Etrange mélange

28 ans après sa parution aux Etats-Unis, « Mulligan Stew/Salmigondis » paraît en français chez Cent pages. Cette publication du roman qui domine l’œuvre de Gilbert Sorrentino et qui reste une pièce maîtresse de la littérature US du siècle passé est l’occasion parfaite pour les lecteurs francophones d’enfin vraiment découvrir un auteur par trop ignoré.

Sorrentino est décédé l’an passé à l’âge de 77 ans, mettant ainsi un terme à une carrière riche de 19 romans (20 en comptant le dernier à paraître) et 10 recueils de poésie. Seuls cinq de ces titres sont disponibles dans notre langue et ils se vendent à peine. Aux Etats-Unis, la plupart des livres parurent dans des petites maisons, son travail restant ignoré du grand public. Pour se consoler, on se dira qu’il est parfois mieux d’être bien lu que beaucoup lu : le défenseur numéro un de Sorrentino n’est autre que Don DeLillo.

Qu’est donc ce fameux « Mulligan Stew/Salmigondis » ? Comme le dit Bernad Hoepffner, son traducteur, il s’agit de « la plus extrême caricature de ce que l’on appelait la littérature “postmoderne”: dans un certain sens, il part du premier livre appartenant à cette “école”, « At Swim-Two-Birds » de Flann O’Brien, et en écrit le point final magistral, car ce roman n’est fait que de ce que l’on considère normalement comme du paratexte ». On ne saurait mieux dire. On a sous les yeux un petit animal de laboratoire nommé Anthony Lamont qui tente, tant bien que mal, d’écrire un nouveau roman expérimental. Sans gloire ni fortune, déjà âgé, l’homme s’avère piètre écrivain. Le lecteur, bête omnisciente, peut fureter à l’aise dans son roman « in progress », dans sa correspondance avec sa sœur ou un prof envisageant de parler de lui dans un cours sur la littérature expérimentale, ainsi que dans ses notes de travail. Il apprendra aussi avec stupéfaction que les personnages de Lamont, lui-même piqué chez O’Brien, ont été empruntés à Joyce et Hammett, et que, ayant pris goût à la bonne lecture, ils sont en pleine rébellion contre les outrages que la prose pataude et le cerveau passablement dérangé de l’auteur leurs font subir.

Il n’y a, de fait, pas vraiment de roman dans ce roman rempli de romans : c’est un assemblage de ce qui fait l’univers d’un écrivain, au lecteur de remettre les pièces en place s’il veut se faire un portrait de Lamont. D’ailleurs, on ne lit pas Sorrentino dans ce livre, on lit Lamont. Le tour de force aura donc été pour l’écrivain de se transformer en ce confrère imaginaire, transformant son style et se mettant à écrire d’une plume souvent lamentable. Oui, « Mulligan Stew/Salmigondis » est, d'une certaine façon, pitoyablement écrit, mais cette faiblesse impressionne : vous avez dit mauvais poème ? Mauvaise prose expérimentale ? Mauvais roman cowboy ? Mauvaise épopée en vieux français ? Sorrentino vous les fournit plus vrai que nature. Une oreille d’une finesse incroyable lui permet de restituer à peu près n’importe quel discours ou écrit stéréotypé. Ainsi, paradoxalement, de cet amoncellement de merde se dégage une superbe pépite textuelle.

Certains se demanderont donc à quoi bon lire un tel livre. Autant se demander à quoi bon lire une satire… Impossible en effet de ne pas sourire à ce qui est épingler : les mauvais écrivains, les prétentieux, les professeurs, les éditeurs, la relation au sexe. Sorrentino, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas gratuitement méchant : il est férocement pertinent puisqu’il dépeint avec grande justesse le milieu culturel non seulement de son époque, mais aussi de la nôtre, ainsi que, plus que probablement, de celle de Flaubert, tant ces particularités semblent être une constante.

Finalement, « Mulligan Stew/Salmigondis » peut sans doute être considéré comme une sorte de réponse littéraire où Sorrentino se gausse d’un milieu qui ne sait trop comment le considérer, mais surtout comme une formidable démonstration aux ennemis de la littérature un tant soit peu exigeante de la force créatrice d’un véritable écrivain. Non, Sorrentino n’est pas Lamont : là où son personnage est sans doute en train de fournir une ultime tentative de roman, basculant dans la folie paranoïaque à mesure que son sujet lui échappe, lui écrit « Mulligan Stew/Salmigondis ». La différence ne se situe pas entre l’expérimental et le « mainstream », mais entre l’originalité et le cliché, entre celui qui écrit vraiment et celui qui prétend le faire.

Un dernier mot sur l’édition française : non seulement le texte est admirablement bien traduit, mais en plus le travail effectué par Cent pages sur la présentation est superbe : papier bible, jeu typographique, illustrations… Infiniment supérieur à ma copie Grove Press de 1987. Vraiment dommage que ce livre ait plus de difficultés à vivre médiatiquement que « Le tunnel » de Gass. Raison de plus pour moi de donner un modeste coup de projecteur et pour vous de soutenir un éditeur et un traducteur courageux…

Gilbert Sorrentino, Mulligan Stew/Salmigondis, Cent pages, 30€

Petit rappel : Bernard Hoeppfner nous présentait « Mulligan Stew/Salmigondis » et Sorrentino dans un entretien publié il y a trois semaines.

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Le jeu des quatre

Il y a des jeux qui circulent incessamment dans l’interweb et qui ne me disent absolument rien. Je m’en tiens éloigné le plus possible, mais il arrive que je me laisse tenter, un peu comme il m’arrive de regarder un film de Steven Seagal. Eh oui. Donc, une de ces choses débarque ici par l’entremise de Aïda qui m’a gentiment contacté. Voilà donc une liste à prendre avec les pincettes d’usage.

LES QUATRE LIVRES DE MON ENFANCE...

« L’aiguille creuse » de Maurice Leblanc
« Les aventures de Tom Sawyer » de Mark Twain
« Le petit vampire au val des Soupirs » de Angela Sommer-Bodenburg
« La ligue des rouquins » de Arthur Conan-Doyle

QUATRE ECRIVAINS QUE JE LIRAI ET RELIRAI ENCORE

Yukio Mishima
Thomas Pynchon
Roberto Bolaño
William Gaddis

LES QUATRE AUTEURS QUE JE N'ACHETERAI (OU) N'EMPRUNTERAI JAMAIS PLUS

Frédéric Beigbeder
Amélie Nothomb
Paul Auster
Jay McInerney

(Les deux premiers sont des cas facile à expliquer : voilà le sommet de la non-écriture, de celle que j’ai entrevue pendant un laps de temps déjà trop long et qui m’a filé un mal de tête épouvantable. Auster, parce que voilà un écrivain terriblement surestimé qui m’a toujours ennuyé à un point incroyable. McInerney parce que je me fais chaque fois avoir par ses histoires avant de me demander pourquoi…)

QUATRE BOUQUINS QUE J'EMPORTERAIS SUR MON ILE DESERTE

« Le marin rejeté par la mer » de Yukio Mishima
« Une histoire vieille comme la pluie » de Saneh Sangsuk
« The recognitions » de William Gaddis
« Les détectives sauvages » de Roberto Bolaño
(Autant dire que je vais broyer du noir, sur mon île)

LES QUATRE PREMIERS LIVRES DE MA LISTE A LIRE

« The MacGuffin » de Stanley Elkin
« The raw shark texts » de Steven Hall
« Le coeur de pierre » de Arno Schmidt
« Black Box Beatles » de Claro

LA DERNIERE PHRASE D'UN DE MES LIVRES PREFERES

« They fly toward grace » (« Against the day » de Thomas Pynchon)
Voilà une belle manière de se dire adieu…

Bon… Il semble que la tradition soit de convier quatre camarades à faire de même. Ca, ce n’est pas trop mon truc mais je ne veux pas qu’on m’accuse de couler le bazar, alors qui est-ce que ça tente ? Pedro Babel, G@rp? Qui d’autre ? Allez, allez… même dans les commentaires, c'est tout bon.

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¿Hacia dónde?

