Oh Tristram, Tristram !
Oh Tristram, Tristram ! Pourquoi as-tu tout lu, oh, pourquoi ? Pourquoi as-tu ensuite tout dit, oh, pourquoi ? Pourquoi l’as-tu lu et l’as-tu dit en faisant déjà tout, oh, pourquoi ? Et la page blanche, et la page noire, et le dessin, et le chapitre XVIII après le XXIII ou un truc du genre, et toutes les conneries par l’homme imaginable, oh, pourquoi, oh, pourquoi ?
Oh Tristram, Tristram ! Tes places fortes, tes pays bas, tes premiers dimanches, tes blessures, tes vies, tes contes, tes voyages, tes sœurs, tes ânes, tes servantes, tes aubergistes, tes amours, tes insultes, tes nez, tes fondements, tes astiqués, tes dadas, tes lettres, tes dédicaces, tes religions, tes lockes et tes montaignes et ton nom, et ton nom !
Oh Tristram, Tristram ! Être l’étoile d’une action dont est absent, être la vie dont on narre l’avant-vie, être le nulle part partout, merde prétendre raconter sa vie sans jamais franchement apparaître mais en restant l’indiscutable maître de cérémonie, mais quoi ça se fait pas ça, non mais, non mais !
Oh Tristram, Tristram ! Scribler et mélancolie et anatomie et Rossinante, ah ah, Rossinante et entendement humain et Gargantua et Pantagruel et sermons et Swift et oui et tes opinions, et tes opinions !
Oh Tristram, Tristram ! Pourquoi je ris ? Tête fêlée, qu’est ce qu’il y a de drôle dans une tête fêlée ? Omnipotent ! Suprématiste ! Esclavagiste ! Fils de bouquins ! Fils de bouquins !
Oh Guy Jouvet, Guy Jouvet ! Bien jouvé ! Bien jouvé !
Hélas ! pauvre Fausto !
Et après ? Rien ? Rien ?!?
Laurence Sterne, La vie et les opinions de Tristram Shandy, Tristram, 35€
Much ado about everything
« Darkmans » est le septième roman de Nicola Barker, un écrivain dont j’avais lu le nom ici ou là avec une assez grande régularité sur les huit dernières années sans que je me décide jamais à aller y faire un tour et si ce gros dernier n’est pas un séisme littéraire, il m’a quand même sacrément bluffé et surtout dérouté – comme il déroutera tout lecteur, j’en suis certain.
Il y a trois aspects qui contribuent, à mon sens, à la surprise : un récit pratiquement fantastique, un autre récit presque social et une écriture ni vraiment classique, ni vraiment traditionnelle. Et c’est la combinaison de ces trois facettes qui donne un objet difficilement identifiable.
- Prenons l’aspect fantastique : il y a quelque chose qui ne va pas chez certains de ces habitants d’Ashford, qui semblent être impliqués dans d’étranges procédés proche de la sorcellerie, souffrent de migraines, perdent la mémoire de leurs actes pour des après-midi entières, ont des visions de villes et villages disparus depuis cinq siècles ou sont tout simplement possédés. En filigrane, toujours, la vie de John Scogin, machiavélique fou d’Édouard IV, qui aimait tant brûler vifs toute une série de gens et se payer la gueule de son roi ; et celle de Andrew Boarde, médecin d’Henri VIII et biographe de Scogin. Par leur entremise, le Kent du quinzième siècle pollue celui du vingtième – ou est-ce le contraire ?
- Ensuite, le social. Ashford est une triste ville de la campagne anglaise radicalement transformée par les travaux du tunnel sous la Manche et la gare Eurostar. Ce qui était un petit patelin historique disparait sous les bulldozers pour se transformer en dortoir sans âme et sans culture du malaise urbain. Le passé s’en va, et les affres du Royaume-Uni actuel font leur entrée. Confrontation entre vieux monde local et nouveau monde globalisé. Racisme, urbanisation et corruption, chômage, immigration clandestine, déclin des standard culturels et éducatifs, drogues, n’en jetons plus : la liste est connue et partout la même. La différence ? Barker le fait sans esprit de prêcheur, avec subtilité (bref, on n’est pas chez Olivier Adam) et humour. Ses personnages ne sont ni tout à fait des archétypes (Beede , le citoyen impliqué, son fils Kane le trafiquant de drogue, Gaffar l’immigré débrouillard) ni tout à fait des oiseaux rares (Beede, historien amateur illuminé sur les traces de Boarde, Gaffar issu d’une secte kurde extrêmement secrète, Fleet le gamin qui construit avec des allumettes et de mémoire des cathédrales qu’il n’est sensé jamais avoir vues), et ça aussi c’est déroutant, c’est un terrain glissant, instable pour l’amateur de fiction réaliste ou de fiction hors limite.
