Journal trouvé

On ne soulignera jamais assez l’importance de Dalkey Archive. N’éditant que deux ou trois inédits américains par ans, la maison de John O’Brien est surtout connue pour ses rééditions de bijoux de la littérature des cent dernières années malheureusement retirés du catalogue de leurs premiers éditeurs. C’est ainsi qu’en 2002, les lecteurs avaient à nouveau accès à « L.C. », assez surprenant premier roman de Susan Daitch publié en 1986.

Tout commence à la « Pale Fire », à la « Adolphe » ou à la « Giles Goat-Boy » avec une introduction écrite ici par une docte professeur, expliquant dans quelles circonstances elle avait hérité du texte que nous allons lire. Dans le cas qui nous préoccupe, il s’agit du journal intime d’une jeune femme vivant à Paris avec son époux qu’elle n’aime pas. Originaire de province, elle découvre le mouvement de la ville, devenant la maîtresse de Delacroix (entre autres). Au départ simple observatrice de la révolution de 1848, elle devra finalement prendre la route de l’exil.

Honnêtement, le journal n’est pas vraiment passionnant. Il intrigue tout de même : les phrases françaises laissées telles quelles par la traductrice dans le texte anglais sont truffées de fautes d’orthographe et de syntaxe. Il y a toute une série d’anachronisme – comme pourrait-on lire Le monde un siècle avant sa fondation ?- et l’ensemble a un air bien trop moderne. La question est donc de déterminer si c’est Susan Daitch qui a bâclé son travail ou si quelque chose d’autre est en train de se passer…

Et c’est là qu’effectivement ça s’emballe – modérément- : une autre personne que l’éditrice / traductrice s’immisce dans les notes de bas de pages, prenant au fur et à mesure de plus en plus de place. Et à la fin du journal, c’est cette personne qui prend la parole dans une étrange postface. Jane Amme, puisque c’est son nom, évoque tout d’abord la façon dont le texte est parvenu dans les mains du professeur Rehnfield et puis dont elle-même, l’assistante de l’académique, s’est approprié le travail de son patron à sa mort. Surtout, elle évoque son propre parcours personnel commencé comme étudiante radicale-terroriste sur les campus californiens dans les années ’60. C’est plus synthétique mais surtout autrement intéressant, palpitant et pertinent que la timide tentative d’aborder le même sujet de Dana Spiotta l’an passé.

On comprend vite que Amme s’identifie très fort au journal de Lucienne Crozier, se persuadant que leurs parcours personnels sont identiques, épousant le même modèle, posant les mêmes questions, portant les mêmes valeurs. Inévitablement, la traduction de Rehnfield l’irrite puisque le portrait de Lucienne qui s’en dégage est celle d’une femme passive, qui préfère se laisser emporter et ensuite regretter que de reprendre son destin en main. Elle décide donc de retraduire entièrement la fin du journal, donnant à la diariste un destin nettement plus révolutionnaire, la plaçant dans le rôle de précurseur du féminisme de combat et de la justice sociale.

Comment savoir s’il s’agit vraiment d’une nouvelle traduction plus complète, d’une réécriture totale, ou même d’une fabrication de A à Z – pas à exclure, vu les incongruités ? Indéterminable, à chaque lecteur de se faire son opinion. C’est bien sûr la question du travail d’historien qui est en jeu ici. Quelle foi peut-on vraiment accorder à l’analyse du passé lorsqu’il repose sur des sources secondaires, partielles, dont l’authenticité est parfois douteuse et qu’en plus ces informations sont interprétées à travers le prisme déformant et la caisse de résonance représentés par les propres partis pris idéologiques des historiens ? Ce n’est pas toujours aussi évident que lorsque Ramonet parle de Cuba…

Entre ces questions-là, la présentation raccourcie du féminisme et du radicalisme des 60’s, les révolution du 19eme et la structure de triple histoire dans l’histoire, il y a de quoi s’amuser dans « L.C. ». Si le roman n’est peut-être pas transcendant de bout en bout, c’est bien une mini (mais fameuse) polyphonie des possibles que Daitch a livré.

Susan Daitch, L.C., Dalkey Archive, $14.95

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Tunguska

Pour ceux qui sont sur la piste...

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Le gigot est au centre de l'univers

Et donc le meilleur de la littérature française contemporaine, c’est ça ?

Mon ami odot m’avait dit qu’il fallait le lire, que même si c’était très français, c’est quand même quelque chose, que ça valait la peine contrairement à bien trop d’auteurs hexagonaux à succès. Mon ami gadrel m’avait dit qu’il ne lirait plus jamais rien de ce type, que c’était nul, vide et chiant. Analysant un bref moment mes affinités littéraires avec les deux gaillards, je m’étais rapidement dit que cet « Univers, Univers » et ce Jauffret, ça devait être pas mal. Au bout du compte, je me retrouve en no man’s land, entre les deux parties en conflit (qui n’existe que dans ma tête : ils ne se connaissent pas).

L’histoire est de celles qui se résument a priori en deux phrases. Une femme surveille le gigot dans le four, attendant son mari et les amis qu’ils reçoivent à dîner. Peut-être est-elle amnésique, plus probablement s’emmerde-t-elle, toujours est-il qu’elle passe le temps en s’imaginant des noms et des parcours toujours glauques, supposés représentatifs de la médiocrité de la vie bourgeoise : mauvais mariage, piètre vie sexuelle, déchéance alcolallucinogène, mort de seconde zone. C’est la lecture littérale.

