NBA 2007: Fausto - Litanie de retards

C’est la faute à pas de bol. Le 4 septembre sortait aux Etats-Unis « Tree of Smoke » de Denis Johnson. Très impatient de le lire, j’ai d’abord vérifié que les libraires bruxellois ne l’avaient pas reçu : non, ils attendaient l’édition anglaise. Le 11 septembre, je passe commande sur amazon US. Le 13 septembre, le paquet est envoyé. Un autre paquet, envoyé le jour avant, est reçu une semaine plus tard. Un troisième, commandé un mois plus tard est aussi reçu. Pas de Denis Johnson. Le 2 novembre, je prends contact avec amazon. Le paquet est perdu. Ils me proposent de me le renvoyer « courant de la semaine prochaine ». Avant de répondre, je vais d’abord voir si les libraires locaux l’ont. Non. Mais mon fournisseur UK, oui. Et il l’envoie en 24 heures. C’est donc chez lui que je passe ma deuxième commande. Vendredi 9, toujours rien. On s’excuse : on n’a plus le titre en stock – en fait, je pense que la version britonne n’est pas sortie- et me rembourse la commande. Que faire ? Dans les bookshops de BXL, que dalle. Il me reste donc amazon France. Troisième commande, titre envoyé hier. J’espère l’avoir demain, mais la poste bruxelloise est partiellement en grève. C’est une malédiction. Tout ça pour dire une chose : le National Book Award, c’est pour demain (enfin, pour la nuit de mercredi à jeudi serait plus exact), et il y a un des finalistes que je n’ai pas lu. Catastrophe, c’est celui que j’attendais le plus. J’espère pouvoir vous en parler d’ici peu, mais j’aurais aimé le faire ce soir.

Bref rappel des nominés, dans mon ordre de préférence :

Peu de choses séparent les deux premiers, mais il y a un gouffre entre eux et les deux autres titres. Le Denis Johnson pourrait se trouver n’importe où dans la liste, mais si je me base sur ce qu’en a dit l’ami odot (il faut lire son papier), on a le vainqueur.

Meanwhile, ne pouvant passer mon week-end sur « Tree of smoke », j’ai mis en ligne mon premier texte substantiel pour auto-fission. Son intérêt littéraire est sans doute assez réduit mais il relate ce qui, in fine, m’aura sans doute fait prendre conscience qu’on pouvait aimer un livre au point d’en avoir une copie dans presque toutes les éditions publiées à ce jour.

Jeudi, si tout va bien, je vous parlerai ici même de John Barth. Ceux qui suivent devraient pouvoir deviner duquel il s’agit.

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January 31, 1923 - November 7, 2007

Il serait facile de ne se souvenir que d'un épouvantable dernier roman, il serait facile de ne se souvenir que de sa grande gueule, il serait facile de ne se souvenir que de ses bagarres, de ses prétentions, de ses échecs. Il serait facile de ne voir qu'en lui une incongruité, un souvenir d'une ère heureusement révolue. On peut discuter en long et en large de ces points, mais Norman Mailer ne saurait se résumer à ça. Il n'aura jamais été le grand écrivain américain du siècle qu’il était certain de représenter, il ne fera certainement pas partie de ma galaxie d'incontournables, mais il m'est insupportable de laisser passer sa mort comme on laisserait passer une autre.

Comme l'Amérique littéraire – une cinquantaine d'années plus tard quand même- j'ai découvert Mailer avec « The Naked and the Dead », sans doute pas le meilleur livre sur ou autour de la seconde guerre mondiale mais incontestablement une pièce maîtresse la littérature d'après-guerre. A l'époque se tramait déjà le conflit pour succéder à Hemingway et Mailer prenait ici une putain d'option avec ce récit mystificateur, auto-mythologique , ce fantasme de gloriole galonnée et de mort au champ d'honneur qui, d'une certaine façon, orientera le parcours d'un homme qui n'aura de cesse de se retrouver au premier rang, quitte à prendre des coups : il était toujours prêt à en rendre.

Je me souviens aussi de son troisième roman –le second, je préfère l'oublier-, le méconnu, diffamé et pourtant magistral « Deer Park », sensationnelle histoire de l'Amérique de McCarthy, de la naissance de la révolution sexuelle et des difficultés de l'auteur à s'intégrer dans le monde hollywoodien. Mailer, à l'heure de se mettre à travailler sur ce roman, oublia d'écrire avec sa pine et de barbouiller la page blanche de sa semence, (tendance lourde chez lui qui le poussa malheureusement à commettre «American Dream », épouvantable roman noir au freudisme à deux balle à travers duquel il tentait d'exorciser le coup de poignard qu'un soir il asséna à sa femme) et concentra véritablement ses talents dans la composition d’une œuvre subtile et polysémique.

On se souviendra aussi de « Why are we in Vietnam? », espèce de coup de poing dans la gueule où l'on aborde jamais directement la guerre tout en y apprenant les raisons profondes qui poussent l'Amérique à guerroyer aux quatre coins du monde – ni pétrole, ni communisme : une féroce partie de chasse quelque part en Alaska. Et puis ses putains d'armées de la nuit, et le chant du bourreau, le chant du bourreau ! De ce demi-siècle US le plus commenté, le plus important, il aura tout vécu, tout connu, tout dit, tout jugé, emballé , pesé. La mort de Mailer, c'est la fin d'une époque. Mort Styron, mort Bellow, mort Gaddis, il ne reste que Vidal, et franchement, on préférait Norman.

Au fil des années, Mailer avait perdu de sa pertinence et de son pouvoir de fascination, ses livres étaient accueillis avec plus de moquerie que d'intérêt véritable –surtout si on exclut de ce « véritable » tout ce qui a trait aux frasques et à la vie privée publicisée. Pourtant, en 1984, poussé par de sombres motifs financiers, il publie « Tough guys don't dance » roman qui sera jugé mineur mais que j'adore. Peut-être parce qu'en l'écrivant il pense plus à ses factures qu'à sa gloire, Mailer se laisse aller dans un espèce de monument comique, sorte de « Already dead » mouillé sauce côté Est, un machin dont la version ciné aurait dû être signée par les frères Coen. Et puis, une fois n'est pas coutume, un titre magistral qui est devenu un de mes leitmotivs. Rien que pour ça, je pleurerais Mailer.

Il n'a jamais succédé à Hemingway, il n'était pas un des grands postmodernes, mais il aura pris, j'en suis certain, une place spéciale chez tous les amants des lettres US et la tristesse que je ressens me surprend. Finalement, le bilan de l'œuvre de Mailer est celui d'un échec, mais il n’y a rien de plus émouvant que ça. So long, Norman !


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Mort d'un héros américain


Il aura bien vécu, il nous manquera quand même. Requiescat in pace !

