Une enfance libyenne

On dit souvent que le premier roman est toujours autobiographique. Ce cortège interminable d’éveil à la sexualité, de sortie de l’adolescence, le tout rendu dans une prose mal assurée et une syntaxe peu maîtrisée est vite lassant. Bien qu’ils fascinent – il y a un véritable marché « premier roman »- il est extrêmement rare d’en trouver un qui sorte véritablement du lot.

Hisham Matar a un avantage sur ses concurrents au titre de meilleur premier roman de l’année : il n’a pas grandi dans une milieu bourgeois ou dans une famille déchirée par les difficultés sociales. Non, il a passé son enfance en Libye, sous Khadafi. Là, déjà, on sent le petit frisson d’intérêt, l’espoir de lire quelque chose d’original.

Matar est né en 1970 à New York, d’un père diplomate. Il passe son enfance à Tripoli avant de connaître l’exil au Caire en 1979. Alors qu’il étudie au Royaume-Uni en 1990, un commando libyen se rend en Egypte, y enlève son père et le ramène au pays. A ce jour, sa famille est toujours sans nouvelle.

Cette histoire personnelle chargée informe bien sûr « In the country of men ». Matar ne s’est cependant pas contenté de réécrire sa propre aventure. Suleiman, neuf ans, vit dans la capitale libyenne entre un père homme d’affaire toujours en déplacement et une mère malade lors des absences de son mari. Gamin relativement solitaire, il a un seul véritable ami, Kareem. Ustath Rashid, le père de celui-ci est arrêté un beau matin par la police secrète du régime. A peu près au même moment, Suleiman reconnaît son propre père entrant dans un bâtiment du centre de Tripoli, alors qu’il devrait être à l’étranger. Sympathisant d’un mouvement démocratique, il est en fait partie prenante dans un « complot » visant à rendre la liberté à ses compatriotes. Son fils ne saisit pas bien les dangers que cela implique et se retrouve confronté à un mère s’enfonçant de plus en plus dans la dépression.

C’est un livre dur : Suleiman est plongé dans des événements qu’il ne contrôle pas, il est manipulé par les services de sécurités, assiste à des scènes horribles et se retrouve perdu devant la détresse de sa mère et la ruine de son père.

Finalement, le livre ne dit pas grand-chose sur le régime de Khadafi. Les exécutions, les séances de torture, le harcèlement moral que Matar décrit est applicable à l’ensemble des régimes dictatoriaux. Tout l’intérêt vient du fait que le narrateur à tout vu à travers les yeux de l’enfance, tout en n’étant pas représenté comme l’innocence pervertie. Au contraire, chez lui aussi on peut détecter les traces de cruauté, la méchanceté, la capacité et parfois la volonté de faire souffrir.

Matar donne l’impression d’hésiter entre un récit de sortie de l’enfance et une histoire politique. L’amalgame entre ces deux éléments n’est pas toujours réussi. On sent l’ombre de Mario Vargas Llosa sur ce roman, mais l’on a clairement affaire à un auteur débutant, ne maîtrisant pas encore totalement ses capacités d’écriture. Preuve en sont les dernière pages, certes touchantes, mais mal intégrées à l’histoire, stylistiquement bâclées.

Ceci dit, « In the country of men » est un livre original, émouvant, fort. S’il arrive à une plus grande cohérence dans la narration et à une meilleure maîtrise stylistique, alors Hisham Matar devrait être capable d’offrir à ses lecteurs de nombreux ouvrages de grande qualité.

Hisham Matar, In the country of men, Viking, £12.99

 

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