C’est une longue litanie des vies possibles, une tentative saisissante d’épuiser l’univers et de le circonscrire dans les pages du livre, de rendre la complexité du monde à travers l’hyper-simple d’apparence (la cuisson du gigot, cet agneau mystique des temps modernes). Jauffret joue ici avec le pouvoir de l’auteur qui non seulement sait tout, mais prévoit et contrôle l’avenir. L’écriture est ici l’instrument de l’écrivain sadique qui affirme pouvoir réserver n’importe quel sort à son personnage. On a aussi bien sûr une forte réflexion sur la cruauté du temps qui passe et la terrifiante imperfection de la vie quotidienne. C’est la lecture œcuménique.

« Univers, univers », voilà bien un livre où l’intrigue est un disque rayé au tout début du sillon, qui ne démarre jamais donc vraiment. Roman d’une grande complaisance qui n’a pratiquement rien à dire, il aurait peut-être bénéficié d’un format 45 tours à la Chevillard plutôt que de ce sextuple 33 tours interminable. Jauffret n’épuise pas l’univers, par contre on serait moins formel en ce qui concerne son lecteur. Entreprise boursouflée, sans grâce, ce n’est pas là l’œuvre rédemptrice de la littérature française mais bien le constat, le diagnostic de sa profonde maladie. On frise l’imposture. C’est la lecture fondamentaliste.

Aucune de ces trois lectures ne me satisfait. Il y a de très beaux passages dans « Univers, univers », ça ne fait aucun doute. Ils sont malheureusement finalement assez rare étant donné l’ampleur de l’entreprise. D’une certaine façon, Jauffret force le respect, mais en même temps comment résister à des dizaines de pages de vide absolu, de rien, de répétition constante ayant perdu toute trace d’originalité ? Il y a, sur les 600 pages du livre, trois passages qui resteront en moi.

« Si seulement vous aviez l’amour-propre qu’on prête à une bête, tous ces caractères, tous ces mots, ce phrasage, cette paragrapherie n’auraient pas pénétré vos méninges, insultant vos neurones comme une bande de salopiots. Vous vous seriez enfui dès la première page, abandonnant la lecture pour une activité dénuée d’intérêt, mais moins humiliante, et vous n’auriez pas servi d’exutoire à un ouvrage en furie. A présent, vous êtes allé trop loin, vous êtes un lecteur captif, vous faites partie du livre tout autant que cette femme en arrêt devant son four. Comme elle vous regardez la viande, vous l’entendez rissoler, vous êtes dans l’expectative, alors que de toute évidence il ne se passera rien de notable. La voilà la littérature, elle ne raconte rien, elle traîne en longueur le langage, elle lui permet enfin de s’exprimer, au lieu de toujours servir à dire quelque chose d’autre que lui. »

Ensuite, la partie qui va de la page 276 à la page 285 est à peu près parfaite.

Enfin, les mots qui clôturent le livre :

« Elle a eu trop de noms pour qu’on s’en souvienne. A présent, le gigot est cru, l’agneau s’en sert encore pour gambader dans la campagne, grimper aux arbres, s’envoler de la plus haute branche avec la grâce d’un caillou, d’un caïman, d’un lecteur tombé tête la première dans un roman.
Un roman décédé de mort subite.
Les livres meurent debout. »

Entre ça, quelques belles phrases, belles trouvailles, belles inventions. Et trop, beaucoup trop de prose marchand-de-sable.

Régis Jauffret, Univers, univers, Verticales, 20€

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Je ne compte pas ici relancer le débat sur l'état des lettres françaises, ce sera (peut-être) le sujet d'un autre message.

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Une illusion

C’est avec grande excitation que j’ai ouvert « Le passé » de Alan Pauls il y a quelques jours, et avec une certaine perplexité que je l’ai refermé cet après-midi. Recommandé left, right and center, et notamment par la clique Herraldofresánovilamatabolañesque, c’était a priori fait pour moi, mais je ne suis finalement pas convaincu par cette éducation sentimentale inversée, remplie de madeleines et d’épiphanies et d’un humour qui force des éclats de rire, oui, glaciaux. Difficile de dire ce qui cloche de façon convaincante : c’est sans doute lié à une histoire qui a un aspect assez vieillot, déconnecté, une sorte de tentative maladroite de réécrire la Sibylle et Horacio, version temps modernes mais cadre presque antique, impression que tout se déroule bien avant les dates véritablement avancées (des années 70 à nos jours), que ça pue la naphtaline en somme. En gros, un sud-américain qui a mieux réussi à parler d’une histoire d’amour remplie de douleur, c’est Vargas-Llosa et sa vilaine fille – et lui met plein d’autres choses en plus dans son récit. Tout ça est dommage, parce qu’il y a quelque chose de fascinant dans l’écriture de Pauls, surtout par la grâce d’une grande force évocatrice dans les images, les métaphores utilisées, et la capacité de partir dans de longues envolées où tout coule de source, tout sonne juste.

