Rideau sur les mormons
Rudd n’a pas une adolescence facile. Son père est mort, sa mère est possessive et veut toujours le traîner à l’église, il est mal-aimé à l’école et peine à accepter son héritage mormon. En fouillant dans des vieux papiers, il trouve des lettres adressées à son paternel qui lui apprennent l’existence d’un fils illégitime. Prenant son courage à deux mains, il va à la rencontre de Lael.
En lui, Rudd se découvre un ami, le premier, le seul. Ils passent de plus en plus de temps ensemble à faire des choses pas nécessairement très intelligentes. A la même époque, pour un travail à l’école, Rudd tombe sur des articles de 1903 à propos d’un étrange meurtre rituel commis par le petit-fils d’un célèbre prêcheur mormon.
Je ne vais pas en dire plus sur l’intrigue : les ressorts utilisés par Brian Evenson dans « The open curtain » sont ceux du thriller, et je ne voudrais pas vous gâcher le plaisir de lecture. De toute façon, il y a bien d’autres choses à dire tant l’auteur ne se contente pas de jouer sur le suspense.
Brian Evenson était un mormon jusqu’à ce qu’il demande son excommunication en 2000, processus personnel probablement influencé par la réaction de l’Eglise à son premier livre de fiction – jugé moralement répugnant, on avait demandé à l’auteur de « Atlmann’s tongue » de promettre d’arrêter d’écrire de tels livres ou de démissionner de son poste d’enseignant dans une université mormone. Dans « The open curtain », il s’intéresse à des crimes de sang commis par des membres aux franges de la communauté, crimes qu’il pense révélateur d’une tendance violente sous-jacente au mormonisme. Il fait ça sans aucune haine ou agressivité particulière envers cette religion, mais plutôt ave une volonté de la comprendre et de se comprendre lui-même.
Cette recherche, on la retrouve aussi chez Rudd. Déconnecté de ses racines, il va essayer de se reconstruire à travers son demi-frère et le récit du meurtre. Pour lui, l’échec sera malheureusement patent, mais pour le lecteur ce sera l’occasion de s’engager dans un puissante réflexion sur le secret, la famille, les traditions, la manière dont l’histoire de la communauté peut façonner une histoire personnelle.
Le plus impressionnant, à mon sens, dans « The open curtain », est la construction narrative, d’une très grande maîtrise. En fait, je trouve que la première partie est un peu lente, pas assez captivante stylistiquement. Par contre, la deuxième est superbe. C’est celle de la reconstruction post-traumatique, des amours adolescents déçus et de la descente progressive dans l’infamie et l’horreur. Un portrait psychologique très fin et superbement écrit. Je vous conseille de lire ça en écoutant les morceaux suggérés par Evenson – sa « playlist » est impeccable, mais c’est vraiment pour ces pages-ci qu’elle est parfaite.
Séduit par cette deuxième partie, on est finalement assommé par la dernière, long épilogue où le réel se voit « polluer » par le fantasme. Là, ça devient tout simplement brillant. Il n’est pas facile de mélanger réalité et hallucinations dans un même texte sans que ça paraisse creux ou artificiel. Evenson réalise ce tour de force stupéfiant : le lecteur lui-même perd ses repères et ne sait pas trop défaire le vrai du faux. Hagard, il est acheminé vers la conclusion sans avoir d’emprise sur l’expérience narrative qu’il est en train de vivre.
Le plus beau dans « The open curtain », c’est qu’on à ici un livre censé plaire à tous : amateurs de thrillers, de récits horrifiques ou de fiction littéraire y retrouveront leurs petits sans aucun problèmes et seront immanquablement fascinés par cette œuvre intense.
Brian Evenson, The open curtain, Coffe House Press, $14.95
Oh bonheur, la traduction française de ce livre paraît en janvier au Cherche-Midi, collection Lot49, sous le titre « Inversion ». 17€.