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None of your fucking business

Merci à Gonzalo Barr de nous signaler un excellent passage d'un entretien accordé par Don DeLillo au journal allemand Die Zeit.

ZEIT. What is your political orientation?

DD. I am independent. And I would rather not say anything more about it.

ZEIT. Why not?

DD. Well, in the Bronx where I grew up we'd have put it his way: Because it's none of your fucking business.

Voilà une réponse qui fait plaisir: la pertinence de l'écrivain moyen lorsqu'il s'agit de politique est égale à celle du citoyen moyen. J'ai autant d'intérêt pour les idées en ce domaine de Jauffret que de Thuram, et c'est un soupir de soulagement que j'émets lorsque je vois DeLillo refuser de saisir la perche tendue. Il est vrai qu'il est plus facile pour un journaliste de causer vie privée ou politique que littérature. Take note, Paul Auster!

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Quelques notes du dimanche

• Lu la semaine passée « Le stéréoscope des solitaires » de J. Rodolfo Wilcock, récemment réédité à L’imaginaire. L’écrivain italo-argentin est, selon Roberto Bolaño, un maître de l’humour noir. Il le prouve dans cette sorte de bestiaire composé de soixante-cinq récits inégaux mais qui font souvent rire aux éclats. En tout cas, si on se mettait à faire des matchs littéraires, le centaure de Wilcock détruirait celui de Borges même une patte en moins.

Gass à 100 contre 1, Vargas-Llosa, McCarthy à 50 contre 1, DeLillo à 25 contre 1, Pynchon à 20 contre 1. Oui, oui, le Nobel littérature c’est jeudi et, comme chaque année, vous pouvez parier chez Ladbrokes. Leur favori est Claudio Magris, 5 contre 1. Comme d’habitude, ils se trompent j’imagine.

• On parle à gauche et à droite (surtout à gauche, d’ailleurs) de la toute nouvelle Revue internationale des livres et des idées. Son édito / manifeste est disponible en ligne. Dans le monde anglo-saxon, on trouve sans problème des publications à large diffusion qui consacrent de longues pages à la discussion d’un seul livre. Ce n’est pas le cas par chez nous – il semble impossible d’écrire plus d’une demi page sur une œuvre sans utiliser des extraits d’interview histoire de masquer l’épaisseur papier cigarette de l’analyse- et c'est, semble-t-il, ce vide que cette nouvelle publication voudrait combler. Bonne nouvelle a priori mais je reste, pour ma part, sceptique. La fiction est presque totalement absente – un comble lorsqu’on prend Bookforum ou TLS comme modèle- et j’ai un peu l’impression que de toute façon ce qui sera décortiqué, c’est les textes de fiction politique où le politique est plus important que le fiction. Par ailleurs, l’ensemble à une forte coloration New Left. On peut se demander si après 50 ans il ne serait pas temps de passer à autre chose : le mouvement est né dans les années ’60, la culture war opposant ses tenants à des gens comme Roger Scruton est vieille de vingt ans, et tout ce que je lis aujourd’hui me semble bloquer à cette époque. Et le renouveau ?

• Je m’apprête à lire « Le bal des vipères », le dernier Horacio Castellanos Moya traduit en français, et voilà que j’apprends grâce à l’intéressant article de Pagina12 qu’un nouveau vient de paraître en Amérique du Sud. Dans une semaine, je pars à Barcelone puis à Madrid, je verrai s’il s’y trouve déjà. Et puis, tant qu’à faire, il faudrait que je me procure le nouveau recueil de nouvelles de Vila-Matas ainsi que « Porque parece mentira la verdad nunca se sabe », le classique de Daniel Sada dont la seule copie que j’ai eu en main était dans un état pitoyable. J’espère avoir plus de chance cette fois-ci.
(J'espère également pouvoir faire oublier les faiblardes mises à jour dela semaine écoulée dès demain. Fausto était -est toujours- sur les rotules et n'a pas su assurer le service habituel. Sorry.)

