Tirons sur le critique

Vous le savez sans doute : Tristram, qui a repris des mains de José Corti l’édition de l’œuvre magique et protéiforme de Julián Ríos, vient de publier « Cortège des ombres », roman / recueil de nouvelles, écrit en 1968 mais jusqu’ici inédit. Le livre paraît simultanément en Espagne et en France. Parfait. Dans Le Monde d’aujourd’hui on trouve d’ailleurs un entretien avec l’auteur ainsi qu’une critique du livre. Parfait. Sauf que. Sauf que le mal de la critique francophone s’y retrouve résumé.

L’entretien d’abord. On serait assez curieux d’écouter l’intégralité de la conversation parce que pour avoir lu plusieurs conversations avec l’homme, on sait qu’il a des choses à dire qu’il ne dit pas ici. Ríos aime les mots-valises. Ah ah ! Il aime Rabelais, Carroll, Joyce. Oh oh ! Il a la réputation d’être difficile mais ne l’est pas (comme tous les auteurs difficiles). Eh eh ! On apprendra aussi qu’il vit dans un petit village des bords de la Seine et que les bateaux qui passent devant ses fenêtres aboutissent, quelques heures plus tard, devant chez Flaubert (anecdote reprise dans la moitié des entretiens qu’il accorde). Bref : Il n’est dit ici rien qui n’est trouvable en trente secondes de recherche Google (trente secondes, vraiment : si vous cherchez une minutes, vous trouverez plus d’informations). La critique n’est guère plus prolixe. Les personnages sont attachants, on sent de la proximité, de la compassion et l’ensemble est magnifique. Je n’en doute pas, mais je n’ai rien appris : où se place ce livre dans l’œuvre ? Que nous dit Ríos ? Qu’est-ce que littérairement et exactement ce cortège des ombres ? Rien, rien, vous n’apprendrez rien : de nos jours, il suffit d’en parler pour être content. La critique n’existe plus.

Par le plus grand des hasards, « Cortejo de sombras » est le livre de la semaine du supplément culturel de El Mundo. Que dire si ce n’est que le monde espagnol est mieux que le mundo français dans ce cas-ci ? Non seulement Darío Villanueva resitue l’œuvre de l’auteur historiquement mais en plus il montre qu’il l’a lue et même qu’il a tenté de la comprendre. Si, si !

Cortejo de sombras ofrece el semblante más gratificante de la mejor literatura. Siendo narración, ostenta un tratamiento del estilo concorde con el que Coleridge reclamaba para la poesía: las mejores palabras en el orden mejor. En especial, destaca la justeza, la economía de medios y la potencialidad expresiva que convierten aquí las descripciones de personajes, y en menor medida de los espacios, en auténticas epifanías. No es menor el acierto con que se resuelven los diálogos, y la soltura con que se taracea la narración en primera, segunda y tercera persona. Esa feliz polifonía se compadece a la perfección con un pluriperspectivismo que suele dejar en suspenso la interpretación unívoca de lo acontecido en cada una de las historias. Hay, por lo demás, una hábil administración de la intriga que redunda en una narratividad pura, potenciada al máximo por la eficacia estilística. Contribuye a ello la pertinente manipulación de los tiempos, para que el desorden con que el discurso reproduce el tiempo de la historia contribuya a crear lugares de indeterminación y lagunas que el lector será quién deba descifrar.

Tout au plus lui reprochera-t-on d’instrumentaliser le livre en le faisant pièce à conviction de la défense dans le procès mené contre un Ríos auquel on reproche, dans son obsession pour le langage, d’oublier les histoires : de fait, si on suit Villanueva, il n’en est rien. Mais ces idiotes accusations méritaient-elles réponse ?

Moi, ce que je voudrais comprendre c’est pourquoi ce qui est possible en Espagne ne l’est pas (plus ?) en France. Bon, Villanueva est professeur de littérature à l’université de Saint Jacques de Compostelle alors que le critique du Monde, Xavier Houssin, est / était rédac-chef adjoint de Point de Vue. C’est peut-être une piste.

(« Cortège des ombres » est en première position de ma pile à lire, il est donc possible que j’en parle ici prochainement. Peut-être n’arriverai-je pas à lui rendre justice mais je ne prétends pas écrire pour Le Monde.)

Julián Ríos, « Cortège des ombres », Tristram, 17€

 

6 commentaires:

  1. Je préfère quand tu parles de livres en anglais ou en espagnol, au moins je ne les achète pas... Là, je vais devoir aller mon voir mon libraire alors que le 6 mars...

    on 9:37 PM


  2. g@rp said,

    Agacant, cette manie de lever le bouclier de l'histoire chaque fois que quelques uns ont l'obsession du langage. Du son. Du rythme.
    Et pourtant, la lecture des obsédés du langage et de la phrase marque beaucoup plus.
    Du moins est-ce mon ressenti.
    So : Rios.
    Entre autres.

    on 6:04 AM


  3. Qu'est ce que j'avais dit?

    on 9:40 AM


  4. Gropize said,

    heureusement il y a des gens comme toi
    continue, tu es le meilleur

    on 5:04 PM


  5. Anonyme said,

    Je crois que ce serait une bonne idée d'écrire un papier définissant ta vision de la critique, ce qu'elle doit étudier, ce qu'elle doit évoquer, sa forme et ses limites.

    on 3:54 PM


  6. Oui, c'est une idée. Mais j'ai l'impression que ce que j'en pense est évident. Ce qui me semble clair c'est qu'il faut aller plus loin que la critique du Monde liée, où le gars se contente de dire qu'il a bien aimé sans qu'on sache grand chose du livre.

    on 6:01 PM


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