Paris ne finit jamais assez vite

Mardi 06 en fin de matinée, je suis arrivé à Paris. J’y mettais les pieds pour la première fois depuis bien six ans. Malgré la richesse culturelle et historique, c’est une ville qui ne me plaît pas. Même après de nombreuses visites, je ne m’y suis jamais senti à l’aise – contrairement à Londres ou Madrid, par exemple- et je ne sais trop comment expliquer cet état de fait. J’avais donc une certaine appréhension lorsque je descendis du train en gare du nord.

Je suis allé faire un tour au Père-Lachaise. La seule fois où je m’y étais rendu, je devais avoir 16 ou 17 ans, et le souvenir de cette expérience avait une teinte par trop juvénile et romantique pour que je m’y fie. Un nouveau coup d’œil était indispensable. Sur place, je décidai d’aller trouver une tombe précise à l’autre bout du cimetière. Le seul nom qui m’ait réellement motivé était celui de Benjamin Constant. On peut y voir sans aucun doute une trace d’atavisme – une bonne partie de la carrière universitaire de mon grand-père fut consacrée à Constant de Rebecque, dont il préside le comité pour l’édition des œuvres complètes. En chemin, j’ai vu surgir un hippie d’une quarantaine d’années, vêtu d’un immonde t-shirt tye-dye de Jim Morrison. Il interpellait les promeneurs pour désigner le chemin de la tombe du chanteur. On dit que les cimetières sont lieux de repos éternel, on ne peut donc que plaindre Morrison de devoir passer l’éternité sous le monument le plus laid du Père-Lachaise, défiguré par la cohorte abrutie des dévots doorsiens. Je plains encore plus ses voisins de section, qui n’avaient sans doute rien fait pour mériter ça.

Evitant le chemin empestant le patchouli, je me dirigeai dans des allées plus tranquilles. Il y a bien sûr des monuments superbes et d’autres horribles, des tombes d’inconnus, d’autres qui évoquent de grandes pages de l’histoire. Il y a surtout le plaisir des noms. Le plus frappant fut pour moi celui de la famille Chrétien-Lafolie. Je ne sais ni qui ils furent ni de quand date le caveau, mais tomber sur cette sépulture discrète surmontée d’un nom aussi peu commun provoqua en moi un certain plaisir. Il y aussi les anecdotes qui n’auront aucune signification pour d’autres que moi. Je souris en découvrant que la concession perpétuelle numéro 666 était celle de la famille Kellermann, grands généraux d’Empire et ducs de Valmy – qu’ont-ils fait pour mériter, parmi tous les soldats de Bonaparte, de se voir affubler du chiffre de la bête ? Un peu plus loin de cette maléfique découverte, je fus surpris de voir qu’on enterrait encore des de La Rochefoulcaud (Aude, décédée à vingt ans, le 30 mars 2002). Etais-je assez idiot pour croire que les grands hommes n’avaient pas de descendance ?

J’arrivai finalement à la dernière demeure de Constant, extrêmement sobre pour quelqu’un dont les funérailles furent suivis par une foule énorme. Après quelques instants à me dire que je ne ressentais vraiment aucune émotion à me trouver à quelques mètres de la dernière demeure de tels ou tels grands, je me décidai à rebrousser chemin et retrouver le monde des vivants.

Ce retour ne se fit pas sans mal. Le soir même, sur le boulevard Saint-Germain, je fus pris d’un mouron comme je n’en avais pas connu depuis longtemps, sans aucune raison apparente à part le sentiment d’être dans un endroit qui ne voulait pas de moi et dont je ne voulais pas moi non plus.

Le lendemain, cherchant à comprendre la raison de cette attitude qui me semblait irrationnelle, je me promenai à travers la ville pendant près de trois heures sans trouver la moindre piste de réponse satisfaisante. Pour calmer cette légère angoisse, je n’eu d’autres solutions que de me livrer à l’activité la plus réparatrice que je connaisse –ou presque- : celle de passer ses mains le long des rayons de librairie pour en sortir les admirables volumes qui me feront passer de superbes moments dans les mois à venir. Mission acomplie, mais à grand frais !

C’est avec un certain soulagement que j’accueillis l’heure du retour en Thalys. Que l’on ne s’y trompe pas : je ne regrette pas un seul instant le voyage, je me suis rendu là non pas pour la ville mais pour écouter un homme remarquable. Disons seulement que si ma compagne me propose de me rendre à Paris avec elle cette fois, et même si cette présence calmera sans doute le mal-être, la réponse sera « pas maintenant, attendons de n’avoir pas le choix ».

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Demain, j'évoquerai les rencontres qui ont fait de ce voyage une réussite.

 

2 commentaires:

  1. claro said,

    Vollmann sera à Paris en juin - une occasion de ne pas voir le choix?

    on 12:40 PM


  2. Si tu me prends par les sentiments, on verra ce qu'on peut faire. Tiens moi au courant...

    on 9:14 PM


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