Pantalonnade

Sur la quatrième de couverture de « Sacco and Vanzetti must die ! », le premier roman de Mark Binelli, Ben Marcus dit que jusqu’à l’arrivée de ce livre, raconter des mensonges sur Sacco et Vanzetti était l’apanage du gouvernement américain. Il ne dit pas la vérité lui non plus, puisque dans cette affaire, tout le monde a raconté n’importe quoi. Si il n’y a guère de doute que Vanzetti était innocent, on n’est toujours pas sûr que Sacco n’était pas coupable. Contrairement au portrait fait par les radicaux, les deux Italiens n’étaient pas des angelots mort pour leur classe, mais bien deux anarchistes convaincus, membres de groupes prônant le passage à l’acte violent comme seul chemin possible vers la révolution. La seule certitude, parmi tous les doutes, reste que le procès a été bâclé et mené dans un souci idéologique plutôt que de justice. Ce n’était ni la première, ni la dernière fois que les Etats-Unis créaient eux-mêmes des martyrs en éliminant des gens qui n’auraient pas dû en avoir la carrure.

Mais Binelli ne s’intéresse que très peu de temps à la véritable carrière de Sacco et Vanzetti et leur réinvente une toute autre trajectoire, puisque les deux anarchistes sont transformés en duo comique à la Abbott et Costello ou Laurel et Hardy. De leurs débuts difficile dans un club miteux jusqu’à la mort de Sacco, en passant par l’invention de leurs routines les plus célèbres, les premiers succès, le cinéma, les disputes, la chute de popularité, le parcours du duo est quelque part entre le cas d’école et la caricature du destin des couples comiques célèbres.

Littérairement, le livre de Binelli s’intègre de certaine façon à une tradition dont Robert Coover est peut-être le meilleur défenseur. C’est justement Coover qui avait réécrit complètement le cas des époux Rosenberg, ces autres martyrs de la gauche, dans « The public burning ». « Sacco and Vanzetti must die ! » est sans doute moins impressionnant, mais reste l’un des meilleurs textes de ce type que j’ai lu. Le plus fort, je trouve, est le mode de narration, qui alterne entre descriptions alambiquées de films ou de routines, extraits d’interviews du duo, passages du journal de Vanzetti, textes critiques type cahiers du cinéma, etc. Binelli fait là un vrai travail sur sources primaires et secondaires, renforçant étrangement l’impression de réalité de sa fiction.

Justement, il y a quand même des traces de réalité dans ce livre. Il s’ouvre sur une sorte de chronologie de la vie des deux anarchistes, le récit du duo comique est parfois interrompu par des citations de lettres de Vanzetti ou des extraits des débats du procès, et tout un chapitre est consacré à la fuite d’un groupe radical dont ils étaient membres au Mexique pour échapper à la conscription de 1917. Les personnages inventés par Binelli ont bien évidemment gardés des traces de la vie des deux exécutés. Sacco est le séducteur, Vanzetti le célibataire, par exemple. De façon plus pertinente, Nicola Sacco est, selon moi, celui qui est dépeint de façon la moins sympathique, et c’est précisément lui le plus susceptible d’avoir été coupable de double assassinat. Il y a aussi une scène fantastique mais complètement fictionnelle où les comiques rejoignent les anarchistes : ils enlèvent l’aviateur fasciste Italo Balbo en visite à Chicago et le séquestrent pendant deux jours. Mais les personnages de Binelli ne pouvaient que louper l’affaire : après des jours sans nouvelles des autorités, il se rendent compte que la demande de rançon n’est jamais partie, puisqu’elle a servi d’emballage au beurre du frigo. Balbo est relâché, et ne mourra qu’en 1940. Il ne serait pas sorti vivant des mains de véritables anarchistes partisans de l’action directe.

Plutôt qu’à l’histoire sociale de l’époque, c’est aux stéréotypes sur les italo-américains que renvoie Binelli. On peut en effet lire ce roman comme un florilège de préjugés, allant du rital analphabète aux cheveux plein de gomina jusqu’aux fantasmes de bandits de grand chemin. Ainsi, la fiction s’inscrit d’autant plus dans l’époque où elle est sensée se dérouler qu’elle reflète un certain état d’esprit régnant alors aux Etats-Unis.

Au-delà de ça, on peut se demander si ce genre de livre essaie vraiment de dire quelque chose de nouveau au sujet de Sacco et Vanzetti. Si c’était là l’ambition, je ne suis pas convaincu que ce soit un succès. Par contre, d’un point de vue purement fictionnel, c’est un coup de maître. Avec « Sacco and Vanzetti must die! » Binelli prouve être un écrivain aux voix nombreuses et variées, ayant les moyens de ses ambitions. On suivra avec intérêt la suite de sa carrière…

Mark Binelli, Sacco and Vanzetti must die!, Dalkey Archive, $14.95

---------------------
Revenez demain: je posterai un entretien avec Mark Binelli que j'espère intéressant.

 

0 commentaires:

Clicky Web Analytics