Le complot est français
Sociétés secrètes, conspirations, complots, tout ça fait vendre du papier. La plupart du temps, c’est d’ailleurs du pur gaspillage : les romans qui jouent sur ces ressorts sont généralement des thrillers de bas étage, dépourvus d’intérêt littéraire, satisfaisant uniquement ceux qui sont à la recherche d’un façon de passer la pose de midi lorsque le bureau est trop éloigné du centre commercial.
Il y a heureusement un autre pan à cette conspirationnite aigue, celle menée bien sûr pas Thomas Pynchon. Tant mieux, parce que je suis bien sûr fasciné par toutes ces histoires obscures, ces versions alternatives du monde et que je peux ainsi assouvir mon désir de lire pareilles choses sans devoir sombrer et me laisser aller sur la pente glissante de la paresse littéraire. Ces préoccupations sont très américains, d’où ma curiosité lorsque j’ai entendu parler des « Falsificateurs » de Antoine Bello, résident new-yorkais mais bel et bien français. Qu’a-t-on à dire sur les conspirations en France, au-delà des affligeants Meyssanisme ou autres complots ultralibéraux pour contrôler la patrie de l’Égalité ™ ?
Au début des années ’90, Sliv, un jeune islandais, est débauché par une mystérieuse organisation, le Consortium de Falsification du Réel – toute leur activité est dans le nom. D’abord séduit par le jeu consistant à inventer des scénarios crédibles, leur donner une existence vérifiable et un blindage à toute épreuve contre les éventuelles contestations, Sliv se pose petit à petit toute une série de questions sur les motivations du CFR, la vision exacte qui l’anime et ses sources de financement. Falsificateur brillant quoique nonchalant, Sliv gravit quatre à quatre les échelons de la compagnie, malgré une expérience très désagréable en cours de route. On suppute qu’il comprendra mieux les mécanismes profonds de ce « machin » dans la suite qui nous est promise à la dernière page.
Il est assez amusant de lire comment les archives de la Stasi ont été fabriquées, Roswell inventé tout comme Laïka, ou encore un cinéaste expressionniste créé de toute pièce. Bello maîtrise assez bien les paramètres qui permettent de crédibiliser un évènement dans l’opinion public dont il connaît les modes de fonctionnement. En fait, « Les falsificateurs » prend à rebours les théories de la conspiration : en général, elles s’appliquent à des évènements qu’on nous cache – l’extra-terrestre du Nouveau-Mexique nous est dissimulé par le gouvernement- alors qu’ici c’est le CFR qui crée ces faux – et donc l’ovni n’existe pas et ce sont les efforts de l’administration pour rétablir la vérité qui, paradoxalement, accréditent la thèse de son existence chez les paranoïaques. C’est une trouvaille assez brillante qui m’a permis de passer un bon moment à la lecture du livre, malgré ses défauts qui en font une petite œuvre.
Finalement, les faiblesses sont nombreuses et toutes liées non pas à l’histoire en elle-même mais bien à l’écriture de Bello, dépourvue d’originalité, de style personnel –bref, ennuyante. C’est de la ligne claire non pas par choix mais par contrainte, sans once de génie. De plus, le ton est par trop didactique, particulièrement en ce qui concerne la psychologie des personnages, tous des cas d’école. On peut par ailleurs apprécier la quantité de connaissances brassée par l’auteur, le malheur est que c’est fait de façon trop scolaire et peu ludique : on dirait un cours ex-cathedra avec beaucoup trop de répétitions, de rappels des péripéties précédentes. En fait, lire « Les falsificateurs », c’est un peu comme s’embarquer sur une croisière où l’on a rien d’autre à faire que se reposer mais où on est rapidement agacé par les attentions trop fortes du service de bord.
Je ne peux m’empêcher d’imaginer ce qu’aurait pu donner aussi riche idée dans les mains d’un écrivain authentiquement parano, d’un forcené de la conspiration, d’un maniaque du secret, d’un maître, surtout, de la plume et de la syntaxe. Le voyage aurait été plus secouant, moins reposant mais surtout infiniment plus substantiel. On verra, si une suite débarque, si Bello saura abandonner le gentillet pour passer réellement à l’attaque.
Antoine Bello, Les falsificateurs, Gallimard, 21€
1 commentaires:
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Complots, résistance et chamanisme... un autre Antoine sort un roman en août "Songes de Mavlido". C'est Volodine, que j'attends avec impatience.