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NBA 2007: Berlinski - Fieldwork

Mischa Berlinski, jeune journaliste indépendant en Thaïlande, apprend par l’entremise d’un ami l’histoire de Martiya, anthropologue hollandaise, morte en prison où elle était enfermée depuis une quinzaine d’année pour le meurtre d’un pasteur. Intrigué par cette histoire, Mischa y voit un possible article et se met à enquêter.

« Fieldwork » est le récit d’une double passion. Celle de Martiya pour les Dyalo, la population qu’elle a décidé d’observer, et celle de Berlinski pour l’histoire de Martiya qui l’amène à pratiquement changer de vie. A première vue, ce n’est pas bien original. Rassurez-vous, à seconde vue non plus. Pourtant, il y a quand même quelques éléments qui permettent au livre de ne pas être la « snorefest » annoncée. Il y a trois choses que l’auteur fait (vraiment) bien. L’aspect anthropologique est remarquable, d’autant plus lorsqu’on se rend compte que ce qui semblait une peuplade réellement existante est en fait complètement imaginée. Le côté vivant et parfois fascinant de la description de leurs coutumes est d’autant plus frappant. Berlinski s’attarde aussi longuement sur le monde des pasteurs protestants venu évangéliser l’Asie. Encore une fois, c’est très bien fait. La présentation est convaincante, laisse transparaître une attirance assez légitime pour le sujet, sans tomber ni dans l’apologie ni dans la critique gratuite de ces gens. Le troisième élément vaut surtout par son absence : Berlinski ne développe ni le mythe du bon sauvage, ni celui du caractère essentiel de l’œuvre civilisatrice des missionnaires. Fort bien, mais toutes ces qualités s’apparente au travail d’un bon journaliste. Il faut bien se rendre compte que ce n’est rendu possible que par de longues lectures des littératures des domaines concernés, leur bonne digestion et leur réutilisation harmonieuse. Et le travail propre du romancier ? Eh bien, c’est là que Berlinski se plante.

Il y a au cœur de « Fieldwork » la promesse de la résolution d’un mystère. Pourquoi une anthropologue a tué un missionnaire ? Avant même l’entame du livre, j’avais une réponse. Heureusement, elle était fausse et j’ai donc eu une agréable surprise dans les dernières pages. Maigre récompense : finalement, ce mystère du meurtre, on n’y accroche pas. Berlinski a beau essayer, ça ne marche pas. On s’en fiche. De même, il s’avère incapable de faire comprendre au lecteur la fascination que son alter-ego romanesque ressent pour Martiya. Pourquoi perd-il tant de temps sur ses traces ? Impossible à savoir. J’en suis toujours perplexe. Et finalement, vous savez bien que tout enquête digne de ce nom se doit d’être bloquée à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’un événement de type deus ex machina relance le processus : c’est bien entendu le cas ici, mais les tours de passe-passe de Berlinski sont tellement mauvais qu’il n’élicitent qu’un bâillement prolongé.

« Fieldwork » n’intéressera que les amateurs de la Thaïlande, les fans d’anthropologie et les missionnaires. Ceux qui aiment la littérature n’y trouveront rien, pas plus que ceux qui aiment les bonnes histoires. Et de toute façon, soyons certain qu’il y a foule d’essais sur les sujets abordés par Berlinski qui sont bien plus intéressants à lire.

Mischa Berlinski, Fieldwork, Farrar, Strauss & Giroux, $24.00

(Bien que le personnage s'appelle Mischa Berlinski et partage quelques traits avec l'auteur, il s'agit d'une fiction)

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NBA 2007: Ferris - Then we came to the end

En 1971 parait aux Etats-Unis « Americana », le premier roman de Don DeLillo. Il y raconte l’histoire de David Bell, son travail dans les bureaux d’une chaîne de télévision et comment il a fuit, prenant la route pour se réinventer. En 2007, Joshua Ferris publie « Then we came to the end », son premier roman. Son titre vient de l’ouverture d’ « Americana » : « Then we came to the end of another dull and lurid year. » Incontestablement, s’ils étaient replacés tels quels dans le livre du finaliste NBA, ces quelques mots en formeraient la plus belle phrase. Ce n’est pas là le moindre des malheurs de ce coup d'essai qui en compte finalement beaucoup.

Fin des années ’90 et de la bulle nouvelles technologies, Chicago, une agence de pub. Un période de vaches maigres s’ouvre, remettant en cause non seulement les rapports entre collègues mais surtout le travail lui-même, de plus en plus rare : tout le monde se trouve sur un siège éjectable. Mais Ferris ne s’intéresse pas vraiment à la « précarisation des parcours professionnels » tant à la mode dans le discours politique récent. Non, ce sur quoi il écrit, c’est les relations sociales, l’organisation, les rôles de chacun dans la boîte. Sociologie de l’entreprise sous forme de fiction ? Peut-être, mais surtout un regard ironique sur la vie de l’employé. Celui-ci reconnaîtra sans doute pas mal de collègues dans cette galerie d’archétypes : on a le mec qui raconte des blagues en permanence, celui qui a toujours des bonnes histoires, celle qui connaît tous les ragots, celles qui est toujours au courant des dernières modes, celui qui parle à peine à ses collègues, le middle-manager intelligent mais jalousé et perçu comme arrogant, etc. Les situations sont aussi connues : l’idylle secrète, le travail sous deadline, les inimités fatales, les practical jokes qui ne font rire personne, les maladies, les conversations qui s’éternisent autour de la machine à café ainsi que les alliances qui se font et se défont, d’une complexité à faire pâlir l’expert en géostratégie. Ou presque.

Au-delà de cette succession de situations, y-a-t-il un fil narratif ? Pas vraiment, et c’est là un des soucis. En fait, Ferris est un peu le cul entre deux chaises. Il tente à plusieurs reprises d’introduire des intrigues dans sa longue litanie de jours qui passent, mais ça ne fonctionne pas vraiment. Elles sont au nombre de trois : le cancer de la supérieure hiérarchique (est-ce plus qu’une rumeur ? S’en sortira-t-elle ? Quelles sont les implications sur sa vie privée ?), Tom Mota, employé instable récemment viré reviendra-t-il faire un carton ?, et, en filigrane, à la place du whodunnit, le whosnext sur la liste des licenciements. Leur développement est franchement peu passionnant et surtout d’une subtilité qui n’a rien à envier à la truelle de l’apprenti-maçon. C’est ennuyant : au fil des pages d’anecdotes, on commence à souhaiter une histoire plus consistante, mais une fois dans ces bouts d’histoire on s’emmerde et veut revenir aux anecdotes. C’est un cercle vicieux duquel l’auteur s’avère incapable de nous faire sortir.

