Dickens à Barcelone
Séduit par « Los ríos perdidos de Londres », j’ai profité des vacances pour lire son successeur, le roman « Mundo maravilloso », afin de confirmer ou de corriger mes premières impressions. En l’écrivant, Javier Calvo avait comme ambition de mettre sur le papier sa version barcelonaise et XXIeme siècle d’un feuilleton dickensien. Au final, on a un livre hybride, pas tout à fait réussi, pas tout à fait décevant.
En 1978, un antiquaire qui craint les fenêtres est arrêté à Camber Sands, probablement trahi par un de ses amis, alors qu’il s’apprêtait à finaliser une transaction illégale. En 2006, son fils, Lucas Giraut, tente de démêler le vrai du faux dans l’histoire paternelle malgré les bâtons que lui mettent dans les roues sa mère et la justice. Sa recherche le pousse sur les traces d’un mystérieux club appelé « Nous n’aimons pas le soleil », de maisons et de clubs aux noms empruntés au catalogue de Pink Floyd, de Bocanegra, ancien et très criminel associé de son père ainsi que d’un étrange collectionneur féru d’occultisme, au centre d’un plan qu’il élabore afin de venger son paternel et de voler de légendaires peintures irlandaises. Dans ce nœud de vipères, Giraut ne peut compter que sur Valentina, gamine de douze ans, obsédée par l’œuvre de Stephen King au point d’osciller entre raison et folie.
Calvo avait déjà voulu écrire une histoire victorienne avec « Los ríos perdidos ». Ce désir ne l’a pas quitté et, ici, l’opération est répétée sur près de 600 pages. Des romans de Dickens, le catalan a voulu rendre l’allure socialement kaléidoscopique, le mélange de genres, la satire, l’intrigue complexe, la longueur et le rythme. Le livre donne aussi l’impression d’avoir été écrit pour une parution en feuilletons, avec ses rebondissements et ses suspenses en fin de chapitres. Formellement, le contrat serait donc rempli mais il ne s’agissait pas pour Calvo de se contenter de réécrire le déjà écrit. Il y a, en effet, au moins trois dimensions supplémentaires.
Premièrement, et ça va presque sans dire, à part donc la mise en place du projet, il n’y a pas grand-chose de dickensien dans « Mundo maravilloso », que ce soit la langue ou le décor. De fait, il s’agit bien d’un roman contemporain qui parle surtout du temps où il a été écrit. En ce qui concerne le style, il n’y a pas grand-chose à dire : Calvo ne prend guère plus de risque qu’il ne fait dans le classique. C’est passe-partout et fera peut-être penser à la prose super référentielle de l’un ou l’autre Américain des années ’90. En Espagne, certains lecteurs ont critiqué Calvo parce qu’il répétait sans arrête les mêmes termes dans les descriptions. A juste titre, on signala que dans ce livre tout avait tendance à être « corporativo ». Une mallette, une veste, un costume… Mais est-ce vraiment une preuve de pauvreté de l’écriture ? Bien qu’il se défende de faire de ses livres des théories du monde, on peut penser qu’en utilisant autant un terme tel que « corporativo » il en dise plus qu’en citant des marques ou qu’en décrivant des vêtements dont on devine le fabriquant sans qu’il soit nécessaire de le mentionner : non seulement le terme est direct et ne vieillira sans doute pas mais en plus il ne distrait pas de l’histoire tout en la qualifiant plutôt bien. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus beau à lire, mais là n’est manifestement pas le souci de l’auteur. En ce qui concerne le décor, le Londres gris et profondément inégal du 19eme siècle est remplacé par un Barcelone entre réel et fantasme. Amateur impénitent de la culture gothique, Calvo donne à sa ville quelques ambiances qui ne s’y trouvent pas afin d’accompagner au mieux une galerie de personnages aux mœurs étranges à laquelle une fidèle description des ramblas ou de la cathédrale ne rendrait sans doute pas justice.
Ensuite, derrière l’aventure, celle qui divertit le lecteur, il y a un thème qui domine : celui de la paternité. Calvo lui-même l’a dit à plusieurs reprises : ce roman est né de son désir d’être père et de sa prise de conscience que pour être heureux, il en avait besoin. Dans « Mundo maravilloso », on retrouve à l’avant-plan Lucas et Valentina, des enfants sans parents, et monsieur Bocanegra, un père sans enfants. Au milieu de ce roman qui doit autant au pulp qu’à la fiction populaire victorienne se trouve donc curieusement une sorte de réflexion sur ce que signifie être parent / enfant ou ne pas avoir de parents / enfants.
