Zonzon monarchiste

En ce temps, Zonzon était la petite femme de Joseph qui fut pendu pour avoir écrabouillé la gueule à un flic. Elle arrivait toute neuve de Paris. Elle n’avait plus sa jaunisse et sans parler de François, il y avait à tourner après elle, le gros Louis, dit Louis, le roi des Mecs. Zonzon gobait les rois. On a beau, Française de France, cent fois avoir gueulé « Vive la République ! », « Vive le Roi ! » vous a quelque chose de plus chaud dans le gosier et l’oreille. Un roi, c’est chic, un roi ça vous monte à cheval, un roi ça vous a le droit de porter un revolver, et quand ça vous arrive à Paris, sans plus se gêner, ça vous colle ses fesses dans les carrosses de la République. Un jour elle avait vu un roi, un vrai, un gaillard à panache. Elle avait crié : « Vive le Roi ! » Elle s’était dit :
– V’là un béguin qu’on s’paierait pour l’honneur.
Louis, il est vrai, ne portait pas de couronne. Quand même, avec un homme moins jaloux que Joseph, la première fois qu’il daigna dire à Zonzon : « Ce qu’ t’es chouette », elle eût répondu à sa manière :
– Sire, je suis, de votre Majesté, la très humble servante.
En ce temps, Louis n’était pas le borgne traîne-la-patte dont la béquille, un soir, après un mot de Zonzon, servit d’éteignoir à une lampe. Solide, en maillot, une peau de chat autour des reins, il jouait l’hercule sur les foires. Ses yeux bien à lui, il posait sur le sol des pieds à prendre largement leur place, en pieds de roi. Et s’il grisonnait, un peu, des rouflaquettes, c’est qu’à devenir roi chez des Mecs, il faut plus de poigne et, aussi, plus de temps que chez les peuples, où cela se fait de naissance et, pour ainsi dire, dès avant le bidet. Comment cela s’arrangea-t-il ? Zonzon n’aurait su le comprendre ; toujours est-il qu’un soir elle se faufila dans un couloir, monta un escalier et seule pour seul, entra dans les appartements privés du roi. C’était vers le ciel, très haut, à un sixième étage. Pour le moment, le Roi se trouvait sans reine et, par conséquent, sans galette. Il l’accueillit :
– Ce qu’on va rigoler, la môme !
Et Zonzon :
– C’est pas pour dire, mais y en aura !
Il y avait chez le Roi un lit, une table et pour le moins trois pieds de chaise.
– Sieds-toi là, dit le roi.
Il prit pour lui la table. Il trouva de quoi remplir deux verres. En levant le sien, il répéta :
– Ce qu’on va rigoler, la môme !
Et Zonzon :
– C’est pas pour dire : mais y en aura !
Ils commencèrent tout de suite. Il l’enleva à bout de bras, comme une haltère, la fit tourner, la planta sur ses genoux. Et alors, avec ses doigts ce qu’elle toucha, ce fut la poitrine d’un roi. Il l’embrassa et avec sa langue où elle entra, ce fut dans la bouche d’un roi. Il se mit nu et Zonzon, le détaillant, put dire :
– Ce qu’avec mes yeux, je vois, c’est le ventre d’un roi ; c’est les jambes d’un roi ; c’est, avec ses ornements et ses attributs, dans ses poils et sa peau, le corps superbe d’un roi.
De tout ceci, avec ses mots, elle fit :
– Ce qu’ t’es rien fort, mon gros !
Et lui :
– C’est encore rien, attends voir ce que tu verras.
Il se mit dans le lit, il dit :
– Allons, la môme, amène ta viande !
Et aussitôt avec tout ce que, dans les reins, la poitrine, dans les cuisses, elle avait de viande, elle fut dans l’étreinte du roi. Merde ! ce que tantôt, elle emmerderait son Roi ! Et c’est vrai : Louis la serra bien fort, il l’écrasa, il souffla, puis répéta :
– Attends voir.
Mais elle eut beau attendre voir, il vint un moment où :
– Zut, ça ne vas pas, finit par déclarer le Roi.
Déçue ? Zonzon ne le dit pas. Mais elle n’aurait jamais cru
que ce serait sur ce ton qu’elle crierait : « Merde » dans la gueule d’un Roi.


André Baillon, Zonzon Pépette, Editions Cent Pages, 12€

 

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