Il y a les funestes lettres anonymes et puis il y a, sur Tabula Rasa, les commentateurs anonymes qui apportent la bonne nouvelle en toute modestie. Ce week-end par exemple, une piqûre de rappel et la notification de publication d'une liste interpellante. Je subodore que le même anonyme est derrière ces deux commentaires - difficile d'en être certain puisque anonyme est légion, par essence.
  • Un site indispensable: Solo Literatura se consacre aux écrivains sud-américains, vous y trouverez tout sur Cortázar, Bolaño, Borges, Rulfo, etc. Des heures à se perdre dans les notices biographiques, critiques, entretiens, discours, et ainsi de suite.
  • Le HayFestival colombien se pose la question ¿Hacia dónde va la literatura latinoamericana actual? et publie une liste de 39 auteurs de moins de 39 ans, la plupart inconnus de par chez nous - j'en connais, et encore, quatre ou cinq. On nous dit que tout ne se vaut pas, mais il y a surement de quoi passer de bons moments.
Anonymement vôtre, je suppose.

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Une critique pour quoi faire

J’ai lu ici ou là que le dernier Cadiot était une parabole de ceci ou une méditation sur cela. Je me gratte la tête, grimace, et décide finalement qu’il n’en est rien. Le verbe est roi dans « Un nid pour quoi faire » et, de fait, pourquoi s’en faire ?

Chez un roi en exil, dans un chalet de montagne en ruine, un conseiller est, comme qui dirait, parachuté. Il est la boule qui percute le jeu de quille, envoyant tout valdinguer à l’aide d’une narration qui swing. Les noms chantent, les verbes dansent, les adjectifs virevoltent, les adverbes planent et les sujets objectent.

Le conseiller ne dit rien, les courtisans n’en pensent pas moins. L’équilibre est menacé, le château de carte vacille, pas plus mal que le Roi ne soit pas Reine de pique : il n’est pas dit qu’il s’en serait sorti la tête sur les épaules.

Voilà une série de scènes étranges où de coups en coups, de théâtre en Etat, le monde du conseiller bascule sur son axe, agrandissant sa zone d’influence politico-attractionelle, s’en allant de la périphérie dans laquelle il avait été installé pour se faire centre autour duquel tous gravitent. Et révolutionnent. Oh, coquin de sort !

Et là, la fuite. Il neige, et ça glisse. Le Roi était mort. Le Roi était sacré. Le Roi est nu. Son carrosse, il est cassé. Les caresses des dauphines de sa pine ne sont plus qu’un soubresaut de souvenir lui dardant le bout de la trique. Oh, avoir été pompé !

Retour qui n’est pas un recommencement. L’éternel s’est fait la malle, il ne reste qu’à jeter un œil de l’autre côté. Hmm, tant de regret. Et puis voilà, c’est dit :

« Ca s’arrête en bout de papier ».

Pas en eau de boudin.

Face au miroir de la salle d’eau, juste au dessus de la baignoire, je me dévisage la face et y reconnaît les traits de l’être perplexe. Mais oui, si cette histoire claque, si je m’emballe et dévale la piste, renouvellant l’effet boule de neige, une fois en bas, restera-t-il plus que des courbatures ? Et si non, les contorsions de la langue serviront-elle de séance de kiné ?

Tiens, séance. Il y en a une dans ces pages. D’outre-tombe, on appelle le spectre d’un auteur déjà passé à autre chose, il donne la clé. La voici :

« Je vois des formes (…), ce ne sont pas des paroles mais des choses avant la musique, des dessins, des plans d’idées, où une flèche suffit à dire très vite le temps (…), il y a des descriptions, ça vient se coller entre les phrases et les sons, comme un ciel bleu suit impeccablement les contours d’un immeuble ».

Je le vois. Vous aussi vous le verrez. Peut-être.

Olivier Cadiot, Un nid pour quoi faire, POL, 19€

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Fresán y Pynchon

Rodrigo Fresán, il est partout! Deux mois après les pages du Believer avec un article sur Bolaño, voilà qu'on le retrouve dans celles de Página/12 pour évoquer le dernier Pynchon. Rien de bien révolutionnaire dans le papier, mais une lecture assez sympathique qui fait d'autant plus plaisir que c'est sans doute l'un des premiers textes à paraître en espagnol sur "Against the day".

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Rasante Zadie

Il y a six ans, j’avais beaucoup aimé « Sourires de loup », le premier roman de Zadie Smith. Un peu plus tard, « The autograph man », son second, m’avait plu plus encore, notamment parce que je me suis senti assez proche de son pathétique protagoniste. La lecture récente de « On Beauty » me fait remettre en doute mon jugement de ces deux livres : ce dernier titre est poussif et contient finalement bien peu de littérature. Me serais-je trompé ?

« On Beauty » met face à face deux familles. D’un côté les progressistes Belsey, menés par un père spécialiste de Rubens, ultra-relativiste, et les Kipps, conservateurs et catholiques, dont le patriarche, Monty, est le grand rival académique de Howard Belsey. Smith donne à la fois dans le roman psychologico-famillial – Belsey l’anglais trompe sa femme afro-américaine ; son fils se convertit au catholicisme ; sa fille, brillante étudiante, cherche l’amour ; son cadet voudrait faire croire qu’il vient du ghetto…-, le récit de rivalités universitaires – Kipps est invité pour une série de conférences sur le campus de Belsey- et l’analyse politique du clash « liberals » contre réactionnaires. C’est beaucoup pour un seul livre, et si Smith ne bâcle à proprement parler aucun de ces thèmes, elle n’apporte jamais vraiment de satisfaction réelle.

Le problème, comme souvent, est le cliché. C’est vrai dans le style comme dans la forme. On sent pourtant l’auteur à la recherche à la fois d’originalité littéraire et de justesse psychologique. Tout au long du livre, par exemple, on se sent moins de sympathie pour un Howard Besley qui est en train de tout rater par la faute, finalement, de ses propres théories où même les sentiments sont soumis au regard glacial de l’abstraction relativiste, que pour un Monty Kipps qui a au moins le mérite de l’humanité. Pourtant, comme par hasard, la fin venue, dans un ultime retournement de situation, l’ordure est le conservateur et le héros le progressiste. Ouf, l’honneur est sauf, quand bien même le dit progressiste se soit bien foutu de l’ensemble du monde pendant 400 pages.

En matière de style, on ne dira pas que c’est mal écrit : tout ça est au contraire assez élégant. Malheureusement, on sent Smith à la recherche permanente de l’énoncé étincelle, de la phrase magique. Pour dix tentatives loupées, une réussie, et encore. Trop souvent on a l’impression d’un écrivain trop conscient de ses qualités pour se rendre compte de ses faiblesse : on tire, on tire sur la corde et puis, ben oui, elle rompt.

En fait, « On Beauty » est placé sous le signe de E.M. Forster. A sa suite, Zadie Smith perpétue la tradition du roman humaniste. C’est ce souci qui prédomine sur une écriture correcte mais à la traîne. Il y a peu, j’évoquais ici « La raie manta » de Eloy Urroz, où l’histoire était peu réussie et dominée par la froideur de la perfection formelle. Et bien, je préfère ce dernier roman à « On beauty », sans doute parce qu’une fiction humaine ne suffit pas à faire une littérature de qualité. Ici, les imperfections dominent.

Il me semble que ces défauts ne sont pas ceux d’un seul roman, mais qu’ils sont plutôt liés au type d’auteur qu’est Smith. Il est donc fort possible que ces critiques s’appliquent également à « Sourires de loup » et « The autograph man ». Du coup, et peut-être à tort, ma sympathie pour l’œuvre de l’anglaise en prend un fameux coup.

Zadie Smith, On Beauty, Penguin, £7.99

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Aural Delight - Hip Hop Orgy

Il y a cinq ans, j’ai écrit ma première chronique CD sur « Fantastic Damage » de El-P. Je pensais qu’elle avait été publiée, mais je ne la retrouve pas, ma mémoire doit donc me jouer des tours. C’était un papier rédigé dans un anglais assez amusant et rempli des clichés habituels d’une chronique hésitante. Il en ressortait, et c’est quand même bien là l’essentiel, que c’était un album énorme, le meilleur disque hip-hop de l’année. Je ne pense pas m’être trompé. Il aura fallu cinq ans à El-P pour nous fournir un véritable nouvel album solo. Et beh, mes amis, je suis de nouveau sur le cul.

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec notre ami, un petit peu de contexte. Jaime Meline est El Producto est El-P. Né en 1975, il forme Company Flow en 1993. Ce groupe est à lui seul responsable de la renaissance et de la régénérescence d’un Hip Hop underground à New York. Leur album le plus connu, « Funcrusher Plus », est absolument monstrueux, une pièce essentielle de la musique urbaine des années ’90, une bulldozerisation des conventions, une révolution complète. Le groupe splitte en 2001 et El-P largue « Fantastic Damage » l’année suivante.

