Langue de vipère
Quand Horacio Castellanos Moya se laisse aller et perd le contrôle de son écriture, que se passe-t-il ? Pas grand-chose, malheureusement. C’est le triste constat fait au sortir du « Bal des vipères », petit roman de gare, histoire d’un voyage à peine mouvementé, parfois amusant, surprenant à deux ou trois reprises, mais ne faisant même pas figure d’en cas suffisant à calmer notre faim de littérature.
Dans une ville quelconque d’un pays quelconque d’Amérique centrale, Eduardo, sociologue au chômage, est fasciné par un vieux puant qui semble vivre dans une antique chevrolet parquée en bas de son immeuble et s’amuse à le suivre pour tenter de nouer le contact. Un beau soir dans un sale quartier, après une dispute ne le concernant même pas, Eduardo tranche la gorge du vieillard et s’en va, clefs de la bagnole en poche. Une fois dans la caisse, il fait connaissance avec quatre sublimes vipères qui parlent et se fait expliquer les déboires sentimentaux de l’ancien maître de céans. Séance tenante, le voilà se glissant dans la peau de sa victime, parti pour régler d’anciens comptes et se créer de nouvelles ardoises dans un déferlement de violence nihiliste. Il faut dire que les vipères sont vraiment vénéneuses et effrayantes, et que le hasard, peut-être seule chose qui tient ce livre en place, met Eduardo et ses serpents sur le chemin de flics anti-narcos et d’un politicien-vedette, semant ainsi la panique dans les plus hauts cercles de l’Etat.
A l’autopsie, on se demande quand même ce qu’a tenté de faire Castellanos Moya. Les lecteurs de ce blog savent que je peux à peu près tout pardonner pour une étincelle de génie. Ici, rien ne vient vraiment contrebalancer toutes les déceptions : quatre parties, trois narrateurs mais aucun n’apporte un plus ; absence totale de psychologie des personnages – un seul, la journaliste, est légèrement composé avant d’être renvoyé sur une voie de garage- : on n’a pas nécessairement besoin de savoir pourquoi Eduardo tue le vieux, on aimerait quand même savoir pourquoi on a justement pas besoin de savoir ; prose plate ; folie ne sortant pas du cadre d’un scénario de série B, n’en jetons plus : à part une incroyable scène de sexe homme-serpents, aucun moment fort où on se dirait « voilà pourquoi j’ai ouvert ce truc ! ». Alors oui, on rigole pas mal, l’idée est plaisante quoique pas vraiment originale – « ville terrorisée par les serpents tueurs de jeunes filles ! », et on sourit au parcours très odysséen de Eduardo, mais finalement, que s’est-il passé ? Eh bien, on a rempli quarante minutes de bus, une heure de pause déjeuner et une demi-heure avant de dormir pour se rendre compte que ce qu’on a fait pour peupler ces moments est aussi oubliable que le seraient ces mêmes moments s’ils avaient été passés à ne rien faire. Castellanos Moya vaut mieux que ça.
Petite remarque finale : je suis peut-être complètement idiot, mais je n’ai pu réprimer quelques éclats de rire en lisant ici ou là dans la presse hexagonale que « Le bal des vipères » était un roman vachement politique, satire mordante de son pays et de la société du spectacle ou que sais-je encore. Je ne sais pas trop où ils ont été trouvé ça ailleurs que dans une profonde crise de nisardisme critique. Il n’y a pas de propos politique ou autres dans ce livre, tout au plus un éclat de rire qui s’adresse à tout le monde et surtout au lecteur. Le premier roman de l’auteur était placé sous le signe de Thomas Bernhard dont on sait le dégoût qu’il avait pour son pays natal. Castellanos Moya a, paraît-il, une relation difficile avec le sien – Salvador – qu’il a dû fuir. S’il y a quelque chose qu’on pourrait voir dans ce nouveau roman si on voulait jouer au psy de bas étage, c’est une sorte de pulsion de la destruction envers la mère-patrie pas totalement exécutée par la faute d’un reste d’amour – ce n’était pas le cas de Bernhard. Cette impossibilité de tirer en trait est ici transformée en une sorte d’ironie nihiliste dont la musique sort d'une coquille creuse. J’arrête ici de divaguer.
