temps, sept romans invendables car trop personnels et expérimentaux – ce mot n’est peut-être pas juste puisque nombre des techniques déployées par Johnson avaient déjà été tentées par d’autres sans avoir été acceptées par le public, enfin bref c’est fort tristramien -, des recueils de poésie et quatre films. John Lanchester dit que Johnson aura été un de ses rares auteurs à penser que le roman était une forme épuisée tout en y consacrant toutes ses forces créatrices. Il a peut-être raison, il a peut-être tort, quoiqu’il en soit des motivations de Johnson il restera juste la vérité suivante : il aura, pour son plus grand malheur, tout essayé, presque tout réussi et rien vendu. Il s’en fout sans doute, mais il nous est toujours possible de lui rendre un tant soit peu justice. Pour ça, il faut le lire.

Et justement, j’ai récemment lu deux de ses romans. « Christie Malry règle ses comptes » est le dernier roman paru du vivant de Johnson. On dit que c’est son plus accessible, il en a été tiré un film il y a huit ans, c’est sans doute le plus lu. Ce n’est pas le meilleur. Christie est un homme simple dont le but dans la vie est d’être proche de l’argent. Après une expérience ratée dans une banque, il devient comptable, découvrant au passage le système en partie double qui sera l’élément central de sa vie. Il s’attachera, dans une escalade absurde, à toujours se trouver un crédit pour chaque débit qu’on lui cause, inventant pour chaque offense une réparation bien souvent grotesque et perverse. Tout ça est très marrant, et les apartés autoriels, s’ils sont un peu gros de temps en temps, font montre d’une intelligence et d’un humour noir assez redoutable. Pourtant le livre ne marche pas vraiment. C’est dû à mon sens à une erreur dans l’analogie qui fonde la structure du roman : elle est fausse et déséquilibre l’ensemble. Johnson, socialiste convaincu, considère à juste titre que la comptabilité en partie double est l’un des outils ayant permis le développement du système bancaire et l’utilise comme métaphore stricte du capitalisme qui serait un système où aux gains d’un individu correspondent inévitablement les pertes d’un autre. C’est une simplification fallacieuse qui transforme ce qui aurait pu être un roman diaboliquement intelligent en une hilarante farce un peu stérile, d’autant plus que l’inventivité formelle de Johnson n’y atteint pas les sommets précédents.

Et puis on lit « R.A.S. Infirmière chef » (titre français quand même pas bien beau de « House Mother Normal ») et on s’incline devant la grandeur du machin et de l’écrivain. L’histoire est assez simple : dans une maison de retraite, entre l’heure du dîner et le petit spectacle d’avant-coucher, le lecteur suit les pensées et réactions de huit vieillards sur lesquels veille une infirmière-chef autoritaire et passablement étrange – ses spectacles sont dérangeants : elle dégoute ces pensionnaires pour qu’ils ne se dégoutent pas eux-mêmes. Johnson aurait pu en faire une comédie de mœurs à l’échelle d’un mouroir, il s’en serait sans doute sorti très bien mais on n’aurait peut-être pas été tant secoué. Mettre en scène neuf personnages en leur donnant un temps de ‘parole’ équilibré sur une ‘action’ qui ne dure qu’une fraction de journée n’est pas chose aisée, mais Johnson a plus d’un tour dans son sac : il y parvient à travers une structure très rigoureuse. En fait, le livre se compose de neuf chapitres de vingt-et-une pages, un pour chaque protagoniste. Au cours de chacun des chapitres on se retrouve dans les dialogues ou, le plus souvent, dans la tête du vieillard ou de l’infirmière concerné. Comme chacun assiste aux mêmes évènements, le chapitre de l’un renvoie à celui de l’autre, non seulement d’un point de vue général mais aussi page par page et à la ligne près. La variété d’expériences est assurée par la diversité des personnalités présentes –femmes, hommes, cols bleus, cols blancs – mais surtout par leurs obsessions et caractéristiques personnelles ainsi que leur degré de sénilité, défini en tête de chaque chapitre.

C’est une sorte de portrait en agrégation de la vieillesse, qui, de par l’humour d’une noirceur parfois extrême – on se retrouve à rire aux éclats à la lecture des chapitres sur les deux pensionnaires à un stade ultime de sénilité-, pourrait simplement être cruel mais est, au bout du compte, tout simplement profondément humain et touchant. C’est un pari pas facile qu’a réussi B.S. Johnson avec « R.A.S. Infirmière chef » : on tente très souvent d’allier un développement formel poussé et rigoureux avec une histoire simplement humaine, mais seuls les plus grands y arrivent. Johnson en est : ce livre est exceptionnel.

