Can't get no love

Un des livres les mieux reçus de ce début de « fall season » américaine – à un point tel qu’on ne serait pas étonné de le voir débarquer parmi les finalistes du National Book Award mercredi- s’appelle « The brief wondrous life of Oscar Wao ». C’est le premier roman de Junot Díaz, écrivain dominicano-americain qui a déjà un recueil de nouvelles à succès à son compteur.

Je vous conseille d’au moins parcourir le papier élogieux du New York Times, non pas pour vous convaincre de lire le bouquin, mais bien pour vous rendre compte de l’enthousiasme de la critique et surtout parce que pratiquement tout ce qui est cité comme points forts sont en fait à mon sens les gros points faibles d’un livre plaisant mais bâclé. Michiko Kakutani, critique US la plus crainte, la plus méchante, la plus conne aussi et donc la plus influente, adore, non adore Díaz. On le comprend tout de suite:

(le livre) is so original it can only be described as Mario Vargas Llosa meets “Star Trek” meets David Foster Wallace meets Kanye West.

Décryptage rapide: un partie de l’intrigue met en scène le Saint-Domingue de Trujillo (MVL), l’Oscar Wao qui donne son nom au roman est un nerd (ST), il y a plein de notes de bas de pages et de phrases détournées de la culture populaire (DFW) et les personnages parlent souvent comme des homies (KW). Phrase parfaite pour servir de blurb sur l’édition paperback, n’en doutons pas.

« The brief wondrous life of Oscar Wao » est l’histoire du fils d’une immigrée dominicaine dans le New Jersey, petit gros obsédé par la science-fiction, les mangas et les ordis, dont le principal souci peut finalement se résumer par un « can’t get no love, can’t get no pussy ». Nous avons donc le récit des tribulations de ce jeune homme à travers le lycée, l’université et les premiers temps de sa vie professionnelle. Le type est attachant, pas de doute, et le récit coule d’une façon plus plaisante que virtuose. Il a fallu plus de 10 ans à Díaz pour composer le tout, il a donc évidemment d’autres ambitions que de raconter une éducation sentimentale type crash-test : son roman est aussi une saga familiale, un blues sur la vie dans le ghetto ethnique et un retour sur l’épouvantable dictature Tujilliste – les meilleurs chapitres du livre, à n’en pas douter. On a en fait l’impression qu’une partie du livre a été rajoutée par après pour épaissir le tout : je crois que Díaz avait terminé l’histoire de son petit Wao et qu’à la relecture il a décidé de donner une plus grande ambition au roman en écrivant les chapitres sur les péripéties de sa sœur ainsi que la disgrâce de ses grands-parents et surtout les malheurs des premières années de sa mère, véritable cosette dominicaine. Pris séparément, ces additions fonctionnent de façon variable, plutôt bien que mal, mais le tout pris dans son ensemble donne une impression de patchwork pas toujours très cohérent, aux idées inabouties. En fait, Díaz connaît le problème exactement inverse de Daniel Alarcón qui savait raconter une histoire mais pas la peupler : lui, il parvient à créer les éléments mais pas à les mettre en place.

Revenons à la phrase de Kakutani, parce qu’elle symbolise assez bien ce qui aurait pu être et ne fut pas, ce qui n’aurait pas dû être et fut.

Vargas Llosa : auteur de « La fête au bouc », livre absolument époustouflant auquel il est impossible de ne pas comparer quelque roman que ce soit abordant l’ère Trujillo. Les parties de « The brief wondrous life of Oscar Wao » se déroulant à cette époque sont, je l’ai dit, les plus fortes du livre. Contrairement au romancier péruvien qui se préoccupait essentiellement des cercles contigus au pouvoir, Díaz va voir l’expérience populaire. Le malheur, c’est qu’il ne peut s’empêcher de reprocher à Vargas Llosa de par moments tomber dans la facilité et d’être top gentil avec certains gouvernants. C’est peut-être vrai, mais c’est le type de remarque qu’on ne peut faire que si on fait mieux soi-même quand on s’y colle. Pas de chance, Vargas Llosa écrit mieux, construit mieux et pratique le non-dit d’une manière bien plus subtile.

