Le gigot est au centre de l'univers

Et donc le meilleur de la littérature française contemporaine, c’est ça ?

Mon ami odot m’avait dit qu’il fallait le lire, que même si c’était très français, c’est quand même quelque chose, que ça valait la peine contrairement à bien trop d’auteurs hexagonaux à succès. Mon ami gadrel m’avait dit qu’il ne lirait plus jamais rien de ce type, que c’était nul, vide et chiant. Analysant un bref moment mes affinités littéraires avec les deux gaillards, je m’étais rapidement dit que cet « Univers, Univers » et ce Jauffret, ça devait être pas mal. Au bout du compte, je me retrouve en no man’s land, entre les deux parties en conflit (qui n’existe que dans ma tête : ils ne se connaissent pas).

L’histoire est de celles qui se résument a priori en deux phrases. Une femme surveille le gigot dans le four, attendant son mari et les amis qu’ils reçoivent à dîner. Peut-être est-elle amnésique, plus probablement s’emmerde-t-elle, toujours est-il qu’elle passe le temps en s’imaginant des noms et des parcours toujours glauques, supposés représentatifs de la médiocrité de la vie bourgeoise : mauvais mariage, piètre vie sexuelle, déchéance alcolallucinogène, mort de seconde zone. C’est la lecture littérale.

C’est une longue litanie des vies possibles, une tentative saisissante d’épuiser l’univers et de le circonscrire dans les pages du livre, de rendre la complexité du monde à travers l’hyper-simple d’apparence (la cuisson du gigot, cet agneau mystique des temps modernes). Jauffret joue ici avec le pouvoir de l’auteur qui non seulement sait tout, mais prévoit et contrôle l’avenir. L’écriture est ici l’instrument de l’écrivain sadique qui affirme pouvoir réserver n’importe quel sort à son personnage. On a aussi bien sûr une forte réflexion sur la cruauté du temps qui passe et la terrifiante imperfection de la vie quotidienne. C’est la lecture œcuménique.

« Univers, univers », voilà bien un livre où l’intrigue est un disque rayé au tout début du sillon, qui ne démarre jamais donc vraiment. Roman d’une grande complaisance qui n’a pratiquement rien à dire, il aurait peut-être bénéficié d’un format 45 tours à la Chevillard plutôt que de ce sextuple 33 tours interminable. Jauffret n’épuise pas l’univers, par contre on serait moins formel en ce qui concerne son lecteur. Entreprise boursouflée, sans grâce, ce n’est pas là l’œuvre rédemptrice de la littérature française mais bien le constat, le diagnostic de sa profonde maladie. On frise l’imposture. C’est la lecture fondamentaliste.

Aucune de ces trois lectures ne me satisfait. Il y a de très beaux passages dans « Univers, univers », ça ne fait aucun doute. Ils sont malheureusement finalement assez rare étant donné l’ampleur de l’entreprise. D’une certaine façon, Jauffret force le respect, mais en même temps comment résister à des dizaines de pages de vide absolu, de rien, de répétition constante ayant perdu toute trace d’originalité ? Il y a, sur les 600 pages du livre, trois passages qui resteront en moi.

« Si seulement vous aviez l’amour-propre qu’on prête à une bête, tous ces caractères, tous ces mots, ce phrasage, cette paragrapherie n’auraient pas pénétré vos méninges, insultant vos neurones comme une bande de salopiots. Vous vous seriez enfui dès la première page, abandonnant la lecture pour une activité dénuée d’intérêt, mais moins humiliante, et vous n’auriez pas servi d’exutoire à un ouvrage en furie. A présent, vous êtes allé trop loin, vous êtes un lecteur captif, vous faites partie du livre tout autant que cette femme en arrêt devant son four. Comme elle vous regardez la viande, vous l’entendez rissoler, vous êtes dans l’expectative, alors que de toute évidence il ne se passera rien de notable. La voilà la littérature, elle ne raconte rien, elle traîne en longueur le langage, elle lui permet enfin de s’exprimer, au lieu de toujours servir à dire quelque chose d’autre que lui. »

Ensuite, la partie qui va de la page 276 à la page 285 est à peu près parfaite.

Enfin, les mots qui clôturent le livre :

« Elle a eu trop de noms pour qu’on s’en souvienne. A présent, le gigot est cru, l’agneau s’en sert encore pour gambader dans la campagne, grimper aux arbres, s’envoler de la plus haute branche avec la grâce d’un caillou, d’un caïman, d’un lecteur tombé tête la première dans un roman.
Un roman décédé de mort subite.
Les livres meurent debout. »

Entre ça, quelques belles phrases, belles trouvailles, belles inventions. Et trop, beaucoup trop de prose marchand-de-sable.

Régis Jauffret, Univers, univers, Verticales, 20€

-------------------------
Je ne compte pas ici relancer le débat sur l'état des lettres françaises, ce sera (peut-être) le sujet d'un autre message.

