Selby: erreur de casting
« Le démon » est un excellent livre. Il n’y a pas grand-chose à dire de plus. Naïvement, j’ai cru que Hubert Selby Jr était un grand écrivain. Lorsqu’est sorti le posthume « Waiting period » il y a six mois, c’est avec une impatience non feinte que je me suis plongé dans ses 248 pages.
Le choc fut rude, non pas à cause de la légendaire violence des écrits de Selby, mais bien par faute de l’insondable médiocrité de ce roman. Je n’y étais pas du tout préparé : j’avais un a priori extrêmement positif sur l’œuvre du bonhomme et les critiques lues étaient dithyrambiques. Il me semble qu’une fois de plus, le nom et la réputation plutôt que le texte firent les opinions. « Waiting period » confirme qu’une bonne idée ne suffit pas à faire un bon bouquin. Un type veut se suicider, se rend chez un armurier mais ne peut acheter de flingue avant trois jours par faute d’une panne du système de contrôle informatisé. Il met à profit ce répit pour se convaincre que tant d’autres gens méritent plus que lui de crever et se fait fort de s’assurer qu’ils disparaissent. C’est cynique, c’est sombre, ça claque et ça fait mal. On pourrait espérer en dire autant du récit. Pas de bol : c’est plat, artificiel, convenu, remâché, recraché. Ça ne choquera personne, ça ne fera pas peur, ça ne fera rien. À ce stade, j’en étais donc à me demander si « Le démon » était l’exception ou bien si « Waiting period » n’était que le malheureux accident de fin de parcours, le dernier tour de piste qui finit dans le ravin. Il m’a donc paru urgent de lire un autre Selby.
« La geôle ». Encore une fois, l’idée est bonne : 292 pages dans la tête d’un homme coincé entre quatre murs. Il est en cabane, mais on ne saura jamais exactement pourquoi. Son passe-temps favori ? Fantasmer sa sortie glorieuse et la façon dont il humiliera les policiers. Pervers, le pepère : il le fera soit via le sénat, soit via les tribunaux, soit en baisant leurs femmes, soit en les transformant littéralement en chiens, soit tout à la fois. Tout ceci donne l’occasion à Selby de se vautrer dans ce qui a fait son style : on y parle cru, sans faux semblants. On y est violent et méchant. Malheureusement, une fois de plus, son écriture ne vit pas, elle sonne creux, l’encéphalogramme est irrémédiablement plat. Pendant 50 pages, on est fasciné par le personnage, on se demande ce qui se passe, qui il est, pourquoi il est là, où est le fantasme, où est la réalité. Ensuite, on sombre dans l’ennui le plus profond. Les scènes provocantes ne provoquent même plus. Les scènes marrantes ne font même plus rire. On se demande si on va arrêter, puis on se décide à continuer. Finalement, on ne le regrette pas : dans les 40 dernières pages, il y a quelques beaux passages sur l’isolement et le désespoir, sur la routine du taulard ainsi que sur l’effritement des libertés civiles. C’est tout de même un peu court.
Selby base ses récits sur la vie mentale de ses personnages : la perversité qui se cacherait en chacun de nous, le barbare que cultiverait le système. Son échec est de s’avérer incapable de rendre intéressante cette vie intérieure : il n’y a que les descriptions sociétales qui passent bien. Et ces descriptions, M. Selby s’en contrefout. Aurait-il fondé toute sa carrière sur une phénoménale erreur d’évaluation de ses talents ? Avouez que ce serait bien dommage…
La quatrième de couv’ déclare prétentieusement que « la Geôle, c'est l'uppercut le plus violent jamais assené à la gueule de l'Amérique ». Peut-être cet uppercut était-il potentiellement extrêmement violent pour le système. Ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’il est parti dans le vide, n’a fait mal à personne, certainement pas à l’Amérique, et encore moins aux sociétés du contrôle dans lesquels nous, Européens, vivons aussi.
