Oiseau de malheur

Plus personne ne lit Mishima. En 2001 je pense, je m’étais acheté trois de ses romans en Folio au stand Gallimard de la foire du livre de Bruxelles. Au moment de régler, le libraire, un homme d’une cinquantaine d’années, m’avait fait part de son étonnement de voir un « jeune » acheter ça : plus personne ne le lit, me dit-il, l’air profondément malheureux. Et je pense qu’il avait raison. J’ai donc été surpris par deux commentaires à mon message de jeudi où j’évoquais mes projets pour cette année, parmi lesquels je citai en passant la relecture du génial, pervers, cruel et ambigu écrivain japonais, d’autant plus que je considérais a priori de manière idiote que mes lecteurs ont sans doute des goûts qui ne les font pas nécessairement se sentir proche de ce classicisme glacial.

Dans un des deux commentaires, l’ami Odot mentionnait le côté déprimant de l’œuvre de Mishima. Ce n’est sans doute pas la première chose qui me viendrait à l’esprit en parlant de lui, mais je dois bien admettre que j’ai lu beaucoup de ses livres avec frénésie pendant une période où je ne me sentais pas nécessairement à l’aise avec moi-même.

Avant de continuer, je vous préviens tout de suite qu’il ne faut pas prendre ce post pour une approche sérieuse d’un aspect précis du travail ou du personnage Mishima. Dimanche, jour anecdotique s’il en est, ce sera donc l’occasion d’un mièvre épanchement sentimental. A 18 ans, moins gras et moins cynique, passant quelques mois dans le Surrey, loin de la famille, je m’étais amouraché d’une Japonaise de trois ans mon ainée. Ça a duré quelques temps et une fois la relation proprement dite terminée, nous avons continué, pendant à peu près un an, à correspondre. Je me sentais plus bas que terre pendant ces mois-là. A posteriori, je me dis que ce n’ était pas tant à cause de la rupture qu’à cause de la prise de conscience que nos sentiments pouvaient nous tromper, que ce que l’on croyait être pouvait ne pas être, non pas par la faute de l’autre mais bien par la sienne propre puisque nous nous étions, pour ainsi dire, auto-illusionnés. Peut-être pour compenser le manque, c’est à cette même époque que j’ai commencé à développer un intérêt presque malsain pour le Japon, sa culture comme sa politique – j’ai fait un mémoire sur la politique étrangère du Japon de l’après-guerre à aujourd’hui. Et c’est bien entendu comme ça que j’ai lu pour la première fois Mishima, en septembre 2000. Il s’agissait de « Neige de printemps », premier volume de la fameuse tétralogie de « La mer de la fertilité ». Je me souviens évidemment du choc à la découverte de ce style d’une élégance rare qui prenait le contre-pied total de mes lectures d’alors (et toujours d’aujourd’hui dans le cas de Burroughs), mais je me souviens surtout de cette histoire d’amour impossible, d’une beauté absolue et d’une profondeur rare. Je me souviens aussi d’une lettre qu’elle m’envoya où elle évoquait dans des termes un peu dépréciatifs Mishima, ce qui me fit comprendre qu’au Japon non plus on ne le lit plus beaucoup et on se souvient sans doute surtout des frasques politiques qui culminèrent dans ce suicide rituellement mis en scène.

On entend souvent des gens évoquer des livres, des chansons, des films qui leur sauvèrent la vie, qui les firent se sentir moins seul ou enfin compris. A ceux qui recherchent pareil apaisement, je déconseille fortement la lecture de Mishima : elle ne saurait soulager la douleur ou le mal-être de personne. C’est le travail d’un homme génial et tourmenté qui empoisonne l’âme de ses lecteurs. Pour s’en convaincre, il suffit de lire « Le marin rejeté par la mer » (le titre anglais est encore plus beau : « The sailor who fell from grace with the sea ») : il n’y a pas d’espoir par ici. Sans aucun doute le livre le plus cruel par moi lu, et l’un des plus beaux aussi.

Un soir de février 2004, celle qui allait devenir ma compagne me parla d’une amie à elle qui était devenue folle. Elle lisait Mishima et écoutait Depeche Mode ce qui était sans doute à l’origine de ses problèmes mentaux. A partir de 2003, mon obsession nippone était allée en diminuant et c’est peut-être ce jour-là que je refermai l’étape Mishima. Je m’apprête à la rouvrir et me demande bien ce que je vais y trouver.

 

9 commentaires:

  1. g@rp said,

    * ouf * Sauvé je suis : je n'écoutais que Dépêche mode...jusqu'à présent^^

    on 6:07 PM


  2. Anonyme said,

    C'est très sombre, Mishima, mais si on le lit avec l'aimée, ça devient très lumineux. Ton expérience va peut-être se modifier avec ta relecture?

    on 9:36 PM


  3. Anonyme said,

    moij'préfère le titre français du marin rejeté par la mer : plus sec (plus conforme à mon souvenir du roman)
    sinon, hors-sujet : je découvre un Arlt chez cent pages dans le bandeau droit, c'est sorti ou à sortir?

    on 10:10 AM


  4. Le Arlt est celui publié il y a déjà quelques années par Cent pages ("Le petit bossu")

    on 10:40 AM


  5. Anonyme said,

    donc je ne le trouverai plus en librairie, chez personne, nulle part, jamais.
    cette semaine commençait trop bien
    (merci, au fait, cher fausto)

    on 1:03 PM


  6. Je l'ai acheté samedi chez Tropismes à Bruxelles, mais je ne sais pas s'il y avait un autre exemplaire.

    on 2:13 PM


  7. Anonyme said,

    l'espoir renaît!
    je file, comme mon nom l'indique, dans la librairie la plus proche.
    you saved my day

    on 2:19 PM


  8. Anonyme said,

    Mon favorit roman de Mishima: "Le Marin rejeté par la mer."

    on 5:23 PM


  9. Anonyme said,

    "A 18 ans, moins gras et moins cynique..."
    Oh !? Tu serais donc cynique, mon bon Fausto ?

    on 11:37 AM


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