Imposteur depuis 1973

Profitant de la sortie du fameux « Explorateurs de l’abîme », Christian Bourgois fait paraître dans son excellente mais laide collection poche Titres « Imposture », très bref roman (108 pages) d’Enrique Vila-Matas. C’est le premier texte qu’il a publié chez Anagrama, un an avant le succès de « Abrégé d’histoire de la littérature portative ». Le comptable d’un hôpital psychiatrique a l’idée de faire paraître dans le journal local une photo d’un patient amnésique. Le reste, la quatrième de couverture le résume assez bien : (le patient) « est bientôt simultanément reconnu par une Républicaine et identifié par une famille de phalangistes. Qui est vraiment ce patient ? Le célèbre intellectuel phalangiste Ramón Bruch ou Claudio Nart, un délinquant bien connu de la pègre barcelonaise ? Ce bref récit pose le problème de l’identité d’un homme reclus dans un hôpital psychiatrique à Barcelone. En arrière-plan, Vila-Matas fait revivre les conflits de la Guerre civile espagnole (1936-1939) et dépeint avec ironie la société des années 50 sous la dictature franquiste ». C’est vrai. C’est amusant, c’est intelligent. C’est inspiré d’un fait divers italien. Mais c’est autre chose qui a attiré mon attention.

Ils demeurèrent, l’espace d’un instant, tous les deux immobiles, leurs silhouettes se découpant sur un crépuscule désormais éternel : l’un avec son plateau baissé, l’air heureux et obéissant de tout être disposé à rester jusqu’à son dernier souffle un nain soumis ; l’autre, pensif, comme s’il venait tout juste de découvrir, enfin, que son penchant pour l’écriture l’avait en réalité enchaîné pour la vie au plus noble, mais également au plus implacable des maîtres.

Le pensif, c’est celui qui pourrait être un imposteur. L’imposture, ne serait-ce pas la fiction qui serait donc ce maître noble et implacable ? Ecrire pour mentir et tromper maladivement, sans espoir de jamais plus parler vrai. « Imposture » ne serait-il pas tout simplement une belle préface à l’œuvre entière de Vila-Matas, et plus particulièrement à cet « Explorateurs de l’abîme » où il joue si ingénieusement à se mettre en scène, à se donner à voir sous les prétendues lumières crues de la réalité pour mieux tromper son lecteur qui, comme la femme de Bruch, se rend sans doute compte de l’opération mais veut croire, pour des raisons qui lui sont propre, à la réalité de ce qu’il lit ?

Enrique Vila-Matas, Imposture, Christian Bourgois, €5

 

2 commentaires:

  1. Anonyme said,

    Oui, un thème constant chez Vila-Matas, avec des variations sur les motifs voisins du double, des sosies vrais et faux, etc. C'est particulièrement frappant dans Paris ne finit jamais et le Mal de Montano.

    on 12:04 PM


  2. Anonyme said,

    Le Doppelgänger est un vieux thème littéraire. Dostoïevski a notamment écrit un livre intéressant à ce sujet ("Le double").

    on 11:51 AM


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