La croisière s'amuse peu

Après la course aux armes effrénée menée par John Barth de « Sot-weed factor » jusqu’à l’apocalypse littéraire de « Letters », il était sans doute temps pour l’auteur de se reposer et de laisser respirer son lectorat. C’est donc avec un roman plus léger et aéré qu’il revient en 1982.

Pour beaucoup, « Sabbatical » est le roman qui marque le début de la période inintéressante de Barth. Lui qui semblait pouvoir remplir sans aucun problème pages inspirées après pages inspirées avait déjà eu du mal à l’heure de composer « Letters » - sur lequel il a travaillé on and off pendant plus de dix ans- et les mauvaises langues disent que la muse l’a déserté.

Ce qui est certain, c’est que « Sabbatical » est, au premier abord, un roman étrange dont l’intrigue fait plus Mailer que Barth : un couple revient d’une année sabbatique passée sur un voilier et se retrouve plongé dans une étrange histoire de disparitions d’amis de l’homme, ancien agent de la CIA. Pour aller avec ce sujet a priori plus conventionnel, l’écriture se fait moins baroque, débarrassée de la graisse, pas tout à fait simple mais, disons, plus abordable.

Thématiquement, il y a aussi du changement ou en tout cas un déplacement de focale puisque les soucis politiques et écologiques de l’auteur, déjà présents en arrière plan dans « Giles Goat-Boy » par exemple, prennent une place bien plus grande. Barth est visiblement en colère contre l’Amérique post-Vietnam, la diplomatie à la Kissinger et l’avènement de Reagan. Il est aussi inquiet de voir sa bien aimée baie de Chesapeake menacée dans son équilibre environnemental par la poussée immobilière et les grands projets du gouvernement et de ses agences. Ces soucis donnent d’ailleurs un livre sans doute moins amusant et léger en apparence que les précédents travaux d’un Barth qu’on a connu plus facétieux.

Ceci dit, « Sabbatical » reste purement barthien : il s’agit encore une fois d’une fiction hautement consciente d’être fiction, d’un roman qui s’écrit sous nos yeux, puisque ce couple de retour vers la maison a décidé d’en rédiger un à quatre mains, plus ou moins celui que nous lisons. Par conséquent, le narrateur étant double, ce n’est ni le I ni le He qui est de mise, mais bien un étrange We auquel il faut s’habituer. Ce mode narratif renvoie inévitablement à un des autres thèmes du livre, celui du mariage et de l’amour. Les liens entre le voyage en couple, la remontée de la rivière, la vie, le développement d’une histoire ou même la fertilité est, j’imagine, assez évident pour que je n’aie pas à m’attarder dessus…

Si le mélange d’une intrigue étrange et des traditionnels soucis métafictionnels barthiens avait de quoi éveiller, si ce n’est l’intérêt, au moins la curiosité, « Sabbatical » souffre de trop de faiblesses pour que nos deux marins arrivent à écoper suffisamment afin de maintenir le bateau à flot. On retrouve une fois de plus l’obsession du parcours héroïque – fuir, revenir, charybde et scylla et tutti quanti- dans les aventures de nos plaisanciers, ainsi que de multiples références à l’histoire et à la théorie littéraire, mais Barth donne l’impression de se recycler une fois trop, ou précisément de ne plus se recycler mais bien de répéter ce qu’il a mieux dit ailleurs. De plus, il le fait d’une façon par trop didactique, essayant de gagner en clarté, parvenant surtout à perdre en subtilité. Il en va de même avec l’aspect politique : le clou est enfoncé trop souvent, de manière grossière et, au final, fatigante.

« Sabbatical » laisse un amer goût de trop peu. Barth est un écrivain de premier plan, il y a donc bien sûr d’excellentes pages mais la puissance imaginative et la grâce littéraire ne sont plus vraiment au rendez-vous. Un malheur n’arrivant jamais seul, certaines des dernières péripéties du livre évoquent « The end of the road », deuxième et plus mauvais roman de l’auteur.

On notera qu’il s’agit du premier livre de Barth qui donne une place primordiale à la voile, peut-être sa plus grande passion qui va d’ailleurs se retrouver au centre de pratiquement tous les livres qu’il publiera par la suite. Espérons qu’il voguera mieux par la suite…

John Barth, Sabbatical : a romance, Dalkey Archive, $12.95
Traduit sous le titre « La croisière du Pokey » au Seuil (22.20€)

 

1 commentaires:

  1. Anonyme said,

    John Barth :

    Déjà mort ?
    A la recherche du voile noir ?
    Arrêter d’écrire ?

    on 1:32 PM


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