- Et puis le style. Barker n’écrit ni mal, ni bien. Elle ne donne ni dans un grandiloquent sensé impressionner le lecteur de scènes borderline fantastiques ni dans la sobriété du réaliste social. Elle est entre deux chaises, entre deux mondes. Peut-être pour ne pas trancher – ou, plus prosaïquement, pour accélérer le récit-, elle procède beaucoup par dialogues, abusant parfois d’un style familier, vulgaire mais lui permettant de nombreuses touches humoristiques, parfois à hurler de rire.
La confusion du lecteur vient de là, de ces flous du langage et de récits – qu’il faut mettre au pluriel, d’autant plus qu’au-delà de l’aspect fantastique et social, ces deux branches sont parcourues de récits dans les récits- qui forcent à se défaire de ses habitudes, qui amènent sur un terrain entre le connu et l’inconnu. Mais la faiblesse suit : Barker ne parvient pas de cet entrelacs entre le quotidien et le mystérieux à créer quelque chose de vraiment puissant.
Je m’en voudrais de conclure sur ce qui pourrait s’apparenter à une sorte de constat d’échec, et je terminerai donc sur ce que, peut-être étrangement, j’ai le mieux aimé dans « Darkmans ». Il y a, on l’aura deviné, de nombreux thèmes dans le roman de Barker, que ce soit la mémoire, la relation présent / passé, le retour à une mentalité pré-renaissance, le malaise contemporain, etc. Il y a surtout l’impression, ou plutôt la conviction, une fois terminé le livre, de n’avoir rien compris parce qu’il n’y avait rien à comprendre ou plutôt parce que cette histoire de possession n’était qu’un gigantesque écran de fumée, truc narratif énorme, formidablement osé qui aura maintenu en haleine le lecteur pendant 800 pages, sans lui donner une seule putain de réponse à la fin. On devrait se fâcher, mais on se lève et on applaudit, bien content de s’être fait avoir ainsi, se disant que Barker nous a donné là une machine perverse, un brol sans prétention qui tire son pouvoir de fascination de parler magnifiquement de tout et de rien. Surtout de rien. Surtout de tout.
Nicola Barker, Darkmans, Fourth Estate, £17.99
Do not try this at home!
"I have never been caught riding on a freight train. So let's say I have never committed misdemeanor trespass. The stories in this book are all hearsay, and the photographs are really drawings done in steel-grey crayon. None of the individuals depicted are any more real than I. Moreover, trainhopping may harm or kill you. Finally, please consider yourself warned that the activities described in this book are criminally American."
Petit tour sur la toile
- Version intégrale (je crois) d'un entretien avec Donald Antrim par Didier Jacob, pour le compte du Nouvel Obs'. Et comme on aime bien être chichiteux, on ajoutera que les Américains à suivre vraiment se nomment Chris Adrian, Lydia Millet, Shelley Jackson ou Ben Ehrenreich. Bien sûr, ils ne sont pas traduits.
- Claro nous offre un extrait d'un essai sur Pynchon fort prometteur. Il refuse de nous confier où il sera publié. Pas grave. Je retourne à mon essai sur Chevillard et ne vous dis pas pour quel publication je l'écris, blah - peut-être parce qu'il ne sera jamais publié, mais chtttt!