B.S. Johnson, R.A.S. Infirmière chef, Quidam, 20€
B.S. Johnson, Christie Malry règle ses comptes, Quidam, 18€

3 commentaires  

Viva Bobby Moore!


Je m'en veux d'avoir laissé passer ça hier: il y a quinze ans et un jour décédait Bobby Moore. Vous me pardonnerez cet écart footballistique. Reprise des opérations normales demain, si tout va bien.

0 commentaires  

Las

Il y a des jours comme ça. Depuis deux, trois semaines, je me pose des questions. J’ai l’impression de lire comme si ma profession était de lire mais sans en avoir les avantages : il faut quand même bosser 9 heures par jour, payer ses livres et ne rien recevoir en retour. Quand j’arrête de lire, c’est pour écrire – que ce soit pour ce blog, auto-fission, le fric-frac club ou d’autres « commandes » externes. Depuis le début de cette année, j’ai congé un lundi sur deux que je consacre de huit à une heure à écrire, de deux à six à lire, et puis de huit à … à écrire un peu plus. Amateur au rythme de lecture simili-pro qui remplit le temps qui lui reste par l’écriture.

Je me demande donc si ça vaut la peine. Ne serais-je pas en train de perdre mon temps ? Rien qu’arrêter de bloguer ne me permettrait-il pas de faire autre chose que métro-boulot-lecturoblog-dodo ? Ce n’est pas non plus comme si des centaines de lecteurs se pressaient aux portes. Bref, fatigue, lassitude, burn-out etc. Je ne compte pas (encore) m’arrêter, mais je m’interroge.

19 commentaires  

Comme de l'orge liquide

Je n’ai aucun souvenir du jour où j’ai décidé d’acheter « Cadenza », l’unique roman du peintre Ralph Cusack. Je sais encore moins ce qui a motivé mon geste. Quand je l’ai trouvé sur le haut de ma principale pile à lire j’ai même tiqué. J’ai retourné le livre, l’ai bien regardé sous toutes les coutures. Rien. Tout au plus me dis-je que le fait qu’il ait été réédité par Dalkey Archive et postfacé par Gilbert Sorentino ont été des éléments décisifs. A part ça… (Et ce n’est pas comme s’il y avait des tonnes d’infos glanables sur le net.) C’est peut-être la première fois depuis des années que j’aborde un roman sans avoir idée de ce qui m’attend, jugement a priori sur l’auteur, le style, etc. Eh mes amis ! Que la surprise fut bonne !

« Cadenza », c’est l’autobiographie partielle, partiale et parcellaire d’un certain Desmond, Irlandais. Tout est au présent, mais tout est rendu dans un ordre chronologique aléatoire, comme un jeu de carte après avoir été battu. On le rencontre chez le dentiste, les dents éclatées comme un service-à-thé de porcelaine bon marché. Devant l’ordre de rester ainsi pendant deux heures la gueule bien fermée, il ne maudit qu’une seule chose : le stout qu’il ne saura s’enfiler. Cette scène donne le ton du reste du livre. On verra Desmond enfant, jeter hors de chez lui par des parents loyalistes parce qu’il chante un hymne indépendantiste. On le rencontrera en train de se biberonner et de s’empiffrer sur le chemin qui le mène au chevet du lit d’agonie de son oncle. On le regardera, des années auparavant, se débattre avec la difficulté de convaincre le même oncle, grand violoniste, que la vieillesse l’empêche de remonter sur scène sans subir le ridicule. On le suivra en France, en mode visiteur errant, alcoolique à la faim d’ogre. On palpitera avec lui, lorsque tout gamin, sous la coupe de petits criminels, il passe une nuit dans des buissons surplombant l’hippodrome afin de tirer avec sa carabine à plomb sur les chevaux de la course du lendemain, truquant ainsi les résultats. Et surtout, on admirera le délire de ses voyages en train, grande passion complètement loufoque, lieu de tableaux délirants.

« Cadenza », malgré quelques moments durs ou violents, ce sont des grands moments de fendage de gueule, de rigolade incontrôlable, de fantaisie admirable. Pour rire, il me suffit de penser à l’histoire de ce prêtre français complètement alcoolique qui, dans ce petit village, a trouvé le moyen de garder sous la main autant de grand cru que faire ce peut : pour chacun des habitants vivants, il a construit – au coût de son plancher et de sa charpente – le cercueil qui lui sera destiné. Et de les remplir de vin. Malheureusement, ne clamse pas toujours en premier celui qui devrait, et il arrive donc qu’il faille vider les dizaines de litres sur l’espace d’une journée. C’est ce qui arrive à Desmond.

