Beatlesmania!

Je me souviens d’avoir fait la découverte des Beatles vers l’âge de six ans grâce à une cassette de la compilation « 20 Greatest Hits » sortie en 1982. Elle se trouvait rangée dans un boîtier du bureau de ma grand-mère et j’allais régulièrement la chercher pour l’écouter. En jetant un œil sur la tracklist, j’imagine que la première de leurs chansons que j’ai entendue a été « Love me do ». Comme tous les enfants j’avais un faible pour « Yellow Submarine ». Deux, trois ans plus tard j’ai eu à l’école primaire une sorte de cours d’initiation à l’anglais. J’emmerdais constamment l’institutrice en exigeant qu’elle me traduise tel ou tel titre des fab four. Je ne voulais pas apprendre la langue de Shakespeare : je voulais découvrir celle de Macca et de Lennon.

Les années passent, les Beatles restent. Bien entendu, leurs premiers tubes plaisent moins et « Yellow Submarine » fait plus sourire qu’autre chose. Les premiers amours ont fait place à une fascination par la tétralogie magique RevolverSgt Pepper’sMagical Mystery TourAbbey Road. Ce parcours est bien sûr d’une banalité sans nom, tant il est partagé par des millions d’individus de par le monde. Pourtant, la musique des Beatles est au-delà des clichés : son succès planétaire et intergénérationnel dépasse largement le cadre des phénomènes de masses éphémères et médiatiquement orchestrés. Cela tient bien sûr à la quintessence pop représentée par leurs chansons mais aussi travail de sape qu’ils effectuèrent pour introduire les idées de l’avant-garde dans le formatage rock. Par le plus grand des hasards, winamp réglé en mode aléatoire vient de me balancer « Drive my car ». Premier titre de Rubber Soul, admirable album marquant la transition de la simplicité des débuts vers la sophistication progressive des opérations, ce morceau permet de prendre conscience à quel point la recette pop naïve mise au point par les Beatles et amenée ici à son sommet est impossible à reproduire sans sonner affreusement ridicule – des milliers de groupes ont tentés de faire écho à ce genre de compos, qui y est arrivé ? De même, lorsque Noir Désir tente de reprendre « I want you (she’s so heavy) », on tombe dans le pire pompier imaginable, et lorsque Radiohead tente sur un album entier d’approcher la grandeur de « Happiness is a warm gun », on a envie de s’enfoncer sous terre tellement c’est embarassant. La vérité, c’est que l’art pop a été inventé, perfectionné par les Beatles. Ils ont montré la voie, ouvert le chemin et rebouché le tunnel derrière eux. Insurpassable : il vaut mieux faire autre chose que de tenter de marcher sur leurs traces.

Je vous parle de tout ça parce que Claro a récemment écrit « Black Box Beatles », un livre de sci-fi fabfourienne, hommage rendu à ceux avec qui lui aussi a appris l’anglais et à ses premiers amours romanesques. Vous aurez donc compris que mon appréciation de son livre est irrémédiablement influencée par ma pratique beatlesienne : je ne pouvais qu’être séduit par l’idée qu’une intelligence artificielle de futur découvre, à la dérive spatiale, une boîte noire contenant l’ADN d’une civilisation – les enregistrements de qui-vous-savez. Et notre AI de tenter de se protéger de ce virus informatique. Pas possible : il craque, il craque, il craque (tout en gardant une saine méfiance pour l’infâme monstre obladioblada).

Toute bonne plaque a deux faces, « Black Box Beatles » n’échappe pas à la règle. La première est la plus enchanteresse pour le freak du mersey beat. Les références pleuvent et se dissimulent au détour de chaque phrase. Certains trouveront ça peut-être un peu abscons mais l’explorateur, piolet en main, de la mine de son en ressortira riche. La deuxième face est plus lyrique et plus ouverte sur le monde. Les envolées se multiplient et si parfois les solis s’écrasent au sol – finalement, le livre est une suite d’essais : tout n’est pas converti-, l’impression globale est celle d’une longue plage aux mélopées entêtantes et élégantes.

Alors pour sûr, tout ça à un côté exercice de style qui ne plaira pas aux acharnés des livres qui racontent des histoires. Ce n’est pas grave : il y a ici de quoi passer des bons moments, de créer des éclaircies de soleil musico-lettrées dans un maussade printemps. Et la fin, ce loop infini adayinthelifien nous rappelle bien, au-delà de l’humour, des jeux de mots, de l’inventivité et de la poésie des pages précédentes, pourquoi l’essentiel c’est de repartir, la tête dans les nuages, en pensant aux milliers de voix animées à la fois par les Beatles et la littérature. Peu de gens prennent note, on s’en fout : l’important c’est de voir le monde tourner, nous permettant ainsi à notre tour to spin some strange stories.

Claro, Black Box Beatles, Naïve, 12€

 

2 commentaires:

  1. claro said,

    Eh bien, je vois que certains suivent. Tout ce que tu dis est juste. L'objet est bancal, j'en conviens, à certains moments. J'aurais pu modéliser davantage. C'était aussi un exorcisme. On est toujours un peu le stal de ses fantasmes, à un moment ou un autre. Je crois que ce soir je vais m'écouter Transdermal Celebration pour faire le vide. L'idéal serait une bière suivie d'une autre dans quelque pub bruxellois avce ta personne, mais unfortunately it is not possible tonight. J'ai une journée prévu à B bientôt, mais ça risque d'être short, je sais pas si on pourra se croiser. Allez, je retourne à ma tétralogie sur Stone & Charden :-)

    on 8:35 PM


  2. Anonyme said,

    Tiens, je crois bien que c'est avec la même cassette que j'ai réellement écouté pour la première fois les Beatles, vers huit ou neuf ans, chez un de mes plus anciens amis...

    on 11:00 PM


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