Exil intérieur

Souvent présenté comme le successeur de Arno Schmidt, Reinhard Jirgl est surtout l’héritier de la difficile histoire allemande de la seconde moitié du vingtième siècle. Ces deux filiations ressortent très clairement des « Inachevés », premier roman traduit en français, une véritable révélation.

Feuilleter « Les inachevés » donne l’impression d’être tombé dans un livre de Schmidt : Jirgl, lui aussi, est adepte du jeu typographique, de l’éclatement de la structure mise-en-pagienne normale. Et, toujours comme Schmidt, c’est la soif de liberté littéraire qui frappe. Et puis surtout, l’impression qu’on a devant soit quelque chose de vraiment particulier, personnel, unique. Pas surprenant donc que Claude Riehl était sensé rédiger la préface de cette traduction.

« Les inachevés » commence par une de ces histoires finalement peu connues au-delà des frontière allemandes : l’expulsion des habitants germanophones de Sudètes à l’issu de la seconde guerre mondiale. Quatre femmes, trois générations, jetées sur la route, spoliées de tous leurs biens et renvoyées vers un pays qu’elles ne connaissent pas, mis sous la coupe de l’armée soviétique. Il y a Anna, la fille, qui, a 18 ans, a déjà connu le pire dans les camps de travail, et s’agite pour se libérer de l’étau qui l’enserre pour se retrouver au final encore plus prisonnière. Il y a Hanna, la mère dont les seules obsessions sont de maintenir la famille unie et de rentrer au pays. Arc-boutée sur des principes et des valeurs qui n’ont plus vigueur dans la nouvelle république démocratique, elle se fait avoir et encore avoir, exploiter et encore plus exploiter. Il y a la tante, sous l’emprise de sa sœur, contrainte à suivre et à obéir. Et finalement, il y a la grand-mère, maintenant un mutisme assourdissant pratiquement de bout en bout.

Les quatre femmes de Jirgl connaissent un exil permanent. De toute évidence, celui qui les a mis sur la route en premier lieu. Mais il y a surtout le terrifiant exil intérieur, celui qui fait d’elles des étrangères partout, surtout dans leurs propres esprits. Comme si elles se retrouvaient prisonnières, incapables de prendre le chemin de la liberté, aiguillonnées par le déterminisme du paradis socialiste comme par leur propre héritage. Et lorsque, dans une dernière partie de toute beauté, la lignée familiale prend fin dans l’Allemagne d’après-mur avec le fils de Anna, force est de constater que l’expulsion et l’exil, sous des formes changeantes, sont des fardeaux perpétuels.

Au-delà d’une histoire d’évidence très forte, ce qui époustoufle vraiment dans « Les inachevés » c’est cette écriture, ce style en déséquilibre permanent, qui tente toujours de faire ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne saurait faire. Et qui y réussit. C’est une prose des slogans et de l’odeur nauséabonde du monde mis sous la domination d’une poésie un peu folle, parfois d’un certain lyrisme, une sorte de mise en texte de la dissonance, de l’art footballistique du contre-pied. Attendez-vous à l’inattendu, préparez-vous aux surprises et à une créativité d’une originalité constante. Quelque chose qu’il faut lire pour comprendre. Voilà un grand roman dont l’humanité ne compromet jamais l’inventivité, et vice-versa.

« Les gens voient souvent leur vie rétribuée par du médiocre, du parcimonieux & de la chiche monnaie, en contrepartie de mains chargées de détresse é de fatigue. Les années se consument comme de la mauvaise herbe desséchée sur le remblai de la voie et l’homme meurt des amis qu’il n’a pas. »

Reinhard Jirgl, Les inachevés, Quidam Editeur, 22€

 

19 commentaires:

  1. Anonyme said,

    Je vois pas ce qu'a de génial un type qui écrit "é" au lieu de "et". N'importe quel adolescent français fait de même aujourd'hui, voire pire. C'est de la poudre aux yeux.

