Qu'on lui coupe la tête!
Vladimir Nabokov aurait dit que, parmi tous ses livres, celui pour lequel il avait le plus d’estime était sans doute « Invitation to a beheading ». De ceux que j’ai lu, c’est peut-être cette invitation que j’ai le moins apprécié. Ca ne dit rien sur la qualité du livre, d’ailleurs : je n’ai pas encore lu de mauvais Nabokov.
Dans l’introduction à la traduction anglaise – le livre avait d’abord été publié en Russe en 1935- Nabokov se fâche très fort contre les critiques qui y voit un livre politique influencé par son expérience de première main du communisme et du nazisme : « The question whether or not my seeing both in terms of one dull beastly farce had any effect on this book should concern the good reader as little as it does me. » Ce genre de remarque ne devrait étonner personne, Nabokov ayant affirmé à de nombreuses reprises que pour comprendre un livre, il fallait le lire minutieusement sans perdre son temps à chercher les détails biographiques ou historiques qui jetteraient une certaine lumière sur sa composition : tout est entre la première page et la dernière, imprimé en caractère noir sur la surface blanche.
Pourtant, il est inévitable que le lecteur ait une lecture politique de « Invitation of a beheading », puisqu’il s’agit d’un homme condamné à mort pour une raison obscure, victime de torture psychologique et soumis à des lois absurdes – le règlement d’ordre intérieur de la forteresse où il est enfermé prescrit ce qu’il est permis de rêver. Une lecture plus attentive détourne cependant le lecteur de cette analyse dystopique.
Cincinnatus C. est condamné pour un crime plutôt vague : « gnostic turpitude ». Selon Scott Esposito, ce serait peut-être un « mépris » pour la matière : le jeune Cincinnatus aurait lévité sous les yeux ébahis de ses petits camardes,et aurait sans doute continué à avoir ce genre de manifestation étrange à l’âge adulte, transgressant ainsi un tabou de sa contrée. Pourquoi pas. On notera en tout cas que Nabokov ne perd pas son temps à expliciter ce qui va l’envoyer vers l’échafaud : le sujet n’est donc pas vraiment le régime répressif. Par ailleurs, dans les descriptions plutôt courtes qui en sont faites, le pays imaginé par l’auteur ne paraît pas être véritablement totalitaire, dictatorial.
En fait, « Invitation to a beheading » est une œuvre de pure imagination, celle d’un esprit libre de toute contrainte simplement réaliste. Finalement, c’est un roman assez absurde. Le comportement du directeur de la prison semble aberrant, la famille de Cincinnatus est tout à fait étrange et Monsieur Pierre a tout d’une apparition venue du cinéma burlesque. La structure même du monde dans lequel ils vivent, et particulièrement de la prison, est complètement détachée de la contingence scientifique. L’univers est onirique, comme certains éléments du récit paraissent l’indiquer – mais paraissent seulement, parce que s’il y a bien une chose à retenir, c’est de ne pas se fier aux apparences.
Sans vouloir lui donner une intention qu’il aurait peut-être estimé ridicule, je pense que le livre de Nabokov nous entretient de la différence, perçue comme danger, comme menace. L’altérité, pour employer un mot malheureusement à la mode de nos jours, a toujours provoqué des réactions fortes. La faute à qui ? Aussi bien à la foule des « normaux » incapable d’accepter l’autre qu’à cet autre lui-même qui ne saisit pas les occasions de se faire accepter ou de sortir de sa position délicate. Cincinnatus aura ainsi plusieurs possibilités d’appels à l’aide, jamais il ne les saisira, sans doute parce qu’il ne les voit pas. La différence résiderait-elle justement dans cette incapacité à la prendre en compte dans nos relations avec autrui – un problème d’adaptation, en somme?
Vladimir Nabokov, Invitation to a beheading, Penguin, £9.99
2 commentaires:
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Je suis désolée que vous n'aimiez pas le livre autant que moi. Peut-être il vous intéressera que Nabokov a écrit "Invitation to a Beheading" dans une salle de bains à Berlin. Il était nuit, son apartement n'avait que une chambre, et il ne voulait pas réveiller sa femme, Nina. Il a finit le premier brouillon pendant 18 heures.
J'aime beaucoup votre blog. Je l'ai trouvé sur MetaxuCafe, et je vous ajouterai à mes "feeds" de RSS.
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Merci Anastasia!