Les yeux me sont sortis des orbites, les cheveux ont commencés à tomber, j’ai bruni mon fond de culotte. Je ne savais pas qu’on pouvait faire du hip-hop aussi lourd et chaotique. Aucun beat n’était exactement en place, on avait l’impression d’être coincé par un taré qui avait trop ingurgité du Grooverider, Stockhausen, Kraftwerk, Philip K. Dick etc. Mixture complètement malade et carrément explosive lorsque mélangée avec le meilleur du hip-hop radical west coast.

« I’ll sleep when you’re dead » vient de sortir et, sans arriver aux hauteurs précédents, c’est quand même foutrement solide. Ca commençait plutôt mal : sur le boîtier, étiquette maudite « featuring appearances by Trent Reznor, The Mars Volta, Aesop Rock, Cage, Cat Power and more ». Bon, je sais, les invités, c’est une tradition bien rap, mais généralement, des rockers qui débarquent sur du hip-hop, ça déclenche une sirène d’alarme qui signifie « tous aux abris ». Heureusement, la vrai star, c’est El-P, et à part ses collègues rappeurs, les autres contributeurs se font plutôt discrets.

Musicalement, c’est quand même moins lourd, moins fracturé, moins « dansons la gigue sur un pied pour voir ce que ça donne » que « Fantastic Damage ». Ca reste fort sombre, mais l’accent est surtout mis sur les mélodies. Il est possible que le travail de Meline avec Matthew Shipp et William Parker sur « High Water » l’ait influencé dans ce sens. Plus de musique, moins de beat. Il reste toujours ce flow assez incroyable, mélange de sophistication et d’agressivité, rempli de mots à un point assez sidérant tout en restant compréhensible. En fait, c’est le miroir exact d’une musique extrêmement riche mais directe, où la complexité de l’architecture sonore ne se met jamais en travers du plaisir ressenti à l’écoute : au contraire, elle le magnifie.

Au moment où sort le livre de Joy Sorman sur NTM et qu’à sa suite on risque de voir une réévaluation positive de l’œuvre des coquins du 93, cet album tombe à point nommé pour nous rappeler que NTM, c’est du son de gros bourrins pour gros bourrins et petit bourgeois voulant s’encanailler, que le rap français vend énormément mais n’est franchement pas bon et que s’il y a dans le hip-hop des gens qui bouleversent la langue et la musique, on a toujours plus de chance de les trouver à Brooklyn qu’à Paris.

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Deep Space 9mm

* One two
Get behind the walls of new Roma, wanna buy the farm
But the land's not yours to own?
Who owns Police? Who holds floor grease on a sandy beach?
Blood beach
Dance with a man he starts clutching, he ugly
Punks hung halo teach
Hugged by the math with the cable reach
A hundred and sixty-six channels lit
To train that animal shit
Where the mind's eye redefined
Where's God?
Buy a car, Kick tires

Back in Eighty-Six I lived
With a four-course artistry
Metal ones took turns showin' off colors and shit
Like I invaded the mating dance ritual
Criminal now
Wild things defined beautiful under my power
El Producto flash-fest-iss
Motherfuckers be like, "Ow, why haven't we left yet"
Blithering sideway twang, the youth and brain management troupe
The man is like BOOOP
You can't touch the Krush Groove
I live by the lunch table
Touched fables
Ducked labels
Lookout for the one he'd abide with the terrible stables
Signed to Rawkus
I'd rather be mouth fucked by Nazis unconscious
Callin' all bomb threats
Radio re-activated, caress
Under hella-ified missle defense
Fenced in, better blame it on fame sh*t and grin
Walk with a bag full of kittens
Take it to the river and throw yourself in
In about four seconds the ether will begin to leak

(...)

This is for the fringes and such
My generation just sit like dust
Feed 'em off of us and ask what I trust
Tell these stories, I'm right here holdin' my nuts
Right here holdin' my nuts
Right here holdin' my nuts
Right here holdin' my nuts
Right here holdin' my nuts
This is for the fringes and such
My generation ain't friends with slugs
Thank god for the drugs and drums
Tell these to read it, I'll be right here hidin' from guns
Right here hidin' from guns
Right here hidin' from guns

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Too Old, Too Cold

Nothing to prove
Just a hellish rock n' roll freak
You call your metal black?
Its just plastic lame and weak
We're too old, too cold
Too old and too cold

Second to none
Like an angel unfucking born
Done with people
It's done
Your attitude
It's stillborn
We're too old, too fucking cold

(poésie primitive norvégienne de Gylve Fenris Nagell, retrouvée par le professeur Aloysius Bernhardus et publiée dans l'anthologie "Tales of true grimness: the lost battlefield poetry of the ancient Norses")

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Monsieur le juge

Au rayon petite maison dont on ne parle pas assez figure en bonne place les Québécois des Allusifs. Leur catalogue est pourtant d’une rare qualité. Je vous ai récemment parlé de deux Bolaño parus chez eux et j’ai encore deux autres titres sous le coude. Aujourd’hui, j’évoquerai « Malacarne », l’étrange premier roman mafieux de Giosuè Calaciura, journaliste de la RAI et dramaturge, né à Palerme, ce qui n’étonnera personne au vu du contenu de ces 170 pages.

« Malacarne » est la confession déversée au pied d’un juge muet par un mafieux extrêmement loquace. Tout commence comme le récit classique de l’exécution l’ayant mené devant la justice, mais l’on se rend vite compte qu’il y a quelque chose d’autre. Le bandit parle toujours en nous, non pas ce nous grandiloquent visant à magnifier son crime mais bien le nous collectif, celui qui précise qu’il ne saurait s’agir du parcours d’un individu mais bien de celui d’un groupe, d’une organisation.

En fait, Calaciura donne ici une histoire symbolique de la Cosa Nostra, des origines dans le petit banditisme plus ou moins crapuleux jusqu’à cette apothéose en organisation criminelle globalisée. A travers le déballage du narrateur, on assiste au récit de l’écolage, de la naissance d’une intelligence criminelle, apprenant petit à petit, avec les évolutions de la bande, à passer les vitesses une à une, à trouver des solutions à tous les problèmes.

Il y a bien sûr la violence, solution ultime, pratiquée de manière toujours plus raffinée et donc, étonnamment, toujours plus barbare. Les mafieux se lassent du fric et du sexe, se disent blasés de verser le sang mais ne peuvent se passer de l’incomparable excitation du coup de lupara, du doux frisson de la lame qui ouvre la chair, du délectable plaisir de l’acide qui travaille les os. On ne signe la paix que pour retrouver la secousse orgasmique de la petite mise à mort quelques mois plus tard.

Ne nous-y trompons pas : il y a matière à rire dans le livre de Calaciura, aussi bien dans la grandiloquence verbeuse de celui qui passe à table que dans les descriptions férocement drôles des penchants vestimentaires des hordes de tueurs. Même le récit de l’assassinat peut être source d’un éclat zygomatique à son corps défendant. Ne soyez pas surpris si ensuite vous levez les yeux de la page, regardez à gauche, regardez à droite, histoire de vous convaincre que personne ne vous a vu se riant de ces terribles industriels des loisirs défendus. Mais une fois rassurés, vous vous replongerez dans cette fascinante, élégante prose, légèrement baroque, très explosive.

De toute façon, tout sourire se referme lorsque l’on pense à ce juge silencieux dont, tout au court du roman, les doutes quant à l’identité et la nature exacte se développent jusqu’à faire entrevoir la possibilité de la présence de l’artisan du jugement dernier venu s’occuper, non pas d’un petit tueur, non pas d’une organisation criminelle, mais bien, peut-être, d’un monde où le pêché se vend au prix du sang. « Nous n’étions plus rien », cet incessant refrain qui parcourt les pages de « Malacarne » prendrait alors tout son sens.

Giosuè Calaciura, Malacarne, Les allusifs, 16€

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Brèves

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Tyler contre Tyler

Henry Tyler est un détective privé à qui on a jamais voulu faire retrouver le faucon maltais, mais un certain Brady décide de lui faire débusquer un drôle d’oiseau : la mythique reine des putes, qu’il voudrait prendre comme emblème de son casino-bordel virtuel de Las Vegas. Dans Tenderloin, le bien nommé quartier chaud de San Francicso, entre les putes et les drogués, dans l’odeur de pisse et de sueur, Henry s’enfonce dans une étrange quête qui, bien entendu, va changer sa vie.

