Un Amis qui fait mal
Le meilleur écrivain anglais vivant est régulièrement traduit en français, mais il jouit d’une notoriété inférieure à plusieurs de ses compatriotes contemporains. Julian Barnes, Jonathan Coe et Ian McEwan sont trois babyboomers qui ont rencontré un très large succès dans les pays francophones. Pourtant, il est difficilement contestable que Martin Amis leur est nettement supérieur. Ces dernières années, on aurait pu en douter, mais en 2003, il publiait « Yellow Dog », un retour au sommet de sa forme. J’imagine qu’une traduction est en cours chez Gallimard – ce serait une erreur de ne pas la faire.
Martin est le fils du « angry young man » Kingsley Amis –il a abordé leur relation tumultueuse dans « Expérience », son récit autobiographique. C’est dire que de tout temps il a baigné dans le monde littéraire. Cet héritage pesant son poids, il n’est donc pas étonnant que Martin Amis ait vécu une jeunesse assez mouvementée, rebelle. On sentira tout au long de sa carrière que lui aussi était un jeune homme en colère. Né en 1949, il fréquente l’université d’Oxford à partir de 1968. Au contraire de tant d’artistes de cette génération, il ne va pas tremper sa plume ni dans le matérialisme historique ambiant, ni dans un petit livre rouge qui allait faire tourner bien des têtes –et tomber pas mal d’autres. En homme de goût, Amis se tourne vers deux immenses écrivains : Saul Bellow et Vladimir Nabokov. Difficile de bien comprendre l’œuvre de l’Anglais sans connaître l’attachement indéfectible qu’il ressent pour ces deux auteurs. Du Russe blanc émigré, il tient son indéniable arrogance, mais une surtout une certaine magie dans la création de petits mondes totalement fictionnels qui disent plus sur notre monde qu’un roman simplement réaliste. Du juif américain, il retient le moraliste jamais moralisateur, le fabuliste qui ne prend pas son lecteur pour un con à éduquer. Il y a aussi chez ce « golden boy » -il a l’argent et la culture nécessaire à faire de lui une sorte de dandy- un postmodernisme light –il n’est tout de même ni William Gaddis, ni John Barth- et un goût marqué pour l’absurde et le réalisme magique.
Lorsque « Yellow Dog » sort en fin 2003, Amis n’avait plus publié de fiction depuis 1999. Entre-temps, une collection d’articles –« The war agaisnt cliché »- et deux essais –« Expérience » et « Koba the dread », ce dernier étant consacré à l’incroyable indulgence des intellectuels européens envers l’URSS-, étaient sortis, récoltant d’assez bonnes critiques, mais ce n’est pas ça qu’attendaient les fans : ils voulaient un nouveau roman, si possible meilleur que « Train de nuit» (1998).
Avec « Yellow Dog », non seulement Martin Amis offre son meilleur roman depuis l’imposant « L’information » (1995), mais surtout il renoue avec la férocité, la méchanceté de ses premiers ouvrages. À un peu plus de 300 pages, c’est un livre de taille moyenne qui ne saurait être aussi ambitieux que l’immense « London Fields » (1989), même si à mon sens, il en est le petit frère. L’auteur mélange quatre histoires différentes, quatre forme de narrations, quatre langues –de la plus pédante à la plus populaire-, en gros quatre mondes qui peuvent paraître incompatible mais qui sont inextricablement mêlés.
Xan Meo, fils de criminel, ancien acteur, nouvel écrivain, noceur repenti, remarié et heureux se fait défoncer le crâne pour une obscure raison. Le traumatisme crânien va changer sa vie. Clint Smoker, journaliste du plus ordurier des tabloïds, a un problème avec son vit, cherche la femme idéale, écrit des papiers puants et sera le lien entre les diverses histoires. Mal est une brute épaisse, qui frappe puis questionne ensuite. Royce est un cadavre qui veut faire crasher l’avion dans lequel il se trouve et Henry England est le Roi, coincé entre sa liaison avec He, belle chinoise bisexuelle, et sa fille la Princesse Victoria qui, à 15 ans, se fait filmer dans la salle de bain, en plein ébats. Et ainsi de suite…
Dans son impeccable style, fait d’allitérations, de surprenantes images, d’un mélange de culture « high » et « lowbrow », Amis offre de son époque une satire des plus féroces, le tout avec une ironie irrésistible et un humour à toute épreuve. Il arrive surtout à rendre crédible une histoire complètement folle, et à faire paraître réels tous ses dialogues, que ce soient ceux entre un Roi et son conseiller ou bien entre un voyou et une actrice porno. Cette façon d’être à l’aise dans toutes les circonstances est assez impressionnante et prouve qu’Amis est toujours loin devant les petits nouveaux des lettres anglaises.