« Cadenza », comme son nom l’indique, est un livre musical. Pas seulement parce que c’est un thème qui revient souvent à travers les discussions de Desmond ou la figure de l’oncle, non, surtout parce que c’est un livre basé sur le rythme de la narration comme de la prose. De la phrase, des paragraphes. C’est un livre qui se scande et se chante.

« Cadenza », c’est un livre réjouissant, une sorte de croisement bien irlandais entre Flann O’Brien et J.P. Donleavy. C’est un des livres oubliés qui est pourtant inoubliable. C’est juste un excellent moment dont on sort groggy et rêveur, peut-être comme Desmond sort, toujours à moitié anesthésié, de son étrange séance chez le dentiste.

Ralph Cusack, Cadenza, Dalkey Archive, $7.95

Smashing the cheap teacup with one blow of his fist, he stuffed the resultant crocks, unbroken handle and all, gently but firmly into my mouth.

With his freshly washed soapsmelling fingers he then adjusted the pieces so that they lined and filled every cranny, using the handle and its still attached fragment of curve to pin backwards and downwards the tip of my tongue and the larger curved morsels to arch in my palate.

Although it was now quite impossible to close my mouth completely, he insisted on my closing it sufficiently to prevent the twenty-three pieces falling out on the floor, telling me to come back in two hours.

I looked at my watch: it was just half past ten and a clear sunny morning in May. It was a pity, all the same, I had nowhere to hide.

He had said it was better to keep to the side streets, as of course in such case it was essential to keep my mouth shut both physically and metaphorically or people might ask questions and I should be lost or discovered. Normally I should have gravitated to the nearest pub and, skulking in a dark corner, lowered a few mediums; but, alas, I was debarred now from this as the crockery could not be taken out and I was afraid if left in I might swallow it down along with the dark silky porter.

Closing the heavy door silently behind me I glanced right and then left in the wide sunny street and seeing a loquacious acquaintance, a poet of some standing, slouching towards me, made off at such speed as my trembling legs would carry me to the right, pursued by his peculiarly loud and raucous shouts now mercifully being diminished by distance:

‘Hey! Come here you! What are yez up to at all? Come here, damn ye . . . I want a loan . . . (more distant) . . . a small loan . . . (still further) . . . God’s curse on ye anyhow!’

Luckily an alleyway turned off again right, a place ill-lit by day or after dark, used in the one for stocking shops on the main thoroughfare through trap- and back-doors and in the other for the surreptitious meetings of forbidden lovers. For all lovers were of course forbidden unless they were well enough off to ride to hounds, attend hunt-balls in country houses, breed, own, or train racehorses, contribute handsomely to the Society of St. Vincent de Paul, know the right people to drink with in the Shelbourne Rooms, Buttery, Russell, or Dolphin, exhibit themselves regularly in the Right Theatre’s stalls, wear fainnes . . .


0 commentaires  

Et Fric-Frac s'offrit à tous

Et ce qui devait arriver arriva! D'abord une rumeur imperceptible dans les marges de l'un ou l'autre commentaire sur certains sites de la galaxie lointaine, ensuite une progressive identification / revendication, le bourgeonnement de faux credos et autres anti-manifestes. Enfin, un blog collectif. Le Fric-Frac Club électrique n'est plus une organisation clandestine célébrant tout et rien, réunis par une seule chose - le saint esprit Thomas Ruggles Pynchon -, non, il s'est transformé en une machine pas encore tout à fait fonctionnelle mais dont on espère qu'elle fera des étincelles. Ou pas.

Il s'agira sans doute de parler un peu plus news, de discuter collectivement de livres individuels, d'éclairer l'obscur autour, de cross-contaminer et, on peut rêver, d'illuminer la morne vie des fourmis de l'interweb. L'individuel reste, les spécificités aussi et si on a de la chance, la sauce prendra et elle sera bonne. Que la main invisible fasse son œuvre.

2 commentaires  

Bovarysme

Il faut croire qu’il aime ça, plonger dans une œuvre amie, se l’approprier et tenter de lui faire dire des choses siennes et nouvelles ! Un an après « Black Box Beatles », c’est au tour de Emma Flaubert / Gustave Bovary de passer au moule Claro dans « Madman Bovary ». Si, comme moi je l’avoue, le titre ne vous plait que modérément, passez outre : ce livre est une réussite.