 

12 commentaires:

  1. Anonyme said,

    S'il y a de beaux mouvements dans Univers, univers, une tentative plutôt réussie de rendre compte d'un oeil du cyclone narratif, et la mise en place d'une espèce de vertige, ce livre est beaucoup trop long à mon goût...
    Elagué de 400 pages, Jauffret aurait écrit un très bon bouquin. Mais, c'est trop long !!! J'avoue ne pas l'avoir terminé.

    on 1:49 PM


  2. claro said,

    J'aimerais avoir le temps de vous répondre… Mais c'est l'échec qui anime l'écriture dans ses failles. Et par pitié arrêtez de parler de maladie de la littérature! C'est comme si la belle-sœur d'Amyot écrivait dans Gala-Médiéval pour dire que les grands rhétoriqueurs sont des flambeurs formalistes

    on 8:38 PM


  3. Olivier Lamm said,

    completement pas d'accord avec toi, fausto. certes, c'est un grand vide tout noir, mais quel vide, quels noirs! il n'y a rien de complaisant dans cette oeuvre, plutôt un grand danger assumé. je n'ai pas l'énergie de rentrer dans la chose en détails, mais pour moi, il y a de l'or dans chacune des histoires potentiels de ce grand pli.

    on 8:56 PM


  4. Claro, précisons que cette histoire de maladie nous vient d'un de mes trois lecteurs fantasmés, pas de moi. J'ai voulu reproduire trois visions du même livre, et tu seras d'accord que ce lecteur-là dis des choses que tu auras pu lire ailleurs.
    Comme je le dis ensuite, aucun de ces trois lecteurs ne me semble dans le bon.
    Sinon, pour ce qui est de l'échec, bien sûr! C'est d'ailleurs ce que j'aime chez Bolano qui me semble un fabuleux écrivain de l'échec justement. Et, ça fera plaisir à a.w., je lis le dernier Basara actuellement: lui aussi donne dans la même veine.
    odot: ma passoire n'était peut-être pas assez fine, parce que je trouvais justement que l'or ne se dénichait que rarement (et de moins en moins plus j'avançais).

    on 9:44 PM


  5. Anonyme said,

    Rien à voir....Danielewski est à Paris cette semaine, quelqu'un sait il si il y a un évenement "public"?

    on 10:26 PM


  6. claro said,

    Pardon, Fausto, mon coup de sang, aussi bref soit-il, n'était pas dirigé contre toi. J'essaierai un jour de "poster" sur ce malaise, sur Jauffret, sur le gigot, sur ce "grand danger assumé" dont parle Odot (que celui-ci me pardonne mon silence et mon absence, but sometimes life is a bitch, and right now, it fucking is). Et non, pour anonyme, rien n'est prévu de public pour MZD, son livre ne sortant que fin août. Jauffret, je suis d'accord, c'est compliqué. Il faut le prendre du côté grammaire, le fin fond de la grammaire. C'est une rhétorique du conditionnel, poussé à l'absurde et à l'infini. Il faut penser ce titre, d'abord: univers, univers. J'avais demandé à Régis, il m'a dit: c'est simple, une fois au singulier, une fois au pluriel.

    on 12:10 AM


  7. Anonyme said,

    D'accord pour le conditionnel. Jauffret avance un monde de fantasme perpétuel. Toute réalité échappant à l'emprise du lecteur. C'est l'idée de. Comme si. Mais à quoi se raccrocher ? Ou trouver des prises ? Dans la langue ? Oui, j'ai beaucoup aimé le style, en général, comme dans Microfictions, teinté d'humour noir et d'un certain réalisme, ainsi que d'une force d'évocation. Jauffret a du talent. Mais quelque chose échappe, se dérobe, au moment oú la mayo prendrait. Si j'aime les textes qui jouent au chat et à la souris avec le lecteur, ces deux uniques que j'ai lus (pas en entier) de cet auteur, fonctionnent à partir d'un systême qui devient vain dès lors qu'il ne se remet pas en cause. Et c'est là que le bât blesse : il n'est pas nécessaire de lire tout Univers, univers, ni tout Microfictions pour comprendre et/ou être ému. Une centaine de page suffit amplement. C'est dommage, car je suis persuadé qu'il y a bien plus que cela derrière. Peut-être cela qui me tracasse. Pourquoi tant ?

    Je ne sais pas, Fausto, ce que tu diras de Basara, mais je trouve qu'il se débrouille vraiment très bien pour un auteur obsédé par la vanité de l'écriture. En jouant avec l'absurde très ludiquement, donc très drôlement, et avec beaucoup de finesse. Et dans la potentialité aussi, comme Jauffret, comme Chevillard d'une certaine manière.

    Reste quand même à lire d'autres textes de Jauffret, il n'a pas écrit que cela.

    on 2:32 AM


  8. Anonyme said,

    univers, univers n'était pas mauvais, c'était un exercice de style intéressant pendant 20 pages. Puis, emmerdant. J'ai tenu 100 pages, ou un truc dans le genre. Un peu comme les films d'Andy Wharol : on a compris après 15 minutes, il n'est pas nécessaire de se taper les 7 heures qui suivent.

    Sinon, évidemment que la littérature française est globalement merdique depuis 50 ans. Il y a toutefois encore quelques personnes intéressantes, un peu comme dans les pays du Tiers monde, qui abritent un à deux écrivains lisibles par siècle.

    Par contre, j'ai trahi ma promesse : j'ai récemment acheté "histoire d'amour" du même Jauffret, il paraît que c'est moins expérimental, moins nul et chiant donc. On verra.

    on 9:02 PM


  9. Anonyme said,

    Arg, Warhol.

    on 9:03 PM


  10. Anonyme said,

    PFFFFTT! Régis Jauffret n'est JAMAIS chiant. Jauffret Président!

    on 2:14 AM


  11. Anonyme said,

    Gadrel, le tiers monde, il est dans ta tête.

    on 9:24 AM


  12. Anonyme said,

    Qui t'a dit que j'avais une tête ?

    on 6:16 PM


Clicky Web Analytics