- Enfin, Scott Esposito nous signale un essai assez intéressant de Ursula LeGuin publié dans le Harper's de ce mois. Malheureusement, faut être abonné pour avoir accès à la version complète, dommage pour vous! Néanmoins, Scott nous offre un extrait qui me remémore un post de fin 2006 où je soulignais qu'à mon sens le catalogue toujours plus médiocre de maisons autrefois vénérables n'était pas tant dû au marché qu'à des éditeurs couillonisés et incultes, commettant une erreur fondamentale de calcul. Et je pense que c'est une belle opportunité pour les éditeurs indépendants.
Fissile poésie
Dans la catégorie surréaliste:
"photo de la tete de oclock"
Dans la catégorie créativité débridée:
"le jour de la pluie comment se passe"
"je fis de macabre de danse"
Dans la catégorie réalisme minutieux:
"ma femme nue dans la salle de bains"
"j'ai joui dans le metro"
"photos de toisons pubiennes de femmes"
Dans la catégorie adolescence:
"rapport sexuel avec une personne qui fait semblant de dormir"
Mon préféré est un innocent credo infantil:
"un jour j'etais seul a la maison j avais peur"
La leçon: on trouve de tout sur auto-fission: pour toutes les bourses, surtout.
Le classique qui ne sera pas
Je suis tombé il y a quelques semaines sur une critique du premier roman de Robert Coover, « The origin of the Brunists », publiée dans le New York Times en 1966 (putain, 41 ans…), et le journaliste tirait quelques plans sur la comète, entrevoyait des perspectives futures, donnait des encouragements bien précis. Tout ça aurait pu être très bien et de toute façon s’avérait globalement positif mais, près de vingt livres plus tard, on ne peut que se rendre compte de l’erreur. Webster Schott, monsieur New York Times, entrevoyait alors entre les lignes une carrière assez différente. Et le but n’est pas de se moquer, mais bien de se souvenir que l’évolution d’un écrivain est souvent assez surprenante.
La petite ville de West Condon, provinciale dans tous les sens du mot, dépend pour sa survie économique des emplois créés par la mine locale. Lorsqu’un coup de grisou plus que probablement dû à la négligence d’un mineur tue plusieurs dizaines de gueules noires et rend les veines quasi-inexploitables, la population se retrouve au bord de la ruine. Mais elle ne sait pas encore que la véritable catastrophe est spirituelle. Un des travailleurs, Giovanni Bruno, est retrouvé vivant auprès de six cadavres. Le cerveau intoxiqué par le monoxide de carbone, il murmure des bouts de phrases incompréhensibles sur la rédemption, la lumière et le seigneur. Il deviendra le messie alité et involontaire d’une secte annonçant la fin du monde.
Webster Schott commence son papier du 25 septembre 1966 en disant que, ce premier roman, Robert Coover l’écrit comme s’il ne s’attendait pas à en écrire de second, y incorporant l’ensemble de ses connaissances religieuses et sociologiques ainsi que ce qui aurait pu être la base de quantité de nouvelles ou d’histoire de type réalisme social tout en disséquant très précisément la vie d’une petite ville, son organisation aussi bien concrète que symbolique. Schott ne le sait pas, mais il décrit ainsi non seulement une des particularités qui caractérisera l’œuvre entière de Coover mais également celle de grands nombres de romanciers postmodernistes : une sorte de polymathie compulsive.
N’identifiant pas la raison de cet incroyable amassement de richesses, Schott continue en s’attardant sur ce qu’il semble considérer comme la principale faiblesse de « The origin of the Brunists » : l’indécision de Coover, cette incapacité à capitaliser sur ce que le critique considère comme un héritage de la tradition romanesque, engagement avec le monde réel, celui de la non-culture des villes de province, du journalisme de seconde zone et de cette « étrange mélange de réalité et souhaits qui soutient parfois la croyance religieuse », qui fournit à l’auteur des histoires et des personnages. Mais ses hésitations l’empêchent de livrer des révélations nouvelles au lecteur : Coover ne parvient manifestement pas à décider si West Condon est une bonne blague ou la description d’un état des choses plus profond. Là encore Schott a raison, mais il se trompe : il ne sait pas que l’écrivain postmoderne est celui pour qui tout est à la fois une vaste blague et d’une gravité exceptionnelle, et pour qui les personnages oscillent en permanence entre le particulier le plus particulier et le cliché le plus stéréotypé. Il ne sait pas –en fait, en 1966, il ne peut pas le savoir- que ce va-et-vient entre le comique graveleux et le sérieux des thèmes abordés sera une caractéristique majeure du travail de Coover, comme « The Public burning » le prouve à suffisance.
