L'homme libre - entretien avec William T. Vollmann (3)
Les lecteurs sont habitués au Vollmann qui parle de prostitution, de drogue, celui qui fait des reportages dans des conditions limites, ou encore celui qui écrit sur les relations entre indigènes et colonisateur aux Amériques. Cette fois-ci, vous parlez de l’Europe et de la seconde guerre mondiale. Ça à l’air d’un gros changement, l’était-ce pour vous ?
Non, pas vraiment. J’ai deux publics américains. Celui qui achète la série Seven dreams et celui qui achète les livres sur la prostitution. Si je sors un livre sur un de ces deux thèmes, une moitié de mes lecteurs est déçue. Je me dis que si j’en déçois autant, alors c’est que je travaille bien.
Parlons maintenant de « Décentrer la terre ». Pourquoi Copernic?
Il a changé notre perception de l’univers, d’un univers dans lequel nous étions tous très importants, où chaque expérience, chaque phénomène avait une résonance symbolique parfaite avec notre spiritualité vers l’expérience hasardeuse dans laquelle nous vivons aujourd’hui, où nous sommes des objets, et pas nécessairement des objets importants… Un monde dans lequel nous pouvons facilement croire que nous pourrions détruire l’environnement, nous effacer de la surface de la terre alors que l’univers physique continuerait à exister. Un monde dans lequel les planètes ne sont pas des sphères parfaites, les orbites des ellipses plutôt que des cercles… Mais Copernic ne nous a certainement pas mené jusque là seul.
Vous dites justement qu’il s’est trompé plus qu’on le dit souvent, que Ptolémée avait aussi raison, qu’ils étaient plus proches qu’on pourrait le croire. Si scientifiquement son travail n’était pas tellement révolutionnaire, pourquoi écrire sur lui ? Parce que, comme il est écrit dans votre livre, il nous aide à réaliser qu’il est possible de briser un monopole idéologique de quatorze siècles ?
C’est ça. C’est une autre version de l’histoire de Gerstein et de Chostakovitch. Faire ce que l’on peut, même si c’est imparfait, incomplet, rempli d’erreur. Beaucoup de gens sont en désaccord par rapport à Copernic : est-ce qu’il essayait de crée un nouvel univers ou voulait-il désespérément sauver le vieil univers ? Il est bon de regarder les limites de nos semblables avec compréhension et compassion. Et si on le fait, on peut être encore plus impressionné par le peu qu’ils ont accompli.
Vous dites qu’il y a une catégorie de choses que la science ne saurait prouver, des concepts qui sont hors du champ scientifique. Celui de Dieu par exemple. Le libre-arbitre, dont « Décentrer la terre » parle aussi, ne tombe-t-il pas dans cette catégorie ?
Bien sûr. Je dirais qu’il est dans mon intérêt d’y croire, que ça existe ou non.
William T. Vollmann, Décentrer la terre, Tristram, 23€