Deux pour la route

A la fin des années ’90, c’est une véritable frénésie littéraire que connaît Roberto Bolaño. A peine l’encre des « Détectives sauvages » séchée et la page 1998 tournée, qu’il publie deux autres romans : « Amuleto » et « Monsieur Pain ». Sans atteindre les sommets de son précédent chef-d’œuvre, ces deux livres ont de quoi apaiser l’amateur boulimique et attirer le néophyte.

« Amuleto » commence comme quelques feuillets tombés des « Détectives sauvages » et réimprimés par erreur, pour ensuite se terminer en brillante et terrifiante coda à cette œuvre énorme. Il y avait donc dans les pages des détectives une certaine Auxilio, « mère de la poésie mexicaine », de vingt ans plus âgée que ses amis poètes – parmi lesquels, bien sûr, Arturo Belano- et dont le principal fait d’arme est d’être restée enfermée treize jours dans les toilettes de la faculté de philosophie à la suite de la razzia militaire sur l’Université autonome du Mexique. Ca lui vaut un statut d’héroïne, puisqu’elle a ainsi occupé les lieux au nez et à la barbe des militaires. C’est précisément pendant ces treize jours que se déroulent « Amuleto ». Presque.

Sans nourriture autre que le papier toilette et compagnie qu’un médiocre livre de poésie, Auxilio délire ou est clairvoyante, c’est selon : elle raconte un passé qui n’a pas eu lieu et prédit un futur qui sera sans doute. Bolaño livre à travers les histoires d’Auxilio un requiem à la génération d’artistes qu’il a connue au Mexique à l’orée des années ’70, à ces jeunes sûrs d’eux mais aux croyances et credo instables. C’est la messe funèbre qui manquait à la fin des « Détectives sauvages », et même si c’est triste, c’est aussi joyeux et beau et touchant. On ne les a pas connus, et pourtant on a envie d’intégrer le cortège funèbre.

Le deuxième titre date de années ’80 mais ne sera publié qu’en 1999. En 1938, Pierre Pain, disciple de Mesmer et vétéran de 14-18, est appelé au chevet du poète péruvien César Vallejo, en train de mourir d’une maladie mystérieuse. Il pense pouvoir le guérir, mais les médecins semblent prêts à mettre des bâtons dans les roues du « charlatan ». Et puis, il y a la présence de deux espagnols mystérieux, préfigurant les Oido et Odeim de « Nocturno de Chile », qui lui offrent de l’argent afin qu’il abandonne le cas Vallejo. Franquistes ? Docteurs ? Parents ? Pain n’en saura jamais rien, mais les deux hommes, enveloppés dans leurs sombres imperméables, font connaître la peur à l’hypnotiseur et le plongent dans une tourmente mentale, une inexplicable dépression qui le remettra sur la route d’étranges figures de son passé.

« Monsieur Pain » a été écrit peu après « Anvers » et partage avec cette œuvre un côté roman policier sans solution. A la différence de la courte explosion fragmentaire de ce premier roman, l’histoire de Pierre Pain est plus mature, plus composée, et surtout la rage et la colère font place à une noirceur désespérée que l’on voit plus dans un écrivain affichant une cinquantaine désabusée que chez un jeune homme de 29 ans.

Roberto Bolaño, Amuleto, Les allusifs, 15€
Roberto Bolaño, Monsieur Pain, Les allusifs, 15€

 

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