En faisant de Coover un futur classique, en voyant en lui un jeune auteur capable d’émuler les grands de la littérature traditionnelle passée, Schott a commis, sans aucun doute, une erreur. Mais pourquoi ? A posteriori, il est facile de voir, en plus des éléments déjà cités, que, par exemple, les scènes sexuelles, parfois grotesques ou étranges, préfigurent ce qui viendra dans tous les romans suivants, et de façon encore plus prédominante dans «Spanking the maid » ou « The adventures of Lucky Pierre ». Et comment ne pas identifier dans la scène du soir de l’apocalypse supposée, avec ses stands vendant des saucisses et son allure générale de marché forain, un moment précurseur de l’exécution des Rosenberg, chapitre halluciné de « Public burning » ?
Tous ses éléments, ses points de références, Schott ne les a pas. Ce qu’il a devant lui, c’est un premier roman, un auteur sur lequel il n’a pas su se forger d’idée au fil des années. De plus « The origin of the Brunists » paraît en 1966, année que certains considèrent comme l’année zéro du postmodernisme (« The crying of lot 49 » oblige), ce qui rend l’identification de la filiation d’autant plus difficile. Alors se pose donc la question suivante : comment le critique peut-il rendre compte du nouveau, du particulier alors que son premier réflexe, légitime, sera de dégager ce qu’il connait déjà – surtout lorsque, comme c’est le cas ici, le nouveau se présente sous les guenilles du roman social de papa ? N’est-on pas, finalement, condamné à reconnaître la véritable nouveauté alors qu’elle est déjà ancienne – et qu’il est donc presque trop tard ?
« It's pity Mr. Coover ran out of ideas before words. He has splendid talent. There's no joy in seeing it too lie spent » : ainsi Webster Schott clôt-il son article. C’est bien là la seule grave erreur du critique: non seulement il oublie qu’il louait précisément la quantité d’idées brassées par Coover au tout début de son papier, mais il n’arrive pas à voir que ce n’est pas d’idée qu’il a manqué mais bien de volonté de suivre le modèle narratif traditionnel. C’est exactement pour son imagination, pour ses mots, pour son style et pour son audace qu’il deviendra l’une des références incontournables de tout curriculum littéraire alternatif. Je n’ai pour ma part aucun doute que si Schott avait su ce qui allait suivre, il n’aurait pas souligné son talent et se serait focalisé sur ce qu’il considère comme du verbiage.
Robert Coover, « The origin of the Brunists », Norton, $10.95
Oiseau de malheur
Plus personne ne lit Mishima. En 2001 je pense, je m’étais acheté trois de ses romans en Folio au stand Gallimard de la foire du livre de Bruxelles. Au moment de régler, le libraire, un homme d’une cinquantaine d’années, m’avait fait part de son étonnement de voir un « jeune » acheter ça : plus personne ne le lit, me dit-il, l’air profondément malheureux. Et je pense qu’il avait raison. J’ai donc été surpris par deux commentaires à mon message de jeudi où j’évoquais mes projets pour cette année, parmi lesquels je citai en passant la relecture du génial, pervers, cruel et ambigu écrivain japonais, d’autant plus que je considérais a priori de manière idiote que mes lecteurs ont sans doute des goûts qui ne les font pas nécessairement se sentir proche de ce classicisme glacial.
Dans un des deux commentaires, l’ami Odot mentionnait le côté déprimant de l’œuvre de Mishima. Ce n’est sans doute pas la première chose qui me viendrait à l’esprit en parlant de lui, mais je dois bien admettre que j’ai lu beaucoup de ses livres avec frénésie pendant une période où je ne me sentais pas nécessairement à l’aise avec moi-même.