Il se passe beaucoup, beaucoup trop de choses dans les 1313 pages de « La famille royale » de William T. Vollmann pour en effleurer plus que la surface en 7000 caractères. Plutôt que de revenir en long et en large sur le monde des prostituées, par ailleurs admirablement évoqué, ou de vanter une fois de plus la qualité de cette prose qui flirte continuellement avec le baroque, le réalisme ou le naturalisme, je voudrais aborder un peu plus le côté familial, le côté Abel et Caïn de ce roman, à travers la relation entre Henry et son frère John, assez rarement cité dans les critiques mais qui me semble, étrangement, le véritable personnage central de « La famille royale ».

Henry est amoureux d’Irène, la femme de John. Ce n’est pas un mariage heureux, le mari maltraite psychologiquement son épouse et n’est pas assez disponible, puisque trop accaparé par son travail d’avocat. C’est donc Henry qui sort Irène et tente de la convaincre de son amour plus authentique et plus beau que celui de John. Timidement, sa belle-soeur répond à ses avances, sans qu’on sache vraiment si il y a consommation. Malheureusement, Irène se suicide alors qu’elle est enceinte de cinq mois. Plus que le contrat entre Henry et Brady, c’est ici le point où l’histoire bascule et l’intrigue véritable commence. Alors que John se console dans les bras de Célia – sa maîtresse depuis un petit temps déjà-, Henry, agité par la douleur, persuadé d’avoir perdu la seule femme qui comptait, est obnubilé par cette fameuse Reine des putes. Personnalité soumise, il doit remplacer une dépendance par une autre dépendance. Il trouve la Reine et après quelques douloureux exercices pour prouver son allégeance, il en devient l’amant, abandonnant de plus en plus son travail pour s’enfoncer progressivement dans le monde des putes et des camés.

Malgré cette déchéance physique et pécuniaire, Henry est le personnage auquel le lecteur s’attache et s’identifie, et John l’horrible frère plus obsédé par le boulot et l’argent que par la vie et les humains. Et puis Vollmann commence subtilement à introduire le doute et l’on se rend compte qu’en fait on s’est peut-être bien fait avoir : on a pris pour argent comptant une histoire comptée par Henry, où, nécessairement, son rôle ne doit pas être trop mauvais. Et si, en fait, Irène était aussi, voire plus, responsable de l’échec de son mariage ? Et si c’était sa négligence qui avait poussé John dans les bras de Célia ? D’autre part, Irène aimait-elle vraiment Henry ? On a l’impression qu’il y a eu de sa part une très nette réécriture de cette histoire, et on se dit, que finalement, Henry harcelait peut-être bien cette pauvre Irène qui ne savait trop que faire de son lourdaud de beau-frère. Peut-être John a-t-il raison lorsqu’il accuse Henry d’être responsable du suicide de sa femme.

Un personnage essentiel dans ce tournant de la perception des acteurs de « La famille royale » est Dan Smooth, relation de Henry l’ayant mis sur la piste de la Reine, et pédophile dont on pourrait dire qu’il sort la vérité du cul des enfants, tant il s’attache à déclamer crûment les choses les plus vraies sur tous les gens qu’il croise. C’est lui qui met le nez du détective dans son propre caca et par là même montre au lecteur à quel point il est immature, nombriliste comme un adolescent, ne pensant qu’à sa satisfaction immédiate. La Reine lui avait d’ailleurs dit qu’il voulait toujours qu’on lui « donne, donne, donne » - ce n’est pas ça l’amour, puisqu’il faut aussi être contributeur. A mesure que Henry est noirci, le portrait de John s’éclaircit. Finalement, ce serait bien lui le plus torturé des deux, l’intellectuel qui ne veut pas qu’on pense qu’il est intellectuel. Oui, il agit mal, mais contrairement à Henry qui n’a jamais conscience de l’impact négatif de certaines de ses actions – en fait, il ne réfléchit jamais sur ce qui le fait bouger-, John se rend bien compte qu’il ne devrait pas faire ce qu’il fait, il regrette, il tente de lutter même si c’est dur.

Contrairement à Henry, John est un vrai personnage, quelqu’un de réel, un homme qui évolue, change, réfléchit. Un être contradictoire. C’est lui, l’être humain dans «La Famille Royale ». D’ailleurs, Vollmann dit lui-même : Henry est un « néant gris », la Reine « un symbole ». Un peu comme dans « Argall », les protagonistes au cœur de ce roman sont finalement de ceux qui semblaient au départ secondaires : il y a donc John, mais aussi Domino, cette pute formidablement méchante mais si belle qui rêve d’être Reine à la place de la Reine, alors qu’elle l’aime.

Abel est mort sous les coups de son frère. Ca n’arrive ni à John, ni à Henry. Pourtant les deux hommes ont la marque de Caïn. John refuse de voir son frère, le rejette le plus loin possible de sa vie, devenant très violent verbalement lorsque Célia ose l’évoquer. C’est sans conteste de l’ordre du meurtre symbolique. Henry, de son côté, une fois l’aventure de la Reine terminée dans le sang, les larmes et la sueur, se met sur la route et erre, vagabonde, devient un hobbo, prenant en fait sur lui la punition divine infligée à Caïn, condamné à errer éternellement.

Il aurait été possible de parler de bien d’autres choses : la symbolique de la Reine ; le rôle exact de Brady, le promoteur putassier ; la vie dans le Tenderloin ; le lien entre la sortie des pages du roman de Henry Tyler et celle de Wyatt Gwyon de celles de « The recognitions » ; le portait d’une génération ; les relations entre les membres de la famille royale ; les similitudes entre celle-ci et la famille Tyler ; la lente marche de Henry vers la démence ; l’aspect très ancien testament version pute du roman ; le rapport entre Vollmann et la prostitution, ainsi que son opinion sur les améliorations souhaitables de la vie de ces professionnelles ; la très cooverienne scène finale… Pour ce faire, il me faudrait 5 ou 6 fois 7000 caractères, et je ne suis pas malade à ce point. S’il reste une chose que j’aurais voulu pouvoir aborder, c’est la suivante : la question cruciale du roman ne me semble pas tellement être, comme on l’a souvent dit, celle de la soi-disant plus grande honnêteté ou véracité de la vie des bas-fonds du Tenderloin – opposée, bien sûr, à celle des beaux quartiers-, mais résiderait plutôt dans les relations entre ces deux mondes, les manières dont ils sont semblables et dissemblables. Ce n’est qu’en en faisant une très stricte étude que l’on pourra vraiment comprendre l’ampleur véritable de ce roman et de la réflexion vollmanienne. Si je trouve la clé, j’en reparlerai. Entre temps, et si ce n’est déjà fait, lisez « La famille royale », c’est une œuvre grandiose.

William T. Vollmann, La famille royale, Actes Sud, 16€50

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Alhambra

“For how else, but by aiming, is excellence to be attained? It’s not often one begins a sand castle on a lazy summer morning – patty baking by the blue lagoon- only to- by gosh!- achieve, thanks to a series of sandy serendipities, an Alhambra with all its pools by afternoon.”

William H. Gass, “Mr Gaddis and his goddamn books” in Temple of texts, Knopf, $26.95

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Jeunesse infraréaliste

Les articles de qualité sur Roberto Bolaño se suivent et ne se ressemblent pas aux Etats-Unis à l'occasion de la sortie des "Wild Detectives". Scott Esposito signale un papier paru dans The Nation qui est particulièrement digne d'intérêt. Bolaño in Mexico, écrit par la romancière et poète mexicaine Carmen Boullosa - par ailleurs amie de l'écrivain chilien- aborde les jeunes années de Bolaño dans le DF et jette une lumière moins fictionelle sur le milieu culturel que l'on retrouve au centre de "Amuleto" et des "Détectives sauvages". Lecture très simulante qui apporte un décalage avec l'impression laissée par le récit fictionnalisé de certains des événements décrits et une remise en perspective des plus bienvenues. On y découvre notamment un Bolaño de vingt ans bien plus politisé qu'il ne le laisse transparaître dans ses livres: il était alors un insupportable Trots' tendance 1793, comme pas mal de ses contemporains. On est heureux qu'il ait su transcender son radicalisme juvénile pour produire l'un des oeuvres les plus conséquentes du 20eme siècle (et du 21eme...).
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Je ne connais pas du tout le travail de Boullosa, un aimable lecteur se chargera-t-il de me faire savoir s'il vaut la peine de lire - et si oui, quels textes?

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Les 60's par le dernier Beat

S’il y a dans les lettres américaines de 2007 un témoin privilégié de la contre-culture des années ’60, il s’agit de Robert Stone. C’est pourquoi ses mémoires sur la période étaient attendus avec grande impatience par pas mal de monde. Quatre ans après un très mauvais « Bay of souls », « Prime Green » nous montre un écrivain qui va mieux. Mais est-ce un bon livre sur les sixties ?

