Radiation

Le largage sur le Japon de deux bombes atomiques en août 1945 est l’un des principaux crimes contre l’humanité du 20eme siècle, bien que de nombreuses personnes continuent à prétendre qu’il était indispensable pour mettre fin à la guerre et sauver ainsi de nombreuses vies. La charge de preuve incombe aux tenants de cette théorie, et ils ont bien du mal : les témoignages et les travaux récents en histoire montrent bien que le pays du soleil levant était sur les genoux, ne capitulant pas à cause des conditions inacceptables posées par Washington. On notera qu’une fois les bombes lâchées, les exigences américaines s’assoupliront comme par miracle.

En fait, « Little boy » et « Fat man » furent sans doute envoyés remplir leurs missions de dévastation dans un but stratégique d’après-guerre. Plus de deux cents mille personnes furent victimes de la température infernale déversée en ce début de guerre froide, de ce premier exemple de « preemptive strike » - cette opération comptable irrationnelle et inhumaine.

Beaucoup de gens se sont interrogés sur les scientifiques qui avaient rendus possible la réalisation d’une telle arme. S’ils avaient imaginés les conséquences à long terme de leur invention en terme humain et géopolitique, qu’auraient-ils faits ? C’est avec cette question à l’esprit que commence « Oh pure and radiant heart », brillante réflexion fictionnelle de Lydia Millet sur l’ère atomique.

Au lendemain du premier test nucléaire d’Alamogordo le 16 juillet 1945, Robert Oppenheimer, Leo Szilard et Enrico Fermi se réveillent dans l’Amérique de 2005. Ils aboutissent chez Ann et Ben à Santa Fe, qu’ils convainquent tant bien que mal de leur réalité. Commencent alors un processus d’adaptation à cette nouvelle vie, et la découverte des années écoulées entre 1945 et leurs dates de décès officiels. Chacun réagit à sa manière : Fermi se replie sur lui-même et semble vouloirs être laissé tranquille, Oppenheimer fait montre d’un intérêt vorace pour son histoire et Szilard veut bien profiter de cette nouvelle chance et faire reconnaître la particularité de sa condition. C’est lui qui va poser le plus de problèmes à ses hôtes : impoli, ingrat, exigeant, il essaie de s’introduire dans un base militaire pour obtenir les preuves qu’il est bien ce qu’il est. Cette volonté va faire se tourner vers lui l’attention de certains services de l’armée.

Un fois la « nouveauté » passée, les trois hommes s’intéressent aux suites de leur découverte. Szilard est à la pointe, lui qui, avant 1945 déjà, s’était distancié des recherches, effrayé par les potentialités destructives de leur découverte. Il convainc la petite troupe d’aller en pèlerinage au Japon, sur les lieux de la catastrophe initiale. Commence ici une croisade contre l’arme nucléaire et pour le désarmement.

Au départ plutôt comique, « Oh pure and radiant heart » prend un tour de plus en plus tragique. La campagne anti-nukes commencée sur un mode plutôt bon enfant avec le soutien d’un richissime japonais hippie et soutenue par une poignée de peaceniks gagne en importance grâce au fabuleux travail de PR de Szilard, mais ce développement amène dans la caravane vers Washington un nombre considérable de mystiques millénaristes voyant en les trois scientifiques une sorte de Sainte trinité en route vers le jugement final.

Ce côté tragique est accentué par toutes les incises de Millet qui, au cours du texte, servent à illustrer les conséquences des essais sur les populations, les hypocrisies gouvernementales et l’état des stocks actuels. Ces informations, couplées à l’échec inévitable de la démarche de Szilard et au pathétiquement triste état des activistes de salon, donnent un portrait plutôt sombre des prospectives du combat pour le désarmement. Par miracle, Millet parvient à garder de bout en bout une certaine joie dans son récit.

Thématiquement, ce livre fait penser à « The book of ash » de James Flint, en mieux réussi, avec une plus grande maturité, dans l’écriture comme dans la politique. Il n’est donc pas étonnant que ce soit le découvreur de Flint en France (Christophe Claro, traducteur de « Habitus », premier roman toujours pas surpassé par son auteur) qui programme la traduction prochaine de ce livre.

Voilà donc un bon roman, amusant, triste, didactique, passionnant, simple mais riche, plein d’humanité. Plus que recommandé.

Lydia Millet, Oh pure and radiant heart, Harcourt, $15.00

 

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