Après une rupture sentimentale, il est très probable que je tente d’oublier la déception dans quelques livres. Le narrateur de Claro, abandonné par Estée, pense retrouver la paix dans un roman qu’il connait par cœur et où son omniprésente muse, il ne trouvera. Et le voilà qui recommence une énième fois « Madame Bovary ». Mais la lecture à ses raisons que la raison ne connait pas : sans être franchement libéré d’Estée, il se retrouve en quelque sorte prisonnier du roman, fou du roi Flaubert, high on his words, dopé par ses phrases : on ne remplace pas impunément une addiction par une autre.

Et donc bien sûr notre narrateur commente, revit, incarne, transsubstantie toute une série de scènes plus ou moins cruciales du grand œuvre qu’il tente de digérer une fois de plus, une fois pour toute. Et ça dérape. Et il sort de piste. Et il loupe le platane de peu. Mais il s’en fout, il est invincible. Immortel. Comme Emma. Comme Gustave. Dans les pages, certainement.

Il y a un an, certains se demandaient s’il fallait connaitre les Beatles pour entièrement apprécier « Black Box Beatles ». La réponse était un petit non. La même interrogation pointe le bout de son nez cette fois encore : faut-il avoir lu « Madame Bovary » ? Non ! Ou plutôt si ! Disons que contrairement au texte scarabée, chaque éventualité est riche en soi : vous avez lu l’Emma de Flaubert ? Vous allez adorer les références et leur manipulation ! Vous n’avez pas lu la Bovary de Gustave ? Votre vue sera moins obscurcie, plus libre et plus indépendante ! Vous lisez l’un avant l’autre ? Voilà qui enrichira la lecture de l’autre après l’un !

Comme toujours avec Claro, ce qui caractérise ce texte est un rapport avec la langue, une volonté non pas de se libérer ni de s’emprisonner – la langue n’est ni prison, ni liberté : elle est – mais bien d’explorer ou d’exploser, c’est selon, ses potentialités. Les idées foisonnent, les tournures crissent, glissent et restent dans le petit sillon creusé à même l’esprit de celui qui s’y soumet. Disons qu’il y a des choses qui ne s’oublient. Et comme dans toute exploration, il y a l’une ou l’autre fois une mauvaise manœuvre, une petite erreur de parcours qui, heureusement, ne fait jamais caler le moteur. Je me suis par ailleurs dit à une ou deux reprises, devant une tournure étonnante, qu’il y avait quelque chose qui clochait. Y revenant plus tard, je compris, fis amende honorable et réalisai pourquoi je n’étais pas écrivain, et lui si. Si ce roman se transforme en guerre au cliché, elle est gagnée. (Ceci dit, particulièrement dans les chapitres Ivresse et Labo Homais, tous deux particulièrement réussis et jubilatoires, on retrouve deux ou trois clichés non pas au niveau de la prose mais bien du fond. Il faut dire qu’il est bien possible que le côté réjouissant de ces parties proviennent justement de ces quelques clichés. A relire.)

Plus qu’une histoire d’amour, plus même qu’un hommage à l’écrivain majeur et à l’œuvre empoisonnante, « Madman Bovary » est un journal de lecture. Finalement, à quoi nous mène la conviction qu’il s’agit de l’histoire d’un homme fou de chagrin pour une femme, fou d’amour pour un livre ? Nulle part. Par contre, que nous dit la prise en compte graduelle, progressive, que ce que nous lisons n’est autre que la description précise de ce qui se passe dans nos têtes à la lecture d’un roman d’exception ? Que nous sommes fous ? Ou que le rapport qui se crée entre les aventures de la page et le cerveau du lecteur est celui d’une focale changeante, d’un angle mouvant, d’une perspective variable ? Au-delà du rapport physique, du contact avec le volume, de la liaison olfactive nez-papier, il y a surtout cette sorte de quatrième dimension qui s’ouvre à nous, ce plongeon dans l’abysse qui permet de contemporéaniser telle chapitre, de personnaliser tel autre, de vomir cette phrase, d’être obsédé par ce paragraphe. C’est peut-être bien de ça que Claro parle à travers son man, plus rad que mad.