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Tunnel de presse: appendice

Cet après-midi, j’ai relu quelques uns des papiers publiés à la sortie du « Tunnel ». Je me suis déjà fait largement écho de sa réception médiatique, et ne compte pas me relancer dans une page entière d’appréciations et récriminations, les deux épisodes précédents suffisent. Trois petits points suffiront.

La première chose qui m’a frappé quatre mois plus tard, c’est la réticence des critiques à s’engager, à se prononcer, à juger. On n’obtient finalement que très rarement un verdict quelconque de la part du journaliste. Certes, il est hardi de crier au génie, au banal ou à l’imposture immédiatement après une lecture souvent rapide. Il me semble tout de même que cette absence d’opinion est étrange. Alors, bon ou mauvais le livre ? Trop souvent, c’est le communiqué de presse qui ressort, l’intrigue qui est brossée, et les caractéristiques physiques spécifiées comme dans un magazine automobile. Pourquoi ? Parce qu’avouer ne pas apprécier une œuvre aussi ambitieuse serait s’exposer au ridicule ? Parce que crier au chef-d’œuvre serait tout simplement présomptueux ? Je pense plutôt que la critique se laisse dominer par une impression que tout se vaut, qu’il n’y a que des relatifs, qu’il n’y a pas de merdes infâmes ou de pépites, qu’un jugement n’est pas a priori meilleur qu’un autre. Il y a des livres dont on peut se contenter de dire « c’est vraiment très bien », d’autres pour lesquels se serait bien court. Ceux-là ne seront jamais traités de façon satisfaisante dans la presse : vous comprenez, il s’agit de ne pas imposer son avis au lecteur.

J’ai été également interpellé les propos de Hubert Prolongeau dans le Journal du dimanche. Il se demande si, en dépeignant ce salaud de Kohler, l’auteur n’irait pas jusqu’à la complaisance, la légitimation de propos indéfendables ? Non, dit-il, car le livre est aussi un formidable exercice de style. J’avoue ne rien comprendre à cet argument. Au contraire, ceux qui s’indigneraient d’une quelconque complaisance ne la fermeraient certainement pas si on leur disait « c’est du style, ma bonne dame ». La réponse fuserait : « mais c’est encore pire, c’est donc purement gratuit ! ».

Le prix du papier le plus bête et méchant revient à Christophe Mercier du Figaro littéraire. Lui, il prend position, mais pas vraiment envers le livre qu’il n’a pas apprécié. Ce qu’il n’aime pas ce sont les propos dithyrambiques de la critique américaine – sans doute tirées du dossier de presse, vu que la réception US fut tout sauf unanime. Le plus amusant ? Il décerne la « palme de l’enthousiasme naïf à un certain Steven Moore ». Il est vrai que celui-ci n’y va pas avec le dos de la cuillère, comparant « Le Tunnel » à Proust, Joyce et Musil. Mais visiblement, Mercier n’a pas fait ses devoirs, puisqu’il ignore que le dit Moore est un plus grands connaisseurs de la littérature US d’après-guerre. Ca ne légitime pas nécessairement son opinion, mais ça remet en perspective le « un certain » dont Mercier l’affuble. A la fin de son article, le critique dit que « l’intellectualisme excessif et abstrait prive le lecteur du plaisir qu’il est, avant tout, supposé éprouver à la lecture d’un roman ». Gageons que ce sera vrai pour pas mal de gens. Mais qui détermine le taux d’excessivité de l’intellectualisme ? Et qui dit où le plaisir doit se trouver ? Au moins ne puis-je lui reprocher de se prononcer clairement…

William H. Gass, Le Tunnel, Le Cherche-midi, 26€

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Sus aux blogs

En décembre dernier, j’évoquais la polémique opposant blogs et presse traditionelle aux Etats-Unis. Principalement le fait de journalistes de la presse écrite, ces accrochages se sont poursuivis depuis alors que je pensais qu’il s’agissait d’une distraction avant de passer à des choses plus pertinentes. On peut même dire qu’il y a intensification de ce conflit incompréhensible : bien que les bloggers soutiennent le NBCC dans sa campagne pour sauver les pages littérature en danger dans de plus en plus de journaux papiers, John Freeman, son président, multiplie les attaques idiotes envers la blogosphère littéraire – suivies de marches en arrière timides.

