Rat de bibliothèque
Après la course d’endurance « Against the Day », ma petite tête demandait un peu de repos. J’ai jeté un œil sur ce que j’avais en stock et mon choix s’est tout logiquement porté sur le volume le plus fin dans ma pile « à lire ». Par bonheur, si le livre est court et offre un certain repos par rapport à la machine pynchonienne, il est assez consistant pour pouvoir en faire un repas de qualité.
De repas, il en est d’ailleurs beaucoup question dans les aventures de Firmin, cet interlope métropolitain. Précisons tout de suite que notre héros est un rat, né par accident dans la cave d’une librairie d’occasion. Dernier d’une portée de treize, il n’arrive jamais à accéder à l’une des douze mamelles de sa mère. En attendant de pouvoir aller récupérer les dernières gouttes de lait laissées par ses goinfres de frères et sœurs, il dévore les volumes bon marché qui traînent au sous-sol. Et miracle : Firmin sait lire !
Les livres vont devenir le sel de sa vie. Il les dévore toujours, mais des yeux plutôt que des dents. Tous les ouvrages de la librairie y passeront, de la fiction – pauvre Firmin aura d’ailleurs bien du mal à la démêler de la réalité- au plus obscur livre de jardinage. Quand il ne lit pas, notre rat s’imagine rentrant en contact avec le propriétaire de son monde ou bien sort du magasin pour aller passer la soirée dans un cinéma qui passe du Fred Astaire puis du porno après minuit.
Son grand malheur est de ne pas savoir parler. Il voudrait tant raconter sa vie, discuter avec le libraire ou avec le très imbibé Jerry, auteur de science-fiction. Mais la parole lui est aussi inaccessible que Ginger Rogers sur l’écran de cinéma. Très déprimant pour lui (mais au fait, comment fait-il donc pour nous raconter sa vie ?).
« Firmin » est le premier roman de Sam Savage, soixante ans passé. Deux heures de plaisir garanti pour tous les lecteurs de ce petit livre bien écrit, intelligent, et surprenant. Lecture quasi-indispensable pour l’ensemble des membres de la confrérie des rongeurs de livres.
Sam Savage, Firmin, adventures of a metropolitan lowlife, Coffee House Press, $14.95