Avant de continuer, je vous préviens tout de suite qu’il ne faut pas prendre ce post pour une approche sérieuse d’un aspect précis du travail ou du personnage Mishima. Dimanche, jour anecdotique s’il en est, ce sera donc l’occasion d’un mièvre épanchement sentimental. A 18 ans, moins gras et moins cynique, passant quelques mois dans le Surrey, loin de la famille, je m’étais amouraché d’une Japonaise de trois ans mon ainée. Ça a duré quelques temps et une fois la relation proprement dite terminée, nous avons continué, pendant à peu près un an, à correspondre. Je me sentais plus bas que terre pendant ces mois-là. A posteriori, je me dis que ce n’ était pas tant à cause de la rupture qu’à cause de la prise de conscience que nos sentiments pouvaient nous tromper, que ce que l’on croyait être pouvait ne pas être, non pas par la faute de l’autre mais bien par la sienne propre puisque nous nous étions, pour ainsi dire, auto-illusionnés. Peut-être pour compenser le manque, c’est à cette même époque que j’ai commencé à développer un intérêt presque malsain pour le Japon, sa culture comme sa politique – j’ai fait un mémoire sur la politique étrangère du Japon de l’après-guerre à aujourd’hui. Et c’est bien entendu comme ça que j’ai lu pour la première fois Mishima, en septembre 2000. Il s’agissait de « Neige de printemps », premier volume de la fameuse tétralogie de « La mer de la fertilité ». Je me souviens évidemment du choc à la découverte de ce style d’une élégance rare qui prenait le contre-pied total de mes lectures d’alors (et toujours d’aujourd’hui dans le cas de Burroughs), mais je me souviens surtout de cette histoire d’amour impossible, d’une beauté absolue et d’une profondeur rare. Je me souviens aussi d’une lettre qu’elle m’envoya où elle évoquait dans des termes un peu dépréciatifs Mishima, ce qui me fit comprendre qu’au Japon non plus on ne le lit plus beaucoup et on se souvient sans doute surtout des frasques politiques qui culminèrent dans ce suicide rituellement mis en scène.
On entend souvent des gens évoquer des livres, des chansons, des films qui leur sauvèrent la vie, qui les firent se sentir moins seul ou enfin compris. A ceux qui recherchent pareil apaisement, je déconseille fortement la lecture de Mishima : elle ne saurait soulager la douleur ou le mal-être de personne. C’est le travail d’un homme génial et tourmenté qui empoisonne l’âme de ses lecteurs. Pour s’en convaincre, il suffit de lire « Le marin rejeté par la mer » (le titre anglais est encore plus beau : « The sailor who fell from grace with the sea ») : il n’y a pas d’espoir par ici. Sans aucun doute le livre le plus cruel par moi lu, et l’un des plus beaux aussi.
Un soir de février 2004, celle qui allait devenir ma compagne me parla d’une amie à elle qui était devenue folle. Elle lisait Mishima et écoutait Depeche Mode ce qui était sans doute à l’origine de ses problèmes mentaux. A partir de 2003, mon obsession nippone était allée en diminuant et c’est peut-être ce jour-là que je refermai l’étape Mishima. Je m’apprête à la rouvrir et me demande bien ce que je vais y trouver.
Pour commencer 2008: résolutions et autres considérations
- Maintenir l’effort US, tout en allant voir ailleurs : 53 livres américains pour 149 lus, c’est moins qu’en 2005 (je n’ai pas les chiffres exacts) mais toujours considérable.
- Me plonger un peu plus dans la littérature hispanophone, avec 32 livres, je crois qu’on y est.
- M’intéresser de plus près à la littérature allemande : 15 livres, soit un peu plus de 10%, insuffisant ou bon début, c’est selon.
Que ceux qui s’inquiètent pour ma santé mentale, mes heures de sommeil ou la littérature maltraitée à la mitraillette se rassurent : je pressens une sensible diminution du nombre de volumes lus, pour plusieurs raisons, notamment professionnelles et familiales mais aussi liées à l’un ou l’autre projet de papiers plus longs pour publication ailleurs que sur Tabula Rasa qui, je l’espère, se concrétiseront. Un de ceux-ci devrait me mener à relire dans les prochaines semaines pas mal de Mishima, peut-être en trouverez-vous un écho ici. (Et si vous désirez ma collaboration pour quoi que ce soit, n'hésitez pas à me contacter.)