« Il habitait à Nuñez, au vingt-deuxième étage d’une tour qui, par vent violent, semblait tituber un peu à la tombée de la nuit, comme bercé par la force des avions qui traversaient le ciel tout près. »
« Rímini avait tendance à penser que la jalousie était une machine arbitraire mais implacable, dont la spécificité consistait à traduire la langue diaphane de l’amour en jargon de cauchemar : l’amour coulait sans problèmes jusqu’au moment où il butait contre une impureté, l’impureté formait un pli, celui-ci créait un phénomène d’étranglement, le courant de l’amour devenant un filet. »

On aurait juste souhaité que le reste de la machine suive.

Alan Pauls, Le passé, Christian Bourgois, 27€

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Lettre ouverte

A : Le lecteur à ses lecteurs. « Letters » est apprécié « maintenant ». Commentez.

Dimanche, 14 septembre 1999

Chers Lecteurs,

Dans votre lettre du 10 septembre dernier (merci), vous me reprochiez de tourner en rond, d’intellectualiser et de prétentieuciser les minables romans que je lis au lieu d’en donner des comptes-rendu objectifs, clairs et (surtout !) concis. J’écoute et j’applique, modestement. Voyons si vous êtes maintenant prêts à payer plus pour ce service.

Qu’est-ce qui arrive à un livre de 772 pages publié en 1979 ? Il s’épuise, disparaît des rayons, n’est plus lu que par une poignée de tarés. Et puis en 1994, il est enfin republié par Dalkey Archive, il n’y a donc plus besoin de courir les librairies de seconde-main pour enfin le lire. Et quand on le lit, qu’arrive-t-il ? Eh bien on est soulagé une fois qu’il est refermé, parce que c’est une expérience épuisante mais surtout parce qu’on a enfin eu le courage de s’y jeter et que les récompenses pour cette grand bravoure sont bien là.

Qu’est-ce que « Letters » ? Un roman épistolaire à l’ancienne par sept drôles et rêveurs fictifs, dont chacun s’imagine réel. L’auteur qui reçoit cette correspondance a tout l’air d’un accro à Des chiffres et des lettres, c’est sans doute le cas parce que ce livre est arrangé comme un code numéro-alphabétique à déchiffrer, à fracturer pour prendre conscience de l’ampleur du système de mots qu’est cette fiction.

Qu’est-ce que vous avez dit ? Ne vous en faites pas. Pas besoin de calculatrices, de connaissances en stats ou en probabilité. L’Auteur est autant compteur que conteur. Vous avez loupé les précédents chapitres ? John Barth est obsédé par le recyclage des formes anciennes, de la mythologie au roman picaresque. Ce coup-ci, va pour le roman épistolaire. Evidemment, il n’est pas homme à réécrire : il réinvente toujours. Et cette fois-ci, en plus de se réapproprier un genre, il se recycle lui-même en ressortant des cartons les personnages de ses six précédents livres. Ils tiennent tous la plume et correspondent gaiement à mesure qu’ils se croisent du côté de la baie du Chesapeake dans une intrigue à faire mal au crâne.

Qu’est-ce qu’on s’en fout ? Oh la la… Tout ça est intéressant parce que Barth innove en respectant assez peu les schémas classiques. Par exemple, les écrivains qui reprennent leurs personnages continuent généralement à raconter leurs vies, donnant une suite au texte précédent. Il n’en est pas tellement question ici : au contraire, ces personnages sont sortis de leurs histoires et accusent en quelque sorte l’écrivain de s’être inspiré très librement de leurs mésaventures pour écrire ses histoires précédentes. Ils prennent ainsi place dans le monde réel et remettent en cause, aux choix, l’objectivité, l’honnêteté, l’honneur et le talent de Barth. C’est une manière d’inverser le rapport traditionnel entre l’auteur et son invention, entre la fiction et la réalité, soulignant ce qui serait dû au monde réel pour mieux brouiller le lecteur dans ce monde de papier. Dans les lettres qu’il écrit lui-même, Barth s’avoue surpris de trouver des créatures existantes avec noms et parcours plus ou moins identiques à ses propres créations, lui donnant ainsi l’occasion de gloser sur les hasard. Ce livre est de fait le roman ultime de la coïncidence… calculée (« Life is a shameless playwright who lay on coincidences with a trowel »).

Qu’est-ce que ces conneries ? Donnez-moi des palpitations, crénom ! Pas s’énerver, tout doux. John Barth n’est pas connu pour être un écrivain sentencieux ou pontifiant (certains diront qu’il n’est pas connu du tout, o tempora, o mores). Il aime les blagues, les calembours et un humour parfois tellement fin qu’il n’a pas toujours réussi à franchir le cap des années. On se bidonne pas mal. Et pour ceux qui préfèrent l’astiquage au bidonnage, l’intrigue c’est en 1969 qu’elle se déroule, donc du sexe vous en aurez. Et pour les prudes dénués d’humour, il restera toujours une vision assez originale de la répétition dans l’Histoire à travers les histoires. Miam.