Claro, Madman Bovary, Verticales, €17

12 commentaires  

The king lives on

2008 semble être l’année du Barthelmismo : une collection de nouvelles parfois inédites, jamais rassemblées en un volume vient de paraître et Counterpoint réédite « The teachings of Don B. » (avec préface de Pynchon) ainsi qu’un recueil d’articles et d’entretiens. Tout ce qui était publiable aurait maintenant été publié et est disponible. Et peut-être que 2009, pour commémorer les vingt ans de son décès, sera tout aussi bien : on croise les doigts pour quelques belles rééditions des essentiels livres de Donald Barthelme. Mais là, en février 2008, j’ai lu « The King » et, si j’arrive à ne pas rire, je vais vous en dire quelques mots.

En 1995, Ian McKellen écrivait un script pour une version ciné de Richard III et replaçait l’action dans les années 1930. C’est un peu la même chose que fait Barthelme ici, en reprenant « Le morte d’Arthur » de Malory et en resituant ses personnages dans l’Angleterre en guerre des années ’40.

« “This is not my favorite among our wars,” Guinevere said. “Too many competing interests. Nothing clear about it. Except that we are on God’s side, of course. The thing I have always admired about Arthur is that he always manages to be on the side of the right. But Jesu, the intrigue! Once upon a time the men went out and bashed each other over the head for a day and a half and that was it. Now we have ambassadors hithering and thithering, secret agreements with still more secret codicils, betrayals, reversals, stabs in the back—“ »

Winston Churchill pense être le boss, mais il est totalement inefficace: le moral en berne, les anglais écoutent, depuis l’Allemagne, le renégat Haw-Haw diffamer Guenièvre, se gausser du Roi Arthur et prétendre la victoire de plus en plus proche, et, depuis l’Italie, le poète Ezra, complètement fou, déverse sa haine du juif.

« “The Bolshevik anti-morale,” said Ezra, “comes out of the Talmud, which is the dirtiest teaching that any race ever codified. The Talmud is the one and only begetter of the Bolshevik system.”
“In a moment he’ll be talking about ‘kikified usurers’” said Arthur. “One expects poets to be mad but—“
“He reminds me,” said Sir Kay, “of some some old country squire, in Surrey somewhere, running on after dinner to his poor bedraggled wife.”
»

Pendant qu’Arthur prépare les défenses du royaume, de plus en plus mal à l’aise devant l’inadéquation de sa cavalerie face aux tanks et aux avions, Genièvre s’en va vers la campagne folâtrer avec des chevaliers héroïques, laissant le pouvoir aux mains de Mordred qui veut renverser Arthur, son père, parce qu’il avait tenté de le tuer quand il était encore petit. Alors que la tragédie fait son entrée, Lancelot va de forêt en forêt, s’amusant en combattant l’un ou l’autre chevalier, à la recherche de princesses.

(Guenièvre) « “The pursuit of the orgasm is in itself, I feel, something that should be left to the lower orders, which are scanty of pleasure other than booze. But, when coupled, no pun intended, with the very highest level of spiritual affinity, as in the present case—“
“You are my kind of queen,” the Brown Knight said, “even though you are thirty-six.” »

Les chevaliers de la Table Ronde trouvent, à travers trois formules magiques, le Saint Graal : une bombe au cobalt. Mais un chevalier peut-il utiliser une telle arme ? Gagneront-ils sans ?

« “In former times bombing had some military purpose or other –taking out a railyard, smashing the enemy’s factories, closing down the docks, that sort of thing. Today, not so. Today, bombing is meant to be a learning experience. For the bombed. Bombing is pedagogy. A citizen with a stick of white phosphorus on his roof begins to think quite seriously about how much longer he wants to continue the war.” »

Une dernière fois avant de refermer pour de bon les pages à histoires, Barthelme mobilise son art de la formule, son humour, sa connaissance de l’histoire littéraire et livre, en 153 pages, un condensé spectaculaire de ce qui fait de Don B. un écrivain aussi apprécié par les postmodernistes que par les réalistes du New Yorker. Si son dernier roman ne nous révèle pas qui sera le vainqueur de cette guerre bien peu chevaleresque, il ne reste aucun doute : le roi, c’est lui. Et le lecteur de mourir de rire.