    on 9:53 PM


  2. Ne me fais pas l'insulte de croire que c'est ça qui me fait m'exstasier sur le livre de Jirgl...

    on 10:02 PM


  3. Anonyme said,

    Je précise, de peur d'être incompris : l'art dans une perspective duchampienne (donc erronnée) consiste en un acte consciemment posé par un artiste. N'importe qui est alors artiste, il suffit de déployer une logomachie et un aplomb qui confèrent à l'acte une qualité artistique. Or l'art dans la réalité est l'expression d'une singularité (ce qui n'implique pas que l'oeuvre soit "révolutionnaire") innée (le fameux "don") et exceptionnelle (c-à-d non reproductible par le premier quidam venu) - et je ne parle pas ici des caractéristiques de l'oeuvre, qui dépendent du medium. Trop d'écrivaillons détournent l'attention du lecteur par des petits tours idiots (Joyce a fait autant de tort à la littérature que Duchamp aux beaux arts) qui sont supposés donner de la personnalité à l'oeuvre. Les recherches stylistiques sont indispensables dans la mesure où elles contribuent à l'histoire et ne flattent pas la fatuité avant-gardiste du lecteur.

    on 10:15 PM


  4. Anonyme said,

    erronée

    on 10:18 PM


  5. Anonyme said,

    Je ne connais d'ailleurs aucun écrivain qui ait écrit une oeuvre vraiment puissante sur la seconde guerre mondiale. Même Guerre et paix, pourtant formidable à de nombreux points de vue, échoue à donner une image compréhensible et pertinente des guerres napoléoniennes et des relations individuelles dans ces circonstances.

    on 10:30 PM


  6. Anonyme said,

    Le jugement Joyce et Duchamp ont trahis l'art, me semble sommaire et relever d'un jugement de principe et non d'une appréciation réfléchie.

    Quant à Arno Schmidt, ses innovations ne se limitent pas à l'utilisation du langage SMS et son apport littéraire est assez vaste et complexe pour n'avoir pas besoin d'être défendu longuement.
    Son seul défaut, me semble-t-il, est sa mélancolie sexuelle (celle que l'on retrouve dans "Paysage lacustre avec Pocahontas" par ex) et qui brouille la lecture, pourtant souvent si stimulante de cet excellent écrivain.

    on 1:09 AM


  7. Anonyme said,

    Il faut apprendre à lire : où ai-je écrit qu'ils avaient "trahi l'art" (et que signifie cette expression ?) ?

    Quant au reste du message, je suppose que c'est une forme d'argument d'autorité. Malheureusement, j'y suis assez peu sensible, d'autant plus lorsque celui qui le lance n'en a a priori aucune.

    on 9:54 AM


  8. Anonyme said,

    Peut-être au lieu de m'accuser pour te dédouaner de ce que tu a écrit, devrais-tu relire tes messages précédents.
    Je ne voulais pas entrer en querelle, mais simplement te contredire sur un point.
    Quant à mon autorité, elle est exactement celle que tu veux bien m'accorder.

    on 3:19 PM


  9. Anonyme said,

    Le jour où je me "dédouanerai de ce que j'ai écrit" sera également celui où j'accorderai quelque crédit à tes propos. Pas demain, donc. A part ça, quelque chose d'intéressant à dire pour contribuer à la discussion, ou bien seulement les péroraisons d'un instituteur à la retraite ? Triste horizon.

    on 3:58 PM


  10. Anonyme said,

    Ton ouverture d'esprit t'honore, jeune pugiliste prétentieux.
    La gratuité de ton mépris est le signe évident de ton incapacité à penser ce qui t'est contraire et de répondre à un argument simple autrement qu'en te jugeant supérieur. Tu t'écoutes et visiblement cela t'emplit de fierté.
    Et bien bravo à toi donc, de t'auto-persuader par vanité.

    on 4:13 PM


  11. Anonyme said,

    Je rappelle à toutes fin sutiles, et au cas où ta roguerie t'aveuglerait, que jusqu'ici, ce n'est pas moi qui ai été incapable d'expliquer la moindre de mes positions. Il ne suffit pas de dire que quelque chose "relève d'un jugement de principe et non d'une appréciation réfléchie" et qu'un gendelettre boche "n'a pas besoin d'être défendu longuement" puis de faire un procès en fermeture d'esprit (alors même qu'on est trop idiot ou plein de soi pour avancer le moindre argument) pour avoir raison. Je suis méprisant, en effet, mais uniquement avec les pédants.

    on 4:40 PM


  12. Anonyme said,

    Pédant et prof en retraite ? Il faudrait que tu te décides à cesser de te tromper sur mon compte. C'est assez lassant. D'autant que tu écris absolument n'importe quoi sur le sujet. (Je suis chroniqueur musical sur le web). Bref.