( Tout ce qui précède a été écrit le 08 mars 2006, mais anti-daté pour des raisons que ne comprendront sans doute que ceux qui ont déjà lu « Letters ». Désolé. S’arranger avec la chronologie fait partie des prérogatives de l’artiste que Fausto n’est pas. Mais si je ne sais pas créer, jouer avec les dates reste dans mes capacités)
(Avant de partir pour de bon, soulignons quelque chose qui différencie « Letters » des précédents livres de John Barth : il s’agit cette fois de « texts within texts instead of tales within tales ». On peut tout de même arguer que se cachent toujours dans ces texts within texts de nombreux tales within tales, mais bon. On ne va pas insister.)
(Je me rends compte que j’ai oublié un truc : « Letters », c’est pour les lettres de l’alphabet bien sûr, les lettres que s’échangent les protagonistes of course, et les lettres dans le sens littérature por supuesto. A ne jamais oublier lorsqu’on lit les livres.)
(Je viens de lire sous la plume de Françoise Sammarcelli la première chose intéressante que vous allez découvrir depuis le début de ce papier : le livre accomplirait « le rêve de Barth concernant le roman postmoderniste idéal, capable de "dépasser la querelle entre le réalisme et l’irréalisme, les partisans de la forme et ceux du contenu, la littérature pure et la littérature engagée, la fiction de l’élite et le roman de gare". En tout cas l’effet cumulatif brouille les catégories, comme il estompe la frontière entre fiction et réel, le modèle et ses reproductions. »[1])
(Sur un axe de 0 à 10, chance de traduction française? Osez-vous vraiment poser la question?)
(J’écris en fait ceci le 19 juin 2007 et m’excuse de vous avoir fait perdre votre temps. Le livre terminé depuis le 15 mai me regardait d’un œil plein de reproche, je me suis dit que je pouvais m’en sortir avec le coup de « Marelle ». Faudrait peut-être que mon prochain voyage soit sabbatique.)

John Barth, Letters, Dalkey Archive, $14.95


[1] Françoise Sammarcelli, John Barth, les bonheurs d’un acrobate, coll. Voix Américaines, Belin

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Polymathie

Je lisais ce matin un article du numéro précèdent de Bookforum sur un livre de Clive James. L’auteur du papier évoque une citation faite par James de Marc Bloch, que je vous restitue ici en version plus longue (et française, merci à Dieu ainsi qu’à l’Université de Chicoutimi) :

« La nature de notre entendement le porte beaucoup moins à vouloir savoir qu’à vouloir comprendre. D’où il résulte que les seules sciences authentiques sont, à son gré, celles qui réussissent à établir entre les phénomènes des liaisons explicatives. Le reste n’est, selon l’expression de Malebranche, que « polymathie ». Or la polymathie peut bien faire figure de distraction ou de manie, pas plus aujourd’hui qu’au temps de Malebranche, elle ne saurait passer pour une des bonnes œuvres de l’intel­ligence. Indépendamment même de toute éventualité d’application à la conduite, l’histoire n’aura donc le droit de revendiquer sa place parmi les connaissances vraiment dignes d’effort, seulement dans la mesure où, au lieu d’une simple énumération, sans liens et quasiment sans limite, elle nous promettra un classement rationnel et une progressive intelli­gibilité. »
Evidemment, Bloch parle de sciences, mais ce passage m’a ramené à l’esprit la dernière conférence de Roberto Bolaño, donnée à Séville en 2003 et disponible dans « El gaucho insufrible » sous le titre « Los mitos de Cthulhu ». Pour reprendre les mots de Jorge Herralde, c’est un pamphlet brutal. Ce qu’il ne dit pas ce que c’est bien sûr aussi une attaque hilarante. Les victimes ? La plupart des bestsellers de la littérature hispanophone. Je ne vais pas m’attarder plus là-dessus, il y a de quoi faire trois pages rien qu’en citations des meilleurs moments. Bref, allons droit à l’extrait qui m’intéresse :

« Hay una pregunta retórica que me gustaría que alguien me contestara: ¿Por qué Pérez Reverte o Vázquez Figueroa o cualquier otro autor de éxito, digamos, por ejemplo, Muñoz Molina o ese joven de apellido sonoro De Prada, venden tanto? ¿Sólo porque son amenos y claros? ¿Sólo porque cuentan historias que mantienen al lector en vilo? ¿Nadie responde? ¿Quién es el hombre que se atreve a responder? Que nadie diga nada. Detesto que la gente pierda a sus amigos. Responderé yo. La respuesta es no. No venden sólo por eso. Venden y gozan del favor del público porque sus historias se entienden. Es decir: porque los lectores, que nunca se equivocan, no en cuanto lectores, obviamente, sino en cuanto consumidores, en este caso de libros, entienden perfectamente sus novelas o sus cuentos. El crítico Conte esto lo sabe o tal vez, porque es joven, lo intuye. El novelista Marsé, que es viejo, lo tiene bien aprendido. El público, el público, como le dijo García Lorca a un chapera mientras se escondían en un zaguán, no se equivoca nunca, nunca, nunca. ¿Y por qué no se equivoca nunca? Porque entiende. »

Donc, ces auteurs vendent parce que les histoires se comprennent, le public suit parce qu’il comprend. Si l’on en croit Marc Bloch, rien de plus naturel puisque c’est vers ça que notre esprit nous porte. On comprend mieux les maigres ventes de ces auteurs à la polymathie compulsive (lire ceux qui peuplent ce blog la plupart du temps). Les livres de Robert Coover, pour ne citer qu’un auteur, ne sauraient passer pour « une bonne œuvre de l’intelligence ». Je connais bien des lecteurs qui seraient d’accord avec ce genre de jugement. Mais ce passage du discours de l’historien français sur son métier, s’il peut sans aucun doute s’appliquer aux autres sciences et tout particulièrement aux sciences dites sociale, peut-il pour autant s’appliquer à la littérature ?