« “Shouldness is being flouted here,” said Launcelot. “Shouldness is perhaps self-explanatory, but I have never seen it adequately dealt with, either in print or in the lecture hall. When that huntress got me in the bum with an arrow, it was offense to shouldness. It shouldn’t have gone that way. I told the story to Sir Roger, and now he never tires of telling it, tells it to everyone who comes down the pike. That a knight of the Table Round could be pierced in that way by a female has a significance quite apart from the ludicrous. It’s in the realm of those things which should not happen –a categorywhich holds much philosophical interest, as anyone who has ever looked into anomeltics will recognize. The insult to my dignity was not nearly as grave as the insult to shouldness.” »

Donald Barthelme, The King, Harper & Row, épuisé (mais disponible chez Dalkey Archive, $12.95)

3 commentaires  

Ode à Julián

Je n’ai rien à vous vendre ce soir, mais laissez-moi vous dire :

Fils de Rabelais, le mot des mots, de Cervantes, le livre des livres, Sterne, la page des pages, disciple du forain Joyce, du bon vieux Flann et de cette vieille baderne de Gustave, éditeur de l’homme aux chaussettes grises et sandales de cuir, le roi de la lande, pourfendeur de vaches de pierre, l’impayable Arno Schmidt, lecteur passionné de Gaddis, Guimarâes Rosa, Nabokov et Coover, citoyen du babble de Babel, homme au langage aussi « ancho que Sancho », mesdames et messieurs, chapelier un jour, guide à Dublin l’autre, à Londres le soir, Paris le matin, clavier au poing ou crayon au bout des doigts, mesdemoiselles, jeunes hommes : Julián Ríos ! Julián Ríos ! Oui, Julián Ríos !

3 commentaires  

Histoire glaciale

En 1924, Thomas Mann donnait à ses lecteurs l’histoire d’un certain Hans Castorp, parti voir son cousin dans un sanatorium à Davos, qui décide, ensorcelé par la montagne, le médecin une femme ou l’époque, d’y rester pendant sept ans. Trente-neuf ans plus tard, un autre Thomas envoie aussi son personnage pour un séjour en altitude.

Contrairement à Castorp, le narrateur de « Gel », fabuleux roman de Thomas Bernhard, ne restera dans la montagne que vingt-sept jours, mais l’expérience n’en est pas moins intense, pour lui comme pour le lecteur. Etudiant en médecine, il est chargé par un chirurgien de l’hôpital où il est interne d’aller enquêter sur le frère de celui-ci, peintre retiré dans un village de la montagne autrichienne et qu’il soupçonne d’être fou. Une fois au-dessus, il s’installe dans l’auberge où réside le peintre Strauch et tisse des liens d’amitié avec lui.

C’est une histoire d’ensorcellement. Strauch partage avec l’espion dont il ignore la véritable identité ses théories nihilistes du tragique, de l’absurde, de la vie et de la nature dans de longs monologues enflammés. Poussé également par le milieu pauvre, anti-intellectuel, amoral, adultérin et décadent du village de retraite, il s’identifie peu à peu aux thèses et au mode de pensée développés par le peintre, dont il ne se libérera qu’à sa disparition.

Dans ce texte, un des premiers publiés de Bernhard, on trouve déjà ce qui fera la particularité de son œuvre, parfois à un stade déjà très avancé de développement, parfois dans un état plus embryonnaire. Le narrateur attiré dans la sphère d’influence d’un personnage au magnétisme particulièrement négatif est presqu’une constance chez l’auteur autrichien. De même se dessine déjà ici très clairement la misanthropie radicale de l’univers autoriel. Dans ce bled reculé, il est impossible de trouve quelque chose à aimer, tout est tromperie, violence, alcoolisme et avarice. La nature même s’arrange pour mettre fin à toute perspective de bonheur. Ce que les pages crient, c’est qu’il n’y a rien à sauver de l’homme, que c’est une bête pourrie sur pied qui complote, dénonce, empoisonne, maltraite et diffame. Rien qu’au niveau du message, il n’est pas toujours facile de lire Bernhard, et c’est déjà le cas ici.

Stylistiquement par contre, l’expérience est moins radicale que celle connue avec « Corrections » ou « Les mange-pas-cher » par exemple : le narrateur structure son récit de façon plus classique, à l’aide de phrases courtes et précises, intégrées dans des paragraphes de longueur raisonnable. C’est dans la retranscription des envolées de Strauch que l’on détecte les mélopées, la diarrhée verbale jubilatoire d’œuvres plus tardives, comme si l’étudiant était une sorte de garde-fou. Et de fait, même s’il se laisse séduire, il ne faut pas oublier que c’est en quelque sorte dans ce rôle qu’il a été envoyé là-bas et qu’on peut sans doute considérer qu’il l’exerce vis-à-vis de Bernhard lui-même également. Par la suite, tout narrateur extérieur à la folie des personnages étudiés sera happé par leur insanité sans espoir de retour. Ici, l’observateur revient – on croirait presque être tombé sur le seul texte bernhardien avec un peu de lumière au bout – et garde un contrôle relatif sur son exposé que ses successeurs perdront – laissant ainsi place nette à toute la fureur d’un style fascinant.