Horacio Castellanos Moya, Le bal des vipères, Les allusifs, 15€
Dans une ville quelconque d’un pays quelconque d’Amérique centrale, Eduardo, sociologue au chômage, est fasciné par un vieux puant qui semble vivre dans une antique chevrolet parquée en bas de son immeuble et s’amuse à le suivre pour tenter de nouer le contact. Un beau soir dans un sale quartier, après une dispute ne le concernant même pas, Eduardo tranche la gorge du vieillard et s’en va, clefs de la bagnole en poche. Une fois dans la caisse, il fait connaissance avec quatre sublimes vipères qui parlent et se fait expliquer les déboires sentimentaux de l’ancien maître de céans. Séance tenante, le voilà se glissant dans la peau de sa victime, parti pour régler d’anciens comptes et se créer de nouvelles ardoises dans un déferlement de violence nihiliste. Il faut dire que les vipères sont vraiment vénéneuses et effrayantes, et que le hasard, peut-être seule chose qui tient ce livre en place, met Eduardo et ses serpents sur le chemin de flics anti-narcos et d’un politicien-vedette, semant ainsi la panique dans les plus hauts cercles de l’Etat.
A l’autopsie, on se demande quand même ce qu’a tenté de faire Castellanos Moya. Les lecteurs de ce blog savent que je peux à peu près tout pardonner pour une étincelle de génie. Ici, rien ne vient vraiment contrebalancer toutes les déceptions : quatre parties, trois narrateurs mais aucun n’apporte un plus ; absence totale de psychologie des personnages – un seul, la journaliste, est légèrement composé avant d’être renvoyé sur une voie de garage- : on n’a pas nécessairement besoin de savoir pourquoi Eduardo tue le vieux, on aimerait quand même savoir pourquoi on a justement pas besoin de savoir ; prose plate ; folie ne sortant pas du cadre d’un scénario de série B, n’en jetons plus : à part une incroyable scène de sexe homme-serpents, aucun moment fort où on se dirait « voilà pourquoi j’ai ouvert ce truc ! ». Alors oui, on rigole pas mal, l’idée est plaisante quoique pas vraiment originale – « ville terrorisée par les serpents tueurs de jeunes filles ! », et on sourit au parcours très odysséen de Eduardo, mais finalement, que s’est-il passé ? Eh bien, on a rempli quarante minutes de bus, une heure de pause déjeuner et une demi-heure avant de dormir pour se rendre compte que ce qu’on a fait pour peupler ces moments est aussi oubliable que le seraient ces mêmes moments s’ils avaient été passés à ne rien faire. Castellanos Moya vaut mieux que ça.
Petite remarque finale : je suis peut-être complètement idiot, mais je n’ai pu réprimer quelques éclats de rire en lisant ici ou là dans la presse hexagonale que « Le bal des vipères » était un roman vachement politique, satire mordante de son pays et de la société du spectacle ou que sais-je encore. Je ne sais pas trop où ils ont été trouvé ça ailleurs que dans une profonde crise de nisardisme critique. Il n’y a pas de propos politique ou autres dans ce livre, tout au plus un éclat de rire qui s’adresse à tout le monde et surtout au lecteur. Le premier roman de l’auteur était placé sous le signe de Thomas Bernhard dont on sait le dégoût qu’il avait pour son pays natal. Castellanos Moya a, paraît-il, une relation difficile avec le sien – Salvador – qu’il a dû fuir. S’il y a quelque chose qu’on pourrait voir dans ce nouveau roman si on voulait jouer au psy de bas étage, c’est une sorte de pulsion de la destruction envers la mère-patrie pas totalement exécutée par la faute d’un reste d’amour – ce n’était pas le cas de Bernhard. Cette impossibilité de tirer en trait est ici transformée en une sorte d’ironie nihiliste dont la musique sort d'une coquille creuse. J’arrête ici de divaguer.
Horacio Castellanos Moya, Le bal des vipères, Les allusifs, 15€