Enfin, le travail de Calvo se base en partie sur une approche intéressante de la culture pop et de ce que le public attend des thrillers qui squattent les listes de best-sellers. Parler de parodie est peut-être top fort lorsqu’on considère le travail d’un homme qui insiste que, lorsqu’il évoque la série Buffy the vampire slayer il le fait non pas de manière ironique mais bien en tant que fan, pourtant on est sans doute pas loin de cette dimension si l’on considère, par exemple, les dialogues dont l’aspect cliché est à la limite du ridicule ainsi que la quantité de scène obligatoires dont le récit est parsemé. Et que dire de ce long – et magistral – chapitre où l’un des personnages, mannequin et ancienne actrice « de charme » se tape l’intégralité de la saison sept de Friends en une nuit alimentée de coke afin d’y trouver la solution à ses problèmes ? N’oublions pas non plus que dans une des nombreuses intrigues secondaires, « Mundo maravilloso » est le titre du nouveau Stephen King dont on peut lire, entre chaque parties du roman, de longs extraits. Pour terminer, il faudrait aussi considérer le final du livre qui commence dans un parc d’attraction, lieu 21eme siècle par essence, pour s’évanouir dans une longue poursuite où tous les personnages impliqués dans cette résolution semblent évoluer « comme dans un film ».
Le problème de tout ça, c’est que finalement si l’histoire suit son court de façon efficace en évitant les écueils ridicules grâce un sens de l’auto-parodie bien placé, il n’en reste pas moins que l’ensemble est bancal. Si on peut accepter que certaines choses qui nous plaisent moins sont nécessaires au projet de Calvo, il y a d’autres éléments plus gênants. Chez Dickens, les trames et les sous-trames et les sous-sous-trames faisaient sens dans l’ensemble de l’œuvre. Dans « Mundo maravilloso », on a malheureusement l’impression que Calvo laisse libre court à ses fétichismes gothiques ou occultistes sans que l’on saisisse très bien ce que cela vient faire là-dedans. De plus, de nombreuses sous-histoires n’apportent pas grand-chose, voir rien. Le refus de Calvo de donner à travers ses fictions des interprétations du monde est compréhensible mais lorsque certains de ses personnages semblent être pourtant faits pour ce faire et qu’ils ne le font pas… eh bien… ils ne font rien. De même, l’intrusion dans le roman de l’imaginaire nouveau roman de Stephen King, pour sympathique qu’elle soit, devient vite un exercice creux dont on pourrait sauter les pages sans perdre grand-chose.
Au bout du compte, « Mundo maravilloso » divertit mais c’est sans doute la seule chose qu’il fera pour vous à moins que, comme moi, vous n’ayez un certain plaisir à voir un auteur se dépêtrer entre ses ambitions assumées et ses ambitions niées et qui, pour s’en sortir, joue avec quelques schémas de représentations. A part ça ? Bwaf. Calvo dit que de ses livres celui qu’il préfère est « Los ríos perdidos de Londres ». On lui donne raison : il y a là-dedans des traces de ce qu’il allait vouloir faire avec « Mundo maravilloso », mais il maîtrisait alors réellement son projet. Ici, on croirait qu’il est dépassé par ce thriller en forme de conte de fées.
Javier Calvo, Mundo maravilloso, Mondadori, 9€95
NB: il y a deux ans, Calvo contribuait au journal en ligne espagnol ADN. Dans une de ses colonnes, il abordait avec ce qui me semble une intention de satire swiftienne le thème de l’immigration clandestine qui arrive aux Canaries en suggérant, pour résoudre le problème, et après avoir pensé à entourer les îles d’une féroce population de requins, de renoncer à la souveraineté sur ce territoire et d’accueillir sur la péninsule, plutôt que des immigrants, des canariens. Scandale énorme dès la parution. Retrait par le journal du texte incriminé. Menaces de mort. Arrête de la collaboration entre ADN et Calvo. Tout ça ne vous fait penser à rien ? Plutôt que de disserter longuement sur les réactions hallucinantes qu’une mauvaise blague peut obtenir si elle est publiée dans la presse, j’ai envie de retenir une chose : le silence de Calvo sur le sujet. Peut-être n’avait-il pas d’amis disposés à signer des pétitions et à lancer un journal rien que pour lui. Peut-être. Je préfère penser qu’il s’est dit que la liberté de la presse, c’est aussi pour un journal de choisir avec qui il veut collaborer et de décider que si l’entente n’est plus là, la séparation est parfois la meilleure solution.