Méchant de bout en bout, « Gel » est, comme tous les Bernhard, un livre dur, produit d’un esprit unique, sans pitié. C’est sans doute aussi un bon point d’entrée dans l’univers d’un auteur essentiel car son absolu nihilisme, pour suffoquant qu’il puisse être, laisse ici un peu plus d’espace de respiration au lecteur. Mais si ce roman vous rebute, vous n’avez probablement aucun avenir dans ses autres textes.

Thomas Bernhard, Gel, Gallimard, 21€50

7 commentaires  

Entre Big Sur et Silicon Valley

On a beaucoup écrit sur la Californie, mais certains disent qu’un des meilleurs romans sur le sujet est le « Disobedience » de Michael Drinkard, publié en 1993. Eh bien, même si ce type d’affirmation est très difficile à avaliser, il se peut que ce soit vrai – même si l’auteur se consacre plus à la Californie du sud qu’à l’État dans son entièreté.

« Disobedience » est de ces romans dont l’ambition nous est devenue connue : faire de l’histoire d’une famille sur plusieurs générations celle d’un lieu. Il faudra passer par la difficulté des débuts, la grandeur gagnée à la sueur du front et puis la lente décadence contemporaine. Il doit être bon celui qui espère parvenir à écrire sur ces bases un roman qui sorte du cliché. Michael Drinkard l’est.

Trois générations sont présentées, et trois récits se répondent en chapitres successifs, chaque époque amenant peu à peu les lumières nécessaire à la compréhension du roman dans sa globalité. Il y a, à la fin du 19ème siècle, Eliza qui fait pousser des orangers, espérant réussir dans son commerce. Les débuts sont douloureux, jusqu’à ce que son mari Luther profite d’une terrible sécheresse pour racheter des terres à bas prix : alors que personne ne veut y croire, les oranges de ce domaine énorme font d’eux des gens puissants, courtisés par la président McKinley lui-même. Il y a leur petite fille, Mavy, hippie du jour d’après, impliquée dans l’agriculture biologique, qui rencontre Franklin, fils de strip-teaseuse et de père inconnu, jeune homme ambitieux, yuppie avant l’heure. Il y a leur fils Aaron, 15 ans, qui se demande si la mort de Mavy est le fait de son père et qui lutte pour préserver la dernière orangeraie de la propriété familiale. Comme le titre l’indique, la désobéissance est au cœur de chacune des parties, qu’il s’agisse de refuser de se soumettre aux exigences paternelles, communautaires, contemporaines, judiciaires, etc. Et cette désobéissance n’est pas juste une forme de contestation ultra-moderne, reflet d’une rebellitude de seconde zone de nos jours majoritaire, non, elle s’inscrit dans une logique à la Thoreau, de désaccord avec des décisions ou d’options iniques – et si les personnages ne gagnent pas toujours ils auront peut-être au moins la satisfaction de ne pas s’être laissés faire. Bref, je commence à raconte des conneries, restons-en là.

Au-delà de la saga familiale, il y a donc le portraite de la Californie du Sud, et il est complet : les pionniers, les premières fortunes, les hippies, Silicon valley, les écrivains de Big Sur, l’immigration latino… Ce n’est, heureusement, pas une simple liste ou un exercice vain de la part d’un Drinkard qui tendrait de tout mettre en 348 pages. Au contraire, l’histoire et la géographie s’intègrent au récit sans que cela paraisse forcé, et les personnages que l’on pourrait croire stéréotypes sont au contraire extrêmement vivants et réels. Par exemple, dépeindre le contraste entre une Californie bio-friendly et adepte de la slow-life et une autre très business et amatrice de profits rapides à travers l’histoire d’amour ratée entre une hippie et un yuppie semble une idée destinée à voler dans le mur alors que leur relation telle que développée par Drinkard paraît juste et crédible. On croirait presque que l’ambition que l’on décèle dans « Disobedience » était inconsciente : impossible de se dresser autant de pièges sans tomber dedans sauf à ignorer l’essence même de son projet.

Ce n’est peut-être pas un roman dont la nécessité de le lire s’impose avec évidence, mais, une fois qu’on s’y met vraiment, on est surpris d’y trouver autant de puissance et de vie. Sans aucun doute une des meilleures surprises de mes lectures récentes.

