NBA 2006: Spiotta - Eat the document
« Eat the document », le second roman de Dana Spiotta, aurait pu être écrit par Don DeLillo – en version moins sensible, plus froide. Mary, jeune radicale du début des années ’70, est en fuite. Une action contre la guerre du Vietnam ayant mal tourné, sa cellule activiste doit se disperser. Elle commence un parcours vers la clandestinité. Il faut se forger une nouvelle identité, une nouvelle histoire, de nouvelles habitudes. Des jours et des nuits de sueurs froides à être toujours aux aguets. 1998, et nous sommes en plein développement de la mouvance alter-mondialiste, alors que résurrection des mouvements radicaux bat son plein. Une nouvelle génération tente, plutôt maladroitement, de prendre le relais.
Le plus intéressant dans ce livre, c’est sans doute la comparaison entre notre époque et le monde d’il y a trente ans. Spiotta les pointe heureusement rarement du doigt, mais les différences / ressemblances parsèment le récit, et il est assez amusant de partir à la chasse. Le roman est rempli de références musicales – on dit souvent les fans obsessionnels sont toujours masculins, donc soit Spiotta a fait de longues recherches, soit elle est un parfait contre-exemple. Les albums et le chansons écoutée par Mary en fuite sont peu ou prou les mêmes que ceux que son fils écoute, presque comme un autiste, seul dans sa chambre de fin de millénaire. Au niveau politique, pour tous les néo-punks, néo-féministes, anticapitalistes, anti-impérialistes, black blockers et autres hackers, les mouvements des années ’70 font référence. Sans les résultats, avec souvent plus de parlote que d’action, en mettant la technologie à profit lorsqu’ils font quelque chose, ils ont les mêmes illusions que leurs aînés.
Spiotta voit la rébellion actuelle comme une chose apprivoisée, la contre-culture séduit toujours autant, mais elle a été récupérée par le marché. C’est une vision bien naïve : dès le départ, la contre-culture était aussi un culte de la consommation –tout alternative qu’elle puisse être- doté d’un marché qui ne fonctionnait pas différemment du marché grand public. Ce que l’écrivain nous montre de la commercialisation de la révolte des années ’90, elle aurait pu le dire de celle des années ’70. La différence ? Elle ne connaît sans doute cette dernière qu’à travers les documents plus ou moins romantiques qu’on trouve chez les libraires alternatifs.
Stylistiquement, d’autres l’ont dit avant, Spiotta évoque Joan Didion – mais sans l’élégance ni, peut-être, la subtilité que la grande dame californienne a dans sa manière d’écrire sur et de traiter un sujet. J’ai été plusieurs fois surpris par la langue beaucoup trop riche de Jason, 15 ans. Qui, à cet âge là, utilise l’expression « lingua franca » ? Par ailleurs, il y a beaucoup à dire sur sa collection de vinyles rares d’une valeur inestimable, apparemment obtenue sans autre source de revenu que l’argent de poche accordé par une mère qui donne des cours du soir de cuisine…
Ce livre n’est pas déplaisant, il se laisse lire. Cependant, rien, ni dans le style ni dans le contenu, ne retient assez l’attention pour qu’il fonctionne et se transforme en lecture nécessaire. Le sujet que Spiotta est potentiellement riche, et je suis certain qu’on aura un jour un grand roman là-dessus. Pour le moment, si vous voulez vous plonger dans les restes de la contre-culture, lisez « Vineland ». Si ce que vous recherchez est une vision plus académique, les rayons sont pleins chez votre libraire indépendant. A la Fnac aussi, d’ailleurs.
Dana Spiotta, Eat the document, Scribner, $24.00
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Cet article est le quatrième d'une série de cinq consacrée aux finalistes du National Book Award 2006. Le premier, le deuxième et le troisième sont déjà en ligne. Le dernier suivra la semaine prochaine.