Dans mon billet de l’an passé, je disais qu’il me semblait impossible d’avoir pareille polémique dans l’espace francophone parce que les blogs littéraires ne sont ni assez bons en général ni assez lus. Je suggérais qu’on pourrait peut-être revoir la situation six mois plus tard. On y est, et force est de constater que s’il me semble y avoir plus de pages intéressantes, leur influence est encore bien trop faible pour que qui que ce soit ait envie de croiser le fer avec les bloggers. L’illettré Thibault m’a pourtant fait croire que ce moment était venu en signalant deux notes récentes de Assouline opposant la critique littéraire « classique » et ce qu’il appelle la critique citoyenne. Il s’avère en fait que l’écrivain germanopratin ne fait que commenter la polémique d’outre-Atlantique. Il prend des gants : le tout est assez inoffensif et ne donnera certainement pas lieu à un psychodrame online comparable au débat anglo-saxon. Il y a quand même quelques choses à dire sur son approche du thème.

Assouline n’aime pas la théorie qui voudrait que la blogosphère littéraire soit bien parce que plus démocratique. Mon Dieu, il a raison. Comme la critique établie, son pendant en ligne ne doit être jugée que sur ses « performances ». Le format ne saurait faire la légitimité que pour les idiots qui préfèrent soit l’alternatif, soit l’officiel, incapables qu’ils sont de juger au cas par cas selon des critères propres. Il est peut-être plus rassurant pour certains de savoir que François Busnel a lu et approuvé le papier d’un de ses collaborateurs, moi ça ne m’impressionne pas trop. Le journaliste évoque aussi indirectement l’argument selon lequel le succès des litblogs US aurait d’une certaine façon entraîné la réduction de l’espace papier consacré à la littérature. On a en effet entendu dire par les amis de John Freeman que cette espace gratuit faisait une sorte de concurrence déloyale aux médias traditionnel, entraînant une baisse de profit et, in fine, la fermeture du robinet à dollars. Il n’y a pas besoin, je pense, d’insister sur l’imbécillité de l’argument.

Assouline reprend ensuite les propos de Richard Schickel, critique à Time, qui abonde plus ou moins dans son sens dans les pages du Los Angeles Times. C’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité : il s’agit précisément d’un journal qui vient de refondre (lire couler) son supplément littéraire. Schickel dit des choses justes :

« Il ne suffit pas d’exprimer son opinion sur un blog, la véritable critique est bien autre chose ; elle n’est pas une activité démocratique ouverte à tous mais à des individus qualifiés pour leur goût, leur connaissance en histoire culturelle et leur jugement littéraire, leur faculté à situer un livre ou un film dans l’ensemble d’une oeuvre et à les contextualiser dans leur époque ; l’opinion est ce qui importe le moins s’agissant d’une critique ; il ne suffit pas d’écrire sur son blog qu’on a aimé ou détesté un livre pour être critique ; un critique digne de ce nom engage sa responsabilité chaque fois qu’il signe un article ; un paysage littéraire purement démocratique où tout un chacun se proclamerait critique ressemblerait à un désert sans critères ni cartes, sans même la moindre oasis d’intelligence »

Très bien. Mais en quoi cela concernerait-il spécifiquement les blogs ? Tout cela est vrai pour les médias traditionnels aussi. Je lis la presse et ne peut que constater que les pages livres sont remplies de textes pondus par des journalistes, pas par des critiques. Je préfère me concentrer sur les commentaires de quelques amateurs éclairés plutôt que sur ceux de journaleux qui auraient tout aussi bien pu causer chiens écrasés. Le comble du ridicule est atteint lorsque Schickel mentionne Sainte-Beuve, la figure idéale du critique, qui, selon lui, est vraiment très peu cité par ces incultes de bloggers. Mais que ne parierait-on que son nom est aussi peu mentionné dans les colonnes des médias « sérieux » ?