Il me semble qu’il y a une tentation très forte chez certains de considérer comme valable la seule littérature qui prétend à décrire le monde, à nous apprendre des choses sur son fonctionnement, à servir en quelque sorte de point de référence, d’orientation pour vivre mieux, le tout devant évidemment prendre une forme rationnelle et de plus en plus intelligible à mesure que l’on tourne les pages. Et ce qui n’affiche pas ce genre d’ambition doit se contenter d’être un simple divertissement plus ou moins linéaire et inoffensif. Dans ce schéma, guère de place donc pour ces infernales machineries romanesques explosées où l’auteur ne donne pas tant à comprendre qu’à savoir, charge au lecteur, s’il en ressent l’envie, de rassembler ses connaissances pour tirer un sens quelconque et immanquablement personnel de ce qu’il vient de découvrir. Je ne m’étendrai pas sur l’étrange croyance que ce qu’on appelle le roman réaliste ou traditionnel ait véritable rapport avec la réalité, je l’ai déjà fait il y a quelques temps. Permettez-moi juste d’être dubitatif lorsqu’on essaye de me faire croire qu’une narration des faits qui tourne rondement est crédible : la réalité n’est jamais ronde, c’est une fiction de le croire – et il n’y a rien de pire qu’une fiction qui prétend être autre chose que ce qu’elle est.

C’est justement parce que beaucoup des auteurs qui me parlent écrivent des fictions qui de toute évidence se savent fictions que la possibilité d’approcher le monde à travers leurs textes est paradoxalement plus grande. Ce n’est pas en mettant les liens logiques et directs de cause à effets sur le papier que l’on arrive à comprendre un évènement. C’est encore moins ainsi qu’on crée une œuvre littéraire valable. A mon sens, et même si j’ai de très bons souvenirs de textes plus classiques, la véritable force du roman n’est démontrée que chez les auteurs qui arrivent à impliquer directement leurs lecteurs, à les faire rentrer dans une expérience qui peut à peu près prendre toutes les formes possible parce qu’elle dépend précisément des explosions créées par la mise en contact d’une prose, d’une forme, d’un contenu et des connaissances particulières de chacun. C’est, bien sûr, la force d’un Pynchon, dont l’exégèse est infinie, renouvelable constamment.

Ce texte est trop brut, confus et imprécis pour aller plus loin et plus profondément. Peut-être avez-vous tout de même quelque chose à ajouter. Pourquoi comprendre et que comprendre ? Pourquoi lisez-vous ? Pour donner un sens à votre vie ? Pour rationaliser le monde ? Pour vous évader ? Pour écrire ? Pour lire ?

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Paris, Paris, Paris

Voilà un voyage qui a failli tourner à la débandade. Moment de panique lorsque je me rends compte que l’entretien avec Vollmann était booké pour le jeudi 14, jour où j’étais déjà de retour dans mes pénates. J’avais demandé le 12 ou le 13, je devais avoir le jeudi 12 à 16h30. Il n’existe pas. Je pensais en date, et donc tout ce que j’ai retenu c’était le 12. Elle pensait en jour de la semaine, et donc ce qu’elle a retenu c’est le jeudi. Heureusement, coup de téléphone, problème rapidement réglé : le truc se fait donc le 12 à 16h.

Mission accomplie finalement, une petite cinquantaine de minutes d’entretien avec un Vollmann tout beau dans son t-shirt canari fluo. Je dois encore examiner la qualité de l’enregistrement pour voir si je choisis l’option podcast ou la retranscription. On a beaucoup causé libre arbitre notamment. Vous verrez tout ça en septembre.

Après l’entretien, une bière avec Claro et Pedro Babel. Discussion sympathique dans un cadre germanopratin sur, heureusement, une littérature qui ne saurait rentrer dans cette catégorie-là. La seule mauvaise nouvelle, c’est qu’il semble qu’on devra faire une croix sur la traduction de « Fathers and Crows » (pour le moment, j’espère). L’information cocasse ? Une certaine maison d’édition viserait le prix Médicis étranger pour le roman d’un auteur américain papier-krafté à paraître à la rentrée 2008. Not a chance in the world.La lecture de Vollmann à Village Voice fut finalement assez courte mais passionnante. L’extrait lu de « Europe Central » fait partie des nombreux moments magiques des 700 pages. Le bref extrait lu par Claro donne une bonne indication de la qualité de la vf sur 995 pages...

Ensuite, une grande bière dans un bar du quartier avec Odot, Pedro et Thomz. Malheureusement Odot et moi nous nous perdîmes dans des considérations profondes sur des musiques obscures, lâchant rapidement nos deux compères. Les retrouvailles se célébrèrent deux heures plus tard sur le thème étonnamment fédérateur de la découverte de Stephen King à l’adolescence.

Si l’on excepte les deux, trois livres achetés le lendemain, ainsi s’achève le pan littéraire de ce voyage. Le reste n’a pas trop sa place ici. Sachez seulement qu’il a fait beau et chaud, que les cafetiers pratiquent l’extorsion, qu’on est allé au musée Picasso et s’est fait coincé sous un orage. Le scandale de ces deux jours ? Je dégustais un délicieux morceau d’onglet lorsque j’entendis une femme française d’une trentaine d’années demander au serveur ce qu’était une tarte tatin. Ma main droite, celle tenant le couteau, s’est mise à trembler furieusement, je fus pris de sévères secousses corporelles avant d’avoir une incroyable envie de pleurer et de m’arracher les cheveux. Le déclin de la France est véritablement là lorsque les citoyens de ce pays ne savent pas ce qu’est une tarte tatin. La fin du monde est proche.

