Much ado about everything
Je suis arrivé avec de grandes réticences à « Darkmans ». Je l’avais acheté peu après sa sortie, quelque chose en moi étrangement alléché par quelques résumés qui évoquaient l’immiscion du fou d’Édouard IV et du médecin d’Henry VIII dans une ville du Kent du vingt-et-unième siècle et de leur rencontre avec un kurde allergique aux salades. Le livre avait traîné quelques mois sur mes étagères, je le regardais d’un air suspicieux, encore accentué par son apparition sur la liste des finalistes du Booker 2007. Et puis un jour, fatigué de voir ces 838 pages cartonnées prendre de la place là où il n’y en avait plus depuis longtemps, je l’ai lu. Et je ne suis pas déçu.
« Darkmans » est le septième roman de Nicola Barker, un écrivain dont j’avais lu le nom ici ou là avec une assez grande régularité sur les huit dernières années sans que je me décide jamais à aller y faire un tour et si ce gros dernier n’est pas un séisme littéraire, il m’a quand même sacrément bluffé et surtout dérouté – comme il déroutera tout lecteur, j’en suis certain.
Il y a trois aspects qui contribuent, à mon sens, à la surprise : un récit pratiquement fantastique, un autre récit presque social et une écriture ni vraiment classique, ni vraiment traditionnelle. Et c’est la combinaison de ces trois facettes qui donne un objet difficilement identifiable.
La confusion du lecteur vient de là, de ces flous du langage et de récits – qu’il faut mettre au pluriel, d’autant plus qu’au-delà de l’aspect fantastique et social, ces deux branches sont parcourues de récits dans les récits- qui forcent à se défaire de ses habitudes, qui amènent sur un terrain entre le connu et l’inconnu. Mais la faiblesse suit : Barker ne parvient pas de cet entrelacs entre le quotidien et le mystérieux à créer quelque chose de vraiment puissant.
Je m’en voudrais de conclure sur ce qui pourrait s’apparenter à une sorte de constat d’échec, et je terminerai donc sur ce que, peut-être étrangement, j’ai le mieux aimé dans « Darkmans ». Il y a, on l’aura deviné, de nombreux thèmes dans le roman de Barker, que ce soit la mémoire, la relation présent / passé, le retour à une mentalité pré-renaissance, le malaise contemporain, etc. Il y a surtout l’impression, ou plutôt la conviction, une fois terminé le livre, de n’avoir rien compris parce qu’il n’y avait rien à comprendre ou plutôt parce que cette histoire de possession n’était qu’un gigantesque écran de fumée, truc narratif énorme, formidablement osé qui aura maintenu en haleine le lecteur pendant 800 pages, sans lui donner une seule putain de réponse à la fin. On devrait se fâcher, mais on se lève et on applaudit, bien content de s’être fait avoir ainsi, se disant que Barker nous a donné là une machine perverse, un brol sans prétention qui tire son pouvoir de fascination de parler magnifiquement de tout et de rien. Surtout de rien. Surtout de tout.
Nicola Barker, Darkmans, Fourth Estate, £17.99
« Darkmans » est le septième roman de Nicola Barker, un écrivain dont j’avais lu le nom ici ou là avec une assez grande régularité sur les huit dernières années sans que je me décide jamais à aller y faire un tour et si ce gros dernier n’est pas un séisme littéraire, il m’a quand même sacrément bluffé et surtout dérouté – comme il déroutera tout lecteur, j’en suis certain.
Il y a trois aspects qui contribuent, à mon sens, à la surprise : un récit pratiquement fantastique, un autre récit presque social et une écriture ni vraiment classique, ni vraiment traditionnelle. Et c’est la combinaison de ces trois facettes qui donne un objet difficilement identifiable.
- Prenons l’aspect fantastique : il y a quelque chose qui ne va pas chez certains de ces habitants d’Ashford, qui semblent être impliqués dans d’étranges procédés proche de la sorcellerie, souffrent de migraines, perdent la mémoire de leurs actes pour des après-midi entières, ont des visions de villes et villages disparus depuis cinq siècles ou sont tout simplement possédés. En filigrane, toujours, la vie de John Scogin, machiavélique fou d’Édouard IV, qui aimait tant brûler vifs toute une série de gens et se payer la gueule de son roi ; et celle de Andrew Boarde, médecin d’Henri VIII et biographe de Scogin. Par leur entremise, le Kent du quinzième siècle pollue celui du vingtième – ou est-ce le contraire ?
