Pas de réponse

Est pauvre tout qui gagne mensuellement la moitié du salaire médian national. Qu’est-ce que le salaire médian ? Dans une population de mille personnes, prenez d’une part les 500 plus riches, d’autre part les 500 plus pauvres, le salaire médian est ce qui se trouve entre le plus riche des plus pauvres et le plus pauvre des plus riches. Ce n’est en aucun cas une moyenne. A cette aune là, il y a près de 35 millions de pauvres aux Etats-Unis. Cette masse énorme dépense aujourd’hui plus qu’une famille médiane de 1970 ; est, dans 46% des cas, propriétaire d’une maison de trois chambres avec garage ; plus de 66% disposent de deux pièces par membre du ménage ; 76% d’entre eux possèdent l’air conditionné ; 75%, deux voitures ; 89% disent avoir toujours assez à manger, et les enfants consomment en moyenne plus de viandes que les enfants riches. C’est quoi la pauvreté ?

Au niveau de l’action politique, il n’est profitable que d’envisager un thème porteur de matière générale. Luttons contre la pauvreté. Secouons tout le monde pour recueillir un franc assentiment aux projets de plus de redistributions, plus d’égalité. Ca n’a pourtant aucun sens. La pauvreté doit se comprendre au niveau individuel. Elle n’est pas absolue, dépend du pouvoir d’achat et des besoins personnels qui varient de l’un à l’autre. La vision politisée en vigueur actuellement revient à dire que, si vous vivez dans un pays où tout le monde à la TV et que vous n’en avez pas, vous êtes pauvres. Même si vous n’en avez pas parce que c’est une boîte à con.

L’intérêt de « Poor people », le dernier livre de William T. Vollmann, est précisément d’aller sur le terrain, rencontrer des gens et leur demander s’ils se considèrent pauvres. En cas de réponse positive, la question suivante est « pourquoi pensez-vous être pauvre ? ». Voilà une méthode inédite aux prémices pleines de promesse. Malheureusement, c’est souvent assez convenu. Êtes-vous surpris si je vous dis qu’une Bouddhiste est pauvre parce qu’elle a été mauvaise dans une vie précédente ? Qu’en Colombie, pays dévasté par une guerre civile entre les marxistes et l’extrême-droite, on est pauvre parce que les riches sont méchants ? Que dans la Russie post-soviétique, celle de l’alliance entre un gouvernement autoritaire et des grosses boîtes, on vous dise que c’était pas bien sous l’URSS mais que c’est franchement pas mieux maintenant, la faute aux politiques ? Tout ça aurait pu être deviné sans même se rendre sur place. En fin de compte, c’est ce pan là du livre qui est le plus faible.

Ce n’est vraiment que lorsque l’on retrouve le Vollmann reporter – comme dans « The Atlas »- que « Poor people » décolle vraiment. Je pense plus particulièrement à ce fascinant et terrifiant chapitre sur les pauvres du Kazakhstan, coincés entre les grosses compagnies pétrolières et un gouvernement aux habitudes toujours très soviétiques. Là, le texte vit et vibre, empoigne le lecteur et le plonge dans une réalité qui lui est totalement étrangère. La partie où l’auteur explique qu’il y a un centre d’accueil pour sans abris près de chez lui et que pas mal d’entre eux passent leurs journées – et parfois leurs nuits- est tout aussi forte, notamment parce qu’elle lui permet d’expliquer sa propre relation, évidemment contradictoire, avec la pauvreté, mais aussi l’attitude des gens de la classe moyenne par rapport aux nuisances qu’elle entraîne. Ici vit l’écrivain, homme tourmenté.

On a beaucoup reproché à Vollmann une attitude froide et peu compassionnelle ainsi qu’une absence d’ébauche de solution. Je pense que ceux qui lui adressent ces critiques se trompent sur toute la ligne. Vollmann est en recherche d’explication et, comme tout bon journaliste, doute de tout – pas seulement de ce que les puissants disent mais aussi des justifications des pauvres. Cette façon de prendre tout avec des pincettes lui permet d’essayer d’appréhender la réalité de façon dépassionnée. Ca ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’émotion ou de compassion dans « Poor people », bien au contraire, mais le but du livre est de faire réfléchir, pas de faire pleurer – ni de résoudre le problème, d’ailleurs. De plus, l’auteur sait parfaitement qu’il n’existe pas de solution clé sur porte et ces voyages l’obligent à se rendre compte que tous les régimes et tous les systèmes économiques créent de la pauvreté. Dans ce cadre là, il est illusoire d’espérer trouver une réponse ici. Tout au plus Vollmann se prononce en faveur de la formule de l’ONU (« More aid, better directed ») avant de préciser que, si le concept est bon, il ne voit absolument pas comment cela pourrait être mis en place de manière satisfaisante.

De fait –et là c’est Fausto qui parle, pas Vollmann- de quelles aides s’agit-il ? Et puis, mieux ciblée, ça veut dire, à mon sens, arrêter de croire que la famille propriétaire d’une maison deux chambres et d’une voiture est pauvre, et se concentrer sur ceux qui effectivement n’arrivent pas à se loger et à se nourrir. Ce sont précisément ceux-là qui sont le moins susceptibles de voter – au contraire de ceux dont la misère se résume à ne pas savoir payer les traites de l’écran plasma. Et plus que le chimérique bien commun, c’est les mandats qui motivent notre classe dirigeante. La lutte contre la pauvreté est trop importante pour être laissée aux gouvernements, dans bien des cas premiers responsables de la misère de leurs citoyens. L’impasse…

Pour revenir sur « Poor people », voilà un livre à prendre pour ce qu’il est, c'est-à-dire ni un plaidoyer ni un réquisitoire, mais bien une œuvre qui pose des question par un auteur qui réfléchit à son rapport au monde. Si « Poor people » ne deviendra pas un classique dans la lignée de « Let us now praise famous men », il s’intègre parfaitement au corpus vollmannien, perpétuant certains de ses thèmes de prédilections, leurs donnant parfois une lumière nouvelle.

William T. Vollmann, Poor People, Ecco, $29.95
Traduction chez Actes Sud au printemps prochain
Pour une vision beaucoup plus littéraire et émouvante de ce livre, lire le billet d'Odot, absolument parfait.

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Suivez demain la dernière partie de la Semaine Vollmann de Tabula Rasa.

 

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