Le prolo est bon
L’histoire est nécessairement révisionniste disait je ne sais plus qui. Et c’est vrai : l’historien n’est pas au-dessus des failles humaines, lui aussi parle d’un lieu bien précis avec une vision du monde bien particulière. Ainsi, ce serait faire un mauvais procès à Howard Zinn que de lui reprocher son analyse décidemment marxiste de l’histoire américaine. Cependant, « demasiado de nada ; un poco de todo» comme le disait mon prof d’espagnol, tant il est vrai que notre honorable écrivain se laisse plus d’une fois emporter dans le fossé par la faute de ses œillères rouges éclatantes.
Je reviendrai plus tard sur ce problème. L’intérêt principal de « Une histoire populaire des Etats-Unis », la somme –car c’est bien de cela qu’il s’agit- d’Howard Zinn est d’éclairer des aspects de l’histoire américaine qui, depuis la « découverte » de Colomb, ont systématiquement été laissés dans l’ombre. Et, de fait, chaque chapitre est consacré à l’analyse de la situation des femmes, des noirs, des indiens, des immigrés, des ouvriers, à des époques qu’on présente trop souvent comme dorées ; analyse soutenue par des chiffres plus que parlant. Un des points centraux de la thèse développée est que, non, le gouvernement américain n’a jamais été bon, honnête ou humaniste. Combien de gens connaissent Franklin l’esclavagiste ? Les raisons réelles de la guerre de Sécession ? Le pourquoi de l’entrée dans la première guerre mondiale ? Les causes de Pearl Harbour ? L’incroyable quantité d’assassinats « légalisés » de militants des droits civiques ?
Zinn ne cesse de frapper sur le « big governement », mais aussi sur l’alliance de celui-ci avec le « big business ». Il a raison, c’est une collaboration qui sent clairement le mauvais fromage. Elle se fait au détriment de tous : travailleurs et chômeurs, riches et pauvres, contribuables ou « contribués ». C’est le cadenassage total de l’économie et de la vie politique. Malheureusement, l’historien semble penser que pour régler le problème, le gouvernement doit changer tout en restant « big » et le business se soumettre. Raisonnement typique qui a sans doute fait autant pour le succès de son ouvrage que son original sujet. Il est vrai que les marxistes sont toujours prompts à vanter la spontanéité des mouvements sociaux, tout en refusant d’admettre que cette liberté d’action ne serait pas « maléfique » en matière économique. On a les contradictions que l’on peut.
A lire cette « histoire populaire », on a l’impression d’avoir à faire à une masse admirable, sans méchanceté aucune. Bien sûr, des pauvres blancs ont lynchés des pauvres noirs, mais ce n’est que de l’anecdote. Ainsi, l’ouvrier –oui, le prolétaire- se manifesterait par des mouvements spontanés de solidarité avec son frère de couleur. Il est indéniable que de tels rapprochements ont existés bien avant la fin légale des discriminations publiques. Cependant, Zinn déforce la crédibilité de son exposé en faisant comme si la solidarité raciale était la norme dans la classe « possédée » alors qu’il semble bien que celle-ci n’a jamais hésité à faire payer sa frustration à tout étranger qui se présentait. Dans cette optique-là, il n’est finalement pas surprenant que seule une dizaine de lignes ne soit consacrée aux mouvements sectaires et aux milices qui sont pourtant partie intégrante de cette histoire populaire des Etats-Unis. Waco, Oklahoma City, et les innombrables incidents entre fédéraux et marginaux politiques ou religieux illustrent un pan important de la vie des classes « inférieures » auquel, sans doute parce que cela le dérange, Zinn refuse de donner une plus grande importance.
Que l’on se fasse l’écho de la lutte des classes à travers son interprétation de l’histoire, cela ne me dérange pas. Encore faut-il ne pas prendre le lecteur pour un con en lui présentant la classe chérie comme pratiquement immaculée de toute tache de merde. Les leaders états-uniens n’ont pas menés leurs brebis vers de verts pâturages, c’est une évidence. Mais le socialisme sauce marxienne aurait-il apporté un bonheur plus grand ?
Au-delà des grosses critiques que l’on peut émettre, il n’en reste pas moins que cette « Histoire populaire des Etats-Unis » est un ouvrage d’une grande richesse, pour autant que le lecteur sache faire la différence entre les faits –souvent, pas toujours- difficilement contestables, et les analyses peu fiables, car trop biaisées.
