Le modernisme est vivant

Je ne suis pas un lecteur régulier du TLS mais Stephen Mitchelmore signalait il y a deux jours la présence dans le numéro de cette semaine d’une retranscription (élaguée) de la conférence sur le modernisme donnée par Gabriel Josipovici à Londres en début d’année. Il nous promettait que l’article valait, à lui seul, l’achat de la revue. Le bougre ne mentait pas, c’est vraiment à lire absolument. Intitulé « Why the Modernists live on » sur la couverture et « Fail again. Fail better. » à l’intérieur, Josipovici y explique en à peine trois pages d’où vient le modernisme, en quoi les réactions à son égard (conservatrices, marxistes ou postmodernes) sont surtout parvenues à souligner son importance plus que ses défauts et surtout pourquoi le modernisme reste pertinent aujourd’hui, alors que le monde littéraire essaie d’en oublier les leçons. D’une richesse énorme, ce papier est une invitation à la réflexion pour qui s’intéresse à la littérature et au roman. Malgré sa courte longueur, il m’a fallu une bonne heure pour le terminer : je m’arrêtais à chaque paragraphe pour réfléchir à ce que je venais de lire. Vraiment stimulant, mais malheureusement non consultable en ligne.

J’évoquerai rapidement une des choses dites par Josipovici sur la différence entre modernisme et postmodernisme : les modernistes considéraient que la Vérité existait mais qu’elle était inatteignable, alors que les postmodernistes pense qu’il y a des vérités, très nombreuses. C’est, étrangement, ce qui sépare William Gaddis des autres écrivains US avec lequel on le classe régulièrement : contrairement à Coover ou à Pynchon par exemple, il paraît évident à la lecture de Gaddis que la Vérité existe. C’est notamment pourquoi il me semble appartenir à la tradition moderniste bien plus qu’au postmodernisme. Par ailleurs, puisque j’évoque Pynchon, on notera que « V. », son premier roman, est peut-être le cul entre deux chaises : on y voit déjà tout ce qui en fera le grand auteur PoMo mais il reste, d’une certaine manière, dans une quête moderniste. Ce ne sera plus le cas par la suite.

 

2 commentaires:

  1. Olivier Lamm said,

    je n'aime pas trop cette distinction qu'on fait entre modernisme et post-modernisme (pour la littérature, on s'entend) par le réel, en fait. tu es d'accord, toi? la différence entre les deux est plutôt historique (avant WWII, après WWII), circonstancielle, et dépendant du fait que l'un se pose en rupture, mouvement, corporation, alors que l'autre non. et la seule vérité dite par gaddis n'est elle pas que l'origine de la chose (je ne vais pas dire l'étant, quand même) est irreductible à un point unique et donc essentiellement multiple? allez je me tais et je vais essayer de lire cet article.

    on 11:06 AM


  2. Je ne pense pas que la distinction est faite par le réel, ou en tout cas, pas uniquement: la Vérité, c'est aussi un concept métaphysique. Josipovici s'élève justement contre la vision circonstancielle et arbitraire des différences entre modernisme et postmodernisme qui selon lui ne correspond pas à la réalité, et je pense qu'il a raison sur ce point. Le modernisme ne commence pas en 1920 et ne se termine pas en 1945, à part dans les dicos. Un de ses grands exemples est Beckett, mais on peut aussi penser à Bernhard. La distinction sur base historique impliquerait qu'il y ait eu un passement de relais ou même la mort d'un mouvement, alors que ce n'est clairement pas le cas. Mais, oui, lis l'article, ça vaut la peine et je suis ici très schématique sur un point de détail de sa réflexion.
    En ce qui concerne Gaddis, j'ai bien peur de ne pas être d'accord. "Les reconnaissances", c'est quand même des personnages dont le grand désespoir est d'être entourés par le faux - qui lui est en effet prend de multiples formes-alors qu'ils aspirent à la Vérité, inatteignable. C'est fondamentalement différent de ce que tu trouveras chez Coover, Pynchon, etc. J'ai aussi relu récemment "A frolic of his own", et je pense qu'on peut en dire la même chose. Le fait que Gaddis ait été aussi fasciné vers la fin de sa vie par l'oeuvre de Bernhard me semble aussi assez révélateur: chez l'Autrichien il y a une colère formidable liée à son incapacité à faire triompher non pas sa vision de la réalité mais bien ce qu'il considère comme la Vérité. Cette colère ne saurait naître chez un apôtre des vérités multiples.

    on 11:39 AM


Clicky Web Analytics