Les 60's par le dernier Beat

S’il y a dans les lettres américaines de 2007 un témoin privilégié de la contre-culture des années ’60, il s’agit de Robert Stone. C’est pourquoi ses mémoires sur la période étaient attendus avec grande impatience par pas mal de monde. Quatre ans après un très mauvais « Bay of souls », « Prime Green » nous montre un écrivain qui va mieux. Mais est-ce un bon livre sur les sixties ?

Né en 1937 d’un père inconnu et d’une mère alcoolique et schizophrène, Stone passe plusieurs années dans un orphelinat catholique – ce qui laissera des traces sur ses fictions très métaphysiques- avant de s’engager dans la marine en 1954. C’est justement sur les derniers mois de cette expérience que s’ouvre « Prime green ». On y voit un jeune homme encore bien naïf sur le fonctionnement des Etats-Unis, n’aspirant qu’à retrouver New York et écrire.

Après quelques boulots alimentaires dans des journaux à inventer de toutes pièces des faits divers, Stone se marie et se rend à La Nouvelle Orléans, où il se met à composer ce qui allait devenir son premier roman, l’apocalyptique « Hall of mirrors ». Ce n’est que lorsqu'il reçoit une bourse pour aller écrire à Stanford en Californie que le livre commence à quitter le domaine de l’anecdotique biographie d’un écrivain pour entrer dans celui, plus pertinent, du portrait d’une génération.

C’est en effet en Californie que Stone fait la connaissance de Ken Kesey, Neal Cassady et des débuts du monde psychédélique. C’est l’époque où une minorité « éclairée » se libère au LSD avant d’aller écouter Coltrane : Stone se sent chez lui dans cette ville, dans cette période de délire créatif. A posteriori, il y voit bien sûr déjà les contradictions qui allaient mener à la désillusion :

« The struggle between the CIA and the Bohemians over Dr Hofmann’s Promothean fire may contain as many ironies as the era affords. »

Ah, s’ils avaient su que cette drogue qu’ils pensaient instrument de subversion avait été financée par la CIA! En fait, même s’ils l’avaient su, ils n’auraient rien fait : le produit avait trop de qualités pour être négligé. Ce que Stone souligne, je crois, c’est que, dès les débuts, la contre-culture était infiltrée par les représentants de l’ordre « bourgeois » et contenait déjà les germes qui allaient la détruire. Il souligne que cette culture de la drogue née de la popularisation de l’acide partiellement subsidiée par la fameuse agence gouvernementale est précisément à l’origine de la liberticide guerre contre la drogue que l’administration US mène depuis des années ; gonflant sans cesse le budget de ses agences existantes, en créant de nouvelles. LSD, instrument de contrôle et de réaction ?

Stone a une phrase qui résume éfficacement la suite : « the summer of love (…) would fuck everything ». Il ne veut évidemment pas dire que tout le monde y baisa tout le monde (ce qui serait vrai aussi), mais bien que les promesses de la Beat Generation et de Ken Kesey y seraient enterrées. La massification de l’expérience contre-culturelle, le déferlement sur la Californie de jeunes américains et, fatalement, à leur suite, de leurs prédateurs, la démultiplication de la demande en matière de drogue – entraînant une énorme baisse de qualité- aura pour résultat une focalisation de l’appareil sécuritaire sur le mouvement et une répression accrue. Surtout, il implosera par lui-même à travers l’affaire Manson. Au lendemain du meurtre de Sharon Tate et de ses amis, Stone et ses compagnons se réveillent avec une énorme gueule de bois.

Finalement, Robert Stone arrive aux mêmes conclusions que Joan Didion. La différence, c’est que la journaliste n’a jamais cru aux promesses dont Stone se fait écho. D’ailleurs, si « Prime Green » est finalement le très intéressant récit d’un témoin direct des sixties, il est trop personnel pour donner un véritable portrait de l’époque : l’information est parcellaire, on sent que l’auteur touche du doigt certaines conclusions sans vraiment jamais parvenir à les articuler. Si on veut quelque chose de plus définitif sur les sixties, alors il faudra se (re)plonger dans les magistraux recueils d’articles de Didion « Slouching towards Bethlehem » et « The white album ».

« Prime Green » est le livre d’une désillusion. Si Robert Stone soutient mordicus que la lutte pour les droits civiques et celle contre la guerre du Vietnam ont amenés des avancées majeures, il sait aussi que la révolution qu’a tenté de mener sa génération a fait exploser les prérogatives gouvernementales. On quitte l’auteur alors qu’il travaille comme journaliste sur les derniers temps de l’implication US au Vietnam – cette expérience donnera « Dog Soldiers », son meilleur roman. Il entend parler d’un massacre commis contre la population civile par les communistes. On n’en dit mot dans la presse.

« Since newspapers are into telling readers what they are used to hearing and think they already know, any suggestion of congruity in the cruelty of desperation would have been the occasion of moral confusion. »

Voilà l’une des rares fois où Robert Stone met directement le doigt sur une vérité qui fait mal – et qui est toujours valable aujourd’hui. On aurait souhaité qu’il le fasse plus souvent dans « Prime Green ». Peut-être la crainte de trop dénigrer les meilleures années de sa vie a-t-elle été trop forte ?

Robert Stone, Prime Green : remembering the sixties, Ecco, $25.95

 

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