Né en 1937 d’un père inconnu et d’une mère alcoolique et schizophrène, Stone passe plusieurs années dans un orphelinat catholique – ce qui laissera des traces sur ses fictions très métaphysiques- avant de s’engager dans la marine en 1954. C’est justement sur les derniers mois de cette expérience que s’ouvre « Prime green ». On y voit un jeune homme encore bien naïf sur le fonctionnement des Etats-Unis, n’aspirant qu’à retrouver New York et écrire.

Après quelques boulots alimentaires dans des journaux à inventer de toutes pièces des faits divers, Stone se marie et se rend à La Nouvelle Orléans, où il se met à composer ce qui allait devenir son premier roman, l’apocalyptique « Hall of mirrors ». Ce n’est que lorsqu'il reçoit une bourse pour aller écrire à Stanford en Californie que le livre commence à quitter le domaine de l’anecdotique biographie d’un écrivain pour entrer dans celui, plus pertinent, du portrait d’une génération.

C’est en effet en Californie que Stone fait la connaissance de Ken Kesey, Neal Cassady et des débuts du monde psychédélique. C’est l’époque où une minorité « éclairée » se libère au LSD avant d’aller écouter Coltrane : Stone se sent chez lui dans cette ville, dans cette période de délire créatif. A posteriori, il y voit bien sûr déjà les contradictions qui allaient mener à la désillusion :

« The struggle between the CIA and the Bohemians over Dr Hofmann’s Promothean fire may contain as many ironies as the era affords. »

Ah, s’ils avaient su que cette drogue qu’ils pensaient instrument de subversion avait été financée par la CIA! En fait, même s’ils l’avaient su, ils n’auraient rien fait : le produit avait trop de qualités pour être négligé. Ce que Stone souligne, je crois, c’est que, dès les débuts, la contre-culture était infiltrée par les représentants de l’ordre « bourgeois » et contenait déjà les germes qui allaient la détruire. Il souligne que cette culture de la drogue née de la popularisation de l’acide partiellement subsidiée par la fameuse agence gouvernementale est précisément à l’origine de la liberticide guerre contre la drogue que l’administration US mène depuis des années ; gonflant sans cesse le budget de ses agences existantes, en créant de nouvelles. LSD, instrument de contrôle et de réaction ?

Stone a une phrase qui résume éfficacement la suite : « the summer of love (…) would fuck everything ». Il ne veut évidemment pas dire que tout le monde y baisa tout le monde (ce qui serait vrai aussi), mais bien que les promesses de la Beat Generation et de Ken Kesey y seraient enterrées. La massification de l’expérience contre-culturelle, le déferlement sur la Californie de jeunes américains et, fatalement, à leur suite, de leurs prédateurs, la démultiplication de la demande en matière de drogue – entraînant une énorme baisse de qualité- aura pour résultat une focalisation de l’appareil sécuritaire sur le mouvement et une répression accrue. Surtout, il implosera par lui-même à travers l’affaire Manson. Au lendemain du meurtre de Sharon Tate et de ses amis, Stone et ses compagnons se réveillent avec une énorme gueule de bois.

Finalement, Robert Stone arrive aux mêmes conclusions que Joan Didion. La différence, c’est que la journaliste n’a jamais cru aux promesses dont Stone se fait écho. D’ailleurs, si « Prime Green » est finalement le très intéressant récit d’un témoin direct des sixties, il est trop personnel pour donner un véritable portrait de l’époque : l’information est parcellaire, on sent que l’auteur touche du doigt certaines conclusions sans vraiment jamais parvenir à les articuler. Si on veut quelque chose de plus définitif sur les sixties, alors il faudra se (re)plonger dans les magistraux recueils d’articles de Didion « Slouching towards Bethlehem » et « The white album ».

« Prime Green » est le livre d’une désillusion. Si Robert Stone soutient mordicus que la lutte pour les droits civiques et celle contre la guerre du Vietnam ont amenés des avancées majeures, il sait aussi que la révolution qu’a tenté de mener sa génération a fait exploser les prérogatives gouvernementales. On quitte l’auteur alors qu’il travaille comme journaliste sur les derniers temps de l’implication US au Vietnam – cette expérience donnera « Dog Soldiers », son meilleur roman. Il entend parler d’un massacre commis contre la population civile par les communistes. On n’en dit mot dans la presse.

« Since newspapers are into telling readers what they are used to hearing and think they already know, any suggestion of congruity in the cruelty of desperation would have been the occasion of moral confusion. »

Voilà l’une des rares fois où Robert Stone met directement le doigt sur une vérité qui fait mal – et qui est toujours valable aujourd’hui. On aurait souhaité qu’il le fasse plus souvent dans « Prime Green ». Peut-être la crainte de trop dénigrer les meilleures années de sa vie a-t-elle été trop forte ?

Robert Stone, Prime Green : remembering the sixties, Ecco, $25.95

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Au revoir, Kurt!

Kurt Vonnegut nous a quitté hier soir des suites d'une chute dans son appartement de Manhattan. So it goes...

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Découvrir Sorrentino - entretien avec Bernard Hoepffner

Obnubilé que je suis par la traduction française du « Tunnel » de William Gass, je n’avais pas une seule fois mentionné ici l’autre évènement majeur de ce début 2007 en matière de littérature US : la publication aux Editions Cent Pages du « Mulligan Stew » de Gilbert Sorrentino sous le titre « Salmigondis ». Ayant contacté il y a peu Bernard Hoepffner, son traducteur, pour une toute autre raison, je me suis dit que je tenais là une bonne occasion de rattraper mon erreur. Vous trouverez donc ci-dessous un entretien « introductif » avec Hoepffner. Un papier sur le livre suivra dans les deux semaines qui viennent. Saluons déjà le remarquable travail de Cent Pages sur cette publication : « Salmigondis » est un objet superbe, du papier bible à la typographie en passant par les illustrations.

Qui était Sorrentino? Pourriez-vous brièvement présenter l’écrivain, son importance, ainsi que la rencontre qu’a été pour vous l’homme et ses textes?

J’ai découvert Gilbert Sorrentino un très beau jour de 1980, en prenant au hasard (?) un livre publié par Picador sur une tour Martello de livres dans un aéroport; il s’agissait justement de « Mulligan Stew »; ce livre m’a introduit à la littérature américaine contemporaine — disons d’une partie de cette littérature, les Gaddis, Gass, Coover, Davenport, Elkin, Goyen, Toby Olson, Coleman Dowell, etc. Sorrentino, décédé l’année dernière, est l’auteur de plus d’une douzaine de romans, d’un recueil d’essais et d’une quinzaine de recueils de poésie. L’homme, je ne l’ai jamais rencontré, nous avons longtemps correspondu mais il s’est toujours débrouillé pour que nous ne rencontrions pas — je ne saurais jamais si c’était volontaire ou pas. Le faire connaître en France a été l’une des raisons pour lesquelles je me suis lancé dans la traduction, cinq livres de lui traduit à ce jour (« Red le Démon », « Steelwork », « Petit Casino », « Mulligan Stew/Salmigondis », et son recueil de nouvelles, « La Lune dans son envol », qui sortira en septembre, deux autres paraîtront en 2008, « Aberration of Starlight » et « Gold Fools »).
Peu d’écrivains ont autant mis l’accent sur le refus d’écrire des histoires réalistes, avec une intrigue “minutieusement composée, intéressante, pleine de suspense”, des personnages “plausibles, plein de substance et de motivation”, un décor “qui vous rappelle quelque chose”, au contraire, il insiste sur le fait qu’il n’y a là que de l’encre sur du papier, que sa création est pure imagination; et pourtant le Brooklyn de ses livres, les personnages qui s’y trouvent sont d’une humanité étincelante — qu’il s’agisse de gens ordinaires, pauvres et sans espoir, ou du monde artificiel des arts (qu’il ne cesse de fustiger). Son oreille exceptionnelle lui permet de jouer de la langue anglaise comme d’un instrument, de la tordre, de la déformer, tout en restant constamment d’une grande lisibilité. Même lorsqu’il caricature un mauvais écrivain, son style est incomparable. Le tout est un mélange de noirceur extrême et d’humour, de dérision et d’humanisme dans lequel le lecteur pénètre pour ne plus en ressortir.