Star Trek : c’est vrai, Wao est un nerd et le livre est truffé de nerd-speak, de nerd-culture, de nerd-tchic-et-tchac. Peut-être pas assez nerd pour le vrai nerd, peut-être trop nerd pour le non-nerd. L’accumulation de ces allusions est amusante avant de devenir agaçante. Quoiqu’il en soit, ce roman est une plongée assez réussie dans la psychologie du nerd de base.

David Foster Wallace : il avait fait de la note de bas de page un art dans « Infinite Jest », il fait maintenant école tant le roman de Díaz est en truffé. Certaines sont authentiquement intéressantes, la plupart inutiles. C’est un choix, c’est aussi une erreur. Un autre point de comparaison avec DFW est l’usage de petites métaphores et comparaisons renvoyant à la culture populaire. Par exemple, Kakutani adore l’idée que Woa “wears his nerdiness like a Jedi wore his light saber”. Cette phrase, je m’en souviens, m’a fait grimper au mur la bave au menton, la rage au ventre, la répulsion dans le crâne. Il y en a d’autres qui marchent, mais je me sens assez de mauvaise foi pour ne pas les évoquer.

Kanye West : là on touche vraiment le pire. Monsieur West fait de la musique absolument horrible, mais bon, ce n’est pas le sujet de ce papier. Ce qui est pertinent par rapport au livre, c’est bien que Díaz écrit de larges sections dans un anglais très colloquial, très ghetto, évoquant bien sûr le vocabulaire et les phrases des rappers et des cohortes de wannabe bling-bling star. Ce faisant, il sacrifie son style pour un gloubi-goulba vite fatigant se voulant réaliste mais trop parfait pour convaincre. Le style oral, c’est parfois une bonne idée, pour autant qu’on n'oublie pas ses caractéristiques: stop-start, confusion, phrases inachevées, etc.

Je me rends bien compte que cette petite notule est sévère. Trop, d’ailleurs : malgré les défauts omniprésents, le roman de Junot Díaz est efficace, plaisant, souvent malin et instructif. Il a aussi la grande qualité, comme le « People of paper » de Salvador Plascencia de parler d’immigration sans se vautrer dans le réalisme social insipide. Lisez donc un des nombreux bons papiers qui se baladent sur le net pour faire contrepoids.

Junot Díaz, The brief and wondrous life of Oscar Wao, Riverhead Books, $24.95

 

6 commentaires:

  1. Anonyme said,

    Chuck Palahniuk disait sur son site web qu'il adorait Junot Diaz, et conseillait la lecture de "Comment sortir une Latina, une Black, une Blonde ou une Métisse". Vu que j'adore Palahniuk, je me suis laissé tenter.

    J'avoue ne pas trop avoir envie de retenter l'expérience Diaz après cet aperçu vraiment bof bof...

    on 2:28 PM


  2. Mikael said,

    Je ne me souviens pas avoir jamais été d'accord avec kakutani, sur Roth, DeLillo, McCarthy, ou même Pynchon, dont on se demande franchement si elle y comprend quoi que ce soit.

    Quand je pense, qu'elle a eu en son temps le Pulitzer de la critique (eh oui, ça existe !!)

    on 6:06 PM


  3. Anonyme said,

    Le roman me semble trois contes longues plus que une narrative intégré. Pour comprener l'époque de Trujillo, je prefer Vargas Llosa.

    on 10:40 AM


  4. Oui, c'est le probl�me du livre je pense: il y a l'ambition d'un roman o� toutes les histoires sont int�gr�es pour former un tout puissant, et on se retrouve avec trois histoires pas id�alement int�gr�es mais pas non plus assez fortes pour fonctionner seules.

    on 11:18 AM


  5. Anonyme said,

    Moi ça me donne plutôt envie de le lire... puisque j'ai le temps...

    Si vous avez envie de vous changer les idées avec de la littérature contemporaine française (nouvelle, récits, théâtre, poésie, recherche sur la langue etc.), pourquoi ne jetteriez-vous pas un oeil sur :

    www.si-les-idees-suffisaient.net

    nous vous y attendons avec au coeur le plaisir de recevoir des commentaires...
    A bientôt et merci du conseil,

    A. et G.

    on 11:26 AM


  6. Anonyme said,

    Amusante et cynique la fiche de Kakutani sur Wikipedia: http://en.wikipedia.org/wiki/Michiko_Kakutani

    on 1:43 PM


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