Entre Thoreau et Lawrence
Que ce soit Sebastian Knight, Humboldt ou Ravelstein, la fausse biographie ou le roman sur l’écriture d’une biographie semble être un genre littéraire assez prisé par de grands écrivains. Dans « La vie multiple de William D. », c’est Bernard Malamud qui s’y colle, narrant la vie d’un quinqua à travers sa tentative d’écrire une vie de DH Lawrence.
William Dubin est un biographe qui a acquis une certain renommée grâce à son ouvrage sur Thoreau, personnage on ne peut plus différent de l’auteur de « L’amant de Lady Chatterley ». À vrai dire, on se demande pourquoi il se lance dans un tel travail : il vit tranquillement retiré à la campagne, dans une petite fermette, en compagnie de sa femme, et sa vie affective est plutôt endormie. Il ressemble plus à l’ermite de Walden qu’à l’apôtre d’une sexualité libérée.
Petit à petit, Lawrence influence Dubin. Son désir se réveille et il se laisse séduire par une jeune fille qu’il va emmener en voyage à Venise. L’idylle ne sera pas consommée, il est humilié. Le biographe vit cet évènement comme une véritable castration. Il devient instable et désagréable, mais surtout il se retrouve aussi impuissant face à son manuscrit que Lawrence le fut sexuellement à l’âge de 41 ans.
La première partie n’est pas la plus passionnante de ce roman. Les choses changent nettement lorsque Fanny, le béguin de Dubin, lui revient et qu’enfin ils passent à l’acte. Malamud a ainsi l’occasion de développer quelques réflexions intéressantes sur le mariage – qui « n’est pas un palliatif des insuffisances de la vie »-, la tromperie et l’art du biographe. Dubin essaie perpétuellement de donner des conseils à ses proches, mais il ne sait que dire, il est incapable de comprendre les vivants, trop habitué à raconter des vies déjà vécues.
Malamud semble dire qu’il est inévitable que le biographe s’identifie à son sujet, ce qui ne peut qu’entraîner des problèmes lorsque les personnalités de chacun sont radicalement différentes : est-ce que c’est la vie du narrateur qui se transforme ou va-t-il transformer celle de la personne étudiée afin de la rendre plus conforme à la sienne propre ? Dans le cas de Dubin, il n’écrit jamais autant sur Lawrence que lorsque le démon de midi le ronge. Sa luxure nourrit son œuvre, son œuvre nourrit sa luxure. Dans les moments de séparation d’avec Fanny, il se rapproche de Thoreau, vivant une sexualité sublimée, se perdant à plusieurs reprises dans les bois. Il se construit une sorte de mur entre lui et sa vie avec sa femme, entre le monde « civilisé » et la nature. Cette instabilité, ce tiraillement entre Mr Thoreau et Dr Lawrence le mène à la limite de la folie. C’est d’équilibre dont il a besoin.
Les imperfections de ce roman –lourdeurs dans les premières 150 pages- n’enlèvent rien à sa superbe. Les descriptions de la nature –élément essentiel du récit- et de la vie sauvage sont absolument splendides, les pages sur la vieillesse sont d’une justesse exceptionnelle. « La vie multiple de William D. » est le dernier grand roman de Bernard Malamud, et si c’était son testament, on en aurait rarement vu de si beau.
Bernard Malamud, La vie multiple de William D., Flammarion, 17€
William Dubin est un biographe qui a acquis une certain renommée grâce à son ouvrage sur Thoreau, personnage on ne peut plus différent de l’auteur de « L’amant de Lady Chatterley ». À vrai dire, on se demande pourquoi il se lance dans un tel travail : il vit tranquillement retiré à la campagne, dans une petite fermette, en compagnie de sa femme, et sa vie affective est plutôt endormie. Il ressemble plus à l’ermite de Walden qu’à l’apôtre d’une sexualité libérée.
Petit à petit, Lawrence influence Dubin. Son désir se réveille et il se laisse séduire par une jeune fille qu’il va emmener en voyage à Venise. L’idylle ne sera pas consommée, il est humilié. Le biographe vit cet évènement comme une véritable castration. Il devient instable et désagréable, mais surtout il se retrouve aussi impuissant face à son manuscrit que Lawrence le fut sexuellement à l’âge de 41 ans.
La première partie n’est pas la plus passionnante de ce roman. Les choses changent nettement lorsque Fanny, le béguin de Dubin, lui revient et qu’enfin ils passent à l’acte. Malamud a ainsi l’occasion de développer quelques réflexions intéressantes sur le mariage – qui « n’est pas un palliatif des insuffisances de la vie »-, la tromperie et l’art du biographe. Dubin essaie perpétuellement de donner des conseils à ses proches, mais il ne sait que dire, il est incapable de comprendre les vivants, trop habitué à raconter des vies déjà vécues.
Malamud semble dire qu’il est inévitable que le biographe s’identifie à son sujet, ce qui ne peut qu’entraîner des problèmes lorsque les personnalités de chacun sont radicalement différentes : est-ce que c’est la vie du narrateur qui se transforme ou va-t-il transformer celle de la personne étudiée afin de la rendre plus conforme à la sienne propre ? Dans le cas de Dubin, il n’écrit jamais autant sur Lawrence que lorsque le démon de midi le ronge. Sa luxure nourrit son œuvre, son œuvre nourrit sa luxure. Dans les moments de séparation d’avec Fanny, il se rapproche de Thoreau, vivant une sexualité sublimée, se perdant à plusieurs reprises dans les bois. Il se construit une sorte de mur entre lui et sa vie avec sa femme, entre le monde « civilisé » et la nature. Cette instabilité, ce tiraillement entre Mr Thoreau et Dr Lawrence le mène à la limite de la folie. C’est d’équilibre dont il a besoin.
Les imperfections de ce roman –lourdeurs dans les premières 150 pages- n’enlèvent rien à sa superbe. Les descriptions de la nature –élément essentiel du récit- et de la vie sauvage sont absolument splendides, les pages sur la vieillesse sont d’une justesse exceptionnelle. « La vie multiple de William D. » est le dernier grand roman de Bernard Malamud, et si c’était son testament, on en aurait rarement vu de si beau.
Bernard Malamud, La vie multiple de William D., Flammarion, 17€