Stylistiquement, comme je le sous-entendais plus haut, ça ne vaut pas mieux : d’une platitude totale, l’écriture de Ferris fait penser à du sous-Nick Hornby – pas de surprise, celui-ci adore le livre. Il y a, il est vrai, une trouvaille pas trop mauvaise : le livre est écrit en « We » afin de donner l’impression qu’il s’agit d’une œuvre collective, écrite par tous les employés mais aussi pour souligner le caractère universalisable des relations de travail dans ce type de statut. J’ai quand même l’impression que ce « nous » inclusif se transforme en « nous » exclusif (par rapport au « vous » du lecteur) à mesure que le livre vous (oui, vous !) emmerde. Parce que c’est bien ça le pire : oui, c’est amusant, on rigole, il y a des choses vraies, etc mais on s’emmerde comme un rat mort. En fait, se regarder dans un miroir est plus intéressant que lire « Then we came to the end » : au moins, l’accessoire de votre salle de bain s’avère essentiel pour détecter le bouton inaperçu ou la mèche mal mise tandis que le roman, qui devrait être essentiel, s’avère absolument accessoire, jetable, recyclable : il n’apprend rien ni sur vous, ni sur la littérature, ni sur le monde, ni sur l’écriture, ni sur l’humour. Il sert juste à passer le temps dans le bus ou dans la cafétéria si vous êtes un employé asocial auquel aucun de ses collègues ne demande de l’accompagner à l’heure de table.

Moins de six mois après sa parution Stateside, ce roman était déjà traduit sous l’épouvantable titre « Open Space » - parenthèse : faut vraiment être malade pour traduire un titre anglais en un autre titre anglais. Impossible de ne pas penser au phénomène similaire tant à la mode en cinéma il y a quelques années : la version française du navet érotico-policier Wild Things, par exemple, s’appelait par chez nous Sex crimes. De cette rapidité de publication, je ne tirerais aucune conclusion. Par contre, de sa relativement bonne réception ici – excellente de l’autre côté de l’Atlantique- j’arriverai sans doute à l’un ou l’autre jugement sur mes « collègues » et, peut-être, eux sur moi.

Joshua Ferris, Then we came to the end, Viking – Penguin, £14.99

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Auto-fission


Expectoration.

Pour expulser ce qui n’a pas sa place ici et devra trouver son foyer ailleurs, j’ouvre Auto-Fission. Aujourd’hui, il n’y a rien, ou presque. Demain, je vous promets des éclaircissements.

Update: les éclaircissements y sont.

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NBA 2007: Shepard - Like you'd understand, anyway

Il y a une phrase - ou plutôt une partie de phrase – sur la quatrième de couverture de « Like you’d understand, anyway », le dernier recueil de Jim Shepard, qui paraîtra surprenante une fois la lecture terminée. (L’auteur) « is often referred to as a writer’s writer ». Etrange : pour moi, cette idée d’écrivain pour écrivain concerne des gens dont les textes sont remarquables par leurs soucis formels ou par leur maîtrise unique d’une technique précise et pour cela précisément intéressent plus leurs collègues que le grand public. On verrait bien cette étiquette accolée à Lydia Davis (je vous ai parlé de son admirable travail il y a quelques jours), qui, clairement, montre des voies inexplorées laissant perplexe le novice et stimulant, on l’espère, particulièrement celui que la muse titille. « Varieties of disturbance » a d’ailleurs été critiqué, et ce n’est pas un hasard, par Shelley Jackson et Ben Marcus notamment.

Revenons-en à Shepard : ses récits ne sont pas de ceux qui vont provoquer une révélation formelle, non, ils sont de ceux auxquels il est possible d’appliquer la définition la plus traditionnelle de la nouvelle sans que rien ne dépasse. Et stylistiquement, si tout ça est écrit joli et élégant, il n’y a guère d’explosions qui me font porter la main droite aux cheveux en m’écriant « oh mon dieu, quelle fulgurance ! ». Mais le Jim, il a quand même quelque chose que beaucoup d’écrivains n’ont pas : ses histoires sont parfaites, ou presque.

En fait, « Like you’d understand, anyway », c’est un tour du monde et des époques en 211 pages, sans temps mort, sans repos, sans rien d’autre qu’un émerveillement continuel. Ce n’est peut-être pas aussi impressionnant qu’un tour du jour en quatre-vingts monde, c’est quand même très fort. Les nouvelles de Shepard sont toutes situées dans des milieux et des époques radicalement différents, requérants des connaissances spécifiques et toujours rendues d’une façon absolument naturelle. Ce n’est pas là une réussite mineure : être pareillement à l’aise dans la Grèce d’Eschyle, le Paris révolutionnaire, dans un camp pour ados aux Etats-Unis ou dans les ruines de Tchernobyl est pratiquement du domaine de l’impensable et pourtant, s’il y a une choses que ces nouvelles prouvent, c’est que c’est bel et bien possible.

Ce n’est pas seulement possible : c’est passionnant. Et là est peut-être le plus dingue : on sent une recherche minutieuse et méticuleuse et une volonté affirmée de créer des personnages ronds, mais il n’y a aucune surcharge dans les récits. Un peu comme la grande cuisine qui nourrit sans vous faire exploser la panse, les nouvelles de Shepard apportent dans de délicieuses combinaisons ce que l’on peut attendre de mieux d’une littérature classique.

Il serait injuste de distinguer une nouvelle plus qu’une autre – elles sont vraiment (et j’insiste sur le vraiment) toutes bonnes -, mais je m’en voudrais de ne pas faire mention de la dernière du recueil, « Sans farine », histoire de Charles Henri Sanson, bourreau du roi dans tous les sens du terme, témoin privilégié et, c’est étrange à dire, presque impuissant de la mise à bas de l’ordre dans lequel il avait grandi. Récit plus domestique que historique, cette nouvelle réussit le tour de force de nous faire croire qu’on regarde par le petit bout de la lorgnette avant qu’on se rende compte, stupéfait, que c’est bel et bien une vision grand angle. Sanson est le premier bourreau à s’être servi de la guillotine, cette « merveille » technologique – 2918 têtes dans son panier. L’histoire de Sanson nous rappelle aussi que les améliorations faites pour le confort du condamné (mieux vaut en finir en une fois qu’en trois coup de hache) peuvent aussi avoir l’effet indésirable d’augmenter le rythme, dépouillant ainsi bien des malheureux du plus mince espoir d’y échapper : si les bras du bourreau se fatiguent, le couperet n’a qu’à se laisser entraîner par la gravité. Nous savons tous que les innovations techniques ont grandement contribué à l’augmentation exponentielle des possibilités de mise à mort dans une période de plus en plus brève, nous oublions souvent que le diable est dans les détails : il y a ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. Et souvent, ce qui ne se voit pas coûte cher.

Jim Shepard, Like you’d understand, anyway, Knopf, $23.00

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Triste nuit

Est-ce qu'on sonne chez vous ce soir pour obtenir quelques friandises? N'ouvrez-pas! J'entends du haut de mon premier étage la marmaille brailler dans la rue. J'ai un seau et voudrais, comme au bon vieux temps, balancer sur l'audacieux qui s'approcherait de ma porte un peu d'huile bouillante. Malheureusement, avec un demi-litre d'extra-vierge d'olive, je pars perdant. Bref: si vous êtes faible et qu'il vous arrive d'ouvrir, il est fort probable que, parmi un petit fantôme et une sorcière qui perd ses dents de lait, se glisse jusqu'à vos pieds un manant déguisé en Harry Potter. Refermez-lui au nez en pensant à un vieil article de Harold Bloom, réac' mangeur d'enfants bien connu de la place littéraire. "Can 35 million book buyer be wrong? Yes." C'est le titre de sa fatwa contre Rowling. Une cause perdue, certainement. Dommage quand même.

