Il fut un temps...

...où un gros éditeur n’hésitait pas à publier un travail plutôt académique sur le roman américain. Ces livres n’étaient destinés qu’à un public relativement confidentiel, et pourtant, des maisons comme Grasset ou Le Seuil s’en occupaient.

Je lisais récemment « Les USA, à la recherche de leur identité », livre de Pierre Dommergues paru en 1967 chez Grasset. Il s’agit d’une compilation de propos d’une bonne partie des auteurs majeurs de l’époque. Norman Mailer sur la politique. Saul Bellow et la sensibilité juive. Le combat noir par Ralph Ellison ou LeRoi Jones. Ginsberg sur la poésie. Le théâtre par Arthur Miller et Edward Albee. Et aussi John Barth, William Burroughs, Philip Roth, Joseph Heller… Plus j’y pense, plus ça me semble dingue. A une époque où internet n’existait pas, ce livre était une sorte de don du ciel : près de 500 pages d’auteurs rares s’exprimant sur leur art et sur leurs contemporains. Quarante ans plus tard, c’est toujours une mine d’information bien utile.

C’est le genre de livre que l’on ne trouve plus qu’au détour d’une brocante ou dans les rayonnages poussiéreux d’un bon libraire d’occasion. Dans mes propres rayonnages que j’essaie de garder plus ou moins propres, j’ai d’autres ouvrages de ce type. « La grand-route, espace et écriture en Amérique » de Pierre-Yves Pétillon, paru au Seuil en 1979, est une cartographie du voyage littéraire américain, de Irving à « Gravity’s Rainbow ». Indispensable, mais malheureusement indisponible depuis longtemps. Toujours chez Seuil, il y a « Au-delà du soupçon », de Marc Chénetier (1989). Une étude sur les nouveaux écrivains US depuis 1960. En fait, le denier livre de ce type publié par une des grosses maisons doit être « Histoire de la littérature américaine, 1939-1989 » de Pétillon, dont on attend désespérément la suite.

Il est bien sûr toujours possible de trouver des essais intéressants chez de plus petits éditeurs. Plutôt cocasse : jusqu’à ce que Christian Bourgois réédite « Gothique Charpentier » de William Gaddis, on pouvait trouver des études entières consacrées au roman chez Didier, Ellipses et Houdiard alors que le texte lui-même n’était plus disponible depuis des années.

Le même problème se pose avec les traductions. L’édition française est très satisfaite lorsqu’elle compare son bilan dans ce domaine avec celui des maisons américaines. Il y a sans doute de quoi. Il n’y a pourtant pas de quoi pavoiser : il est impossible de trouver un édition autre que pour enfant des « Aventures de Tom Sawyer » -dont je vous ai déjà dit tout le mal qu’il faut en penser-, on laisse, sans honte, « L’arc-en-ciel de la gravité », « JR » ou « Les aventures d’Augie March » épuisés, indisponibles.

Dans « La condition littéraire », Bernard Lahire considérerait le livre comme une industrie guidée par l’offre. L’édifice repose entièrement sur l’auteur et sur son bon plaisir. Il est peu probable que moins de spécialistes et de passionnés ne veulent écrire des ouvrages savants que cela se faisait il y a encore vingt ans. Il faut donc regarder du côté des éditeurs.

Pourquoi donc les maisons grand public se sont désintéressées de ce type de publication ? L’explication paraît évidente : ça ne se vend pas – ou ça se vend trop peu. Mais trouvait-on plus d’acheteurs il y a vingt ans ? Ca ne me semble pas clair. Si l’on accepte que la volonté d’écrire est toujours là et que les acquéreurs ne sont pas moins nombreux que précédemment, il ne reste plus qu’à conclure que ce sont les éditeurs eux-mêmes qui ont tourné casaque.

Ce n’est pas tant que la littérature de qualité ne fait plus recette ou que l’analyse littéraire n’intéresse plus personne : c’est surtout que certains éditeurs prennent le lecteur pour un con qu’il ne faut pas trop bousculer. A ce titre, je préfère mille fois un Patrick Le Lay qui indique clairement que sa chaîne télé à pour vocation de vendre les produits des annonceurs à un comité d’édition frileux mené par une poule mouillée qui prétend ne pas avoir le choix.

On ne peut pas espérer vendre ce que l’on ne fait même pas imprimer. On ne saurait pas déterminer ce que le bon peuple veut lire par une enquête marketing. L’immense majorité de livres ne se vendent pas assez pour être rentables et les bénéfices sont faits par une poignée d’ouvrages. Pourtant, on publie plus chaque année. Si l’on choisit de privilégier un ouvrage de merde qui ne trouvera pas acquéreur plutôt qu’un de qualité qui fera le bonheur d’une poignée, ce n’est ni la faute du marché, ni la faute du lecteur. C’est une question de responsabilité personnelle, voir d’honneur : Olivier Nora, Denis Jeambar et autres Francis Esmenard, prouvez que vous n’êtes pas encore complètement étrangers à l’art…

 

4 commentaires:

  1. Anonyme said,

    Cher F.:M.:

    je me demande, à la lecture de ce blog, qu'est-ce qui, au final, te motive à lire autant ? Que cherches-tu précisément dans les romans ?

    Merci d'avance.

    on 9:18 PM


  2. Que ça reste entre toi et moi: je parle beaucoup de livres que je n'ai pas lu.

    Sérieusement: je n'en sais rien, je ne me suis jamais posé la question. C'est juste quelque chose qui me paraît naturel. Je peux y réfléchir, mais je ne suis pas certain de trouver un début de réponse.

    Mais dis-moi, qu'est-ce qui, à la lecture de ce blog donc, te fais te poser cette question?

    on 10:43 PM


  3. Anonyme said,

    Disons que je suis impressionné par la quantité de livres que tu lis et l'intérêt que tu leur portes. Je me dis qu'il doit y avoir une raison à cela, à toutes ces heures passées à lire des romans. Et j'aimerais que tu y réfléchisses car la réponse m'intéresse vraiment.

    on 11:16 AM


  4. J'y réfléchira donc, mais je ne peux rient te garanir. Il y a sans doute un certain atavisme là-dedans. Et quelque chose de compulsif aussi.

    on 2:41 PM


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