Ce débat est fatigant. Je crois les lecteurs assez intelligents pour faire le tri, séparer le bon grain de l’ivraie, aussi bien sur internet que dans la presse papier. La vérité est que les plumes de qualités sont aussi rares d’un côté comme de l’autre. La question à se poser, c’est pourquoi il n’y a de nouveaux Edmund Wilson nulle part plutôt que de se plaindre de ne pas en trouver en ligne. Tout ça ressemble plus à un réflexe corporatiste qu’à une véritable réflexion. J’ai surtout l’impression que le métier prend les gens pour des cons incapable de faire de bons choix sans le guidage bienveillant des professionnels. Qui a peur de la liberté d’expression ? A quand un permis de critiquer octroyé par un ministère de la propagande culturelle à qui aurait réussi l’examen – portant sur l’œuvre de Maurice Carême, évidemment ?

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Fresán y Pynchon

Rodrigo Fresán, il est partout! Deux mois après les pages du Believer avec un article sur Bolaño, voilà qu'on le retrouve dans celles de Página/12 pour évoquer le dernier Pynchon. Rien de bien révolutionnaire dans le papier, mais une lecture assez sympathique qui fait d'autant plus plaisir que c'est sans doute l'un des premiers textes à paraître en espagnol sur "Against the day".

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Jeunesse infraréaliste

Les articles de qualité sur Roberto Bolaño se suivent et ne se ressemblent pas aux Etats-Unis à l'occasion de la sortie des "Wild Detectives". Scott Esposito signale un papier paru dans The Nation qui est particulièrement digne d'intérêt. Bolaño in Mexico, écrit par la romancière et poète mexicaine Carmen Boullosa - par ailleurs amie de l'écrivain chilien- aborde les jeunes années de Bolaño dans le DF et jette une lumière moins fictionelle sur le milieu culturel que l'on retrouve au centre de "Amuleto" et des "Détectives sauvages". Lecture très simulante qui apporte un décalage avec l'impression laissée par le récit fictionnalisé de certains des événements décrits et une remise en perspective des plus bienvenues. On y découvre notamment un Bolaño de vingt ans bien plus politisé qu'il ne le laisse transparaître dans ses livres: il était alors un insupportable Trots' tendance 1793, comme pas mal de ses contemporains. On est heureux qu'il ait su transcender son radicalisme juvénile pour produire l'un des oeuvres les plus conséquentes du 20eme siècle (et du 21eme...).
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Je ne connais pas du tout le travail de Boullosa, un aimable lecteur se chargera-t-il de me faire savoir s'il vaut la peine de lire - et si oui, quels textes?

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Le meilleur du net littéraire?

Le Nouvel Observateur de cette semaine met à l’honneur sur trois pages le meilleur du net littéraire. J’ai le plaisir –et la surprise- de figurer dans la sélection, aux côtés de mon inestimable confrère Pugnax. Certains esprits chagrins ont souligné l’aspect peu aventureux de la liste – on y retrouve amazon ou Assouline- mais il ne faudrait pas perdre de vue qu’elle est publiée dans un hebdomadaire généraliste ne s’adressant donc pas qu’aux passionnés. Ce qui est évident pour nous ne l’est pas pour tout le monde. La raison principale de mon étonnement à y être cité vient d’ailleurs de ce côté « mainstream » de l’article. Je parle ici beaucoup -mais pas exclusivement- de littérature n’ayant pas été traduite ou de débats anglo-saxons sans échos de par chez nous : vu le nombre assez restreint de gens lisant réellement dans le texte, ça diminue fortement la quantité de lecteurs potentiels du blog, - que j’ai d’ailleurs vu qualifié de pointu : faut pas pousser, ce n’est pas de la critique de niveau universitaire. Le nombre de visiteurs a augmenté très, très fortement ces deux derniers jours et même si ça ne continuera pas à ce rythme, j’ose espérer que certains reviendront régulièrement. N’hésitez pas à laisser des commentaires ou à m’envoyer un petit mail, ça fait toujours plaisir.