Ensuite, remontez dans votre bureau et allez jeter un oeil à un nouveau trimestriel en ligne, le International Literary Quaterly. Il y a des textes inédits de Lydia Davis et Gabriel Josipovici.

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NBA 2007: Davis - Varieties of disturbance

Ecrivain-traducteur, voilà une vocation qui sera familière aux lecteurs réguliers de ce blog. Il en existe aussi aux Etats-Unis : elle traduit les grands noms français (Proust, Leiris, Jouve, Blanchot, Butor…) et écrit des nouvelles, souvent (six recueils), et des romans, parfois (un). Bien que Phébus ait publié deux de ses livres et la République lui ait décerné titre de chevalier des Arts et des Lettres, elle reste peu connue chez nous. Qui est-ce ?

Lydia Davis, félicitations dans le fond de la classe (oui, c’est vrai, c’était dans le titre, mais ça prouve que vous suivez quand même). On nous dit dans beaucoup de papiers disséminés ici ou là par des vents plus ou moins favorables que ses nouvelles sont à classer dans le rayon avant-garde de votre bibliothèque – concrètement ça veut dire à laisser dans les étagères des libraires indépendants, puisque, hein, bon, vous comprenez, enfin… Ce qualificatif ne me paraît pas vraiment convenir : ce qui se passe, c’est que Davis nous convie en permanence à réévaluer notre rapport à la nouvelle, à revoir, en somme, la copie de la petite définition de la forme courte qui, à tous, nous peuple la tête dans sa tournure la plus commune. « Varieties of disturbance », son dernier recueil, n’échappe pas à la règle davisienne, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de règles mais que étrangement, on y retrouve toujours nos petits. On est aussi perplexe et admiratif qu’un officier de police qui se rendrait compte que, tout compte fait, le trafic à un carrefour est parfois plus fluide sans signalisation qu’avec. C’est beau la liberté quand elle est mise au service du talent.

Prenons “We Miss You: A Study of Get-Well Letters From a Class of Fourth-Graders”, un des plus long textes du livre. Il s’agit apparemment de l’analyse, des années après, de lettres composées par de jeunes écoliers. Que nous disent-elles sur leurs relations amicales, leurs loisirs, la famille, les conditions de vie ? Et qu’en est-il de leurs capacités psychologiques et intellectuelles ? Ecrit dans un style technocratique, avec la rigueur froide du sociologue ou de l’anthropologue, Davis pourrait tester la patience du lecteur qui se demanderait, après cinq pages, « à quoi bon ? J’ai compris ! ». Eh bien non, il y a autre chose. Il y a d’autres choses. Il n’est d’abord pas surprenant que le lecteur un tant soit peu attentif voie émerger de cette dissection distanciée, sans émotion, une narration, un univers auquel il rapportera ses propres connaissances, injectant ainsi l’expérience de sentiments a priori absents. Mais ce n’est pas vraiment là l’essentiel. Je ne sais plus où j’ai lu que, malheureusement, on ne s’attachait pas aux écoliers auteurs de ces lettres – sous-entendu : il nous faut des personnages forts et on ne les a pas, c’est pas bien- et ce n’est pas faux, mais c’est passer à côté de ce qui importe vraiment. Qu’est-ce donc ? Eh bien, on vient de lire vingt-trois pages d’un rapport qui aurait dû être barbant, qui n’aurait pas dû être du domaine littéraire et pourtant, miracle des miracles, on identifie, on reconnaît une nouvelle dans ce qui paraissait ne pas en être. C’est ça, la grandeur de la pratique, de l’art de Lydia Davis : l’épiphanie, l’éblouissement là où ne s’y attendait pas, sans se forcer, sans nous forcer à la suivre, hein, juste comme ça parce que dans ses pages, il n’y a pas besoin d’explication : tout a force d’évidence.

Et ces nouvelles, qui font de deux lignes à quarante pages sont toutes comme ça.

Hop, un exemple, en voici une dont le titre (très important chez Davis) est « Index Entry » :

Christian, I’m not a

Elles ont l’air bizarre, mais au bout de 5 ou de 1500 mots, c’est le reste qui l’est, tant on s’y sent à l’aise, on a envie de relire et de s’amuser encore là-dedans, dans ce cocon d’étrangeté familière. Si je pouvais construire une bibliothèque en réseau, un machin qui fonctionnerait autrement qu’alphabétiquement, je mettrais les livres de Lydia Davis en relation avec ceux de David Markson et de George Saunders pour la bonne raison que ça me plait de voir les choses ainsi, d’imaginer une relation entre elle et ces deux autres écrivains aux univers différents mais qui partagent tous quelques choses d’importance capitale : un sens de la phrase unique, un humour qu’on aurait dit, il y a quelques années, décalé mais qui est surtout authentique et euphorisant, et puis des idées, ben, comment les qualifier, des idées, de vraies idées, et c’est rare. Try again. Fail again. Fail better ? Pour Lydia Davis, on aurait presque envie d’enlever le fail.

Lydia Davis, Varieties of disturbance, Farrar, Strauss & Giroux, $13.00

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Goncourt pour Gass?

Dans un commentaire à un billet de mars dernier, Eva Almassy me signale une article intitulé Littell sorti du Tunnel. La thèse de son auteur, Alain Garric? "Les Bienveillantes de Jonathan Littell ont puisé ce qu’elles ont de meilleur dans le Tunnel de William H. Gass". N'ayant pas lu le Goncourt 2006, je ne sais trop qu'en penser, mais le papier vaut la peine.

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Head, Heart

Heart weeps.

Head tries to help heart.

Head tells heart how it is, again:

You will lose the ones you love. They will all go. But even the

earth will go someday.

Heart feels better, then.

But the words of head do not remain long in the ears of heart.

Heart is so new to this.

I want them back, says heart.

Head is all heart has.

Help, head. Help heart.

Lydia Davis, Varieties of disturbance, Farrar, Strauss & Giroux, $13.00

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Les variations Gabriel

En 1741, dans la ville de Dresde, Hermann Karl von Keyserling ne peut dormir. Il charge le claveciniste Johann Gottlieb Goldberg de jouer pour lui chaque nuit, espérant que la musique parvienne à le faire tomber dans les bras de morphée. Pour ce faire, Goldberg demande à Johann Sebastian Bach , un compositeur de ses amis, de lui écrire quelques pièces. Ainsi, dit la légende, naîtront, à partir d’un aria les trente variations les plus célèbres du monde.

