La maison Russie

Un vieil homme de 86 ans se rend en Russie, son pays natal, en septembre 2004 et y entame son dernier voyage. Dans une longue lettre à sa fille, il raconte les zones d’ombres de sa vie. « House of meetings » est le onzième roman de Martin Amis, et il est très différent de ce à quoi il nous a habitué.

Ces dernières années, Amis est devenu, pour des raisons plutôt mauvaises, la cible préférée de certains médias de son pays. « Yellow Dog », son précédent roman, a été injustement massacré et ses prises de positions sur l’Islam, tout à fait manichéennes, ne l’ont pas aidé à se refaire une image. A n’en pas douter, de nombreux journalistes aiguisent la hache qui leur tient lieu de plume depuis l’annonce de la parution de son nouvel ouvrage. J’ose espérer qu’ils seront assez intelligents pour se rendre compte qu’ils feraient mieux de s’abstenir.

« House of meetings » peut sans doute être vu comme une coda sous forme de fiction à « Koba the dread », l’essai sur Staline et l’indulgence des intellectuels occidentaux envers l’URSS, paru en 2002. En effet, le personnage d’Amis est un héros de la seconde guerre mondiale, envoyé au goulag pour déviation fasciste, ce crime dont on n’a jamais bien su ce qu’il recouvrait. L’auteur met à profit les nombreuses heures de recherche effectuées à l’époque et parsème son œuvre de chiffres ou d’anecdotes authentiques et révélatrices.

Après quelques mois en captivité, le narrateur voit arrivé parmi les nouveaux « fascistes » son demi-frère Lev. Fragile et idéaliste, il refuse de se battre pour sa survie – alors que la violence et l’immoralité est indispensable pour se sortir plus ou moins entier de ces années de privations, de froid et de mauvais traitements. Le goulag est un processus continu de bestialisation de l’être humain. L’ancien héros de guerre n’a, lui, aucun scrupule à user de la violence pour protéger Lev et pour s’en sortir lui-même. Pourtant, il y a de l’animosité entre les deux hommes : Lev s’est marié avec Zoya, l’amour inaccessible de son frère. Ainsi se forme un triangle amoureux qui s’érigera toujours en obstacle sur la route hors de la servitude.

Sortis du goulag, ils vont suivre des chemins séparés. Le narrateur reconstruit sa vie en restant aussi immoral qu’il ne l’était lorsqu’il violait les femmes allemandes en 1945. Pas nécessairement de violence, mais une absence totale de questionnement éthique. Après un acte particulièrement méprisable, il s’établit aux Etats-Unis et fonde une famille, gardant le secret sur son passé. Lev, quant à lui, est brisé et ne se remettra jamais vraiment de ses années d’esclavage.

S’il s’agit peut-être du premier roman non russe à s’intéresser à l’expérience concentrationnaire soviétique, et si Amis n’est pas avare en détails, chiffres, anecdotes authentiques et en longues descriptions de la décrépitude morale dans laquelle les esclaves du camarade Staline sont plongés, il serait faux de croire qu’il s’agit là de l’unique thème du livre.

Au-delà du goulag, il s’agit d’un portrait de la Russie, pays trop grand, Etat trop artificiel pour être maintenu autrement que par la violence. C’était vrai au dix-neuvième siècle, ça l’était bien sûr sous l’URSS, et c’est toujours le cas de nos jours. Le narrateur revient dans son pays au moment de la prise en otage de centaines d’enfants par des tchétchènes en Ossétie du nord. Ca finira évidemment en bain de sang, et le récit de cette boucherie revient constamment en toile de fond. Le portrait dessiné par Amis est sombre, sans espoir.

« House of meetings » pourrait, de prime abord, paraître trop glauque. C’est une erreur. Il est certain qu’il s’agit d’un livre dur, mais il ne se complait pas dans la cruauté. De plus, l’histoire est illuminée par une prose absolument fabuleuse. On sait qu’Amis est un grand écrivain, mais, cette fois-ci, il abandonne l’alternance du « high brow » et du « low brow » pour se concentrer sur l’élégance des phrases, sur la beauté de la langue. On ressent l’influence nabokovienne.

Ce roman ne réconciliera certainement pas Martin Amis et l’intelligentsia de gauche anglaise. Ca devrait être le moindre de nos soucis. Il est nettement plus intéressant de se demander ce que ce livre implique pour les futures productions de l’auteur. Est-ce qu’il inaugure ici un nouveau chapitre de sa carrière ? Si « House of meetings » est une bonne indication de ce qui nous attend, ça s’annonce palpitant.

Martin Amis, The house of meetings, Jonathan Cape, £15.99

 

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