NBA 2006: Kalfus - A disorder peculiar to this country

L’idée était pourtant bonne. Le 11 septembre 2001, Joyce s’en va prendre l’avion 93 de United Airlines, direction Los Angeles. Son mari Marshall travaille bien haut dans le World Trade Center. Elle manque son avion, il arrive en retard. Lorsque la nouvelle des attaques commence à se répandre, une joie naît en chacun d’eux. Le vol 93 s’est écrasé quelque part dans le Connecticut. Les tours se sont effondrées. C’est la fin des ennuis : l’être détesté est mort ! Eh oui, cet homme et cette femme sont en pleine procédure de divorce, et ça se passe mal.

Le lendemain, il faut faire le deuil de ses espoirs et recommencer la lutte de l’un contre l’autre. On aurait pu croire que cette expérience qui les avait fait voir la mort en face allait les rapprocher un tant soit peu. Il n’en est rien. Dans l’échiquier post 9/11, Joyce est le monde arabe et Marshall les USA, car, bien sûr, il ne s’agit pas seulement d’un livre d’humour noir sur un couple, mais aussi d’une métaphore de la situation américaine actuelle. Et c’est là que ça déraille.

« A disorder peculiar to this country » est le deuxième roman de Ken Kalfus, qui est également l’auteur de deux recueils de nouvelles. A 52 ans, on le décrit souvent comme un grand voyageur : mari d’une journaliste, il a vécu en Yougoslavie, France, Irlande et surtout en Russie où il a situé la plupart de ses fictions. De retour aux Etats-Unis, il a décidé d’y planter le décor de son dernier texte.

La première moitié est plutôt bonne. Le style est vif et on est en pleine comédie noire : Joyce est persuadée que c’est Marshall qui a envoyé une enveloppe soi-disant remplie d’anthrax à son lieu de travail et le dénonce au FBI, il se procure de la dynamite pour se faire sauter dans la cuisine, et ainsi de suite. On a évidemment aussi droit aux grands classiques du divorce : les avocats copains comme cochons qui font traîner le machin et encaissent le pognon, l’instrumentalisation des enfants ou encore les disputes pour garder des objets qu’on aime de toute façon pas. La séparation est rendue encore plus difficile par le contentieux sur le luxueux appartement familial situé en plein cœur de New York : chacun le veut, et pour ne pas être accusés d’abandonner le domicile, Marshall et Joyce sont contraints de continuer à vivre ensemble jusqu’au jugement.

Les problèmes arrivent dans la deuxième partie. Là, Kalfus souligne à traits de plus en plus gros le parallèle entre la situation du couple en instance de séparation et entre les USA et les musulmans. Pas subtil pour un sou, l’auteur offre des scènes plus embarrassantes et grotesques les unes que les autres avant d’arriver à un final sous forme de politique-fiction absolument pitoyable.

Kalfus est particulièrement à son aise lorsqu’il donne dans la psychologie du divorce, mais dès qu’il s’aventure ailleurs, ça foire. « A disorder peculiar to this country » est une superbe leçon : comment trouver une excellente idée de comédie noire, comment la foirer en tentant de lui donner une résonance plus profonde et comment aliéner son lecteur en écrivant la conclusion la plus ridicule qu’il m’ait été donné de lire. Un cas d’école.

Ken Kalfus, A disorder peculiar to this country, Ecco, $24.95
Traduction française sous le titre “Un désordre américan” chez Plon

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Cet article est le troisième d'une série de cinq consacrée aux finalistes du National Book Award 2006. Le premier et le deuxième sont déjà en ligne. Le prochain suivra la semaine prochaine.


 

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