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Un homme tombe

On a vraiment l’impression que Don DeLillo a connu une période de grâce d’une dizaine d’années, commencée avec la publication en 1985 de « White Noise » et terminée peu après celle de « Underworld ». Dans ce laps de temps, ses ventes ont considérablement augmenté, il a donné trois classiques au corpus littéraire américain, est devenu un nom établi dans les cercles académiques, a reçu des prix innombrables et les applaudissements de la presse internationale. Si les lézardes dans l’unanimisme critique sont apparues dès après « Underworld » (trop long, trop cérébral, trop chiant, trop, trop, trop), on a vraiment touché le fond avec « Cosmopolis » en 2003. Quatre ans plus tard, la réception de « Falling Man » oscille entre le médiocre et le bon. C’est avec une impression diffuse que cette légère disgrâce est liée principalement à une mode médiatique (remember el Pynch) que j’ai commencé ce nouveau livre.

Vous ne l’ignorez sans doute pas, « Falling man » est la version delillesque du roman 9/11. On l’attendait avec une impatience non feinte, nous les lecteurs de « Players », « The Names » et « Mao II », ces romans d’un auteur prescient qui semblait savoir lire dans le futur. Qu’aurait-il à dire sur le passé, dans un roman qu’on savait moins volumineux et minutieusement recherché que l’hallucinant « Libra » ?

Finalement, DeLillo emprunte la seule voie praticable pour un écrivain new-yorkais souhaitant aborder cette catastrophe de septembre, délaissant l’énorme architecture paranoïaque postmoderne pour un court roman presque familial.

« It was not a street anymore but a world, a time and space of falling ash and near night. »

C’est de ce monde que Keith Neudecker émerge, hagard et ensanglanté, pour se retrouver sur le seuil de son ex-femme. Elle le lave, le panse, le ramène sur terre, et le couple se rapproche, se rabiboche, partage le même lit, au départ sans se toucher. Pendant ce temps, un performer se faisant appeler le falling man reproduit à divers endroits de la ville la chute de l’homme s’étant balancé du centième et quelques étages du WTC et rendu célèbre par le cliché de Richard Drew.

En fait, « Falling Man » n’est pas tant le roman du survivant Keith que celui de sa femme Lianne. Elle n’était pas dans les tours ou aux alentours de Wall Street, et pourtant c’est elle la plus traumatisée, c’est elle qui se pose les questions, entre dans une recherche spirituelle et tente de faire tourner sa vie professionnelle autour du terrorisme. Keith, lui, donne l’impression d’une coquille vide dont la véritable passion est le poker. Mais le personnage le plus étrange est Justin, le fils de couple, qui, à sept ans, semble se méfier de ce père de retour à la maison, et s’enferme dans la chambre d’amis du voisinage pour observer le ciel de Manhattan à la recherche du retour des avions de "Bill Lawton" et de traces de la destruction définitive des tours.

Les romans de DeLillo sont tous multidimensionnels, et celui-ci n’échappe pas à la règle. Au-delà de l’étude familiale ou même de la réaction d’une ville au choc du 9/11, les thèmes plus profonds affleurent. D’une part, les questions individuelles relatives à l’identité et à la mort. On a toujours l’impression que les catastrophes divisent le monde entre eux et nous, on se rend compte ici qu’il y a une grande part de discours politique là-dedans : la réalité est plutôt dans le point d’interrogation, signe terrifiant que les choses ont été bouleversées et qu’il faut se redéfinir pour ne plus marquer le coup. Suit évidemment le problème de la mort et de la capacité plus ou moins grande de résilience de chacun à son égard. D’ailleurs, peut-être « Falling Man » doit-il être vu comme une sorte de suite à « The Body Artist » qui couvrait ce sujet de manière plus abstraite ? L’autre thématique est bien entendu celle de la politique internationale et du terrorisme. Comment vivre dans un monde qui a placé les Etats-Unis en son centre mais les rejette sans alternative – selon un des personnages « If we occupy the center, it’s because you put us there. This is your true dilemma. (…) Ask yourself. What comes after America ? » Et que faire lorsque l’adversaire tue à l’aveugle – DeLillo fait dire à Atta « the others exist only to the degree that they fill the role we have designed for them. (…) Those who will die have no claim to their lives outside the useful fact of their dying »? Il n’y a bien entendu aucune réponse à trouver dans ce roman qui semble surtout dire que le futur n’est pas souriant.

L’amant de la mère de Lianne lie ces deux thèmes. Marchand d’art allemand, il vit sous une fausse identité et semble avoir participé à des actes terroristes d’extrême gauche dans les années ’70. Il est, comme par hasard, le seul personnage à ressentir une certaine empathie pour l’obscure cause des islamistes. Et pourtant Lianne de dire « maybe he was a terrorist but he was one of ours ». Athée, occidental et blanc. Cette prise de conscience que le pire réside dans l’altérité de l’adversaire est sans doute le moment le plus terrible du roman.