Auto-fission redémarrera la semaine prochaine, et j’essayerai de continuer à respecter le rythme initial d’un texte toutes les deux semaines. Tout dépendra de ma capacité à clôturer les innombrables débuts déjà pensés ou écrits. J’espère que ça vous intéressera – ne pas hésiter à laisser des commentaires. (En passant, tout grand merci particulier à g@rp.)
Je suis très heureux de voir la réception extrêmement positive de « La route » de Cormac McCarthy en France, grand livre US de 2006 sur lequel j’étais supposé réécrire un billet plus élaboré pour un autre blog que le mien. D’autres obligations m’ont empêché de respecter ma promesse (sorry) à temps et je ne vois plus trop l’utilité de rajouter mon grain de sel à cette date. Je me permets juste de vous signaler mon papier d’octobre 2006, à l’époque où le livre s’intitulait encore « The Road ». Pour ceux qui ne l’avaient pas lu alors, vous verrez : c’est plus une affaire de sensation que d’analyse.
Enfin, pour se dire au revoir et comme je sais que certains aiment ça, voici quelques livres acquis à Madrid la semaine dernière et qui, sans doute, pointeront leur nez par ici en temps voulu : « Help a él » de Fogwill (republication 2007 d’un texte de 1982), le premier volume des « Obras completas » de Borges (madame Kodama autorise là-bas ce qu’elle n’autorise pas en France, on dirait), « El Asco – Thomas Bernhard en San Salvador » de Horacio Castellanos Moya, première édition en Espagne l’automne dernier, traduit depuis bien longtemps par Les allusifs, « Ciencias morales » de Martín Kohan, « La guerra del fin del mundo » de Vargas Llosa et, enfin, un livre qui pourrait à la fois être un lamentable fiasco ou une étude extrêmement intéressante, « Afterpop : la literatura de la implosión mediática » de Eloy Fernández Porta, un essai sur la littérature et le monde contemporain, qui évoque Julián Ríos, Vila-Matas, John Zorn, Michael Haneke, Coover, etc.
PS : Les liens (abreuvoir) ont été mis à jour. Ils avaient été scandaleusement oubliés pendant trop longtemps.
Radical Huck
Un mystérieux roman d’apprentissage lu par une poignée de chanceux, épuisé pendant trente ans. Le seul livre d’un écrivain disparu de la surface de la terre jusqu’à ce qu’un cinéaste sous le charme du livre le débusque, après une longue enquête, dans le fin fond de l’Iowa, au boulot au bureau de la poste locale, emballant les colis. Près de six cents pages louées par Joseph McElroy ou Thomas Sanchez. Ce genre de CV peut soit vous faire saliver, soit vous effrayer. Quand j’ai commencé la lecture de “The Stones of Summer” de Dow Mossman, j’hésitais entre ces deux attitudes. Une fois le livre terminé, je n’ai pas encore vraiment décidé où je me trouvais.
“The Stones of Summer” possède toutes les caractéristiques des romans “coming-of-age” l’un des genres les plus parcourus et les plus idéalement placés pour donner libre cours à l’épanchement d’innumérables platitudes. Dawes est un garçon d’une petite dizaine d’années qui passe ses vacances auprès de ses grands-parents. Arthur, le grand-père, est éleveur de chiens de courses. C’est un homme dur et renfermé qui n’apprécie pas la sensibilité du jeune Dawes. Celui-ci se réfugie auprès d’Abigail, une voisine à moitié folle, qui lui parle de l’histoire de sa famille en un mélange de faits, d’approximations et d’inventions. Quelques années plus tard, à l’adolescence, Dawes et ses amis boivent, se battent, draguent (souvent sans résultat), font des conneries, se balladent (et se crashent) en bagnole. Mais quelque chose le met à part de ses compagnons : il a une sensibilité et des références essentiellement littéraires, peuplant sa conversation d’allusions lettrées rendant difficile la communication et écrit des poèmes et autres bouts de textes. Cette particularité l’isole un peu aussi bien de ses pairs que de ses parents. Il n’y a dans ce récit rien de franchement original, permettant de distinguer ce livre-ci des milliers de premiers romans développant