Fini de parler de soi, j’ai deux, trois choses à dire sur le reste de la liste. En ce qui concerne les sites de vente en ligne, il faut absolument recommander un magasin qu’on oublie toujours et qui pourtant offre un service excellent pour ceux qui lisent en anglais. The Book Depository offre pratiquement toujours des prix inférieurs à Amazon.co.uk puisque il n’y a aucun frais de port à payer. Les livres sont envoyés chacun dans sa propre enveloppe, vous n’aurez donc jamais le malheur d’attendre votre commande trois mois par la faute d’un seul volume. Notons aussi que le site a son propre blog animé par Mark Thwaite, créateur de l’excellent ReadySteadyBook.

Dans les magazines littéraires, Didier Jacob cite The Believer et Bookforum, deux très bonnes adresses. The Believer est la revue de McSweeney’s, la maison d’édition fondée par Dave Eggers. J’aime beaucoup –et vous en reparlerai bientôt. Bookforum est plus classique et académique, mais reste absolument incontournable d’autant plus que la quasi-intégralité de l’édition de ce mois-ci est disponible gratuitement en ligne. Je m’en voudrais de ne pas ajouter à la sélection de Didier Jacob Words without borders ainsi que Open Letters, un nouveau venu très prometteur.

Dans le domaine des blogs, il y en a trop à citer. Pour ne pas faire de jaloux, disons simplement que tous ceux qui figurent dans mon blogroll méritent le détour.

Pour d’autres suggestions, allez sur les commentaires du blog de Didier Jacob qui a promis de mettre la liste à jour avec les meilleures propositions.

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La radio dans le Tunnel

A propos du livre :

"Le Tunnel" de William H. Gass, traduit de l’américain par Claro (Le Cherche Midi)

Avec:

Claro. Traducteur du Tunnel
Marc Chénetier. Traducteur, professeur à l’université Paris 7 (Etudes des Civilisations et Littératures langue anglaise)
Olivier Renault. Ecrivain, critique littéraire, dirige la revue "Le Trait" et la librairie "L’Arbre à lettres" (14 rue Boulard – 75014 Paris)
Pascal Arnaud. Dirige les éditions Quidam

Les mardi littéraires de Pascale Casanova, France Culture

Disponible en streaming pour une semaine

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Tunnel de presse

Comme vous le savez déjà, la traduction française du « Tunnel » de William H. Gass est enfin dans les librairies et partout dans les journaux. On peut dire que l’éditeur aura mis les petits plats dans les grands : pensez à une revue, un journal, un magazine et vous pouvez être certain que Gass y pointera le bout de sa blanche chevelure.

Je dois admettre une fascination malsaine pour le « Tunnel » ainsi que pour l’évènement exceptionnel qu’est cette parution française. Comme un addict du sexe se jette sur les revues pornos, je me précipite sur tous les articles concernant l’œuvre gassienne. A l’époque où j’avais livré ma petite analyse du roman, j’avais fait connaître ma curiosité quant à la réception de ce livre décidément à l’opposé du politiquement correct. Et jusqu’ici, je dois dire que mon inquiétude n’était pas fondée : c’est un éloge unanime qui s’abat sur cette publication. Petit tour d’horizon.