Deux siècles et demi plus tard, Gabriel Josipovici en donne une version littéraire : Keyserling devient Westfield, gentilhomme anglais souffrant d’insomnies qui engage Goldberg, écrivain juif d’âge mûr, pour venir lui lire des histoires jusqu’à ce que sommeil s’ensuive. La première nuit, se rendant compte qu’il a lu tous les livres et que ça ne l’aide pas, Westfield exige de l’écrivain qu’il lui compose des récits de son crû pour remplir son office.

Trente chapitres pour trente variations, autant d’anecdotes plus ou moins connectées à propos du retour à Ithaque, d’un village néolithique, d’une petite fille abandonnée, de jeux littéraires à la cour du Roi ou de l’insupportable difficulté de finir l’écriture du livre : ce que fait Josipovici n’est pas tant un hommage à Bach qu’une tentative de prouver l’inépuisable fertilité de la fictione. En ce sens, on lui trouvera en « Chimera » de John Barth un digne prédécesseur – certainement pas sur le plan formel, ceci dit. Barth répondait à travers ce livre à ceux qui annonçaient la mort du roman, en disant que si toutes les histoires avaient été racontées, l’essentiel était la façon dont elles étaient racontées, articulées, recyclées pour créer du connu l’inconnu, de l’ancien le nouveau. Josipovici aussi, dans ses variations, se réapproprie énormément de genres, de styles, de types d’écrits, reprend des archétypes narratifs, leur donne une vie autre – plus que nouvelle -, mais il y a quand même une différence avec le travail théorique du lauréat du Maryland : « Goldberg : variations » ne traite en effet pas tant de la jouissance véritable qu’il y a à recycler que de la difficulté authentique que l’auteur a à se mesurer avec toutes les formes existantes afin de se convaincre lui-même d’abord qu’il y a moyen de continuer à faire sens et œuvre mais aussi sous quelles conditions c’est possible. Si tout est variation, qu’est-ce qu’un bonne variation ?

Surtout connu pour ses qualités de critique littéraire, Josipovici glisse, au fil des pages, des analyses variées, riches, intelligentes, en même temps qu’il s’éloigne des soucis de lecture de Samuel Godberg et introduit le personnage de l’auteur en train de suer sur le livre que l’on lit (Bach ?). La technique est ultra-classique mais n’est pas gratuite pour une triple raison. Tout d’abord, si on travaille sur la variation on ne peut qu’utiliser des formes connues. Ensuite, les études critiques essaimées ici ou là par l'auteur sont justifiées par la présence de ce personnage-auteur : elles sont à leur place car l’homme qui écrit ce livre a de toute évidence des soucis théoriques. Inversement, elles justifient et préparent l’introduction de l’auteur. Enfin, cette structure est essentielle au propos de Josipovici puisqu’elle permet de l’illustrer de manière idéale : on part d’une histoire simple, on s’intéresse à la narration, puis à l’histoire littéraire avant de terminer dans la tête de l’écrivain qui doit faire sens de tout ça pour composer une œuvre originale, forte et indépendante.

Gabriel Josipovici, illustre inconnu en France – un seul livre traduit il y a dix-huit ans-, est souvent classé en Grande-Bretagne, son pays de résidence, parmi les auteurs expérimentaux, difficiles et chiants. Il n’en est bien sûr rien. Si l’on se base sur « Goldberg : variations », il s’inscrit dans une tradition moderniste qui, si elle séduit toujours, ne saurait plus être considérée comme radicalement neuve, et si son travail est certes exigeant, cérébral et pour tout dire un peu aride par moment, il reste surtout absolument passionnant. Le plaisir du livre réside à la fois dans ces variations, ces bribes d’histoires et dans la réflexion plus globale sur la littérature. Ce livre est susceptible de laisser froid qui ne s’intéresse pas à la mécanique littéraire. Les autres auront tort de bouder leur plaisir.

Gabriel Josipovici, Goldberg: variations, Ecco, $13.95

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Plein Gass

Un nouveau site en développement qui va sans doute devenir une page de référence pour tout ce qui concerne William H. Gass: Tunneling se propose de reprendre toutes les apparitions de Gass dans la presse, que ce soit sous forme de critiques, entretiens, notices biographiques, récits, etc. On souhaite que ce projet prenne l'ampleur des pages consacrées aux autres grand PoMo US.

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Algunas Librerías

Mes premiers séjours espagnols avaient quelque chose d’assez déprimant : la vente de livres est sous la coupe de deux enseignes – Fnac et Casa del libro – dont les employés ne sont souvent guère plus que des philistins n’ayant aucune connaissance des domaines dont ils se chargent. Pire : il n’est pas rare de trouver des volumes dans un état pitoyable tant le stockage est pris à la légère et la marchandise confondue avec des paquets de lessive. Dans ces conditions, il devient difficile de s’adonner à un des grands plaisirs de la vie : la promenade en librairie. Heureusement, au fil du temps et des voyages, on trouve pas mal de lieux qui valent la peine. Petit portrait indulgent de quelques villes où je suis passé.

Je vais commencer par Cordoue parce que je n’en reviens toujours pas : une ville avec un passé aussi brillant me semble dépourvue de librairies de qualité. Je ne me souviens même pas d’y avoir vu une Casa del libro (c’est pas possible, il doit y en avoir une…), ce qui voudrait dire que le lecteur devra se contenter des rayons livres du Corte Inglés, c'est-à-dire de rien. Séville, la capitale andalouse est mieux servie, bien que l’unique crémerie que j’ai visitée au-delà de la sempiternelle Casa est un lieu assez étrange : ancien théâtre ou cinéma, on trouve l’idée d’y faire commerce de livres assez charmante avant de se rendre compte de deux ou trois aberrations : les livres de fiction en grand format – très nombreux, les livres passant en format de bolsillo sont assez rares en Espagne – et ceux de poche ne sont pas au même étage. De plus, au lieu de classer les volumes dans un bel ordre alphabétique, le tout est regroupé par maison d’édition et collection, selon le numéro de parution. Il faut donc faire ses emplettes à l’aide d’un catalogue pas toujours à jour de chaque éditeur.

Je suis passé à Barcelone il y a peu et, sachant que c’est la capitale littéraire d’Espagne, je m’attendais à de bonnes surprises. Je n’ai pas été déçu, même si un séjour de trois jours ne m’a pas permis d’explorer vraiment. Barcelone est maintenant irrémédiablement liée à La Central, établissements absolument merveilleux. Rentrer dans la maison-mère située dans une maison bourgeoise à un jet de pierre de La Pedrera de Gaudi, c’est pénétrer au paradis. Au-delà des rayonnages fiction en anglais, français, allemand, italien et bien sûr espagnol, il faut, pour le croire, monter voir les rayonnages de critique littéraire. On y trouve tout dans sa langue d’origine et, si ça existe, dans sa traduction espagnole. Le choc a failli me faire tomber sur le cul. (Combien de librairies francophones ont « Homo Poeticus » de Danilo Kis en stock, hein ?). La Central est, parmi les nombreuses librairies dites internationales visitées, la seule à vraiment mériter ce titre. La succursale qui se trouve à proximité de La Rambla n’est pas mal non plus, avec l’avantage pour les amateurs de se trouver dans un ancien édifice religieux spectaculairement rénové. Selon Rodrigo Fresán, c’est la meilleure librairie du monde. On ne serait pas surpris qu’il ait raison.