Gilbert Sorrentino est un écrivain dont l’œuvre a une importance considérable. Pourtant, le New York Times par exemple s’est à peine fait écho de son décès l’an passé. En France, pratiquement personne ne le connaît hors des cercles américanistes, alors que l’œuvre de Coover a été presque entièrement traduite par une grosse maison. Comment expliquer ça?

Il est difficile d’expliquer tout cela sans faire un historique de la situation de la littérature aux Etats-Unis et en France, ce que je me garderai bien de faire; il suffit de dire que tous les écrivains mentionnés plus haut, même s’ils sont “connus”, sont peu lus et ont souvent du mal à se faire publier, même aux Etats-Unis, le Seuil ne vend pas beaucoup plus de Coover que Cent Pages et Actes Sud ne vendent de Sorrentino. Toute l’œuvre de Sorrentino est disponible aux US, grâce à Dalkey Archive, à Green Integer et à Coffee House Press. Cette littérature est connotée “difficile” — peu importe que j’aie plus de mal à lire le Dauphiné Libéré qu’un roman de ce type. « Mulligan Stew » a été refusé par une trentaine d’éditeurs américains avant d’être publié, j’ignore si Actes Sud aurait accepté de le publier en France si Don DeLillo ne leur avait dit qu’il était son maître. Ici, il faut se battre contre une vision de la littérature américaine qui considère l’école du Montana comme représentative. Mais petit à petit, nous parvenons à l’introduire. Sans oublier que Marie-Christine Agosto vient de publier, aux Presses Universitaires de Rennes, le premier livre sur Sorrentino.

« Mulligan Stew » est peut-être le livre le plus connu de Sorrentino, quelle place occupe-t-il dans son œuvre et dans la littérature américaine? En quoi peut-il être considéré comme “typiquement” Sorrentino et / ou radicalement autre?

Il est certainement son livre le plus connu, il a eu droit à sept éditions aux Etats-Unis. C’est son livre central, comme on pourrait le dire du « Tunnel » de Gass ou de « La Femme de John » de Coover. Il en a fait la plus extrême caricature de ce que l’on appelait la littérature “postmoderne”: dans un certain sens, il part du premier livre appartenant à cette “école”, « At Swim-Two-Birds » de Flann O’Brien, et en écrit le point final magistral, car ce roman n’est fait que de ce que l’on considère normalement comme du paratexte.

Comme Markson pour « Wittgenstein’s Mistress », Sorrentino a essuyé refus sur refus pour le manuscrit de « Mulligan Stew » alors que les éditeurs en faisaient toujours des commentaires élogieux. Avez-vous eu des difficultés pour trouver une maison française à « Salmigondis »?

Les commentaires étaient élogieux, mais les éditeurs veulent des livres qui se vendent à plus de dix mille exemplaires (en tout cas, qui ont une chance de le faire, et ceci dans les trois mois qui suivent la publication), ils savaient que ce ne serait le cas ni pour « Mulligan Stew », ni pour « Wittgenstein’s Mistress ». En France, on trouve cette même différence entre l’édition qui cherche à gagner de l’argent et celle qui préfère ne pas en perdre; cette littérature ne rendra jamais quelqu’un millionnaire, mais il n’y a aucune raison qu’elle ne trouve pas ses lecteurs, qui existent, même s’ils ne se comptent pas en dizaines de milliers. Depuis longtemps, Olivier Gadet, des éditions Cent Pages, aime Sorrentino et accepte de le publier en traduction. Avec lui et avec Actes Sud, nous espérons parvenir à le faire connaître en France.

Et en terme de traduction ce livre représentait-il un défi particulier?

Celle-ci a été à la fois une des plus difficiles et une des plus grisantes — grisante parce que c’est un des plus beaux roman que je connaisse, parce que chaque journée m’apportait ses épiphanies de découvertes, parce qu’il m’obligeait à creuser entre les langues, à déformer la langue française un peu comme l’a fait Sorrentino, difficile parce chaque section est écrite dans un style différent, le plus souvent parodique, depuis le vieux français, jusqu’à la mauvaise poésie érotique et au polar mal écrit, en passant par les listes interminables, une pièce de théâtre ou un western irlandais, le tout toujours au deuxième ou au troisième degré, sans oublier les références constantes et précautionneusement dissimulées à la littérature et à la culture américaine.

Pourquoi, près de 30 ans après sa publication US, faut-il lire « Salmigondis » aujourd’hui? En quoi le texte est toujours aussi pertinent au 21eme siècle?

Comme tous les bons livres, « Mulligan Stew/Salmigondis », peut être lu à n’importe quelle époque. Sorrentino aurait répondu que ce qu’il caricature dans le livre était déjà à caricaturer il y a quatre ou vingt siècles, et que malheureusement la caricature restera valable dans quatre ou vingt siècles. S’il “faut” le lire aujourd’hui, c’est parce qu’il existe enfin en français, parce que c’est un très bon livre, parce qu’il est désopilant, parce que, malgré le côté déroutant de ce livre qui semble partir dans tous les sens, le lecteur qui s’y plonge se rend vite compte à quel point tout se tient et à quel point il mérite lecture après lecture. Également parce que cette édition est la plus belle qui ait jamais été faite de ce roman, typographiquement, elle est le reflet parfait de la façon dont il est écrit et, comme me l’a écrit Don DeLillo, “Gil aurait été fier de le tenir dans ses mains”.

Qui sont, selon vous, les héritiers littéraires de Sorrentino aujourd’hui?

Peu d’écrivains se réclament directement de lui, aux Etats-Unis, Don DeLillo et Curtis White, en Espagne, Julian Rios, mais je pense qu’il y en a beaucoup d’autres — je suis heureusement surpris de voir que, en France comme aux US, des lecteurs jeunes s’y intéressent de près et le découvrent avec enthousiasme.

Gilbert Sorrentino, Mulligan Stew/Salmigondis, Cent pages, 30€

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Frame-Tale du DF

Après avoir amplement discuté de romans écrits par des étrangers se déroulant dans le DF mexicain, il était sans doute temps de se pencher sur un livre écrit par un local. « La raie Manta » de Eloy Urroz ne se déroule que partiellement à Mexico DF, mais il fera l’affaire…

Urroz est un des écrivains « Crack » ayant composé une manifeste en 1996 et dont l’ambition était de revenir au boom latino-américain de Vargas-Llosa, Cortazar ou Borges, d’en prendre les éléments toujours pertinents et de les fondre avec leurs propres apports afin de revitaliser une littérature sur son lit de mort par la faute d’écrivains comme Isabel Allende ou Laura Esquivel dont le fond de commerce consistait à reprendre la recette du réalisme magique et l’appliquer livre après livre sans la faire évoluer, obtenant ainsi une épouvantable mixture pompière, boursouflée, sans vie. Une littérature de petits faiseurs dépourvus d’ambition et de vision. Evidemment, le manifeste a été reçu très froidement puisqu’il allait contre des vaches sacrées et démontrait une certaine arrogance. On peut heureusement dire, une décennie plus tard, qu’ils ont sans doute gagné le combat : l’heure est en effet à une nouvelle génération qui leur est proche, celle de Fresán, Pauls ou Padilla (coauteur du manifeste), et dont le précurseur était l’inestimable Robert Bolaño.

« La raie manta » est un roman bizarre et, pour être tout à fait honnête, pas totalement réussi. C’est tout d’abord une quintuple éducation sentimentale : celle de Ricardo, jeune aspirant-écrivain du DF amoureux de sa voisine ; de Elias, moins jeune scribouillard de La Raie Manta en Basse-Californie, amoureux de Roberta, la plus belle pute du bordel local ; de Federico, auteur des « Prières du jour », un roman sur son grand amour qui l’a quitté pour son meilleur ami, livre lu par Ricardo ; du prêtre de « Chronique d’un converti », deuxième livre lu par Ricardo, qui raconte le premier amour déçu qui pousse finalement dans les bras du Seigneur; et enfin l’histoire de Solon qui arrache Zolaida à sa vocation religieuse avant de l’abandonner à son triste sort. Lorsque Urroz écrit tout ça, il est assez jeune et ça se sent. J’ai assez souvent eu des difficultés à rentrer dans les soucis amoureux des personnages qui étaient en plus décrits dans un style assez grandiloquent, parfois boursouflé, rarement gracieux.

Ce qui est par contre fascinant, c’est la construction du récit. Et là, justement, on s’étonne du jeune âge de l’auteur de « La Raie Manta ». Les cinq histoires sont tous des récits dans le récit, qui se polluent l’un l’autre. Dans la grande tradition qui va des « Milles et une nuits » à John Barth, c’est une histoire sur des gens qui racontent des histoires sur des gens qui racontent d’autres histoires. L’exploit dans ces cas-là, c’est toujours de parvenir à ne pas se perdre et se disperser en cours de route. Mission réussie pour Urroz qui dirige le tout d’une main vraiment assurée.

