Roberto Bolaño, un grand

Il y a toujours quelque chose d’excitant à être parmi les premiers lecteurs d’un grand écrivain. Pareillement, il est très frustrant d’en découvrir un après sa mort. Cela ne s’applique bien sûr pas à celui qui découvre Flaubert aujourd’hui. Par contre, se plonger, médusé, dans l’œuvre d’un géant d’une cinquantaine d’années seulement puis se rendre compte qu’il est mort trois ans avant, ça fait aussi mal que de rentrer chez soi et découvrir sa femme au lit avec un autre. C’est le malheur qui attend pas mal de lecteurs de Roberto Bolaño.

A une époque où je n’avais que le vague désir de lire une œuvre de l’écrivain chilien, on m’avait fait part de l’opinion d’un inconnu : « Bolaño, c'est pas ça ». Je n’ai jamais su qui au juste pouvait bien être ce type. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un âne doté de la sensibilité littéraire d'une mouche écrasée sur le pare-brise d'une voiture en mouvement un soir d'été sur l'autoroute Grenade-Malaga. On peut ne pas apprécier ses écrits, mais il ne faut pas beaucoup de cervelle pour se rendre compte que l'on avait là un écrivain de tout premier ordre.

Février de cette année a enfin vu la parution française d’une œuvre monumentale publiée en 1998. « Les détectives sauvages », c’est en fait trois livres en un seul. Tous racontent une partie différente de l’histoire d’Arturo Belano –alter ego de l'auteur- et d'un de ses amis, Ulises Lima, jeunes poètes au Mexique, fin 60, début 70, dans un style chaque fois radicalement autre.

La première partie se présente sous forme du journal d’un jeune type un peu niais qui rencontre Belano et les gens du groupe poétique avant-gardiste dont il fait partie. Le principal fait narratif est la vie du garçon qui écrit son éveil à la fois littéraire, sexuel et sentimental –mais aussi la part fantasmée, inventée de celui-ci. Arturo et Ulises ne sont que des figures périphériques –disons qu’elles tournent un peu autour du narrateur, attendant de pouvoir faire leur le texte. Ces deux cent premières pages pourront peut-être faire penser au premier roman typique d'un jeune auteur qui ne peut s'empêcher d'écrire une sorte de récit autobiographique. On en est pourtant loin, tant cela s’avère être une plongée fascinante dans l’esprit d’une certaine jeunesse mexicaine. Et puis on peut toujours compter sur Bolaño pour faire rentrer l’absurde dans sa composition. Un vrai plaisir de lecture, et ce n'est qu'un début…

La seconde partie est meilleure encore. La rupture est franche: plus de journal, mais une suite de témoignages « recueillis » sur presque 30 ans par un enquêteur fantôme auprès de gens ayant connus Belano et Lima au Mexique, mais aussi lors de leurs pérégrinations solitaires en Espagne, à Barcelone, Paris, Tel Aviv, en Provence, en Californie. Ils deviennent ici les figures centrales, bien qu’on y parle aussi beaucoup de certains de leurs amis. C'est extrêmement fort, très bien construit, toujours surprenant, et ça donne l'impression que les personnages sur lesquelles l'enquête est menée ont quelque chose de mythique, de légendaire. On pense à « A la recherche de Salinger », s’il y avait eu autre chose à écrire qu’une description d’un mur d’enceinte et du grillage.

Cette enquête discrédite un peu le journal du premier chapitre : on n'évoque jamais son rédacteur, sauf lorsqu'un des personnages interviewé met en doute son existence même. Et justement, la dernière partie, c'est la fin du journal. Cette fois, l’auteur relate son voyage en compagnie de Belano et Lima, au le fin fond du Mexique, à la recherche d'une poétesse fondatrice d'un groupe d'avant-garde dans les années '20. Une sorte de road-novel policier, une aventure de Sam Spade s’il était bigleux, diabétique et mexicain.

L’ensemble forme un grand livre, hétéroclite, mais très cohérent. Ca rappelle Cortazar ou Kerouac, mais c’est surtout incroyablement personnel, individuel, l’œuvre d’un écrivain de l’absurde, du déracinement, de l’inadéquation. Et malheureusement, ce grand écrivain nous a abandonné en 2003.

Dans notre malheur, nous pouvons tout de même remercier, pour une fois, les délais de traduction, puisqu’il y a encore un nouveau Bolaño qui nous attend : « 2066 », son dernier roman, paraîtra l’année prochaine. Après, il ne nous reste qu’à relire encore et encore cette œuvre époustouflante.

Roberto Bolaño, Les détectives sauvages, Christian Bourgois, 28€

 

5 commentaires:

  1. Anonyme said,

    Puisque tu nous parles de ce roman, je te conseille vivement de lire "Amuleto" Ce livre prolonge le chapitre de la poète uruguayenne qui s'enferme dans les toilettes de l'UNAM pour échapper à la police. Il y a d'autres traductions de Bolano en français. J'ai beauoup aimé "Etoile lointaine", par exemple.


    david

    on 3:34 PM


  2. Je compte bien les lire tous ;). "Etoile distante" est en effet excellent, mais la nouvelle originelle - parue dans Littérature nazie en Amérique- est encore meilleure.

    on 7:16 PM


  3. Anonyme said,

    La piste de glace (ou de manière plus radicale Anvers) donne aussi un autre point de vue de l'histoire dans le camping près de Barcelone, dans les Détectives Sauvages. Certainement très autobiographique.
    Par ailleurs, dans les Soldats de Salamine de Javier Cercas, on retrouve Bolaño en personnage. Je ne me souviens plus très bien, mais il me semble que ce que fait dire Cercas à Bolaño éclaire aussi un des récits des Détectives.
    Vivement l'année prochaine pour "2666", qui d'après la critique hispanophone est le point culminent du monument Bolaño.

    Quel regret de ne pouvoir en lire plus.

    on 10:07 AM


  4. Anonyme said,

    Vivement cette traduction de 2666! Pour ma part c'est Anvers qui m'a le plus marqué : énigmatique, inépuisable et puis merde à la millième lecture c'est encore beau comme tout, que dire de plus? Merci en tout cas, fait du bien d'entendre parler de Bolaño de temps en temps...

    on 9:24 PM


  5. Anonyme said,

    Depuis quelques temps je fouine dans les articles du Fric-Frac Club et des "chums" du FFC, alors, forcément je suis tombé sur Roberto Bolaño, je me suis donc mis à lire Les détectives sauvages, que je viens de finir cet après-midi, d'ailleurs je vais chercher 2666 demain.
    Bref, j'espère ne pas trop vous embêter mais j'ai une question, ou peut-être deux :
    - que "signifient" d'après vous les carrés/fenêtres de la fin du journal de Madero ?
    - et pourquoi le soi-disant spécialiste des réal-viscéralistes (Gajales) prétend/affirme ne pas avoir connaissance de Garcia Madero ?

    Merci d'avance !

    on 10:00 PM


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