Sus aux blogs

En décembre dernier, j’évoquais la polémique opposant blogs et presse traditionelle aux Etats-Unis. Principalement le fait de journalistes de la presse écrite, ces accrochages se sont poursuivis depuis alors que je pensais qu’il s’agissait d’une distraction avant de passer à des choses plus pertinentes. On peut même dire qu’il y a intensification de ce conflit incompréhensible : bien que les bloggers soutiennent le NBCC dans sa campagne pour sauver les pages littérature en danger dans de plus en plus de journaux papiers, John Freeman, son président, multiplie les attaques idiotes envers la blogosphère littéraire – suivies de marches en arrière timides.

Dans mon billet de l’an passé, je disais qu’il me semblait impossible d’avoir pareille polémique dans l’espace francophone parce que les blogs littéraires ne sont ni assez bons en général ni assez lus. Je suggérais qu’on pourrait peut-être revoir la situation six mois plus tard. On y est, et force est de constater que s’il me semble y avoir plus de pages intéressantes, leur influence est encore bien trop faible pour que qui que ce soit ait envie de croiser le fer avec les bloggers. L’illettré Thibault m’a pourtant fait croire que ce moment était venu en signalant deux notes récentes de Assouline opposant la critique littéraire « classique » et ce qu’il appelle la critique citoyenne. Il s’avère en fait que l’écrivain germanopratin ne fait que commenter la polémique d’outre-Atlantique. Il prend des gants : le tout est assez inoffensif et ne donnera certainement pas lieu à un psychodrame online comparable au débat anglo-saxon. Il y a quand même quelques choses à dire sur son approche du thème.

Assouline n’aime pas la théorie qui voudrait que la blogosphère littéraire soit bien parce que plus démocratique. Mon Dieu, il a raison. Comme la critique établie, son pendant en ligne ne doit être jugée que sur ses « performances ». Le format ne saurait faire la légitimité que pour les idiots qui préfèrent soit l’alternatif, soit l’officiel, incapables qu’ils sont de juger au cas par cas selon des critères propres. Il est peut-être plus rassurant pour certains de savoir que François Busnel a lu et approuvé le papier d’un de ses collaborateurs, moi ça ne m’impressionne pas trop. Le journaliste évoque aussi indirectement l’argument selon lequel le succès des litblogs US aurait d’une certaine façon entraîné la réduction de l’espace papier consacré à la littérature. On a en effet entendu dire par les amis de John Freeman que cette espace gratuit faisait une sorte de concurrence déloyale aux médias traditionnel, entraînant une baisse de profit et, in fine, la fermeture du robinet à dollars. Il n’y a pas besoin, je pense, d’insister sur l’imbécillité de l’argument.

Assouline reprend ensuite les propos de Richard Schickel, critique à Time, qui abonde plus ou moins dans son sens dans les pages du Los Angeles Times. C’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité : il s’agit précisément d’un journal qui vient de refondre (lire couler) son supplément littéraire. Schickel dit des choses justes :

« Il ne suffit pas d’exprimer son opinion sur un blog, la véritable critique est bien autre chose ; elle n’est pas une activité démocratique ouverte à tous mais à des individus qualifiés pour leur goût, leur connaissance en histoire culturelle et leur jugement littéraire, leur faculté à situer un livre ou un film dans l’ensemble d’une oeuvre et à les contextualiser dans leur époque ; l’opinion est ce qui importe le moins s’agissant d’une critique ; il ne suffit pas d’écrire sur son blog qu’on a aimé ou détesté un livre pour être critique ; un critique digne de ce nom engage sa responsabilité chaque fois qu’il signe un article ; un paysage littéraire purement démocratique où tout un chacun se proclamerait critique ressemblerait à un désert sans critères ni cartes, sans même la moindre oasis d’intelligence »

Très bien. Mais en quoi cela concernerait-il spécifiquement les blogs ? Tout cela est vrai pour les médias traditionnels aussi. Je lis la presse et ne peut que constater que les pages livres sont remplies de textes pondus par des journalistes, pas par des critiques. Je préfère me concentrer sur les commentaires de quelques amateurs éclairés plutôt que sur ceux de journaleux qui auraient tout aussi bien pu causer chiens écrasés. Le comble du ridicule est atteint lorsque Schickel mentionne Sainte-Beuve, la figure idéale du critique, qui, selon lui, est vraiment très peu cité par ces incultes de bloggers. Mais que ne parierait-on que son nom est aussi peu mentionné dans les colonnes des médias « sérieux » ?