Les festivités ne finissent pas là, puisque l’auteur ajoute une petite complexité supplémentaire : Ricardo écrit au DF un roman sur un certain Elias amoureux en Basse-Californie et Elias écrit à La Raie Manta un roman sur un certain Ricardo amoureux à la capitale. On finit par se demander si c’est vraiment Urroz qui écrit le livre que l’on tient en main. Le chapitre le plus fort est sans aucun doute celui qui décrit la rencontre entre Ricardo et Elias, entre les deux écrivains et les deux personnages. Ca se transformer en gigantesque leçon sur l’écriture et la lecture, sur les diverses possibilités d’interprétation d’un même texte. Ils glosent ad infinitum sur les histoires de Federico, Solon et du prêtre, tous des personnages réels jouant un rôle important dans leurs propres vies. En fait, Urroz fait ici la propre analyse littéraire de son édifice métafictionelle, et c’est assez grandiose.

Voilà donc un livre éclaté et complexe, incroyable de maîtrise mais qui pâtit malheureusement des histoires un peu trop adolescentes et clichés à mon goût. Si le fond avait suivi et égalé qualitativement la forme, ça aurait été monumental. Ce n’est pas le cas, mais « La Raie Manta » est un roman à lire. Je suis très curieux de voir ce qu’Urroz a fait depuis.

Eloy Urroz, La Raie Manta, Actes Sud, 23€
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Le titre original est « Las rémoras », les obstacles, et on se demande bien pourquoi il a fallu lui donner un aussi évident en français.

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C'est toi le gros et moi le petit - entretien avec Mark Binelli

Mark Binelli est l'auteur de « Sacco and Vanzetti must die ! », un premier roman très prometteur dont je vous parlais hier. Il réinvente l'histoire de deux célèbres anarchistes en les transformant en duo de slapstick comedy - genre très américain impliquant tartes à la crème, chutes, coups, etc. Aucune traduction française à l'horizon, mais Mark a bien voulu répondre à quelques questions.

Dans un interview pour Context, vous aviez dit que votre intention initiale était d’écrire sur un duo comique et que Sacco et Vanzetti ne vinrent que plus tard. Qu’est ce qui vous attirait dans ces duos au point de vous donner l’envie d’écrire une fiction là-dessus ?

J’ai commencé, de façon très superficielle, en essayant de trouver un genre avec lequel jouer. Je n’avais jamais essayé d’écrire un roman avant (des nouvelles, uniquement) et je pensais aux frères Coen, la façon dont leurs films plongent dans des genres bien établis avant de les subvertir de façon (à mon sens) très intéressantes. J’ai donc commencé à penser aux genres, en en écartant rapidement plusieurs : western (sans intérêt pour moi), crime/noir (cool, fait des milliers de fois)… avant d’arriver au slapstick. Regarder les films d’ Abbott & Costello avec mon père était un rituel le dimanche matin quand j’étais môme. (On les repassait sur des chaînes locales à Détroit, d’où je viens.) Pour mon roman, j’adorais l’idée d’un duo de comique évoluant d’une situation absurde à l’autre, toutes très différentes : « Abbott & Costello Meet Frankenstein », « Abbott & Costello Join the Navy », etc. Pouvoir sauter d’une situation à l’autre comme ça faisait de l’écriture d’un roman une tâche bien moins intimidante, plus proche (d’une certaine façon) d’un recueil d’histoires des mêmes personnages. Et puis, plus tard, je me suis rendu compte que Sacco et Vanzetti était le nom idéal pour un duo comique : tout s’est alors mis en place.

L’affaire Sacco & Vanzetti est devenue symbolique, et l’on continue à garder à l’esprit toute une série de clichés : on en fait soit des martyrs, soit des crapules. Votre opinion parait plus équilibrée. J’ai ressenti beaucoup moins de sympathie pour le Sacco fictionalisé et il se trouve que c’est précisément lui qui serait peut-être effectivement coupable. Ai-je lu votre livre en étant influencé par mes connaissances personnelles, ou était-ce volontaire de votre part ? Si l’on met de côté le procès partial, quelle est votre opinion sur l’affaire?

Je ne sais pas si j’ai consciemment voulu faire un portrait moins compatissant de Sacco, mais vous avez raison il est celui dont la culpabilité est la plus probable. (Selon la plupart des études que j’ai lues.) Je n’ai pas vraiment voulu que mes personnages reflètent certains traits spécifiques des véritables S&V, si ce n’est d’une façon générale en ce qui concerne leurs convictions anarchistes. Je considérais mon Sacco fictif plutôt que comme le clown qui se casse la gueule, alors que Vanzetti est le gars théoriquement sérieux. Dans ce sens là, il devient plus violent, l’instigateur, « the team id » comme l’un d’eux dit… En ce qui concerne la véritable affaire, c’est de toute évidence compliqué. D’un côté, ayant lu leur correspondance, il m’est très difficile de croire que des hommes aussi diserts face à leur propre mort, et tellement préoccupés par l’injustice sociale, aient pu être impliqués dans pareils meurtres de sang-froid uniquement pour l’argent. Mais d’un autre côté, il s’agit d’une époque extrême, et si on lit les discours de Luigi Galleani, le leader anarchiste que S&V suivaient, cette violence semble bien plus crédible. Je pense que je serais plus convaincu de leur culpabilité si la tuerie était due à un attentat à la bombe ou à une tentative d’assassinat… mais pour ce genre de petit larcin, je ne sais pas.

Sur la quatrième de couv’, il est dit que votre livre nous invite à une histoire alternative du vingtième siècle. Ca m’a laissé assez perplexe, parce que j’essayais de comprendre cette phrase à travers votre réécriture de l’affaire S&V et n’arrivait pas à voir de quoi il pouvait bien s’agir. Et puis je me suis rendu compte que le livre traitait de nombreux stéréotypes liés aux italo-américains, c’est peut-être de ce côté-là qu’il fallait regarder…

L’idée d’écrire un roman « hyper italien » me plaisait énormément, d’une certaine façon : quelque chose qui puisse embrasser une large part de l’histoire italo-américaine, plus particulièrement celle de la première moitié du vingtième siècle. Les films de cette époque étaient tellement remplis de stéréotypes raciaux et ethniques (Chico Marx, Charlie Chan, pratiquement tous les personnages noirs) qu’il me semblait logique d’aborder certains de ces préjugés auxquels furent véritablement confrontés les vrais S&V au cours de leur procès. « At Swim Two-Birds » de Flann O’Brien a été une grosse influence, de par la façon dont il semble vouloir y inclure l’ensemble de l’histoire et de la culture irlandaise, à un degré presque fou. Le « Invisible man » de Ellison fait aussi quelque chose s’en approchant. Je voulais le faire aussi avec l’histoire italo-américaine – la réfléchir à travers cette sorte de folie et d’intensité.

J’ai été vraiment impressionné par votre capacité à mélanger les genres. En fait, le livre ressemble au dossier rempli de donnés brutes d’un écrivain s’apprêtant à écrire une grande biographie d’un duo célèbre. Sources primaires, sources secondaires, tout est là et semble naturel, authentique. Pourquoi avez-vous choisi cette façon de composer le roman ?

En partie, pour revenir à une réponse précédente, par peur de m’embarquer dans un « vrai » roman. Le style fragmentaire me semblait bien moins effrayant, au départ, qu’une narration continue sur 300 pages. Pourtant, j’ai sans doute fini par rendre les choses beaucoup (beaucoup) plus difficiles pour moi-même. Je me souviens qu’à un moment, alors que je louais un espace pour écrire et que j’avais imprimé un brouillon du livre et l’avait étendu sur le sol, section par section, j’étais en train de marcher au tour, essayant de déterminer quelle partie devait aller où. Je me sentais comme Jackson Pollock… Au-delà de ça, je m’ennuie facilement, aussi bien en tant que lecteur qu’en tant qu’écrivain, et donc cette idée d’une variété de styles et de voix dans uns seul livre me plaisait énormément. Les premiers romans de OndaatjeThe Collected Works of Billy the Kid », « Coming Through Slaughter »), bien que beaucoup plus court que mon roman, m’ont beaucoup influencés en ce qui concerne la forme. J’adorais l’idée de créer ce collage à partir de plein de textes différents.