Hubert Selby Jr, Le démon, 10/18, 7€30
Hubert Selby Jr, La geôle, 10/18, 6€90
Hubert Selby Jr, Waiting Period, Flammarion, 18€
Le choc fut rude, non pas à cause de la légendaire violence des écrits de Selby, mais bien par faute de l’insondable médiocrité de ce roman. Je n’y étais pas du tout préparé : j’avais un a priori extrêmement positif sur l’œuvre du bonhomme et les critiques lues étaient dithyrambiques. Il me semble qu’une fois de plus, le nom et la réputation plutôt que le texte firent les opinions. « Waiting period » confirme qu’une bonne idée ne suffit pas à faire un bon bouquin. Un type veut se suicider, se rend chez un armurier mais ne peut acheter de flingue avant trois jours par faute d’une panne du système de contrôle informatisé. Il met à profit ce répit pour se convaincre que tant d’autres gens méritent plus que lui de crever et se fait fort de s’assurer qu’ils disparaissent. C’est cynique, c’est sombre, ça claque et ça fait mal. On pourrait espérer en dire autant du récit. Pas de bol : c’est plat, artificiel, convenu, remâché, recraché. Ça ne choquera personne, ça ne fera pas peur, ça ne fera rien. À ce stade, j’en étais donc à me demander si « Le démon » était l’exception ou bien si « Waiting period » n’était que le malheureux accident de fin de parcours, le dernier tour de piste qui finit dans le ravin. Il m’a donc paru urgent de lire un autre Selby.
« La geôle ». Encore une fois, l’idée est bonne : 292 pages dans la tête d’un homme coincé entre quatre murs. Il est en cabane, mais on ne saura jamais exactement pourquoi. Son passe-temps favori ? Fantasmer sa sortie glorieuse et la façon dont il humiliera les policiers. Pervers, le pepère : il le fera soit via le sénat, soit via les tribunaux, soit en baisant leurs femmes, soit en les transformant littéralement en chiens, soit tout à la fois. Tout ceci donne l’occasion à Selby de se vautrer dans ce qui a fait son style : on y parle cru, sans faux semblants. On y est violent et méchant. Malheureusement, une fois de plus, son écriture ne vit pas, elle sonne creux, l’encéphalogramme est irrémédiablement plat. Pendant 50 pages, on est fasciné par le personnage, on se demande ce qui se passe, qui il est, pourquoi il est là, où est le fantasme, où est la réalité. Ensuite, on sombre dans l’ennui le plus profond. Les scènes provocantes ne provoquent même plus. Les scènes marrantes ne font même plus rire. On se demande si on va arrêter, puis on se décide à continuer. Finalement, on ne le regrette pas : dans les 40 dernières pages, il y a quelques beaux passages sur l’isolement et le désespoir, sur la routine du taulard ainsi que sur l’effritement des libertés civiles. C’est tout de même un peu court.
Selby base ses récits sur la vie mentale de ses personnages : la perversité qui se cacherait en chacun de nous, le barbare que cultiverait le système. Son échec est de s’avérer incapable de rendre intéressante cette vie intérieure : il n’y a que les descriptions sociétales qui passent bien. Et ces descriptions, M. Selby s’en contrefout. Aurait-il fondé toute sa carrière sur une phénoménale erreur d’évaluation de ses talents ? Avouez que ce serait bien dommage…
La quatrième de couv’ déclare prétentieusement que « la Geôle, c'est l'uppercut le plus violent jamais assené à la gueule de l'Amérique ». Peut-être cet uppercut était-il potentiellement extrêmement violent pour le système. Ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’il est parti dans le vide, n’a fait mal à personne, certainement pas à l’Amérique, et encore moins aux sociétés du contrôle dans lesquels nous, Européens, vivons aussi.
Hubert Selby Jr, Le démon, 10/18, 7€30
Hubert Selby Jr, La geôle, 10/18, 6€90
Hubert Selby Jr, Waiting Period, Flammarion, 18€