Ce débat est fatigant. Je crois les lecteurs assez intelligents pour faire le tri, séparer le bon grain de l’ivraie, aussi bien sur internet que dans la presse papier. La vérité est que les plumes de qualités sont aussi rares d’un côté comme de l’autre. La question à se poser, c’est pourquoi il n’y a de nouveaux Edmund Wilson nulle part plutôt que de se plaindre de ne pas en trouver en ligne. Tout ça ressemble plus à un réflexe corporatiste qu’à une véritable réflexion. J’ai surtout l’impression que le métier prend les gens pour des cons incapable de faire de bons choix sans le guidage bienveillant des professionnels. Qui a peur de la liberté d’expression ? A quand un permis de critiquer octroyé par un ministère de la propagande culturelle à qui aurait réussi l’examen – portant sur l’œuvre de Maurice Carême, évidemment ?

 

3 commentaires:

  1. Anonyme said,

    Les critiques sont de toute façon morts et enterrés depuis longtemps. L'époque où un type pouvait faire vendre un livre à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires grâce à sa seule appréciation est révolue. Tout cela s'inscrit dans une évolution générale qu'on retrouve aussi dans le secteur de la publicité, où des "autorités" ne suffisent plus à promouvoir un produit.

    Le problème vient peut-être de la critique structuraliste, qui a passé son temps à recommander des livres illisibles et a donc scié la branche sur laquelle elle se trouvait.

    Mais je pense aussi que beaucoup de critiques ont perdu - au désinstar de Sainte-Beuve ou de Nisard - la profonde conviction que la littérature était quelque chose de précis, une sorte de conception objective personnelle qu'on retrouvait dans chacun de leurs choix. Aujourd'hui, les critiques sont informes, relativistes, consensuels ; ils peuvent avoir des "coups de coeur" pour tout et son contraire, et analysent toujours l'oeuvre de façon individuelle au lieu de l'intégrer à une véritable théorie du bon et du beau littéraire. Plus, je suppose, copinages et renvois d'ascenseurs, conformisme corporatiste, et deux ou trois autres choses qui ont tué toute forme d'indépendance (les critiques aiment, aujourd'hui, tous les mêmes choses) et de pertinence.

    on 2:27 PM


  2. Anonyme said,

    Certes.
    Il n'y a pas que le structuralisme d'ailleurs, mais aussi la déconstruction derridienne et ses épigones bien moins talentueux...
    Mais il existe tout de même certaines critiques, notamment sur la Toile, qui n'hésitent pas à clamer sans la moindre gêne qu'il y a une verticalité des oeuvres, qu'il y a une vérité de la grande littérature et une relativité absolue de la mauvaise.
    Bref, il y a encore quelques personnes capables de dire et d'expliquer pourquoi un livre est bon ou ne vaut strictement rien et, franchement, je n'aime guère les livres défendus par tel ou tel et j'en évoque beaucoup que nul autre, y compris sur le Net, n'évoque...
    Assouline, lui, reste un journaliste se mêlant de littérature, donc pas grand-chose...

    on 11:47 PM


  3. Anonyme said,

    Votre texte sur Stalker, même si le film est long, ennuyeux et boursouflé, est excellent ! Sur le sujet, je vous conseille de lire "Cultre et contre-culture" de Jean-Louis Harouel.

    Même s'il lit beaucoup et ne comprend pas grand-chose, Assouline est un excellent VRP. Ses critiques valent la peine d'être lues pour leur efficacité commerciale, que son sens inné de la dramatisation et son empathie avec le lecteur moyen portent au plus haut point.

    on 1:35 PM


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