Le livre m’a fait penser à Robert Coover. Il a écrit sur les Rosenberg, vous avez choisi S&V. Votre travail est assez différent, mais j’y retrouve de similarités dans votre relation à la réalité autant que dans votre approche ludique de l’écriture. Que pensez-vous des écrivains postmodernes des années 60-70 ? Voyez-vous un lien entre eux et vous ? Parmi la plus jeune génération, de qui vous sentez vous proche ?

C’est amusant que vous mentionniez Coover, parce que sa nouvelle « The babysitter » fut la première à me donner l’envie d’écrire des fictions. Je l’ai lue pendant ma première année d’université et je me souviens avoir penser, « on peut faire ça avec une nouvelle ? ». Certains des écrits postmodernes de cette époque semblent un peu avoir vieillis aujourd’hui, mais j’aime toujours beaucoup des livres de Coover, Barth, Gass, Pynchon et plus particulièrement Barthelme, son roman « The dead father » encore plus que ses nouvelles. Chez les plus jeunes (ou moins vieux), j’aime notamment David Foster Wallace, aussi bien ses fictions que ses non-fictions; George Saunders; Lydia Davis... Mon Dieu, aucun d’eux n’est particulièrement jeune. J’ai adoré « I Should Be Extremely Happy in Your Company », un livre de Brian Hall à propos de Lewis & Clark. Je ne sais pas trop s’il est jeune. Etre jeune est dur.

Dalkey Archive est, à mon sens en tout cas, une des meilleures maisons d’éditions des USA, mais publie très peu de textes inédits. Comment avez-vous été publiés par eux ? Est-ce que ça veut dire qu’il est de plus en plus dur de vendre ce type de fiction aventureuse aux grosses maisons ?

Pour répondre d’abord à votre première question, OUI. J’ai toujours aimé Dalkey et je pensais qu’un livre comme le mien serait en toute probabilité publié par un petit éditeur indépendant. (Pas nécessairement Dalkey, puisque, comme vous le dites, ils publient très peu de textes américains inédits.) Mais je suis passé par le processus habituel de soumettre le manuscrit à de nombreux agents. Je savais que j’avais écrit un livre pas vraiment commercial qu’il serait sans doute difficile de vendre (et qui ne rapporterait pas des masses d’argent à un agent), mais je pensais naïvement que mes autres écrits beaucoup plus mainstream (je travaille à Rolling Stone) me permettraient plus facilement de trouver un agent. Après une année blanche de ce côté-là, j’ai commencé à directement envoyer le livre à des petites maisons. J’étais réticent, parce que je sais ce qui arrive généralement aux manuscrits non-sollicités, mais à ce moment, je n’avais rien à perdre. Heureusement, mon fantastique éditeur chez Dalkey, Jeremy Davies, a vu et aimé le manuscrit.

Question obligatoire: la suite, pour Mark Binelli?

Je travaille sur un nouveau roman, avec une fois de plus un personnage réel, un musicien cette fois-ci. Jonathan Lethem vient d’écrire un « roman rock » (que je n’ai pas encore lu) qui a provoqué de nombreuses discussions sur des blogs s’interrogeant sur l’absence de bon roman rock. Je ne dis pas que le mien le sera, mais j’espère qu’il sera meilleur que le roman de Rushdie devenu une chanson de U2. Ou au moins meilleur que la chanson de U2. Cette chanson était nulle.

Mark Binelli, Sacco and Vanzetti must die!, Dalkey Archive, $14.95

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Pour se reposer du stress causé par l'incessant bruit des pages qui tournent, Fausto va s'isoler dans un petit village espagnol pour une semaine. Je repasserai peut-être poster un papier en fin de semaine, mais n'attendez pas de réponses aux commentaires - je le ferai à mon retour- ou de mises à jour quotidiennes. A bientôt!

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Pantalonnade

Sur la quatrième de couverture de « Sacco and Vanzetti must die ! », le premier roman de Mark Binelli, Ben Marcus dit que jusqu’à l’arrivée de ce livre, raconter des mensonges sur Sacco et Vanzetti était l’apanage du gouvernement américain. Il ne dit pas la vérité lui non plus, puisque dans cette affaire, tout le monde a raconté n’importe quoi. Si il n’y a guère de doute que Vanzetti était innocent, on n’est toujours pas sûr que Sacco n’était pas coupable. Contrairement au portrait fait par les radicaux, les deux Italiens n’étaient pas des angelots mort pour leur classe, mais bien deux anarchistes convaincus, membres de groupes prônant le passage à l’acte violent comme seul chemin possible vers la révolution. La seule certitude, parmi tous les doutes, reste que le procès a été bâclé et mené dans un souci idéologique plutôt que de justice. Ce n’était ni la première, ni la dernière fois que les Etats-Unis créaient eux-mêmes des martyrs en éliminant des gens qui n’auraient pas dû en avoir la carrure.

Mais Binelli ne s’intéresse que très peu de temps à la véritable carrière de Sacco et Vanzetti et leur réinvente une toute autre trajectoire, puisque les deux anarchistes sont transformés en duo comique à la Abbott et Costello ou Laurel et Hardy. De leurs débuts difficile dans un club miteux jusqu’à la mort de Sacco, en passant par l’invention de leurs routines les plus célèbres, les premiers succès, le cinéma, les disputes, la chute de popularité, le parcours du duo est quelque part entre le cas d’école et la caricature du destin des couples comiques célèbres.

Littérairement, le livre de Binelli s’intègre de certaine façon à une tradition dont Robert Coover est peut-être le meilleur défenseur. C’est justement Coover qui avait réécrit complètement le cas des époux Rosenberg, ces autres martyrs de la gauche, dans « The public burning ». « Sacco and Vanzetti must die ! » est sans doute moins impressionnant, mais reste l’un des meilleurs textes de ce type que j’ai lu. Le plus fort, je trouve, est le mode de narration, qui alterne entre descriptions alambiquées de films ou de routines, extraits d’interviews du duo, passages du journal de Vanzetti, textes critiques type cahiers du cinéma, etc. Binelli fait là un vrai travail sur sources primaires et secondaires, renforçant étrangement l’impression de réalité de sa fiction.

Justement, il y a quand même des traces de réalité dans ce livre. Il s’ouvre sur une sorte de chronologie de la vie des deux anarchistes, le récit du duo comique est parfois interrompu par des citations de lettres de Vanzetti ou des extraits des débats du procès, et tout un chapitre est consacré à la fuite d’un groupe radical dont ils étaient membres au Mexique pour échapper à la conscription de 1917. Les personnages inventés par Binelli ont bien évidemment gardés des traces de la vie des deux exécutés. Sacco est le séducteur, Vanzetti le célibataire, par exemple. De façon plus pertinente, Nicola Sacco est, selon moi, celui qui est dépeint de façon la moins sympathique, et c’est précisément lui le plus susceptible d’avoir été coupable de double assassinat. Il y a aussi une scène fantastique mais complètement fictionnelle où les comiques rejoignent les anarchistes : ils enlèvent l’aviateur fasciste Italo Balbo en visite à Chicago et le séquestrent pendant deux jours. Mais les personnages de Binelli ne pouvaient que louper l’affaire : après des jours sans nouvelles des autorités, il se rendent compte que la demande de rançon n’est jamais partie, puisqu’elle a servi d’emballage au beurre du frigo. Balbo est relâché, et ne mourra qu’en 1940. Il ne serait pas sorti vivant des mains de véritables anarchistes partisans de l’action directe.

Plutôt qu’à l’histoire sociale de l’époque, c’est aux stéréotypes sur les italo-américains que renvoie Binelli. On peut en effet lire ce roman comme un florilège de préjugés, allant du rital analphabète aux cheveux plein de gomina jusqu’aux fantasmes de bandits de grand chemin. Ainsi, la fiction s’inscrit d’autant plus dans l’époque où elle est sensée se dérouler qu’elle reflète un certain état d’esprit régnant alors aux Etats-Unis.

Au-delà de ça, on peut se demander si ce genre de livre essaie vraiment de dire quelque chose de nouveau au sujet de Sacco et Vanzetti. Si c’était là l’ambition, je ne suis pas convaincu que ce soit un succès. Par contre, d’un point de vue purement fictionnel, c’est un coup de maître. Avec « Sacco and Vanzetti must die! » Binelli prouve être un écrivain aux voix nombreuses et variées, ayant les moyens de ses ambitions. On suivra avec intérêt la suite de sa carrière…

Mark Binelli, Sacco and Vanzetti must die!, Dalkey Archive, $14.95

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Revenez demain: je posterai un entretien avec Mark Binelli que j'espère intéressant.

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