On a souvent reproché à DeLillo la froideur de son écriture, le manque apparent d’émotion – on fait d’ailleurs le même reproche à Kubrick, par exemple-, mais c’est sans doute le style qu’une telle histoire nécessitait. L’après-9/11 est déjà une situation remplie de pathos, il n’est pas nécessaire que l’écrivain en rajoute. On en ressent de l’émotion, mais paradoxalement précisément parce que l’écriture est objectivement sèche. On a aussi pu lire que « Falling Man » n’est pas le meilleur DeLillo. C’est incontestablement vrai, mais l’information est dépourvue d’intérêt. S’il est toujours essentiel de replacer un livre dans le contexte d’une œuvre ou d’une littérature, à l’heure du verdict il faut aussi savoir stopper la comparaison et prendre le roman isolément. Malgré la supériorité de « White Noise » ou de « Libra », « Falling man » est remarquable. Et renvoie probablement dans les cordes l’ensemble des fictions 9/11.

Don DeLillo, Falling Man, Picador, £16.99

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Will the Blind vous parle

On a voté aujourd’hui des deux côtés de Quiévrain, rappelons donc que chaque homme de bien est honteux du gouvernement sous lequel il vit, de quelque bord qu’il soit. Rien à ajouter, passons à la vraie date majeure du calendrier en cette fin de printemps : William T. Vollmann débarque à Paris pour rencontrer la presse dans un hôtel mais surtout ses lecteurs au Village Voice, rue de la princesse à 19h ce mardi 12 juin. On y sera. Vous aussi ?

Je profite de l’occasion pour avertir mon aimable clientèle que, si tout se passe comme prévu, vous trouverez en ces pages à la rentrée une semaine Vollmann. Au programme : « Central Europe », « Décentrer la terre – Copernic et les révolutions des sphères célestes » et « Poor People » ainsi que – surtout !- un entretien avec ce bon vieux Will the Blind. Eventuellement, quelques surprises. Stay tuned.

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Trois brèves

  • Nouveau numéro de la Quarterly Conversation de Scott Esposito, qui intéressera particulièrement les amateurs de Roberto Bolaño : on y trouve un article sur la géométrie de ses fictions par Javier Moreno – l’homme qui a créé le fameux triangle enfermant l’œuvre bolanesque-, un autre sur les raisons du succès grandissant de l’auteur outre-atlantique, ainsi que des entretiens avec ses deux traducteurs, Chris Andrews et Natasha Wimmer (si quelqu’un a l’email de Robert Amutio, faut me faire signe…). En plus, la Conversation propose des critiques des nouveaux livres de DeLillo (bientôt ici aussi), Alarcon et Markson.
  • On finira avec Fausto qui est dans un creux actuellement : rythme de lecture ralenti, difficultés d’écriture, activités dans le monde du dehors. Please bear with me, ça redémarrera comme avant bientôt, j’espère. En plus de « Falling Man » on reparlera de Barth, de Matthew Sharpe et puis, à la rentrée, de Vollmann – dont j’ai reçu récemment les épreuves de l'étude sur Copernic, « Décentrer la terre », à paraître fin août chez Tristram.

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Tricky Dick à Sing-Sing

Il y a parfois des bonnes nouvelles : le Seuil vient de rééditer « L’arc-en-ciel de la gravité » (on reparlera peut-être un jour de cette réimpression). On dirait d’ailleurs que ces initiatives se prennent une fois l’an. En 2006, la même maison proposait aux lecteurs de redécouvrir, 26 ans après la première parution, « Le bûcher de Times Square ». Si mes informations sont bonnes (Pugnax, merci), les ventes sont misérables. Dommage : le roman de Coover est une pièce essentielle et réjouissante de la littérature postmoderne.

« Le bûcher de Times Square », c’est l’affaire Rosenberg, l’Amérique d’après-guerre et la carrière politique de Tricky Dick Nixon en version burlesco-foraine. Dans un monde divisé en deux, le Spectre complote contre le monde libre dont le seul recours est Slick Sam. Le conflit est dur, les Etats-Unis perdent prise et se retournent contre l’ennemi intérieur à la recherche d’une victime expiatoire. On en trouvera en fait deux, le couple Rosenberg. Après un procès étrange, ils sont condamnés à mort, ce qui entraîne la mobilisation des toutes les âmes perdues séduites par les agents du Spectre. Mais Mr. President Ike et son sous-fifre Dick tiennent bon : en juin 1953, les deux malandrins seront passés par l’énergie purificatrice de la chaise électrique en plein Times Square à l’issue d’un fantastique spectacle auquel l’ensemble du showbiz est convié.