En 1978, un antiquaire qui craint les fenêtres est arrêté à Camber Sands, probablement trahi par un de ses amis, alors qu’il s’apprêtait à finaliser une transaction illégale. En 2006, son fils, Lucas Giraut, tente de démêler le vrai du faux dans l’histoire paternelle malgré les bâtons que lui mettent dans les roues sa mère et la justice. Sa recherche le pousse sur les traces d’un mystérieux club appelé « Nous n’aimons pas le soleil », de maisons et de clubs aux noms empruntés au catalogue de Pink Floyd, de Bocanegra, ancien et très criminel associé de son père ainsi que d’un étrange collectionneur féru d’occultisme, au centre d’un plan qu’il élabore afin de venger son paternel et de voler de légendaires peintures irlandaises. Dans ce nœud de vipères, Giraut ne peut compter que sur Valentina, gamine de douze ans, obsédée par l’œuvre de Stephen King au point d’osciller entre raison et folie.
Calvo avait déjà voulu écrire une histoire victorienne avec « Los ríos perdidos ». Ce désir ne l’a pas quitté et, ici, l’opération est répétée sur près de 600 pages. Des romans de Dickens, le catalan a voulu rendre l’allure socialement kaléidoscopique, le mélange de genres, la satire, l’intrigue complexe, la longueur et le rythme. Le livre donne aussi l’impression d’avoir été écrit pour une parution en feuilletons, avec ses rebondissements et ses suspenses en fin de chapitres. Formellement, le contrat serait donc rempli mais il ne s’agissait pas pour Calvo de se contenter de réécrire le déjà écrit. Il y a, en effet, au moins trois dimensions supplémentaires.
Premièrement, et ça va presque sans dire, à part donc la mise en place du projet, il n’y a pas grand-chose de dickensien dans « Mundo maravilloso », que ce soit la langue ou le décor. De fait, il s’agit bien d’un roman contemporain qui parle surtout du temps où il a été écrit. En ce qui concerne le style, il n’y a pas grand-chose à dire : Calvo ne prend guère plus de risque qu’il ne fait dans le classique. C’est passe-partout et fera peut-être penser à la prose super référentielle de l’un ou l’autre Américain des années ’90. En Espagne, certains lecteurs ont critiqué Calvo parce qu’il répétait sans arrête les mêmes termes dans les descriptions. A juste titre, on signala que dans ce livre tout avait tendance à être « corporativo ». Une mallette, une veste, un costume… Mais est-ce vraiment une preuve de pauvreté de l’écriture ? Bien qu’il se défende de faire de ses livres des théories du monde, on peut penser qu’en utilisant autant un terme tel que « corporativo » il en dise plus qu’en citant des marques ou qu’en décrivant des vêtements dont on devine le fabriquant sans qu’il soit nécessaire de le mentionner : non seulement le terme est direct et ne vieillira sans doute pas mais en plus il ne distrait pas de l’histoire tout en la qualifiant plutôt bien. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus beau à lire, mais là n’est manifestement pas le souci de l’auteur. En ce qui concerne le décor, le Londres gris et profondément inégal du 19eme siècle est remplacé par un Barcelone entre réel et fantasme. Amateur impénitent de la culture gothique, Calvo donne à sa ville quelques ambiances qui ne s’y trouvent pas afin d’accompagner au mieux une galerie de personnages aux mœurs étranges à laquelle une fidèle description des ramblas ou de la cathédrale ne rendrait sans doute pas justice.
Ensuite, derrière l’aventure, celle qui divertit le lecteur, il y a un thème qui domine : celui de la paternité. Calvo lui-même l’a dit à plusieurs reprises : ce roman est né de son désir d’être père et de sa prise de conscience que pour être heureux, il en avait besoin. Dans « Mundo maravilloso », on retrouve à l’avant-plan Lucas et Valentina, des enfants sans parents, et monsieur Bocanegra, un père sans enfants. Au milieu de ce roman qui doit autant au pulp qu’à la fiction populaire victorienne se trouve donc curieusement une sorte de réflexion sur ce que signifie être parent / enfant ou ne pas avoir de parents / enfants.