Il y a aussi une Central à Madrid. Visuellement superbe, elle se trouve dans la monumentale nouvelle entrée du musée Reina Sofia. Logiquement, le stock est très porté beaux-arts et la littérature y occupe une place plus réduite qu’à Barcelone. Pourtant, c’est mon lieu de perdition de prédilection, notamment parce qu’il est possible d’y trouver des livres édités en Argentine ou encore au Chili et normalement introuvables en Europe. Je suis assez déçu par l’offre madrilène au-delà de cette adresse. Je m’en voudrais cependant de ne pas citer El bandido doblemente armado (merci Antonio), chouette petite librairie-bar au stock limité mais choisi, où il est agréable de commander un verre de vin, un thé ou un gin tonic tout en feuilletant un livre. On me souffle également qu’une nouvelle et énorme librairie a ouvert récemment c/ San Bernardo et que celle du Circulo de bellas artes vaut également la peine. Ce sera pour ma prochaine visite, en novembre si tout va bien.

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Faillite

Le souvent excellent blog de Three percent fournit quelques chiffres sur les coûts et revenus liés aux traductions d’œuvres littéraires aux Etats-Unis. Les données doivent être sensiblement différentes en ce qui concerne la France, même si j’imagine que les proportions seront identiques, donnant ainsi une idée de ce qui trotte dans la tête des responsables du Seuil lorsqu’ils décident de rééditer « L’arc-en-ciel de la gravité » sans lui accorder la nouvelle traduction qu’il mérite ou encore une indication de ce qui rend le travail du Lot49 encore plus remarquable et délicat.

(Le Three percent qui donne son nom au blog-source représente la part des traductions dans l’ensemble des livres publiés aux Etats-Unis.)

Sales rarely hit the five-figure mark, much more frequently residing in the 1,200-1,800 range, with sales of 400 copies or less not being all that uncommon. Why this is the case is a long, involved discussion with many variables, prejudices, and unprovable hypotheses.

What’s important to point out is that sales of 1,500 copies of a translation is very definitely not profitable. Including salaries, production, design, marketing, translation, author advances, distribution, and overhead costs, a translation generally runs a publisher about $35,000. Sales of 1,500 of a $24 hardcover would net a publisher about $18,000 in revenue. A ways short of the $35,000 invested . . . (Not many Investment Bankers out there support a ROI of -50%. At least not many who are still employed.)

This situation results in a sort of economic censorship (thanks to Esther Allen for that term) in which publishers shy away from translations because of the fact that they’re very, very likely to lose a wad of cash on these books. It’s for that reason that most translations are done by independent, university, and nonprofit presses such as Archipelago, New Directions, Dalkey Archive, NYRB, Univ. of Nebraska Press, and soon enough, Open Letter.

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Comptons

"The last image was too immediate for any eye to register. It may have been a human figure, dreaming of an early evening in each great capital luminous enough to tell him he will never die, coming outside to wish on the first star. But it was not a star, it was falling, a bright angel of death. And in the darkening and awful expanse of screen something has kept on, a film we have not learned to see… It is now a close-up of the face, a face we all know…"

(457 signes espaces inclus)

"La dernière image avait été trop brève pour qu'on en conserve le souvenir. Peut-être était-ce une silhouette humain, rêvant d'une soirée dans chaque grande capitale assez brillante pour dire qu'il ne mourrait jamais, à l'heure où l'on fait un voeu en voyant la première étoile. Mais ce n'étrait pas une étoile, cela tombait comme un ange de mort étincelant. Et sur l'écran effrayant devenu obscur quelque chose a continué, un film que nous n'avons pas appris à voir... C'est maintenant un visage en gros plan, un visage que tous nous connaissons."

pp 663, "Rainbow", Plon 1975, trad. Michel Doury (548 signes, espaces inclus)

“Hacía demasiado poco tiempo que había aparecido la última imagen para que ningún ojo pudiese registrarla. Pudo haber sido una figura humana que soñara con un temprano anochecer en todas las grandes capitales lo bastante luminosas como para decirle que jamás moriría, una figura humana saliendo a expresar un deseo ante la primera estrella vespertina. Pero no era ninguna estrella, era un brillante ángel que caía, un ángel de la muerte. Y, en la penumbrosa y terrible extensión de la pantalla, algo ha continuado, una película que no hemos aprendido a ver… Ahora se ve un primer plano de la cara, una cara que todos conocemos…”

p.1147, “El arco iris de la gravedad”, Tusquets 2002, trad. Antoni Pigrau (628 signes, espaces inclus)

On comprend donc l’ampleur du défi que s’est lancé traducteur pour le petit dernier de l'homme à tête en papier kraft, mais je me dis également que ça aurait pu être pire s’il avait eu le malheur de venir d’Espagne.

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Langue de vipère

Quand Horacio Castellanos Moya se laisse aller et perd le contrôle de son écriture, que se passe-t-il ? Pas grand-chose, malheureusement. C’est le triste constat fait au sortir du « Bal des vipères », petit roman de gare, histoire d’un voyage à peine mouvementé, parfois amusant, surprenant à deux ou trois reprises, mais ne faisant même pas figure d’en cas suffisant à calmer notre faim de littérature.

Dans une ville quelconque d’un pays quelconque d’Amérique centrale, Eduardo, sociologue au chômage, est fasciné par un vieux puant qui semble vivre dans une antique chevrolet parquée en bas de son immeuble et s’amuse à le suivre pour tenter de nouer le contact. Un beau soir dans un sale quartier, après une dispute ne le concernant même pas, Eduardo tranche la gorge du vieillard et s’en va, clefs de la bagnole en poche. Une fois dans la caisse, il fait connaissance avec quatre sublimes vipères qui parlent et se fait expliquer les déboires sentimentaux de l’ancien maître de céans. Séance tenante, le voilà se glissant dans la peau de sa victime, parti pour régler d’anciens comptes et se créer de nouvelles ardoises dans un déferlement de violence nihiliste. Il faut dire que les vipères sont vraiment vénéneuses et effrayantes, et que le hasard, peut-être seule chose qui tient ce livre en place, met Eduardo et ses serpents sur le chemin de flics anti-narcos et d’un politicien-vedette, semant ainsi la panique dans les plus hauts cercles de l’Etat.