Fabrice Gabriel a beaucoup aimé « Le Tunnel », mais, que ce soit pour Les Inrocks ou pour France Inter, ses papiers sont parmi les moins intéressants. Comme de larges parties des articles de la presse culturelle en général, on a la nette impression que la moitié du texte est tombée du dossier de presse. Le reste est brodé autour d’un entretien avec Gass (deux citations…) et de liens avec un certain Jonathan Littell. Lorsque je craignais en novembre dernier la façon dont serait perçu Kohler, le narrateur, et les jeux de mots ou ritournelles sur l'holocauste, je dois admettre avoir eu en tête ces fameuses « Bienveillantes ». Je n’ai pas lu livre, mais suis resté absolument sidéré par la violence inouïe des attaques dont il a été la cible. On ne parlait plus de littérature : le problème était le fric et le côté abominable du personnage. Le style ou le peu de style de Littell devenait un élément périphérique, le roman se jugeait sur des considérations extra-littéraires. Le magazine pour lequel travaille Fabrice Gabriel est d’ailleurs l’un des principaux coupables dans ce naufrage absolu de la critique. En fait, la bonne réception du « Tunnel » vient apporter la preuve par l’absurde que les attaques contre le personnage de Littell n’étaient que le cache-sexe dissimulant le peu de vertu des critiques : c’est l’agent et le succès qu’ils n’aimaient pas.

Fausto avait dit « William H. Gass a creusé un tunnel à même le langage ». Dans Lire, André Clavel dit « Gass creuse un tunnel au cœur même du langage ». J’imagine que cette coïncidence n’est pas surprenante -après tout, le titre du livre invitait implicitement à utiliser ce type d’image. Au-delà de ça, l’article de Clavel –tout comme celui qu’il a écrit pour Le temps- est assez bon, à ceci près qu’il ne peut s’empêcher, comme pas mal d’autres journalistes d’ailleurs, de dire que les livres de Gass se comptent sur le doigt de la main. C’est vrai si l’on ne considère que la fiction, mais on aurait tort d’ignorer l’œuvre critique et philosophique de l’américain : neuf ouvrages superbement écrits et pensés. Ce pan là du travail de Gass n’a rien à envier à sa fiction. Et puis, qu’est-ce que cette cote de trois étoiles finalement octroyée au « Tunnel » ? « Aimé passionnément », ça veut dire. Comme 42% des autres livres chroniqués ce mois-ci. Seul Finkielkraut et son « Qu’est-ce que la France ? » reçoit les quatre étoiles du général Génial. O tempora ! O mores !

Restons deux secondes dans le domaine de l’incompréhensible : plutôt qu’à Gass, c’est à McInerney et à Beigbeder ( !!!!) que Transfuge accorde sa couverture. Ne faisons pas la fine bouche : il y a quatre pages d’un entretien fort intéressant (contre douze pour les toxic twins transatlantique, tout de même). On retiendra plus particulièrement deux passages : « « Le Tunnel » est un tunnel et la métaphore entraîne trois choses. Le tunnel, c’est à la fois ce qu’on enlève, la saleté, les décombres, puis le trou, le néant qui se crée comme cela, et c’est la structure, tout ce qu’on est obligé de se construire autour pour qu’il tienne » ainsi que « Le but de l’écriture est de définir, de représenter une position esthétique, ce qui ne veut pas dire qu’on l’approuve sur le plan moral, bien au contraire ». En matière d’interview, on lira aussi celui du Nouvel Obs’ avant de se jeter sur la version non-éditée sur le blog de Didier Jacob : le contraste est saisissant. D’une gentillette conversation à lire dans le métro, on passe à une discussion beaucoup plus longue et riche. Ah, si la presse laissait plus de place aux choses essentielles !

