Un sérieux prétendant

En 1967, John Barth publie « The literature of exhaustion », où il aborde la mort du roman et voit une piste de renouvellement dans le recyclage littéraire des formes et textes anciens. C’est ce qu’il fera tout au long de sa carrière, avec notamment Sinbad, les milles et un nuits, ou encore la guerre de Troie.

Près de 40 ans plus tard, Ben Ehrenreich recycle l’Odyssée de manière très convaincante. C’est une vrai réappropriation : il n’a pas la fausse bonne idée de réécrire l’histoire en changeant le cadre, les noms, le vocabulaire. Il préfère prendre le ressort narratif, le faire sien et en sortir un texte qui lui est propre, renvoyant à Homère sans afficher un respect qui serait paralysant.

Payne meets Penny. Ils tombent amoureux, s’achètent un billet de bus, destination le plus loin possible. Une fois arrivés, Payne construit une maison, colonise la région, enrôle quelques misérables hères vivant dans le coin et part à l’attaque des voisins, tuant, pillant, volant, s’enrichissant. Jamais repu, il se laisse embarquer dans une guerre indéterminée, lointaine et interminable, laissant derrière lui une Penny enceinte, entourée de courtisans qui s’enhardissent avec les années.

Ehrenreich laisse entrevoir de très belles choses. Une voix et un style propre, une capacité à s’attaquer sans complexe à des choses plutôt difficile – que ce soit Homère, le pouvoir, l’amour- sans que ce soit bateau, et une maîtrise technique lui permettant de jongler avec les types de narrations d’une façon harmonieuse – tour à tour récit épistolaire, assemblage de témoignages écrits à la première personne ou fiction classique avec narrateur omniscient.

J’ai beaucoup apprécié les moments de repas dans la demeure Penny. La meilleure scène de ce type est sans doute celle où les prétendants, ayant entendu une rumeur qui disait Payne mort, se lancèrent dans un spectacle odieux devant la « veuve », chaque plat, chaque discours une occasion de célébrer la mort de l’époux. Les personnages et les plats sont décrits avec une verve qui fait penser à un Pynchon qui aurait –malheureusement, tout de même- garder le sens des proportions – orgie et chansons incluses.

Tout n’est pas parfait : dans la première partie, par exemple, Ehrenreich s’étend avec une certain pesanteur sur les procédés de conquête de Payne afin sans doute de faire saisir au lecteur un parallèle avec une certaine administration actuelle. C’est pataud et convenu – il n’est pas nécessaire de souligner à gros traits ce qui semble évident.

Ceci étant, « The Suitors » est un premier roman tout à fait remarquable qui permet à son auteur de s’affirmer comme un des prétendants à la relève littéraire américaine. En tout cas, une belle preuve du dynamisme des écrivains de ce pays.

Ben Ehrenreich, The suitors, Counterpoint, $23.00

 

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