A l’autopsie, on se demande quand même ce qu’a tenté de faire Castellanos Moya. Les lecteurs de ce blog savent que je peux à peu près tout pardonner pour une étincelle de génie. Ici, rien ne vient vraiment contrebalancer toutes les déceptions : quatre parties, trois narrateurs mais aucun n’apporte un plus ; absence totale de psychologie des personnages – un seul, la journaliste, est légèrement composé avant d’être renvoyé sur une voie de garage- : on n’a pas nécessairement besoin de savoir pourquoi Eduardo tue le vieux, on aimerait quand même savoir pourquoi on a justement pas besoin de savoir ; prose plate ; folie ne sortant pas du cadre d’un scénario de série B, n’en jetons plus : à part une incroyable scène de sexe homme-serpents, aucun moment fort où on se dirait « voilà pourquoi j’ai ouvert ce truc ! ». Alors oui, on rigole pas mal, l’idée est plaisante quoique pas vraiment originale – « ville terrorisée par les serpents tueurs de jeunes filles ! », et on sourit au parcours très odysséen de Eduardo, mais finalement, que s’est-il passé ? Eh bien, on a rempli quarante minutes de bus, une heure de pause déjeuner et une demi-heure avant de dormir pour se rendre compte que ce qu’on a fait pour peupler ces moments est aussi oubliable que le seraient ces mêmes moments s’ils avaient été passés à ne rien faire. Castellanos Moya vaut mieux que ça.

Petite remarque finale : je suis peut-être complètement idiot, mais je n’ai pu réprimer quelques éclats de rire en lisant ici ou là dans la presse hexagonale que « Le bal des vipères » était un roman vachement politique, satire mordante de son pays et de la société du spectacle ou que sais-je encore. Je ne sais pas trop où ils ont été trouvé ça ailleurs que dans une profonde crise de nisardisme critique. Il n’y a pas de propos politique ou autres dans ce livre, tout au plus un éclat de rire qui s’adresse à tout le monde et surtout au lecteur. Le premier roman de l’auteur était placé sous le signe de Thomas Bernhard dont on sait le dégoût qu’il avait pour son pays natal. Castellanos Moya a, paraît-il, une relation difficile avec le sien – Salvador – qu’il a dû fuir. S’il y a quelque chose qu’on pourrait voir dans ce nouveau roman si on voulait jouer au psy de bas étage, c’est une sorte de pulsion de la destruction envers la mère-patrie pas totalement exécutée par la faute d’un reste d’amour – ce n’était pas le cas de Bernhard. Cette impossibilité de tirer en trait est ici transformée en une sorte d’ironie nihiliste dont la musique sort d'une coquille creuse. J’arrête ici de divaguer.

Horacio Castellanos Moya, Le bal des vipères, Les allusifs, 15€

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NBA 2007: les finalistes

...sont connus. Voici les nominés catégorie fiction:
  • Mischa Berlinski, "Fieldwork"
  • Lydia Davis, "Varieties of Disturbance"
  • Joshua Ferris, "Then We Came to the End"
  • Denis Johnson, "Tree of Smoke"
  • Jim Shepard, "Like You’d Understand, Anyway"

Jolie liste qui compte deux premiers romans et deux auteurs que nous aimons particulièrement - Lydia Davis et Denis Johnson. Je compte bien entendu aborder ses livres ici avant l'annonce du lauréat le 14 novembre. Tout dépendra, au-delà de ma bonne volonté, de ma capacité à me procurer ces cinq livres dans une ville comme Bruxelles, décidément bien provinciale en matière de littérature US un tant soit peu sérieuse. Et j'attends toujous "Tree of Smoke", pourtant commandé il y a un bon mois.

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Can't get no love

Un des livres les mieux reçus de ce début de « fall season » américaine – à un point tel qu’on ne serait pas étonné de le voir débarquer parmi les finalistes du National Book Award mercredi- s’appelle « The brief wondrous life of Oscar Wao ». C’est le premier roman de Junot Díaz, écrivain dominicano-americain qui a déjà un recueil de nouvelles à succès à son compteur.

Je vous conseille d’au moins parcourir le papier élogieux du New York Times, non pas pour vous convaincre de lire le bouquin, mais bien pour vous rendre compte de l’enthousiasme de la critique et surtout parce que pratiquement tout ce qui est cité comme points forts sont en fait à mon sens les gros points faibles d’un livre plaisant mais bâclé. Michiko Kakutani, critique US la plus crainte, la plus méchante, la plus conne aussi et donc la plus influente, adore, non adore Díaz. On le comprend tout de suite:

(le livre) is so original it can only be described as Mario Vargas Llosa meets “Star Trek” meets David Foster Wallace meets Kanye West.

Décryptage rapide: un partie de l’intrigue met en scène le Saint-Domingue de Trujillo (MVL), l’Oscar Wao qui donne son nom au roman est un nerd (ST), il y a plein de notes de bas de pages et de phrases détournées de la culture populaire (DFW) et les personnages parlent souvent comme des homies (KW). Phrase parfaite pour servir de blurb sur l’édition paperback, n’en doutons pas.

« The brief wondrous life of Oscar Wao » est l’histoire du fils d’une immigrée dominicaine dans le New Jersey, petit gros obsédé par la science-fiction, les mangas et les ordis, dont le principal souci peut finalement se résumer par un « can’t get no love, can’t get no pussy ». Nous avons donc le récit des tribulations de ce jeune homme à travers le lycée, l’université et les premiers temps de sa vie professionnelle. Le type est attachant, pas de doute, et le récit coule d’une façon plus plaisante que virtuose. Il a fallu plus de 10 ans à Díaz pour composer le tout, il a donc évidemment d’autres ambitions que de raconter une éducation sentimentale type crash-test : son roman est aussi une saga familiale, un blues sur la vie dans le ghetto ethnique et un retour sur l’épouvantable dictature Tujilliste – les meilleurs chapitres du livre, à n’en pas douter. On a en fait l’impression qu’une partie du livre a été rajoutée par après pour épaissir le tout : je crois que Díaz avait terminé l’histoire de son petit Wao et qu’à la relecture il a décidé de donner une plus grande ambition au roman en écrivant les chapitres sur les péripéties de sa sœur ainsi que la disgrâce de ses grands-parents et surtout les malheurs des premières années de sa mère, véritable cosette dominicaine. Pris séparément, ces additions fonctionnent de façon variable, plutôt bien que mal, mais le tout pris dans son ensemble donne une impression de patchwork pas toujours très cohérent, aux idées inabouties. En fait, Díaz connaît le problème exactement inverse de Daniel Alarcón qui savait raconter une histoire mais pas la peupler : lui, il parvient à créer les éléments mais pas à les mettre en place.

Revenons à la phrase de Kakutani, parce qu’elle symbolise assez bien ce qui aurait pu être et ne fut pas, ce qui n’aurait pas dû être et fut.