Howard Zinn, « Une histoire populaire des Etats-Unis - De 1492 à nos jours».
Traduit par Fréderic Cotton, éditions Agone, 28€.
Je reviendrai plus tard sur ce problème. L’intérêt principal de « Une histoire populaire des Etats-Unis », la somme –car c’est bien de cela qu’il s’agit- d’Howard Zinn est d’éclairer des aspects de l’histoire américaine qui, depuis la « découverte » de Colomb, ont systématiquement été laissés dans l’ombre. Et, de fait, chaque chapitre est consacré à l’analyse de la situation des femmes, des noirs, des indiens, des immigrés, des ouvriers, à des époques qu’on présente trop souvent comme dorées ; analyse soutenue par des chiffres plus que parlant. Un des points centraux de la thèse développée est que, non, le gouvernement américain n’a jamais été bon, honnête ou humaniste. Combien de gens connaissent Franklin l’esclavagiste ? Les raisons réelles de la guerre de Sécession ? Le pourquoi de l’entrée dans la première guerre mondiale ? Les causes de Pearl Harbour ? L’incroyable quantité d’assassinats « légalisés » de militants des droits civiques ?
Zinn ne cesse de frapper sur le « big governement », mais aussi sur l’alliance de celui-ci avec le « big business ». Il a raison, c’est une collaboration qui sent clairement le mauvais fromage. Elle se fait au détriment de tous : travailleurs et chômeurs, riches et pauvres, contribuables ou « contribués ». C’est le cadenassage total de l’économie et de la vie politique. Malheureusement, l’historien semble penser que pour régler le problème, le gouvernement doit changer tout en restant « big » et le business se soumettre. Raisonnement typique qui a sans doute fait autant pour le succès de son ouvrage que son original sujet. Il est vrai que les marxistes sont toujours prompts à vanter la spontanéité des mouvements sociaux, tout en refusant d’admettre que cette liberté d’action ne serait pas « maléfique » en matière économique. On a les contradictions que l’on peut.
A lire cette « histoire populaire », on a l’impression d’avoir à faire à une masse admirable, sans méchanceté aucune. Bien sûr, des pauvres blancs ont lynchés des pauvres noirs, mais ce n’est que de l’anecdote. Ainsi, l’ouvrier –oui, le prolétaire- se manifesterait par des mouvements spontanés de solidarité avec son frère de couleur. Il est indéniable que de tels rapprochements ont existés bien avant la fin légale des discriminations publiques. Cependant, Zinn déforce la crédibilité de son exposé en faisant comme si la solidarité raciale était la norme dans la classe « possédée » alors qu’il semble bien que celle-ci n’a jamais hésité à faire payer sa frustration à tout étranger qui se présentait. Dans cette optique-là, il n’est finalement pas surprenant que seule une dizaine de lignes ne soit consacrée aux mouvements sectaires et aux milices qui sont pourtant partie intégrante de cette histoire populaire des Etats-Unis. Waco, Oklahoma City, et les innombrables incidents entre fédéraux et marginaux politiques ou religieux illustrent un pan important de la vie des classes « inférieures » auquel, sans doute parce que cela le dérange, Zinn refuse de donner une plus grande importance.
Que l’on se fasse l’écho de la lutte des classes à travers son interprétation de l’histoire, cela ne me dérange pas. Encore faut-il ne pas prendre le lecteur pour un con en lui présentant la classe chérie comme pratiquement immaculée de toute tache de merde. Les leaders états-uniens n’ont pas menés leurs brebis vers de verts pâturages, c’est une évidence. Mais le socialisme sauce marxienne aurait-il apporté un bonheur plus grand ?
Au-delà des grosses critiques que l’on peut émettre, il n’en reste pas moins que cette « Histoire populaire des Etats-Unis » est un ouvrage d’une grande richesse, pour autant que le lecteur sache faire la différence entre les faits –souvent, pas toujours- difficilement contestables, et les analyses peu fiables, car trop biaisées.
Howard Zinn, « Une histoire populaire des Etats-Unis - De 1492 à nos jours».
Traduit par Fréderic Cotton, éditions Agone, 28€.