Michael Drinkard, Disobedience, University of California Press, $12.95

1 commentaires  

Vice n'est pas un crime

Par le plus grand des hasards - le blog de Claro et le commentaire de G@rp-, je viens d'apprendre qu'il existait une version française à Vice Magazine, et qu'en plus ils avaient mis en ligne le contenu d'un numéro spécial littérature. Et, au-delà d'une nouvelle dudit Claro, c'est du lourd: un extrait de "Noir", le prochain Coover - encore inédit aux USA-, d'un roman en cours de Nick Tosches, des nouvelles de Thomas Gunzig, Mary Gaitskill, Jim Shepard, Mathias Enard et de William T. Vollmann, et, enfin, un entretien avec Denis Cooper. Eh beh... Et tout ça se trouve ici.

(Tout ceci entre deux pages de "The King" de Donald Barthelme, c'est à dire entre deux éclats de rire. More on this later)

6 commentaires  

Aural Delight: Ander Monson's top of the pops

Je suis tombé un peu par hasard – à dire vrai, je ne sais même plus comment j’y suis arrivé- sur une liste des meilleurs morceaux pop de 1980 à 2007 établie par Ander Monson, écrivain américain que certains d’entre vous connaissent peut-être et qui intéressait Lot49 et Claro il y a quelques temps. Il y défend une idée assez large de la pop (disons plus large que de sa conception classique basée sur la guitare) qui est totalement juste – combien de fois ne me suis-je disputé avec des fans d’indie auto-proclamée en essayant de leur faire comprendre que Oasis et Britney Spears faisaient partie de la même famille élargie, à cette différence près que Britney, elle, a enregistré l’une ou l’autre bonnes chansons. Evidemment, une liste ne vaut que par les règles mises à l’heure de son élaboration : pas de rock (et la distinction n’est bien sûr pas toujours facile à établir, comme le prouve la présence des Pixies et de Jesus & Mary Chain), au moins une chanson par année, une seule par artiste et pas de reprises. Monson obtient ainsi deux cd’s pour quarante deux morceaux, et vous pouvez obtenir la liste complète ici.

Le premier commentaire que ça m’inspire, c’est que Monson a moins bon goût que Brian Evenson mais qu’on ne va pas se plaindre : c’est pas mal, surtout pour un écrivain – lorsqu’ils parlent musique, demandez à Odot, c’est souvent déprimant. Il y a bien sûr quelques choix contestables : « Vacation » de The Go-Go’s est un morceau sympathique mais très loin d’être indispensable, James est un des groupes les plus infâmes par la terre portée, Sugar me donne la nausée, Eels presque pareil, « Song2 » de Blur me rappelle trop une adolescence médiocre, A tribe called quest, contrairement à R.Kelly n’a rien de pop, etc. Il y a ensuite les choix quasi-obligatoires , parfois trop évidents, comme « Love will tear us apart », « A little respect », « Hey ya », « Can’t get you out of my head », « Smooth criminal », « Like a prayer » ou « Cannonball ». Il y a les morceaux qui entrent dans la catégorie groupes indispensables, choix étrange : parmi tout le catalogue de Talking Heads, je n’aurais peut-être pas choisi « Burning down the house », par contre choisir « Temptation » de New Order plutôt que « Blue Monday » est une excellente idée mais Cure a fait bien mieux que « Just like heaven », tout comme Pet Shop Boys pour « It’s a sin » (enfin, dans ce cas c’est pas bien mieux, c’est moins kitsch) ou Belle & Sebastian et « Dirty dream number two ». Il y a aussi deux surprises : je me souviens d’une demi-année à souffrir « Be gone ‘til November » de Wyclef Jean et en fait c’est une excellente chanson ; j’ai une sainte horreur de R.Kelly mais « Ignition » sans aucun doute ce qu’il a fait de mieux.

Cette liste est évidemment tout sauf définitive et, pour ma part, je me plains au moins de l’absence de Depeche Mode ou de « Careless whispers » de George Michael, titre qui rentre en plein dans la logique derrière cette sélection et que, pour une raison incompréhensible, je trouve parfaite. Mais rendons au moins grâce à Monson d’avoir choisi mon titre préféré des Smiths et surtout, surtout, le fantastique « Little red corvette » de Prince. Et puis chapeau bas pour le dernier morceau « All my friends » de LCD Soundsytem : la première fois que je l’ai entendue fut une des rares fois où j’ai été instantanément convaincu de découvrir là un classique moderne. Et vous, quels morceaux incluriez-vous dans pareille compilation ?


9 commentaires  

Clicky Web Analytics