Vargas Llosa : auteur de « La fête au bouc », livre absolument époustouflant auquel il est impossible de ne pas comparer quelque roman que ce soit abordant l’ère Trujillo. Les parties de « The brief wondrous life of Oscar Wao » se déroulant à cette époque sont, je l’ai dit, les plus fortes du livre. Contrairement au romancier péruvien qui se préoccupait essentiellement des cercles contigus au pouvoir, Díaz va voir l’expérience populaire. Le malheur, c’est qu’il ne peut s’empêcher de reprocher à Vargas Llosa de par moments tomber dans la facilité et d’être top gentil avec certains gouvernants. C’est peut-être vrai, mais c’est le type de remarque qu’on ne peut faire que si on fait mieux soi-même quand on s’y colle. Pas de chance, Vargas Llosa écrit mieux, construit mieux et pratique le non-dit d’une manière bien plus subtile.

Star Trek : c’est vrai, Wao est un nerd et le livre est truffé de nerd-speak, de nerd-culture, de nerd-tchic-et-tchac. Peut-être pas assez nerd pour le vrai nerd, peut-être trop nerd pour le non-nerd. L’accumulation de ces allusions est amusante avant de devenir agaçante. Quoiqu’il en soit, ce roman est une plongée assez réussie dans la psychologie du nerd de base.

David Foster Wallace : il avait fait de la note de bas de page un art dans « Infinite Jest », il fait maintenant école tant le roman de Díaz est en truffé. Certaines sont authentiquement intéressantes, la plupart inutiles. C’est un choix, c’est aussi une erreur. Un autre point de comparaison avec DFW est l’usage de petites métaphores et comparaisons renvoyant à la culture populaire. Par exemple, Kakutani adore l’idée que Woa “wears his nerdiness like a Jedi wore his light saber”. Cette phrase, je m’en souviens, m’a fait grimper au mur la bave au menton, la rage au ventre, la répulsion dans le crâne. Il y en a d’autres qui marchent, mais je me sens assez de mauvaise foi pour ne pas les évoquer.

Kanye West : là on touche vraiment le pire. Monsieur West fait de la musique absolument horrible, mais bon, ce n’est pas le sujet de ce papier. Ce qui est pertinent par rapport au livre, c’est bien que Díaz écrit de larges sections dans un anglais très colloquial, très ghetto, évoquant bien sûr le vocabulaire et les phrases des rappers et des cohortes de wannabe bling-bling star. Ce faisant, il sacrifie son style pour un gloubi-goulba vite fatigant se voulant réaliste mais trop parfait pour convaincre. Le style oral, c’est parfois une bonne idée, pour autant qu’on n'oublie pas ses caractéristiques: stop-start, confusion, phrases inachevées, etc.

Je me rends bien compte que cette petite notule est sévère. Trop, d’ailleurs : malgré les défauts omniprésents, le roman de Junot Díaz est efficace, plaisant, souvent malin et instructif. Il a aussi la grande qualité, comme le « People of paper » de Salvador Plascencia de parler d’immigration sans se vautrer dans le réalisme social insipide. Lisez donc un des nombreux bons papiers qui se baladent sur le net pour faire contrepoids.

Junot Díaz, The brief and wondrous life of Oscar Wao, Riverhead Books, $24.95

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Quelques notes du dimanche

• Lu la semaine passée « Le stéréoscope des solitaires » de J. Rodolfo Wilcock, récemment réédité à L’imaginaire. L’écrivain italo-argentin est, selon Roberto Bolaño, un maître de l’humour noir. Il le prouve dans cette sorte de bestiaire composé de soixante-cinq récits inégaux mais qui font souvent rire aux éclats. En tout cas, si on se mettait à faire des matchs littéraires, le centaure de Wilcock détruirait celui de Borges même une patte en moins.

Gass à 100 contre 1, Vargas-Llosa, McCarthy à 50 contre 1, DeLillo à 25 contre 1, Pynchon à 20 contre 1. Oui, oui, le Nobel littérature c’est jeudi et, comme chaque année, vous pouvez parier chez Ladbrokes. Leur favori est Claudio Magris, 5 contre 1. Comme d’habitude, ils se trompent j’imagine.

• On parle à gauche et à droite (surtout à gauche, d’ailleurs) de la toute nouvelle Revue internationale des livres et des idées. Son édito / manifeste est disponible en ligne. Dans le monde anglo-saxon, on trouve sans problème des publications à large diffusion qui consacrent de longues pages à la discussion d’un seul livre. Ce n’est pas le cas par chez nous – il semble impossible d’écrire plus d’une demi page sur une œuvre sans utiliser des extraits d’interview histoire de masquer l’épaisseur papier cigarette de l’analyse- et c'est, semble-t-il, ce vide que cette nouvelle publication voudrait combler. Bonne nouvelle a priori mais je reste, pour ma part, sceptique. La fiction est presque totalement absente – un comble lorsqu’on prend Bookforum ou TLS comme modèle- et j’ai un peu l’impression que de toute façon ce qui sera décortiqué, c’est les textes de fiction politique où le politique est plus important que le fiction. Par ailleurs, l’ensemble à une forte coloration New Left. On peut se demander si après 50 ans il ne serait pas temps de passer à autre chose : le mouvement est né dans les années ’60, la culture war opposant ses tenants à des gens comme Roger Scruton est vieille de vingt ans, et tout ce que je lis aujourd’hui me semble bloquer à cette époque. Et le renouveau ?

• Je m’apprête à lire « Le bal des vipères », le dernier Horacio Castellanos Moya traduit en français, et voilà que j’apprends grâce à l’intéressant article de Pagina12 qu’un nouveau vient de paraître en Amérique du Sud. Dans une semaine, je pars à Barcelone puis à Madrid, je verrai s’il s’y trouve déjà. Et puis, tant qu’à faire, il faudrait que je me procure le nouveau recueil de nouvelles de Vila-Matas ainsi que « Porque parece mentira la verdad nunca se sabe », le classique de Daniel Sada dont la seule copie que j’ai eu en main était dans un état pitoyable. J’espère avoir plus de chance cette fois-ci.
(J'espère également pouvoir faire oublier les faiblardes mises à jour dela semaine écoulée dès demain. Fausto était -est toujours- sur les rotules et n'a pas su assurer le service habituel. Sorry.)

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Tabula Rasa

Pourquoi?



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The world will start to breathe

- I have read all the books that have been written, Mr Goldberg, and it makes me melancholy. A terrible tedium comes upon me whenever I open again one of these volumes, or even when another voice renders me their contents.
- But would not a new book arouse your interest too much? I asked him, would it not have the effect of keeping you awake rather than the desired one of sending you to sleep?
- My friend, he said, you speak without thought. A new story, a story which is really new and really a story, will give the person who reads or hears it the sense that the world has become alive again for him. I would put it like this: the world will start to breathe for him where before it had seemed as if made of ice or rock. And it is only in the arms of that which breathes that we can fall asleep, for only then are we confident that we will ourselves wake up alive. Am I not right, my friend?

Gabriel Josipovici, Goldberg: Variations, Ecco, $13.95

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