NBA 2007: Shepard - Like you'd understand, anyway

Il y a une phrase - ou plutôt une partie de phrase – sur la quatrième de couverture de « Like you’d understand, anyway », le dernier recueil de Jim Shepard, qui paraîtra surprenante une fois la lecture terminée. (L’auteur) « is often referred to as a writer’s writer ». Etrange : pour moi, cette idée d’écrivain pour écrivain concerne des gens dont les textes sont remarquables par leurs soucis formels ou par leur maîtrise unique d’une technique précise et pour cela précisément intéressent plus leurs collègues que le grand public. On verrait bien cette étiquette accolée à Lydia Davis (je vous ai parlé de son admirable travail il y a quelques jours), qui, clairement, montre des voies inexplorées laissant perplexe le novice et stimulant, on l’espère, particulièrement celui que la muse titille. « Varieties of disturbance » a d’ailleurs été critiqué, et ce n’est pas un hasard, par Shelley Jackson et Ben Marcus notamment.

Revenons-en à Shepard : ses récits ne sont pas de ceux qui vont provoquer une révélation formelle, non, ils sont de ceux auxquels il est possible d’appliquer la définition la plus traditionnelle de la nouvelle sans que rien ne dépasse. Et stylistiquement, si tout ça est écrit joli et élégant, il n’y a guère d’explosions qui me font porter la main droite aux cheveux en m’écriant « oh mon dieu, quelle fulgurance ! ». Mais le Jim, il a quand même quelque chose que beaucoup d’écrivains n’ont pas : ses histoires sont parfaites, ou presque.

En fait, « Like you’d understand, anyway », c’est un tour du monde et des époques en 211 pages, sans temps mort, sans repos, sans rien d’autre qu’un émerveillement continuel. Ce n’est peut-être pas aussi impressionnant qu’un tour du jour en quatre-vingts monde, c’est quand même très fort. Les nouvelles de Shepard sont toutes situées dans des milieux et des époques radicalement différents, requérants des connaissances spécifiques et toujours rendues d’une façon absolument naturelle. Ce n’est pas là une réussite mineure : être pareillement à l’aise dans la Grèce d’Eschyle, le Paris révolutionnaire, dans un camp pour ados aux Etats-Unis ou dans les ruines de Tchernobyl est pratiquement du domaine de l’impensable et pourtant, s’il y a une choses que ces nouvelles prouvent, c’est que c’est bel et bien possible.

Ce n’est pas seulement possible : c’est passionnant. Et là est peut-être le plus dingue : on sent une recherche minutieuse et méticuleuse et une volonté affirmée de créer des personnages ronds, mais il n’y a aucune surcharge dans les récits. Un peu comme la grande cuisine qui nourrit sans vous faire exploser la panse, les nouvelles de Shepard apportent dans de délicieuses combinaisons ce que l’on peut attendre de mieux d’une littérature classique.

Il serait injuste de distinguer une nouvelle plus qu’une autre – elles sont vraiment (et j’insiste sur le vraiment) toutes bonnes -, mais je m’en voudrais de ne pas faire mention de la dernière du recueil, « Sans farine », histoire de Charles Henri Sanson, bourreau du roi dans tous les sens du terme, témoin privilégié et, c’est étrange à dire, presque impuissant de la mise à bas de l’ordre dans lequel il avait grandi. Récit plus domestique que historique, cette nouvelle réussit le tour de force de nous faire croire qu’on regarde par le petit bout de la lorgnette avant qu’on se rende compte, stupéfait, que c’est bel et bien une vision grand angle. Sanson est le premier bourreau à s’être servi de la guillotine, cette « merveille » technologique – 2918 têtes dans son panier. L’histoire de Sanson nous rappelle aussi que les améliorations faites pour le confort du condamné (mieux vaut en finir en une fois qu’en trois coup de hache) peuvent aussi avoir l’effet indésirable d’augmenter le rythme, dépouillant ainsi bien des malheureux du plus mince espoir d’y échapper : si les bras du bourreau se fatiguent, le couperet n’a qu’à se laisser entraîner par la gravité. Nous savons tous que les innovations techniques ont grandement contribué à l’augmentation exponentielle des possibilités de mise à mort dans une période de plus en plus brève, nous oublions souvent que le diable est dans les détails : il y a ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. Et souvent, ce qui ne se voit pas coûte cher.

Jim Shepard, Like you’d understand, anyway, Knopf, $23.00

 

4 commentaires:

  1. g@rp said,

    Tu as écrit :
    "Lydia Davis (je vous ai parlé de son admirable travail il y a quelques jours), qui, clairement, montre des voies inexplorées laissant perplexe le novice et stimulant, on l’espère, particulièrement celui que la muse titille."
    Oui. Justement. C'est bien pour ça que j'attends Varieties of Disturbance sous peu (voui, j'ai craqué).
    Et là, tu me refais le coup des nouvelles qu'elles sont toutes bonnes ?!
    Avant de craquer, je crois que je vais attendre un peu, et relire ton papier.
    Mais j'y pense : Noël n'est pas si loin...
    Petit détail : rare, sur notre territoire Nicolaïsé, de trouver un prix de cette importance sélectionnant des recueils de nouvelles...
    Sauf erreur.

    on 6:03 PM


  2. Oui, c'est rare, deux recueils de nouvelles. Shepard et Davis, c'est extrêmement différent. Shepard, c'est vraiment les histoires qui sont parfaites. Le grain de folie, la prose qui explose, faut oublier. A toi de voir. (Et je promets que les deux prochains papiers sur les finalistes du NBA seront beaucoup moins positifs, donc to cochon-tirelire pourra se reposer).

    on 6:17 PM


  3. g@rp said,

    Trop tard ! J'ai craqué AUSSI pour Shepard.
    Merci, Fausto ! Le marché du mois de novembre risque fort d'être essentiellement anglophone...quoique.
    Mes lectures le seront, en revanche.
    (à force, je finirai bien par améliorer mon anglais, by jove !)

    on 6:27 PM


  4. otarie said,

    Je me laisserai bien titiller aussi.
    Par contre le Joshua Ferris m'intéressait déjà, je suis curieux de voir ce que tu en diras.

    on 6:47 PM


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