Aural Delight - Turn loose the Swans
En 2003, j’ai vu un concert solo de Gira à Bruxelles. En ouverture, Devendra Banhart, alors son protégé, avait projeté une aura hippie dans la salle qui fut immédiatement brisé lorsque l’ancien leader des Swans est entré. Ne chantant que des titres de ses albums solos ou de Angels of light, son projet le plus récent, il a visiblement causé une ou deux déceptions parmi ceux qui voulaient entendre quelque chose de plus mythique. Une sorte de bruit de fond permanent émanait du bar, comme de coutume. Gira n’aime pas ça. Entre deux chansons, il apostropha le coin de la salle responsable et menaça les ombres qui s’y trouvaient de venir leur casser la gueule s’ils ne la fermaient pas. A voir la crispation de la bouche, la position de la mâchoire, il n’y avait aucun doute qu’il comptait bien faire le coup de poing si on ne l’écoutait pas. Connaissant sa réputation, j’étais certain qu’il en avait les moyens. Et les apostrophés s’en sont rendus compte puisqu’ils se sont tus, ce qui n’arrive normalement jamais. Un peu plus tard, il demanda ou ordonna, c’est selon, à un type d’aller lui chercher un whisky au bar. Encore une fois, le mec s’exécuta. Deux ou trois fois, un autre gars réclama un morceau des Swans. A chaque fois, un regard assassin coupa court aux récriminations. Et pourtant, le dernier morceau appartenait au catalogue de son ancien groupe (le croirez-vous, j’ai oublié de quel titre il s’agissait). Je n’étais pas tout à fait à l’aise quand je me suis approché de Gira à la fin du concert. J’avais sur moi son recueil de nouvelles qui venait de paraître en français au Serpent à plumes. Initialement publié en 1993 par la maison d’édition de Henry Rollins ce titre est épuisé aux States et ne s’est probablement pas vendu chez nous au-delà des trois cents exemplaires. Les textes de Gira évoquèrent à l’époque ceux de Denis Cooper ou une version littéraire des premiers cd’s, authentiquement extrêmes, des Swans. Gira s’avéra charmant et surtout surpris de tenir en main cette traduction. Il trouva le titre étonnant (« La bouche de Francis Bacon » pour « The Consumer ») et pronostiqua que j’étais sans doute le seul acquéreur de ce livre. J’ai maintenant à la première page du livre un auto-portrait en trois traits que j’aime beaucoup et je voudrais savoir comment diable ce bouquin est arrivé dans nos contrées…
Je me dis à ce stade qu’il y a finalement peu de chance que vous connaissiez Gira et les Swans. Voilà encore, après Coil, un groupe séminal, innovateur et essentiel, perdu dans les brumes des années ’80. Issu de la scène No Wave, Swans a d’abord été lié au mouvement industriel. C’en était en fait la version extrémiste : rythmes secs d’une violence incroyable, guitares maltraitées, déclamation hallucinée de textes dérangeants, le groupe était perpétuellement au cœur de la controverse. A partir de 1986, la musique s’apaise, se fait parfois acoustique, mais ne perd rien de son côté sombre. Jarboe, la compagne de Gira, introduit plus de mélodie et moins de violence torturée dans la palette. Gira lui-même, fatigué de la réputation de son groupe, s’oriente vers un format plus chanson. Pourtant, rien de conventionnel dans ce son. Dès Children of God en 1987, Swans annonce le post-rock – mieux vaut d’ailleurs écouter Swans que GYBE !, c’est un fait), le renouveau folk, la scène noise-rock du début des années ’90 tout en restant radical, différent et unique. Ce n’est pas un groupe facile à récupérer, il risque de rester longtemps dans son petit ghetto particulier. Pourtant, de Khanate à GYBE ! en passant par Neurosis, plus d’un doit énormément au travail des Swans. Contrairement à Coil qui a été redécouvert par les hipsters de toute sorte après des années d’ignorance criminelle, on ne les voit toujours pas dans les pages des Inrocks. En 2002, Tarwater reprenait un de leurs titres et cette auguste publication les qualifia de groupe gothique, c’est vous dire l’ignorance…
Tout ne se vaut pas dans le catalogue des Swans. Je ne suis, par exemple, pas très amateur de morceaux chantés par Jarboe – ceux-là sont les seuls à effectivement s’approcher de la mouvance goth-, et des albums comme « Burning World », « White lights from the mouth of infinity » ou « Love of life » contiennent quelques morceaux ayant pris pas mal de rides. Il y a cependant quelques sorties indispensables. Si vous préférez une pop oscillant vers le normal, il vous faut essayer « The great annihilator ». Le vrai chef-d’œuvre est le dernier album, le double monumental « Soundtracks for the blind » (1997), mélange hallucinant de pop, d’indus, de rock expérimental et d’ambient. Un titre majeur, vraiment. Le live posthume « Swans are dead » est aussi un passage obligatoire - très bonne introduction et surtout quelle version incroyable de "Feel Happiness"-, et comment ne pas se jeter sur « Children of God », point tournant de la carrière du groupe ?
(photo: Simon Henwood)
6 commentaires:
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Quelle brêle, cet Henry Rollins, tout de même ; son journal est affligeant : que de temps passé à soulever de la fonte. Pourtant, Black Flag a fait sourire, en son temps. Cf "What do they know about partying - or anything else?"
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Je connaissais le livre de Gira depuis pas mal d'années, et quand j'ai rencontré Laurence Viallet, qui dirigeait la collection Désordres, c'est tout naturellement que je lui ai parlé de ce livre, qu'elle connaissait par ailleurs. As simple as that.(Claro)
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Un disque.
M. Gira / D. Matz (membre de Windsor For The Derby).
« What we did ».
Sur Young God Records.
De beaux éclats. Chansons brutes, sèches, tendues.
Hier, j’ai passé une partie de la soirée en compagnie de Ebenezer Cooke. Un moment particulièrement savoureux, jubilatoire…
Merci à vous, (a)gen(t)(s) de lettres, pour cette « découverte d’un Nouveau Monde »…
S.
Bruxelles.
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Je me demande si tu as beaucoup de dédicaces ?
Moi presque aucune (4 de Dita Von Teese, une de Simonnot, une d'Yves Berger, deux de Philippe Muray et une de Haroun Tazieff).
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le morceau en question était "failure"...
tu passes sous silence "filth" et "cop", incontournables!
ps: gira se produira dans ce grand cirque post-pseudo-hippie de dour le samedi 14 juillet...
me réjouis de voir-entendre sa réaction aux djembés...
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Gad', je n'ai pas beaucoup de dédicaces. Gass, Vollmann, David Mitchell, encore quelques autres écrivains, l'un ou l'autre musicien sur Cd. Quand j'étais petit, je collectionnais les signatures de joueurs de foot. Tout ça a disparu quelque part.