- Ensuite, le social. Ashford est une triste ville de la campagne anglaise radicalement transformée par les travaux du tunnel sous la Manche et la gare Eurostar. Ce qui était un petit patelin historique disparait sous les bulldozers pour se transformer en dortoir sans âme et sans culture du malaise urbain. Le passé s’en va, et les affres du Royaume-Uni actuel font leur entrée. Confrontation entre vieux monde local et nouveau monde globalisé. Racisme, urbanisation et corruption, chômage, immigration clandestine, déclin des standard culturels et éducatifs, drogues, n’en jetons plus : la liste est connue et partout la même. La différence ? Barker le fait sans esprit de prêcheur, avec subtilité (bref, on n’est pas chez Olivier Adam) et humour. Ses personnages ne sont ni tout à fait des archétypes (Beede , le citoyen impliqué, son fils Kane le trafiquant de drogue, Gaffar l’immigré débrouillard) ni tout à fait des oiseaux rares (Beede, historien amateur illuminé sur les traces de Boarde, Gaffar issu d’une secte kurde extrêmement secrète, Fleet le gamin qui construit avec des allumettes et de mémoire des cathédrales qu’il n’est sensé jamais avoir vues), et ça aussi c’est déroutant, c’est un terrain glissant, instable pour l’amateur de fiction réaliste ou de fiction hors limite.
- Et puis le style. Barker n’écrit ni mal, ni bien. Elle ne donne ni dans un grandiloquent sensé impressionner le lecteur de scènes borderline fantastiques ni dans la sobriété du réaliste social. Elle est entre deux chaises, entre deux mondes. Peut-être pour ne pas trancher – ou, plus prosaïquement, pour accélérer le récit-, elle procède beaucoup par dialogues, abusant parfois d’un style familier, vulgaire mais lui permettant de nombreuses touches humoristiques, parfois à hurler de rire.
La confusion du lecteur vient de là, de ces flous du langage et de récits – qu’il faut mettre au pluriel, d’autant plus qu’au-delà de l’aspect fantastique et social, ces deux branches sont parcourues de récits dans les récits- qui forcent à se défaire de ses habitudes, qui amènent sur un terrain entre le connu et l’inconnu. Mais la faiblesse suit : Barker ne parvient pas de cet entrelacs entre le quotidien et le mystérieux à créer quelque chose de vraiment puissant.
Je m’en voudrais de conclure sur ce qui pourrait s’apparenter à une sorte de constat d’échec, et je terminerai donc sur ce que, peut-être étrangement, j’ai le mieux aimé dans « Darkmans ». Il y a, on l’aura deviné, de nombreux thèmes dans le roman de Barker, que ce soit la mémoire, la relation présent / passé, le retour à une mentalité pré-renaissance, le malaise contemporain, etc. Il y a surtout l’impression, ou plutôt la conviction, une fois terminé le livre, de n’avoir rien compris parce qu’il n’y avait rien à comprendre ou plutôt parce que cette histoire de possession n’était qu’un gigantesque écran de fumée, truc narratif énorme, formidablement osé qui aura maintenu en haleine le lecteur pendant 800 pages, sans lui donner une seule putain de réponse à la fin. On devrait se fâcher, mais on se lève et on applaudit, bien content de s’être fait avoir ainsi, se disant que Barker nous a donné là une machine perverse, un brol sans prétention qui tire son pouvoir de fascination de parler magnifiquement de tout et de rien. Surtout de rien. Surtout de tout.
Nicola Barker, Darkmans, Fourth Estate, £17.99
1 commentaires:
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bon, ben tout comme toi (les grands esprits?); je m'y attendais pas, j'ai adoré ce truc. mention spéciale à kelly et à gaffar, immenses, brûlants, hilarants. quelque chose me dit qu'entre les lignes, dans le noeud du non-dit et le manque de vertige, de puissance, comme tu l'écris si bien, se trame quelque chose dont on parlera encore pendant longtemps. des clubs d'exégèse ne devraient pas tarder à se monter un peu partout à travers le monde.