Cette histoire incroyable nous est tour à tour contée par un narrateur omniscient et par Nixon. Le narrateur glose sur l’affaire Rosenberg, l’état du monde et l’histoire de l’Amérique, et est nourri verbalement par Coover à l’aide d’extraits de discours, de tracts, de pamphlets, de minutes de procès, de documents officiels et d’articles de presse de telle sorte que pratiquement tout est authentique. On prend ainsi les atours de l’objectivité, mais ce n’est qu’un leurre : l’ensemble est réorganisé, recoupé, remonté à tel point qu’on finit par faire dire aux sources le contraire de ce qu’elles disaient. Et vu qu’elles n’étaient pas fiables à la base déjà, je vous laisse imaginer ce que ça peut donner. Tricky Dick, quant à lui, raconte sa carrière, son couple et surtout les trois jours qui mènent à l’exécution. On sait que Coover déteste Nixon, et pourtant il le présente ici de façon étonnamment humaine. Le vice-président a des doutes, s’interroge sur ce qu’il fait, n’est pas tout à fait fidèle à l’infâme bête politique prête à tout que l’on connaît. Coover se sert de lui à la fois pour mettre à la vue de tous le parcours détestable de l’homme – on dit qu’il aurait été assez frustré de voir le scandale du Watergate mettre sur la place publique les infos sur la carrière de Nixon qu’il avait patiemment dénichées- et pour illustrer les failles de l’Amérique. Homme, comme on le sait, aux ambitions présidentielles, il se frotte au superhéros Slick Sam, finissant par découvrir que tous les élus – comme le peuple américain- se font littéralement enculer par cette figure représentant le rêve US.

On l’imagine bien, le livre a causé quelque scandale à l’époque. Plusieurs maisons d’édition l’ont refusé par peur de poursuites qui auraient pu être engagées par les personnages réels –ou leurs descendants- qui peuplent « Le bûcher de Times Square » - vous imaginez, scène d’amour consommé entre Nixon et Ethel Rosenberg à Sing-Sing, par exemple. Le roman aboutira finalement dans les librairies et pas dans les prétoires.

De façon plus essentielle, nombreux sont ceux qui prirent ombrage de la façon dont Coover, disent-ils, présente la guerre froide comme un pantalonnade grotesquement mise en scène par le gouvernement américain, dédouanant l’URSS de ses torts. Je pense que c’est là un mauvais procès. Coover se contrefiche totalement des soviétiques. Ce qui l’intéresse, c’est l’effet du conflit sur la psyché américaine, ce que la réaction dit de son pays. Il n’est pas nécessaire d’être un séide du spectre pour trouver à redire à l’American dream, au Maccarthisme et à la propagande des années ’50. Finalement, c’est un roman assez insulaire, americano-américain – ce qui permet en fait aux européens d’y voir surtout l’humour et l’outrance là où certains outre-atlantique ne voyaient que la politique supposée.

En ce qui concerne la véritable affaire Rosenberg, il semble assez clair que Coover était convaincu de l’innocence du couple – lorsqu’il évoque le procès, il ne parle que des points faibles de l’accusation, par exemple. Sur ce point précis, il se sera sans doute trompé puisqu’on sait avec quasi-certitude que Julius Rosenberg était bel et bien coupable –au contraire d’Ethel. Le débat devrait donc plutôt se porter sur la peine de mort – et s’il faut lutter contre celle-ci, c’est vrai aussi bien en ce qui concerne les condamnés innocents que les coupables.

Du point de vue historique, on peut dire du roman de Coover ce que Gass disait de la philosophie de Hegel à Paris en février dernier : dans le monde réel, c’est faux mais dans la fiction c’est absolument vrai. Le tour de force aura donc été de créer un monde absolument cohérent dans cet univers limité de 596 pages. On en vient donc au troisième angle d’attaque contre l’œuvre : le manque de réalisme psychologique, les arrangements avec la réalité, l’outrance du propos, la comic-heroisation de la République. Ceux qui insistent sur la nécessité pour un roman d’être vrai au sens linéaire, cohérent avec le monde extérieur et la nature humaine éviteront donc ce livre. Comme on l’a déjà dit, je ne suis pas certain que leur conception de la fiction soit la bonne ni que ce qu’ils adorent soit tellement « réaliste ». Quoiqu’il en soit, Coover a trouvé la forme parfaite pour dire ce qu’il avait à dire d’une façon absolument cohérente, créant ainsi une œuvre d’art tout à fait indépendante, qui fonctionne aussi bien lorsqu’on la met au contact du monde extérieur que lorsqu’on la prend seule et isolée. C’est pour ça qu’à l’heure de la chasse à l’islamiste « Le bûcher de Times Square » est toujours pertinent, c’est également pour ça que dans un phase de stabilisation politique il restera tout aussi fascinant qu’adapté à son temps.

Robert Coover, Le bûcher de Times Square, Seuil, 25€

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Radical Cut

Spit white speech
the voice is mine
the skin of the slit
cut cigarette size

The butt size head
voluptuous white
cum cigarette slit
the spitting line

The cigarette skin
white head in line
the voice is white
erasing mine

Skin the white
the radical line
the cigarette butt
head radical skin

Jørn H. Sværen

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Autodafé

Seppuku pour Against the night. Disembowelment en toute discrétion. Claro se fait la malle du net, supprimant son blog (en pleine nuit, comme un vil exploiteur du peuple lettré) et laissant les cohortes de suiveurs au bord des larmes, sur le point de se supprimer dans le masada virtuel. Tout n'est qu'illusion bien sûr puisque le détective Pedro nous a déjà remis sur la trace de la nouvelle maison de bits du traducteur-écrivain. Toward Grace, pour continuer dans la veine pynchonienne, et un deuxième post qui s'interroge sur la table rase. Sans le savoir sans doute, il met d'ailleurs le doigt sur l'origine du nom de cette page. Si je n'ai aucune intention de me débarasser du passé, cette histoire de "tablette de cire vierge sans incription" (à remplir donc) me parle. Bonne continuation à cette nouvelle demeure des mots. It's always night, or no necesitaríamos ver un poco claro al final del túnel.

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