    Arno Schmidt est un écrivain hermétique et crypté, un novateur qui ne supportait pas d'entrer dans l'impasse : sujet, verbe, complément.
    Son effort a été de briser la linéarité et les rapports d'évidence des phrases entre elles, de dévier du sens obvie.
    Ses livres ne sont pas une logorrhée inutile ou du verbiage. Tu n'es pas obligé de vouloir le suivre dans son cheminement intellectuel, il reste pourtant que son travail littéraire dans des romans comme "Scènes de la vie d'un faune" ou le très lisible "Histoires" est tout à fait capitale pour tous ceux qui s'intéressent aux problèmes formels que pose la modernité.

    on 5:16 PM


  13. Anonyme said,

    "Arno Schmidt est un écrivain hermétique et crypté, un novateur qui ne supportait pas d'entrer dans l'impasse : sujet, verbe, complément."

    Il est donc entré dans le cul-de-sac de l'écriture absconse, et il a utilisé son génie à créer une nouvelle forme révolutionnaire : complément, verbe, sujet.

    "Son effort a été de briser la linéarité et les rapports d'évidence des phrases entre elles, de dévier du sens obvie."

    Ce que tu dis n'a aucun sens. Ce sont des phrases ronflantes qui, je suppose, impressionnent ta concierge lorsque tu lui en parles en passant lentement ta main dans tes cheveux soyeux, mais qui ne renferment aucun contenu, aucune information pertinente, juste une impression diffuse reposant sur un amoncellement de concepts n'ayant pas la moindre relation entre eux.

    "il reste pourtant que son travail littéraire dans des romans comme "Scènes de la vie d'un faune" ou le très lisible "Histoires" est tout à fait capitale pour tous ceux qui s'intéressent aux problèmes formels que pose la modernité."

    Merde, la "modernité pose des problèmes formels" ? Tu dois au moins faire partie d'une secte lacanienne pour lâcher de telles énormités.

    on 11:23 AM


  14. Anonyme said,

    Gadrel, ton introspection est excellente. Dommage que ta schizophrénie te la fasse reporter sur autrui.

    on 9:13 PM


  15. Anonyme said,

    "Les lettres anonymes ont le grand avantage qu'on n'est pas forcé d'y répondre." -- A. Dumas fils

    on 9:39 AM


  16. Anonyme said,

    Que je me fasse appeler jean jean, toby, andré, fausto, ou même gadrel ne changera pas grand chose à l'affaire. Un merveilleux pseudonyme te permet de te retrancher derrière tes grands principes, sans les risques que comportent la mise en jeu de ta valeur. Au pire si tu finis paria des commentaires chez tout le monde, il te suffira encore de changer de surnom et de passer sur un proxy si on bannit ton adresse ip. Tu es un lâche comme tous les autres pseudonymeux, mais tu préfères jouer le fanfaron qui va nous "remettre à notre place", le redresseur de torts intellectuels, celui qui a conçu une morale et un système de valeur "qui ne plairont pas à tout le monde"... Ouh le rebelle! Au fait, tu peux considérer ces commentaires comme une poste restante.
    Je termine en te précisant que je ne t'apprécie guère, que j'apprécie néanmoins ce blog pour sa qualité littéraire, ou au moins pour un bon paquet de découvertes, certainement pas pour sa valeur humaine (on ne se connait pas que diable), et que je ne me souviens pas avoir posté un commentaire aussi long, tant je trouve cela vain. Mais j'aurai eu ce plaisir de te transmettre mes amitiés. Si tu as un blog où je peux poster mes insultes sans salir les commentaires des autres, n'hésite pas, transmets, je jugerai sur pièce.

    on 3:19 PM


  17. Anonyme said,

    "Les lettres anonymes ont le grand avantage qu'on n'est pas forcé d'y répondre." -- A. Dumas fils

    on 5:07 PM


  18. Anonyme said,

    ça tombe bien bonhomme, ce n'est pas une lettre.

    on 6:36 PM


  19. Le port d'arme est autorisé dans Tabula Rasaloon mais je demanderais à tout le monde d'arrêter de tirer en l'air: ça abîme les lustre et on ne s'entend plus.

    on 7:21 PM


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