Enfin, venons au meilleur de cette couverture presse : les deux pages du cahier livre de Libération. Il y’a d’abord l’interview. Plus court que les autres, il leur est infiniment supérieur : Eric Loret a réussi – comment, je ne le sais pas- a faire dire à Gass plus de choses en moins de mots, à le faire aller au fond des thèmes abordés dans les autres entretiens et en plus à l’entraîner sur des chemins pas encore parcourus. Chapeau ! Et ça continue dans la critique, puisque Loret y glisse une approche du « Tunnel » que je n’avais encore jamais lue nulle part et qui pourtant me semble maintenant presque évidente : tous les personnages seraient des prédicats de Kohler, et on peut se demander s’ils existent vraiment ou s’ils ne sont que des alter-egos, des alibis d’un narrateur les inventant pour que leurs propres caractères odieux le fassent paraître lui un peu moins horrible. On finit avec un hommage au traducteur, dont la tâche n'a vraiemnt pas été facile. Merci à Claro d'avoir su voir la lumière au bout du tunnel et tant voulu la montrer aux francophones.

William H. Gass, Le Tunnel, Le Cherche-midi, 26€

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Théâtre macabre

Je lisais cet après-midi et avec un peu de retard le papier de Raphaëlle Leyris pour Les Inrocks sur « Le peintre des batailles » de Arturo Pérez-Reverte, l’histoire d’un ancien photographe de guerre en Bosnie confronté à un homme dont il a fait un portrait qui a ruiné sa vie. Selon Leyris, il s’agit d’une réflexion sur le rapport entre spectateur et images de guerre, sur le sens de ces images et, enfin, sur la nécessité de l’engagement et de la compassion.

Visiblement, on ne connaît pas en France l’histoire qui circule en Espagne sur l’activité journalistique de Pérez-Reverte en Croatie et en Bosnie – car, on l’aura compris, il doit y avoir beaucoup de l’auteur dans son personnage. Je ne me rappelle plus des détails précis de l’anecdote, je ne me souviens plus de lieux et des circonstances exactes, mais c’est finalement pas le plus important – sauf à vouloir déterminer sa véracité. Donc notre espagnol arrive avec son photographe dans une petite ville touchée par le malheur, où les soldats de l’ONU viennent de ramasser et de transporter dans un frigo les innombrables cadavres trouvés après un massacre de plus. Pérez-Reverte n’est vraiment pas content de débarquer après le nettoyage et à la perspective d’un reportage sans images croustillantes. A tous problèmes, des solutions : il demande, il exige, il obtient qu’on sorte quelques corps de la morgue et qu’on les retape dans la rue afin de pouvoir prendre quelques images. Macabre mise en scène absolument nécessaire pour informer. Ou pour vendre ? Envie de vomir…

On voit donc que la question centrale de ce livre n’est pas celle du rapport entre spectateur et images violentes, non, la question concerne en fait directement l’auteur : est-il, une dizaine d’années après, redevenu humain ou reste-t-il une bête sans pudeur, sans honte, disposée à arriver à ses fins coûte que coûte ?

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Service de presse

Les amateurs avisés savent qu'il y a quelques librairies de seconde main bruxelloises qui reçoivent chaque vendredi après-midi, et parfois par caisses entières, les rebuts du service de presse. Voilà donc que débarquent des livres à peine voire pas du tout ouverts, et encore moins lus. Voilà peut-être aussi comment certains journalistes arrondissent leurs fins de mois. Voilà enfin comment il est possible de trouver un livre tout juste sorti ou même pas encore chez les libraires à un prix défiant toute concurrence.

Il serait malvenu de critiquer cette pratique qui m'a permis d'acquérir plus d'un roman tout en faisant d'énormes économies. Je trouve cependant que certaines personnes manquent vraiment de délicatesse. Ainsi, ce matin même, je suis tombé sur "Le dernier monde" de Céline Minard. Visiblement, l'exemplaire n'a même pas été lu et il est d'ailleurs toujours orné de son bandeau. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, une fois rentré chez moi, qu'il s'agissait en fait d'un exemplaire signé par l'auteur et dédicacé à un certain M.B., chroniqueur bien connu, présent dans la presse écrite et à la radio. Lorsque que Minard rendait ce "cordial hommage", gageons qu'elle ne savait pas quel sort l'attendait.

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