Comme de l'orge liquide

Je n’ai aucun souvenir du jour où j’ai décidé d’acheter « Cadenza », l’unique roman du peintre Ralph Cusack. Je sais encore moins ce qui a motivé mon geste. Quand je l’ai trouvé sur le haut de ma principale pile à lire j’ai même tiqué. J’ai retourné le livre, l’ai bien regardé sous toutes les coutures. Rien. Tout au plus me dis-je que le fait qu’il ait été réédité par Dalkey Archive et postfacé par Gilbert Sorentino ont été des éléments décisifs. A part ça… (Et ce n’est pas comme s’il y avait des tonnes d’infos glanables sur le net.) C’est peut-être la première fois depuis des années que j’aborde un roman sans avoir idée de ce qui m’attend, jugement a priori sur l’auteur, le style, etc. Eh mes amis ! Que la surprise fut bonne !

« Cadenza », c’est l’autobiographie partielle, partiale et parcellaire d’un certain Desmond, Irlandais. Tout est au présent, mais tout est rendu dans un ordre chronologique aléatoire, comme un jeu de carte après avoir été battu. On le rencontre chez le dentiste, les dents éclatées comme un service-à-thé de porcelaine bon marché. Devant l’ordre de rester ainsi pendant deux heures la gueule bien fermée, il ne maudit qu’une seule chose : le stout qu’il ne saura s’enfiler. Cette scène donne le ton du reste du livre. On verra Desmond enfant, jeter hors de chez lui par des parents loyalistes parce qu’il chante un hymne indépendantiste. On le rencontrera en train de se biberonner et de s’empiffrer sur le chemin qui le mène au chevet du lit d’agonie de son oncle. On le regardera, des années auparavant, se débattre avec la difficulté de convaincre le même oncle, grand violoniste, que la vieillesse l’empêche de remonter sur scène sans subir le ridicule. On le suivra en France, en mode visiteur errant, alcoolique à la faim d’ogre. On palpitera avec lui, lorsque tout gamin, sous la coupe de petits criminels, il passe une nuit dans des buissons surplombant l’hippodrome afin de tirer avec sa carabine à plomb sur les chevaux de la course du lendemain, truquant ainsi les résultats. Et surtout, on admirera le délire de ses voyages en train, grande passion complètement loufoque, lieu de tableaux délirants.

« Cadenza », malgré quelques moments durs ou violents, ce sont des grands moments de fendage de gueule, de rigolade incontrôlable, de fantaisie admirable. Pour rire, il me suffit de penser à l’histoire de ce prêtre français complètement alcoolique qui, dans ce petit village, a trouvé le moyen de garder sous la main autant de grand cru que faire ce peut : pour chacun des habitants vivants, il a construit – au coût de son plancher et de sa charpente – le cercueil qui lui sera destiné. Et de les remplir de vin. Malheureusement, ne clamse pas toujours en premier celui qui devrait, et il arrive donc qu’il faille vider les dizaines de litres sur l’espace d’une journée. C’est ce qui arrive à Desmond.

« Cadenza », comme son nom l’indique, est un livre musical. Pas seulement parce que c’est un thème qui revient souvent à travers les discussions de Desmond ou la figure de l’oncle, non, surtout parce que c’est un livre basé sur le rythme de la narration comme de la prose. De la phrase, des paragraphes. C’est un livre qui se scande et se chante.

« Cadenza », c’est un livre réjouissant, une sorte de croisement bien irlandais entre Flann O’Brien et J.P. Donleavy. C’est un des livres oubliés qui est pourtant inoubliable. C’est juste un excellent moment dont on sort groggy et rêveur, peut-être comme Desmond sort, toujours à moitié anesthésié, de son étrange séance chez le dentiste.

Ralph Cusack, Cadenza, Dalkey Archive, $7.95

Smashing the cheap teacup with one blow of his fist, he stuffed the resultant crocks, unbroken handle and all, gently but firmly into my mouth.

With his freshly washed soapsmelling fingers he then adjusted the pieces so that they lined and filled every cranny, using the handle and its still attached fragment of curve to pin backwards and downwards the tip of my tongue and the larger curved morsels to arch in my palate.

Although it was now quite impossible to close my mouth completely, he insisted on my closing it sufficiently to prevent the twenty-three pieces falling out on the floor, telling me to come back in two hours.

I looked at my watch: it was just half past ten and a clear sunny morning in May. It was a pity, all the same, I had nowhere to hide.

He had said it was better to keep to the side streets, as of course in such case it was essential to keep my mouth shut both physically and metaphorically or people might ask questions and I should be lost or discovered. Normally I should have gravitated to the nearest pub and, skulking in a dark corner, lowered a few mediums; but, alas, I was debarred now from this as the crockery could not be taken out and I was afraid if left in I might swallow it down along with the dark silky porter.

Closing the heavy door silently behind me I glanced right and then left in the wide sunny street and seeing a loquacious acquaintance, a poet of some standing, slouching towards me, made off at such speed as my trembling legs would carry me to the right, pursued by his peculiarly loud and raucous shouts now mercifully being diminished by distance:

‘Hey! Come here you! What are yez up to at all? Come here, damn ye . . . I want a loan . . . (more distant) . . . a small loan . . . (still further) . . . God’s curse on ye anyhow!’

Luckily an alleyway turned off again right, a place ill-lit by day or after dark, used in the one for stocking shops on the main thoroughfare through trap- and back-doors and in the other for the surreptitious meetings of forbidden lovers. For all lovers were of course forbidden unless they were well enough off to ride to hounds, attend hunt-balls in country houses, breed, own, or train racehorses, contribute handsomely to the Society of St. Vincent de Paul, know the right people to drink with in the Shelbourne Rooms, Buttery, Russell, or Dolphin, exhibit themselves regularly in the Right Theatre’s stalls, wear fainnes . . .


 

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