Enfin, le travail de Calvo se base en partie sur une approche intéressante de la culture pop et de ce que le public attend des thrillers qui squattent les listes de best-sellers. Parler de parodie est peut-être top fort lorsqu’on considère le travail d’un homme qui insiste que, lorsqu’il évoque la série Buffy the vampire slayer il le fait non pas de manière ironique mais bien en tant que fan, pourtant on est sans doute pas loin de cette dimension si l’on considère, par exemple, les dialogues dont l’aspect cliché est à la limite du ridicule ainsi que la quantité de scène obligatoires dont le récit est parsemé. Et que dire de ce long – et magistral – chapitre où l’un des personnages, mannequin et ancienne actrice « de charme » se tape l’intégralité de la saison sept de Friends en une nuit alimentée de coke afin d’y trouver la solution à ses problèmes ? N’oublions pas non plus que dans une des nombreuses intrigues secondaires, « Mundo maravilloso » est le titre du nouveau Stephen King dont on peut lire, entre chaque parties du roman, de longs extraits. Pour terminer, il faudrait aussi considérer le final du livre qui commence dans un parc d’attraction, lieu 21eme siècle par essence, pour s’évanouir dans une longue poursuite où tous les personnages impliqués dans cette résolution semblent évoluer « comme dans un film ».
Le problème de tout ça, c’est que finalement si l’histoire suit son court de façon efficace en évitant les écueils ridicules grâce un sens de l’auto-parodie bien placé, il n’en reste pas moins que l’ensemble est bancal. Si on peut accepter que certaines choses qui nous plaisent moins sont nécessaires au projet de Calvo, il y a d’autres éléments plus gênants. Chez Dickens, les trames et les sous-trames et les sous-sous-trames faisaient sens dans l’ensemble de l’œuvre. Dans « Mundo maravilloso », on a malheureusement l’impression que Calvo laisse libre court à ses fétichismes gothiques ou occultistes sans que l’on saisisse très bien ce que cela vient faire là-dedans. De plus, de nombreuses sous-histoires n’apportent pas grand-chose, voir rien. Le refus de Calvo de donner à travers ses fictions des interprétations du monde est compréhensible mais lorsque certains de ses personnages semblent être pourtant faits pour ce faire et qu’ils ne le font pas… eh bien… ils ne font rien. De même, l’intrusion dans le roman de l’imaginaire nouveau roman de Stephen King, pour sympathique qu’elle soit, devient vite un exercice creux dont on pourrait sauter les pages sans perdre grand-chose.
Au bout du compte, « Mundo maravilloso » divertit mais c’est sans doute la seule chose qu’il fera pour vous à moins que, comme moi, vous n’ayez un certain plaisir à voir un auteur se dépêtrer entre ses ambitions assumées et ses ambitions niées et qui, pour s’en sortir, joue avec quelques schémas de représentations. A part ça ? Bwaf. Calvo dit que de ses livres celui qu’il préfère est « Los ríos perdidos de Londres ». On lui donne raison : il y a là-dedans des traces de ce qu’il allait vouloir faire avec « Mundo maravilloso », mais il maîtrisait alors réellement son projet. Ici, on croirait qu’il est dépassé par ce thriller en forme de conte de fées.
Javier Calvo, Mundo maravilloso, Mondadori, 9€95
NB: il y a deux ans, Calvo contribuait au journal en ligne espagnol ADN. Dans une de ses colonnes, il abordait avec ce qui me semble une intention de satire swiftienne le thème de l’immigration clandestine qui arrive aux Canaries en suggérant, pour résoudre le problème, et après avoir pensé à entourer les îles d’une féroce population de requins, de renoncer à la souveraineté sur ce territoire et d’accueillir sur la péninsule, plutôt que des immigrants, des canariens. Scandale énorme dès la parution. Retrait par le journal du texte incriminé. Menaces de mort. Arrête de la collaboration entre ADN et Calvo. Tout ça ne vous fait penser à rien ? Plutôt que de disserter longuement sur les réactions hallucinantes qu’une mauvaise blague peut obtenir si elle est publiée dans la presse, j’ai envie de retenir une chose : le silence de Calvo sur le sujet. Peut-être n’avait-il pas d’amis disposés à signer des pétitions et à lancer un journal rien que pour lui. Peut-être. Je préfère penser qu’il s’est dit que la liberté de la presse, c’est aussi pour un journal de choisir avec qui il veut collaborer et de décider que si l’entente n’est plus là, la séparation est parfois la meilleure solution.