des thèmes similaires. Mais un roman n’est pas qu’une histoire, et ce ne saurait sans doute être plus vrai que dans ce cas-ci. Ce qui m’a maintenu dans “The Stones of Summer” n’est pas une histoire de plus de la jeunesse à l’aurore de la contreculture US mais bien un style et une langue étrange, propre à Mossman, peuplés de métaphores originales, prenant toujours la tangente dans des simili-digressions qui me firent bien souvent me gratter la tête. Et puis on commence la troisième et dernière partie et le ciel s’éclaire et l’on prend conscience de lire quelque chose de fort et voilà, les doutes s’envolent. Si les deux premières parties se lisaient un peu comme l’effort d’un talentueux étudiant de creative writing pour transformer le récit de sa vie en Huck Finn des temps modernes, ce dernier chapitre raconte les efforts de Dawes pour écrire de ses aventures le nouvel Huck Finn. Et ça change tout, parce que ça permet à un effort poussif de se libérer des rigidités d’un genre et de s’émanciper à travers un exercice pas toujours réussi mais assez fascinant. Dawes est au Mexique, emboitant ainsi le pas à Lowry, Markson, Pynchon etc. Il y relit de longs passages de son roman autobiographique en cours. Le ton est confus, l’ordre chronologique pas vraiment respecté : le lecteur devra remettre les fragments en place, recomposer peu à peu le tableau vital qui l’a fait aboutir là-bas. Il serait sans doute faux de dire qu’on y trouve les plus belles pages du livre – il y en a de fameuses bien avant- mais c’est sans aucun doute dans cette partie qu’on trouve les plus originales, les plus fortes.
“The Stones of Summer” est un roman imparfait, au style impressionnant mais au récit au 2/3 trop conventionnel et déjà lu qui bénéficie de deux cents pages explosives. Contrairement à certains écrivains dont on se dit que le premier roman aurait pu (et parfois dû) être le seul tant il est excellent, on se dit ici qu’il est bien dommage que Mossman n’ait pas développé son indiscutable talent par la suite.
Une dernière chose avant de terminer : Mossman met bien en évidence à de nombreuses reprises son désir de suivre les traces de Huck Finn, mais, alors que tout le monde veut être Huck, il me semble probable que personne n’ait envie d’être Dawes. Le personnage de Twain avait quelque chose d’universel, qui parlait à tous. Dawes est, la plupart du temps, un petit con prétentieux qui pense tout savoir mais ne sait rien. En gros, Huck serait le jeune gars d’une époque optimiste qui s’ouvrait au monde, Dawes le représentant d’une ère troublée où nombres d’opposants étaient aussi idiots et détestables dans leurs croyances que ce à quoi ils s’opposaient.
Dow Mossman, The stones of summer, Tusk / Overlook, $15.95
Des chiffres
Parce que la littérature est d'abord affaire de chiffres, comme nous les savons tous.
149 livres
45942 pages
(308,3 moyenne)
111 auteurs
8 Bolaño, 6 Vollmann, 4 Vila-Matas, 4 Chevillard, 3 Markson, …
34 pages à 1313 (3 Vollmann top 10 plus longs, Pauls top 10 brefs et longs)
24 pays
53 USA, 16 France, 11 Royaume-Uni, 10 Espagne, 8 Allemagne, Argentine, Chili, …
68 écrits anglais, 32 espagnol, 16 français, 15 allemand, …
Lus 3 langues: 74 français, 66 anglais, 9 espagnol.
Don B. en Argentine
Je vous conseille par ailleurs de consulter régulièrement en ligne Radar et Radar Libros, respectivement suppléments dominicaux culturels et littéraires du quotidien, très bon sur ces terrains. On y trouve cette semaine un très alléchant papier sur Ricardo Colautti, un écrivain argentin peu connu, sorte de Kafka local dont l'existence aurait pu être une bonne blague de Borges. (Je croise les doigts pour trouver une copie d'importation à La Central cette semaine.) Il y a trois semaines, Radar demandait à quelques écrivains dont, encore une fois, Fresán et Alan Pauls de leur livrer les critiques de films de saison inventés par eux.
On se voit au plus tard lundi, avec un truc sur le seul livre de Dow Mossman.
Saludos de Madrid.