Plutôt que d’attendre le bon vouloir des éditions Gallimard, tout qui maîtrise un tant soit peu l’anglais devrait se jeter sur ce livre.
Martin Amis, Yellow Dog, Vintage paperbacks, £7.99
Martin est le fils du « angry young man » Kingsley Amis –il a abordé leur relation tumultueuse dans « Expérience », son récit autobiographique. C’est dire que de tout temps il a baigné dans le monde littéraire. Cet héritage pesant son poids, il n’est donc pas étonnant que Martin Amis ait vécu une jeunesse assez mouvementée, rebelle. On sentira tout au long de sa carrière que lui aussi était un jeune homme en colère. Né en 1949, il fréquente l’université d’Oxford à partir de 1968. Au contraire de tant d’artistes de cette génération, il ne va pas tremper sa plume ni dans le matérialisme historique ambiant, ni dans un petit livre rouge qui allait faire tourner bien des têtes –et tomber pas mal d’autres. En homme de goût, Amis se tourne vers deux immenses écrivains : Saul Bellow et Vladimir Nabokov. Difficile de bien comprendre l’œuvre de l’Anglais sans connaître l’attachement indéfectible qu’il ressent pour ces deux auteurs. Du Russe blanc émigré, il tient son indéniable arrogance, mais une surtout une certaine magie dans la création de petits mondes totalement fictionnels qui disent plus sur notre monde qu’un roman simplement réaliste. Du juif américain, il retient le moraliste jamais moralisateur, le fabuliste qui ne prend pas son lecteur pour un con à éduquer. Il y a aussi chez ce « golden boy » -il a l’argent et la culture nécessaire à faire de lui une sorte de dandy- un postmodernisme light –il n’est tout de même ni William Gaddis, ni John Barth- et un goût marqué pour l’absurde et le réalisme magique.
Lorsque « Yellow Dog » sort en fin 2003, Amis n’avait plus publié de fiction depuis 1999. Entre-temps, une collection d’articles –« The war agaisnt cliché »- et deux essais –« Expérience » et « Koba the dread », ce dernier étant consacré à l’incroyable indulgence des intellectuels européens envers l’URSS-, étaient sortis, récoltant d’assez bonnes critiques, mais ce n’est pas ça qu’attendaient les fans : ils voulaient un nouveau roman, si possible meilleur que « Train de nuit» (1998).
Avec « Yellow Dog », non seulement Martin Amis offre son meilleur roman depuis l’imposant « L’information » (1995), mais surtout il renoue avec la férocité, la méchanceté de ses premiers ouvrages. À un peu plus de 300 pages, c’est un livre de taille moyenne qui ne saurait être aussi ambitieux que l’immense « London Fields » (1989), même si à mon sens, il en est le petit frère. L’auteur mélange quatre histoires différentes, quatre forme de narrations, quatre langues –de la plus pédante à la plus populaire-, en gros quatre mondes qui peuvent paraître incompatible mais qui sont inextricablement mêlés.
Xan Meo, fils de criminel, ancien acteur, nouvel écrivain, noceur repenti, remarié et heureux se fait défoncer le crâne pour une obscure raison. Le traumatisme crânien va changer sa vie. Clint Smoker, journaliste du plus ordurier des tabloïds, a un problème avec son vit, cherche la femme idéale, écrit des papiers puants et sera le lien entre les diverses histoires. Mal est une brute épaisse, qui frappe puis questionne ensuite. Royce est un cadavre qui veut faire crasher l’avion dans lequel il se trouve et Henry England est le Roi, coincé entre sa liaison avec He, belle chinoise bisexuelle, et sa fille la Princesse Victoria qui, à 15 ans, se fait filmer dans la salle de bain, en plein ébats. Et ainsi de suite…
Dans son impeccable style, fait d’allitérations, de surprenantes images, d’un mélange de culture « high » et « lowbrow », Amis offre de son époque une satire des plus féroces, le tout avec une ironie irrésistible et un humour à toute épreuve. Il arrive surtout à rendre crédible une histoire complètement folle, et à faire paraître réels tous ses dialogues, que ce soient ceux entre un Roi et son conseiller ou bien entre un voyou et une actrice porno. Cette façon d’être à l’aise dans toutes les circonstances est assez impressionnante et prouve qu’Amis est toujours loin devant les petits nouveaux des lettres anglaises.
Plutôt que d’attendre le bon vouloir des éditions Gallimard, tout qui maîtrise un tant soit peu l’anglais devrait se jeter sur ce livre.
Martin Amis, Yellow Dog, Vintage paperbacks, £7.99
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Update 05 janvier 2006: la traduction française est enfin disponible: Chien Jaune, Gallimard, €22.50
1 commentaires:
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Bonjour,
La traduction existe belle et bien, ça ne fait pas très longtemps je crois, mais elle est sortie.
Matthieu.